La vie en kot : commune évidence?

Myriam Djebiri, Jimmy Foucault, Ewa Kuszynski, Alexia Peren et Zoé Vancoppenolle

La vie en kot : commune évidence?

La vie en kot : commune évidence?

Myriam Djebiri, Jimmy Foucault, Ewa Kuszynski, Alexia Peren et Zoé Vancoppenolle
Photos : Jimmy Foucault, Alexia Peren
14 mai 2018

Le « français de Belgique » reste une langue fleurie qui comporte quelques expressions insolites comme le mot « kot ». Mais que ce terme signifie-t-il exactement ? Et comment se passe la cohabitation ? Les étudiants entre eux vivent–ils en parfaite harmonie? Le kot supporte-t-il les hordes d’étudiants qui l’habitent chaque année ?

L’expression puise son origine dans la langue néerlandaise (kotje) et se traduit littéralement par « petit abris », « nid », « cabane ». Il désigne donc une toute petite pièce destinée à accueillir un étudiant. Souvent, cette petite pièce fait partie de logements communautaires rassemblés autour du « commu » (cuisine, douche…). La particularité du kot belge est qu’il peut accueillir jusqu’à 30 personnes.

Vie en commun, (non)-vie dans les communs … Nous partons à la rencontre des kotteurs et de leurs modes de vie.

couloir de la résidence Mandela (Alexia Peren)

Les kots connaissent aujourd’hui un succès que les rentrées successives ne démentent pas. Il s’agit pourtant d’un concept de logement étudiant à prix modéré » qui s’était déjà concrétisé dans la culture belge au 19ème siècle. Le kot doit en effet son existence aux problèmes politiques observés à Leuven, dès 1911.Le dédoublement linguistique au sein des universités (français –néerlandais) a conduit à un transfert global de la section francophone à Louvain-La-Neuve en 1968. Ce « transfert » s’est étalé sur une dizaine d’années pour donner naissance à une ville belge francophone et… universitaire. « La Neuve », exprime d’ailleurs clairement la volonté d’une structure « nouvelle ».

Un logement pour tous

La philosophie du projet se basait sur un accueil adapté à tous les niveaux sociaux. Le but était de permettre aux étudiants issus des milieux les plus modestes d’accéder à l’enseignement supérieur. Les responsables du projet souhaitaient aussi promouvoir la vie urbaine et… le folklore étudiant. C’est donc dans ce contexte que les « kots » sont nés et ont été construits ! Le concept s’est exporté dans les différentes villes étudiantes du pays, notamment Bruxelles.

Si le projet peut faire rêver sur le papier, l’esprit chaleureux et communautaire n’est pas toujours gravé dans le marbre. Dans la plupart des kots, le prix bas des loyers est rentabilisé par le grand nombre d’étudiants qui y vivent. Les propriétaires bruxellois, souvent détenteur de plusieurs kots ne font pas toujours de l’entretien et de la déco du lieu leur budget principal. Bien souvent, le kot est un espace aux murs blancs et froids. Même les kots récemment remis à neuf sont aseptisés et dénués de charme. La résidence Mandela sur le campus du Solbosch a par exemple récemment été remise à neuf. Pourtant les étages sont tous exactement les mêmes et les couleurs ne sont guère présentes.

Bien sûr il existe des exceptions comme les kots à projet mais nous y reviendront plus tard.

Un logement pour personne ?

Dans les kots universitaires, non seulement l’espace est peu accueillant mais les règles de vies sont plutôt contraignantes. Des gardes se relaient pour surveiller les entrées et sorties, après 22h plus personnes d’extérieur à la résidence dans les kots, interdiction formelle de décorer les « commu ». En apparence on croirait plus à internat qu’à un chez soi. Bien que les étudiants se jouent parfois des règles, elles sont inhérentes à la vie au kot et il faut s’y plier. Parlons-en d’ailleurs des étudiants ! Ils se voient attribuer un numéro chacun, lequel est inscrit sur la porte de leur chambre.

L’apparence du lieu et les règles qui y sont imposées font du kot universitaire un espace impersonnel où il est difficile de se projeter avant d’y vivre. C’est du moins l’impression que nous avons eue lors des visites, pourtant en discutant avec les habitants de la résidence Mandela nous nous sommes rendus compte que le kot n’est pas qu’un espace, c’est bien plus que ça…

travailweb by ewa.kuczynski on Genial.ly
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guirlande d'halloween dans le commun de la résidence Mandela (Jimmy Foucault)

Le kot, c’est donc un espace, mais « pas que » ! Si la vie n’est pas au rendez-vous sur les murs, les étudiants ne manquent pas de s’en charger. Au sein de la résidence Mandela, les kots ne sont pas agencés de façon conviviale. Ce n’est pourtant pas la joie de vivre qui manque. Les 26 étudiants que compte chaque étage essaient de passer du temps ensemble, de se réunir autour de « soupers d’étage », d’intégrer les co-kotteurs les plus timides et se soutenir entre eux. Quand le kot n’est plus suffisant, ils s’exportent même sur le campus et organisent des activités de groupe : sport, pique-niques, soirées au bar… Dans la salle commune du 6ème étage par exemple, le nom, le numéro et la date d’anniversaire de chaque étudiant sont inscrits au tableau pour n’oublier personne.

Créer du commun

Bien sûr, tout n’est pas toujours rose. La vie en communauté n’est pas toujours évidente. Qui plus est, Bruxelles reflète une grande diversité de profils étudiants. Étudiants d’âges, de disciplines ou encore de cultures différentes se mélangent donc au sein des kot. Pour preuve, le groupe Facebook créé par les koteurs et qui permet aux étudiants de communiquer, est pour le moins « fleuri » de mots d’amours, de reproches, d’insultes et de propositions de sorties. Force est de constater qu’à les entendre, les koteurs sont, dans l’ensemble, heureux de vivre ensemble. C’est davantage par le temps passé ensemble que par l’espace partagé en tant que matériel qu’ils semblent prendre leur marque et s’approprier le bâtiment.

Vivre ensemble c’est aussi créer une atmosphère dans un lieu. À Mandela, chaque étage reflète la sienne. « Le 8ème est fêtard alors que le 4ème est très calme » nous dit-on. Ou encore « Nous on est connu pour être l’étage bordélique ».

Mandela c’est donc l’adéquation aussi décalée qu’improbable entre un lieu aussi froid qu’un internat et la chaleur humaine de la vie étudiante bruxelloise. Ces petits détails qui font du kot un lieu ne sont pas capturables par un objectif, toutefois, les étudiants ont su nous en parler.

Orchestrakot à Louvain-la-Neuve (Jimmy Foucault)

Choisir de vivre en kot, c’est donc aussi choisir de vivre au sein d’une communauté d’autres étudiants et de partager bien plus qu’une cuisine, une salle de bain et des toilettes. Au fil du temps, les co-koteurs se découvrent des intérêts communs, des passions communes et c’est alors une réelle communauté qui se forme au sein du kot. Dans les « kots à projet », la communauté se fonde autour d’un intérêt commun préétabli. Nous nous sommes rendus dans l’« Orchestrakot » à Louvain-la-Neuve pour en savoir plus.


Dans les kots à projet, les étudiants vivent ensemble et forment une communauté autour d’un thème bien précis. Les habitants du kot font grandir collectivement un projet qui leur tient à cœur et ce, autour du thème en question.

Les 130 KAP’s belges organisent de nombreuses activités, majoritairement extra-universitaires, qui animent toute l’année le monde estudiantin. À la fin de l’année, l’université dont dépend le KAP reconduira ou non son existence, selon l’investissement des étudiants dans les activités et projets.

Les KAP Néolouvainistes : une communauté de communautés

C’est à Louvain-la-Neuve que l’on retrouve le plus de « KAP’s », la ville étudiante en totalise 78. La liste des « KAP’s » néo-louvanistes est extrêmement variée. On peut ainsi y trouver le « Kot Croix Rouge », le « Kot et Danse », le « Kot Manga » ou encore le « Kap vert ». Ils sont situés dans les logements de l’UCL. Les étudiants faisant partie d’un kot à projet bénéficient d’une réduction sur leur loyer en contrepartie des activités qu’ils organisent.

Si des liens se créent à l’intérieur des kots à projet, une réelle communauté se forme également au sein des KAP’s entre eux. Les KAP’s ont l’occasion de se rencontrer lors de divers événements.
Tout d’abord, la tradition veut que lorsqu’un KAP organise une activité, il est obligé de faire une « tournée des KAP’s » afin de faire de la pub et distribuer les affiches de l’événement.

De nombreux repas dits « inter-KAP’s » sont également organisés. L’occasion pour les kots à projet d’un même domaine de se retrouver pour partager leurs expériences en tant que KAP. Les différents KAP’s musicaux se retrouvent ainsi souvent pour des soirées au cours desquelles s’immiscent généralement leurs instruments.

C’est alors une réelle communauté qui s’est créée au sein des kots à projet et qui pousse ces organisations à se développer encore plus. Le seul point négatif qui ressort de cette union renforcée est le suivant : les étudiants vivant dans un kot lambda ont parfois du mal à intégrer les activités et l’ambiance du milieu KAP.

Une communauté formée autour de la musique : l’Orchestrakot

Les habitants de l’« Orchestrakot » nous ont ouvert leur porte. Ce kot à projet existe depuis plus de 30 ans. Il rassemble huit musiciens dans un logement appartenant à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve. Quand on franchit la porte du kot, on tombe sur un commun peu commun : une batterie et un piano trônent au milieu de l’espace normalement dédié à la cuisine. Les chambres de chacun abritent entre autres un violon, un saxophone, une clarinette et une guitare.

Cette année, leur gros projet musical était un concert de « postmodern » où les musiciens ont revisité « dans un style vintage » des hits récents.
Pour se préparer à ce concert, les étudiants ont passé plusieurs week-ends à répéter au kot. « On a vraiment fait beaucoup de pub pour cet événement et on a eu 300 personnes, ce qui est le meilleur score jamais enregistré ! » se réjouit Mathia, guitariste et responsable de l’Orchestrakot.
Selon Noémie, la violoniste du kot, « ces répétitions ont vraiment solidifié le lien qu’il y avait entre nous. Aujourd’hui je ne me vois pas aller dans un autre KAP, j’aurai l’impression de trahir ma famille. »

Les liens qui se sont formés dans ce kot se ressentent particulièrement quand les étudiants se réunissent à l’improviste dans le commun pour jouer quelques notes entre deux cours universitaires. Les musiciens se disent être bien plus qu’un simple kot, « c’est une famille ».

Tableau d'étage de la résidence Mandela (Jimmy Foucault)

Que reste-t-il de cet espace commun une fois que ses habitants l’on quitté? Comment aller au-delà du simple partage d’un lieu et créer des liens, des souvenirs ? Les habitants du Kot Mandela et les étudiants de l’OrchestraKot expliquent la manière dont ils ont dépassé les contraintes du quotidien pour générer des liens durables.

Au sein de la résidence Mandela, chaque étage est composé de 26 chambres, une cuisine et une salle d’étude. La résidence dépend de l’ULB, qui a fait construire cet espace en 1965 pour ensuite le rénover en 2013. Le règlement est strict : interdiction de décorer les communs ou sa chambre. Ce règlement a été établi par un souci d’équité envers les futurs locataires qui, l’année suivante, afflueront sur le site pour y passer une ou deux année(s). Tout le monde doit pouvoir se sentir chez soi, personne ne peut donc laisser de « marques » personnelles. La pérennité du commun ne se construit pas physiquement dans le bâtiment. Le nombre de personnes et la répartition dans les chambres influencent aussi la construction du commun. Soufiane, réside à Mandela, explique que « 26 personnes, on ne les voit pas trop ». Gaëlle, une autre étudiante, confirme « On est très rarement 26 en même temps. On reste souvent chacun séparément dans notre chambre, mais on peut très bien tous se retrouver dans le commun ». Se rassembler dans les chambres est plus complié, en raison du manque de place et des sièges. La cuisine devient un lieu clé dans la résidence pour la rencontre avec les autres colocataires. « Souvent on mange ensemble, donc on y reste et on discute» raconte Lucie. Stéphanie déplore le fait qu’il n’y ait pas de salon « On se pose à la cuisine parce qu’on a pas le choix ».

Face au dilemme qu’impose le lieu, les habitants de la résidence ont trouvé deux solutions. La première a été trouvée en début d’année. Les étudiants ont organisé un repas d’Halloween, qui fut pour beaucoup d’entre eux le moment clé de leur vie dans un espace commun.

Plus tard dans l’année, ils ont également organisé une ‘cacahuète’ pour Noël, soit un système de cadeaux basé sur le hasard.

La seconde solution de transposer cet esprit du commun au-delà des murs. Les étudiants sortent ensemble pour manger, prendre un café ou bien une bière. Certains se rendent même sur le campus pour faire du sport en groupe. « Le plus dur, c’est de faire avec les horaires de tout le monde », précise Stéphanie.

« Vivre un an avec 26 personnes, ça crée quand même des liens » dit Soufiane.

L’OrchestratKot,quant à lui, fonctionne différemment. Premièrement, les habitants ont leur mot à dire sur les éventuels nouveaux venus dans le kot. Les koteurs de l’Orchestra organisent chaque année des rencontres avec les étudiants qui aimeraient intégrer le kot. Par ce système de recrutement, les différents habitants du groupe souhaitent surtout trouver une personne qui, en plus de venir compléter l’orchestre, viendra se greffer harmonieusement à leur rythme. De plus, les musiciens de cette année vont lancer une sorte de livre-répertoire, reprenant à l’intérieur, leurs coordonnées.

«C’est pour que si dans quelques années, les gens qui koteront ici veulent nous contacter, ils puissent le faire» explique Matthieu.

Le Commun peut-il être générateur de souvenirs ? Au sein de la résidence Mandela, le fait de vivre tous au même étage et de partager un espace a généré des rencontres. À Louvain-la-Neuve, c’est une passion commune qui les a incités à partager un même espace.

Dans les deux cas de figure, l’espace commun est moteur d’une dynamique de groupe. Il perdure dans le temps, reste gravé dans les mémoires . Il marque tous les étudiants d’une manière ou d’une autre et représente bien plus à leurs yeux qu’un simple lieu de vie partagé. Le kot dépasse donc sa fonction première, purement usuelle, et se transforme en un lieu de rencontres et de partage. Qu’il soit plus à tendance musicale, traditionnelle ou festive, l’espace rassemble des étudiants issus de tous les horizons. Bien au-delà des rapprochements et des amitiés naissantes, il s’impose comme un générateur de points communs et de partage dans la diversité.