The sound of Belgique

Hélena Coupette, Nicolas Perrin, Léa Moreau et Agathe Laurain

The sound of Belgique

The sound of Belgique

Hélena Coupette, Nicolas Perrin, Léa Moreau et Agathe Laurain
Photos : Léa Moreau, Agathe Laurain
11 mai 2018
Voyage dans la scène musicale belge

Dans un pays divisé entre néerlandophones et francophones, sur le plan politique, quel rôle joue la Culture ?

Si un « son belge » semble bel et bien exister, est-il plutôt flamand, wallon ou peut-être bruxellois ?

De Gand à Bruxelles, du Vooruit au Botanique, disquaires, labels, producteurs, nous sommes partis à leur rencontre pour tenter de comprendre de quoi est faite la scène musicale belge. Entre aspects institutionnels et organisation réelle entre les différents acteurs, comment communiquent-ils ? Et si finalement, la musique permettait de dépasser tous les clivages, tous les a priori ?

 

Chapitre I : Viens voir le Doctor

Entre les nombreux bacs de disques et les platines vinyles, Néerlandais, Français et Anglais se bousculent dans la boutique de Geert Sermon. L’occasion d’une visite chez le docteur, un peu plus cool que d’autres, histoire d’en apprendre plus sur ce succès qui dure. 

Installé depuis une vingtaine d’années, dans le quartier Saint-Géry, Doctor Vinyl est devenu une sorte d’institution bruxelloise en matière de découvertes musicales.

Ni trop proche de la Grand Place et de ses (trop) nombreux touristes, ni trop éloignée, la boutique rassemble autant d’habitués du quartier que de visiteurs occasionnels.

Lorsque nous nous y sommes rendus, Geert conversait en anglais avec un client, avant de nous saluer en français, puis de continuer en néerlandais pour conseiller un nouvel arrivant un peu perdu. À ce moment, précisément, nous est venue l’idée de partir à la rencontre de ces acteurs qui font la scène musicale belge. Avec comme point de départ, le témoignage du Geert Sermon.

Ancien DJ, producteur et désormais propriétaire de Doctor Vinyl, ce dernier est au carrefour des communautés néerlandaises et francophones. Épicentre de la New Beat, dont il racontait l’essence dans le documentaire The Sound Of Belgium, ou lieu de rencontre pour passionnés et néophytes, le magasin est visiblement incontournable. À tel point que lors de notre visite, nous avons pu croisé un couple spécialement venu de Gand pour renouveler sa collection, des jeunes Bruxellois dont le look évoquait le meilleur des années 90 et quelques amis du propriétaire simplement passés faire un coucou. Un mélange des genres éclectique dont nous avons voulu connaître le secret.

Chapitre II : Une scène musicale Belge fracturée

Quels sont les choix faits par les institutions entre artistes néerlandophones et francophones en termes de diffusion ? La musique belge est elle fédérée par les politiques culturelles et les institutions ?

Régis par la fédération Wallonie-Bruxelles, les quotas de diffusion d’artistes belges sont souvent décriés par les artistes. Les radios privées sont cantonnées à 5% de musique belge tandis que sur les ondes publiques plafonnent à 10% comme à la RTBF par exemple. En Flandre, le quota à la VRT est de 25% d’artistes flamands.

Selon Facir, la fédération des auteurs compositeurs et interprètes réunis,  la philosophie du service public francophone est celle de la concurrence. Elle est régie par le formatage et les quotas. Les Flamands ont donc plus de facilité à promouvoir leurs artistes dans leurs médias là où les médias wallons se cantonnent à une image trop « mainstream » de la musique francophone pour diverses raisons qui sont surtout liées à la crise de la presse.

Des quotas inégaux

Selon Bart Somers, tourneur pour Sound Boxes, c’est au niveau des médias et du public que ça bloque. Les deux sont très liés car les médias permettent au public de faire connaître des artistes et ils s’inspirent du public pour mettre en valeur des artistes. Les groupes wallons ont des difficultés à être promu dans la culture flamande parce que les médias ne passent pas les mêmes artistes à la radio. En Wallonie la scène médiatique est plutôt francophone et passe beaucoup par la scène musicale française alors qu’en Flandre la scène est néerlandophone et comprend les Pays-Bas.

« La Flandre est comme un autre pays » déclare Julien Fournier de Wallonie Bruxelles Musique. Ce sont en effet deux communautés de 5 millions d’habitants dans un petit pays. Ce qui les sépare n’est pas forcément la barrière linguistique ou politique mais surtout une question territoriale qui va décider des politiques culturelles.

Mais Bruxelles fonctionnerait comme un épicentre médiatique comme nous l’explique Julien Farinella, :

« Bruxelles est importante au niveau de la circulation musicale ne serait-ce que pour exister dans la presse ».

Parmi les plus grandes salles de concerts de Belgique on compte : Botanique, le 210 ou l’Ancienne Belgique. Toutes basées à Bruxelles. En terme d’impact, si un artiste sort un album il se produira de préférence à Bruxelles ne serait-ce que pour multiplier son impact promotionnel.

Des aides communes ?

Chaque communauté a ses propres aides. Côté francophone, on dénombre beaucoup d’acteurs institutionnels notamment des ASBL financés par la fédération Wallonie-Bruxelles qui se charge du soutien au développement des artistes musicaux au début de leurs carrières avec des organisations comme court circuit pour le pop rock et l’électro ou les lundis d’Hortense pour le jazz. Le conseil de la musique se charge de la formation, de l’accompagnement et de l’organisation. Ils éditent un journal mensuel qui fait l’écho de ce qui se passe en fédération Wallonie Bruxelles.

Le financement lui est géré par l’administration générale de la culture, un service qui se charge de recevoir les dossiers d’aides à la production et la promotion. Il permet aussi le financement d’un album, sa promotion, le financement d’un clip vidéo dont sa production et le matériel.

Côté circulation musicale, les institutions mettent en place des aides allouées par la communauté française qui paye une partie du cachet quand le groupe est programmé dans un festival ou une salle exclusivement en Wallonie. Art et Vie proposé par la communauté française de Belgique pour les tournées en Wallonie et à Bruxelles seulement avec des aides complémentaires des provinces et une aide de la CoCof. Enfin, la SABAM, société Belge des auteurs compositeurs et éditeurs, donne des bourses par exemple si un groupe va jouer à l’étranger.

En Flandre, le Kingston décret se charge de fixer les montants qui sont alloués aux organismes culturels. Ce décret des arts distribue les subsides entre toutes les organisations qui seront chargés de mener la politique culturelle en Flandre.

La barrière principale d’une coopération entre communautés est que même si deux associations veulent travailler ensemble, ils sont payés chacun par les institutions politiques de leur propre partie du pays afin de promouvoir les artistes locaux. Ils se retrouvent donc à travailler chacun de leur côté. « On voit beaucoup de bonne volonté mais rien de structurel pour stimuler la promotion entre les deux communautés » pointe Julien Fournier. Pour les bookeurs flamands et wallons s’ils travaillent avec des artistes de leurs communautés c’est avant tout une question de réseau.

Pour Julien Fournier, la communication entre les deux communautés doit passer par une institutionnalisation de plateforme d’échange. Il existe des réseaux mais qui ne sont pas assez entretenus et beaucoup trop restreints. En effet, actuellement aucune politique spécifique ne pousse à aller de l’autre côté de la frontière linguistique.

Chapitre III : L’industrie musicale, au-delà des institutions

Divisée la scène musicale belge ? Dans ce pays où néerlandophones et francophones cohabitent mais ne se croisent pas toujours, la musique peut-elle rassembler ? Artistes, labels, tourneurs, disquaires et programmateurs, comment échangent-ils ? Nous sommes allés à leur rencontre

Nous l’imaginions unie, soudée. De telle façon que la musique permettait de dépasser tous les clivages culturelles et autres barrières linguistiques. Finalement, la scène du plat pays n’est pas tant divisée, que réellement compliquée. Pleine de bonne volonté pour faire circuler ses musiciens entre Gand et Liège, si la communication opère, la couverture médiatique et les institutions peinent à promouvoir leurs artistes au-delà de leurs frontières respectives.

La scène musicale belge, compliquée mais pas divisée

« La scène musicale belge est très compliquée. Pas vraiment de pays, deux territoires qui forment deux marchés très différents, autant en termes de publics, de médias que des salles de concerts ou des mentalités de façon générale ».

Pour Julien Fournier, directeur de Wallonie Bruxelles Musique, une agence publique spécialisée dans le soutien à l’exportation du secteur musical de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la scène musicale belge est pourtant florissante. Musiciens prometteurs et lieux culturels avant-gardistes y côtoient autant d’artistes renommés que de clubs mythiques, pour un mélange des genres aussi bordélique qu’enthousiasmant.

Qu’ils se nomment Girls in Hawaii, dEUS ou encore Roméo Elvis, si les plus connus d’entre eux  parviennent à s’exporter hors de leur région, pour les autres, la circulation d’un territoire à l’autre paraît plus compliquée.

« Nous sommes un petit pays, qui de plus est divisé. Nous parlons deux langues. De fait, les scènes musicales sont très différentes ».

Une différence qui s’explique, selon Bart Somers, tourneur en Flandres auprès de Soundboxes, par le fait que «  chaque région est presque comme un autre pays ». Donc comme un nouveau marché ? « Certains artistes ont du succès dans les deux parties du pays, mais évidemment cela requiert un certain investissement ».

Car, si elles communiquent ensemble, les institutions et associations flamandes et wallonnes chargées de promouvoir et d’aider les groupes débutants à se faire connaître, s’occupent en priorité de leurs artistes dans la mesure où leurs subventions sont régionales. Ajoutez à cela une couverture médiatique souvent insuffisante et des publics peu enclins à se délocaliser qui n’aident définitivement pas à la transversalité de la scène musicale belge.

L’industrie musicale mobilisée

Pourtant, d’autres acteurs issus de l’industrie musicale développent un réseau transrégional. De Gand à Bruxelles, en passant par Liège, ils voyagent, échangent, produisent, avec cette même volonté de tisser du lien et de créer ensemble quelque chose capable de dépasser tous les clivages. « Je suis persuadé que la musique est créatrice de liens humains, parce qu’elle fonctionne comme l’ADN. Nous reconnaissons chez les autres ce que l’on aime et ce que l’on connait », explique Geert Sermon, ancien DJ, producteur et propriétaire du magasin de disque Doctor Vinyl à Bruxelles, « en tant que disquaire, je fonctionne comme l’intermédiaire entre l’artiste, le label, le producteur et le public. Nous donnons l’occasion à ces différents acteurs de se rencontrer. Un magasin de disque est un lieu d’échange ».

En plus des magasins de disques, les salles de concerts apparaissent elles aussi comme l’occasion parfaite pour passionnés et créateurs de se rencontrer. Entre le Vooruit à Gand, le Botanique et l’Ancienne Belgique à Bruxelles, ces lieux multiculturels permettent de faire découvrir des artistes venus du Sud et du Nord, là où précisément les médias peinent à en faire la promotion.

« Le Botanique (communauté wallonne) et l’Ancienne Belgique (communauté néerlandophone) travaillent ensemble de temps en temps. Même si ce n’est qu’une ou deux fois par an, leur programmation est vouée à faire découvrir des groupes issus des deux parties du pays », explique Bart Somers.

Une idée que confirme Julien Farinella, créateur de Art-I, une jeune structure belge de gérance d’artistes, de booking et de production de concerts, basée à Liège. « On retrouve au Botanique, sur la même affiche, des artistes flamands et wallons. Il existe énormément d’échanges entre les artistes également. Par exemple, pour le concert du groupe YEW au Bota le 23 mai, un bookeur flamand nous a proposé un de ses groupes en première partie. On a trouvé ça génial parce que ça permet de fédérer, de faire découvrir le groupe au Nord du pays ».

De fait, pas question pour eux d’en rester là. Quand bien même les institutions ne parviennent pas à fédérer réellement au-delà des régions, ils comptent bien participer à l’invention d’une véritable scène musicale belge, transrégionale.

Chapitre IV : Comme un Gand

A 50km de Bruxelles, la petite ville de Gand n’a rien à envier à sa grande sœur. Nous avons découvert les richesses et la diversité musicale que cache le bijou flamand qui ravit les mélomanes du monde entier. C’est une ville culturellement et linguistiquement flamande que nous avons décidé d’aller explorer pour rencontrer des acteurs de la scène musicale Belge.

A travers des grandes salles de concert comme le Vooruit, des disquaires comme Music Mania ou encore des petites salles indépendantes comme le Kinky Star et le Hot Club Gent nous avons pu échanger avec des musiciens, un organisateur et un disquaire. « Gand est comme un festival tous les jours » nous annonce t-on autour d’une bière. En effet, la musique semble se propager dans chaque recoins de la ville. On oublie le reste, le corps danse, l’esprit chante et on se laisse bercer par la mélodie.