« Le cinéma d’animation, c’est des points de vue de personnes sur le monde, mais vus d’une façon personnelle. »
Entretien avec Dominique SEUTIN – Codirectrice du festival Anima
Alors, Anima est organisée par l’ASBL Folioscope, donc une ASBL privée, si je ne m’abuse. Et bien sûr, subsidiée par des partenaires publics, Anima n’échappant pas à la règle. Comment se déroulent vos relations avec les organismes publics ici en Belgique, avec la COCOF par exemple, la ville de Bruxelles, la région, la communauté française, ce genre de choses ?
Donc, l’ASBL Folioscope, elle existe depuis 1990, je ne sais plus, mais le festival en est à sa 43ème édition, et donc on a de plus en plus de subsides. On en a au niveau communal avec la commune d’Ixelles, régional avec la région bruxelloise. Puis, on a la communauté française. On a le VAF, le Vlaams Audiovisual Fund. On a Média [MEDIA Creative Europe].
Oui, et en fait, nous on essaie de juste remplir les dossiers, on fait tout par écrit et on a très peu de relations privilégiées avec l’un ou l’autre cabinet. On essaie de rester le plus neutre possible et que ce soit le projet qu’on met en avant chaque année qui soit notre meilleure carte de visite. On n’a pas trop le copinage, les cocktails, tout ce genre de trucs.
Il n’y a pas de cocktail de la ville de Bruxelles par exemple. Mais en fait, avec la ville de Bruxelles, nous, on a un tout petit partenariat parce que le festival est organisé principalement sur la commune d’Ixelles. Ils ne peuvent pas nous soutenir parce qu’on n’a pas suffisamment de choses qui se passent sur le territoire de Mille-Bruxelles. Donc, on fait des événements avec la Cinémathèque, avec le Palace, mais comme eux sont déjà par ailleurs soutenus, nous, on ne l’est pas, en fait. Ils achètent juste des tickets pour les associations de quartier, on a un petit échange comme ça mais il n’y a pas un vrai gros partenariat.
Est-ce qu’il y a un partenariat avec les autres villes vu qu’il y a une décentralisation d’Anima ?
Nous, on revend nos programmes au cinéma partenaire qui le désire. Ils utilisent notre marque mais après ils font leur popote eux-mêmes. Je pense qu’à Mons, à Charleroi, ils ont le soutien de la province de Hainaut.
Liège n’intervient pas pour vous subsidier d’une certaine manière ?
Ils subsidient les Grignoux, le Parc, le cinéma Sauvenière, mais nous, on n’intervient pas là-dedans. Nous, on leur offre juste des programmes.
Et avant l’ASBL, qui organisait Anima, du coup ?
C’était Philippe et Doris qui ont fondé le festival ensemble et ils se sont constitués en ASBL à peu près une dizaine d’années après le premier festival, parce qu’ils avaient besoin d’une assise plus institutionnelle pour se protéger en cas de souci.
Donc c’était à titre privé ?
Au début, oui. En fait, Philippe Moins n’avait pas voulu faire son service militaire. Il avait fait un service civil chez Grafouilly. Et je pense que le festival était chapeauté par Grafouilly, qui était un studio de cinéma d’animation.
Et étant donné que vous avez la communauté française et le VAF en même temps, est-ce qu’il y a parfois des tensions, des négociations qui doivent être menées, dans le sens où est-ce que, par exemple, le VAF réclame davantage d’activités ou de films pour la communauté néerlandophone ou produits par la communauté néerlandophone ?
Oui, en fait, chacune des deux communautés a ses exigences propres, mais ils ne se comparent pas vraiment, enfin à notre connaissance en tout cas, ils ne comparent pas vraiment ce que fait l’autre et ils nous laissent libres du moment que chacun a suffisamment de films qui sont issus d’artistes de la communauté française ou suffisamment de films sous-titrés en néerlandais. Donc chacun a ses propres exigences, et si on les remplit, on est subventionné. Mais ils ne se comparent pas, et il n’y a pas, à notre connaissance, il n’y a pas vraiment de rivalité. Peut-être qu’il y a un peu d’émulation, parce qu’ils doivent se dire, ah voilà, la communauté française donne autant, donc nous on va mettre autant pour que ce festival reste autant flamand que francophone mais ça on n’en sait rien.
Niveau international, avec l’ambassade d’Espagne ou le centre culturel coréen par exemple ou carrément des entités politiques à l’étranger. Comment est-ce que ça fonctionne avec eux ? Comment est-ce que se sont nouées à la base ces relations ? Et maintenant, quels sont les apports et les contreparties ?
Est-ce que je parle de médias aussi ? Du programme médias ? Il y a le programme Creative Europe de médias. Et ça, c’est… On reçoit quand même 150 000 euros tous les deux ans de leur part. Et ça, ça nous oblige à avoir, comme en agriculture, des quotas. Et donc il faut qu’il y ait un certain pourcentage de films européens, un certain pourcentage d’invités européens. Et donc ça, ça nous contraint un peu dans notre programmation, parce qu’on ne peut pas prendre trop d’Asiatiques, trop d’Américains, trop de Brésiliens. On doit faire attention à ça. C’est vraiment une des exigences les plus importantes. Et alors pour tout ce qui est les petits organismes, style l’ambassade d’Espagne, les Coréens, ils soutiennent beaucoup de festivals. Mais ça, c’est aussi des dossiers qu’on remplit chaque année. Donc quand on voit passer des appels d’offres, on les remplit. Ou si on fait un focus sur un pays, on contacte l’ambassade, on essaye de nouer des partenariats.
Et puis il y a parfois des pas trop, comment ça dépend d’un pays à l’autre, mais il y a des bureaux qui aident au développement à l’international de leurs artistes locaux. Par exemple, l’année passée on a été aidés par les Basques pour faire venir deux réalisateurs du Pays basque espagnol.
Donc, ils financent le trajet ?
Voilà, c’est ça. Un peu comme WBI, ici, en Belgique. Ils nous aident en remboursant certains frais de transport ou de logement.
Et ils imposent quelque chose en contrepartie ?
Non, non, non. C’est le fait que vous ayez sélectionné le film en amont qu’ils vont intervenir.
En général, les artistes eux-mêmes connaissent la procédure à suivre et ils nous disent « Ah, mais si vous m’invitez, mes billets peuvent être pris en charge par telle association. » C’est comme ça que ça se fait. Mais il y a tellement, tellement, tellement d’endroits différents où demander de l’argent. Nous, on essaie de se concentrer là où on peut avoir le plus de sous en un minimum d’effort. Moi, l’un de mes boulots principaux, je fais quasi que ça toute l’année : remplir des dossiers, faire le suivi, envoyer toutes les pièces justificatives, faire attention que tout soit bien respecté dans tout ce qu’on a promis. Ça prend énormément de temps.
Est-ce qu’il y a des discussions que vous menez autour de la sélection avec des partenaires ?
Non, ça pas.
Jamais, jamais ? Et ils ne vous sollicitent à aucun moment sur ce sujet ?
Si, par exemple, on sait que le centre culturel coréen ils nous soutiennent si on invite un réalisateur coréen, mais on invite un coréen que si ça vaut vraiment la peine. On ne prend pas n’importe quel film, c’est d’abord la qualité des films qui importe. On n’organise pas notre programmation pour ramasser des sous. Ça se fait dans un second temps.
Il y a un film coréen que vous sélectionnez, vous demandez l’invité, vous demandez un partenariat avec le centre culturel coréen. Est-ce qu’ils acceptent sous condition de prendre d’autres films coréens dans la sélection ou pas ?
Non, non, non et ils sont super chouettes. Ils nous proposent parfois de faire une petite fête autour du film et de payer le cocktail ou ils nous proposent d’autres partenariats. Ils remettent un prix aussi, donc ils sont très cool.
Ils remettent un prix d’office chaque année ou pour la sélection ?
Je crois qu’ils remettent un prix d’office chaque année, mais je ne sais plus dans quelle catégorie, je ne m’occupe pas de ça.
Est-ce que vous laissez la parole être prise par certaines institutions, certains ambassadeurs par exemple, certains membres de gouvernement ou quoi que ce soit ?
Oui, de temps en temps. Par exemple, on avait un film coproduit par le Luxembourg et il y a l’ambassadeur du Grand-Duché du Luxembourg qui est venu faire un petit speech l’année d’avant. C’était l’ambassadeur d’Espagne. Et puis, à notre cérémonie d’ouverture, en général, il y a deux ou trois politiques, un représentant de la région, un représentant de la commune, parfois, qui monte sur scène. On essaie que ce ne soit pas trop long, que ça reste sympa pour le public.
Vous êtes assez ouvert là-dessus, donc. Et les sujets, est-ce qu’ils peuvent se permettre d’aborder des sujets, de commencer à mener un débat ou alors non c’est juste une intervention pour dire bonjour, au revoir, merci ?
C’est juste pour dire bonjour, au revoir, merci.
L’année passée, j’ai fait un truc qui, pour moi, allait un peu au-delà de la politique. On a fait une séance spéciale pour fêter, comme la commune d’Ixelles l’appelait, la reverdurisation de la place Flagey. Ils ont planté plein d’arbres. Et nous, on trouvait ça super.
Car en relation avec les valeurs d’Anima qui sont durables, écologiques ?
Voilà, c’est ça. On est labellisés et tout ça. Donc, c’est vraiment un truc important pour nous. Et la place Flagey, c’est vraiment le quartier du festival. On trouvait ça chouette qu’ils aient planté plein d’arbres. On a fait une séance spéciale avec « L’homme qui plantait des arbres » et j’ai proposé au bourgmestre de venir introduire la séance parce que c’était lui qui était à l’origine de ce projet-là. C’était vraiment pour parler de ce projet-là en particulier. Évidemment, c’est connoté écolo, mais ça aurait pu être un bourgmestre MR ou socialiste, on aurait fait la même chose. C’était vraiment pour parler du projet. Et là, lui, on l’a laissé un peu plus parler, parce qu’il fallait expliquer pourquoi ce projet lui tenait à cœur et en quoi c’était important pour lui.
Est-ce que vous repensez les partenariats chaque année en prêtant attention au contexte géopolitique ? Et est-ce que vous repensez les partenariats dans un esprit de cohérence ?
Franchement, non. Le seul truc qui change, c’est si on fait un focus sur un pays, au hasard, on fait un focus sur la Lettonie, là on va contacter tous les desks lettons possibles et imaginables en Belgique et en Lettonie. Mais sinon, c’est toujours les mêmes grands partenaires. Et pour certains, on a des contrats programmes de 4 ans, de 2 ans. Donc chaque année, c’est la même routine.
Mais dans le contexte géopolitique qui a un peu été bousculé ces 3-4 dernières années, est-ce que par exemple la Russie serait un partenaire qu’il ne faudrait plus du tout envisager, ou Israël en ce moment, depuis quelques mois ?
En fait, la question se pose plutôt au niveau de la programmation. Et là-dessus, on a eu d’énormes discussions. Les partenariats, c’est clair qu’on ne va jamais faire un focus sur Israël ou sur la Russie maintenant, c’est sûr. Mais à l’avenir, peut-être qu’on le fera. Pourquoi pas ? Comme on pourrait faire la Chine. Ça évolue, on ne ferme la porte à personne. Mais là, on a décidé de ne pas programmer de films russes pour lesquels il y avait le logo du soutien de la fédération russe au début du film et pour les Israéliens un peu même chose mais on a quand même discuté au cas par cas de chaque film de ces pays-là et on a regardé un peu sur facebook d’où venaient les réalisateurs s’ils vivaient dans ces pays-là, quelles étaient leurs positions personnelles par rapport au conflit. Et donc finalement on a quand même pris un Russe s’ils vivaient dans ces pays-là, quelles étaient leurs positions personnelles par rapport au conflit. Et donc, finalement, on a quand même pris un Russe, je crois qu’on a pris un Franco-Israélien. Et donc, ça a été du cas par cas, mais on en a parlé. On n’a pas fait comme si ça n’existait pas. On savait que c’était hyper important d’avoir une ligne hyper claire là-dessus.
Et ça pourrait vous arriver d’avoir à la fois une sélection, des films sélectionnés d’origine palestinienne et d’origine israélienne ?
Ouais, mais malheureusement le problème c’est que des films palestiniens on n’en reçoit jamais. Par contre des films ukrainiens, ça on en a, et on essaye de les valoriser. On les pousse un peu pour les encourager à continuer à créer, à ce que leurs films rayonnent à l’étranger, même si la situation politique est compliquée pour eux.
Ça se pourrait donc ?
Comme il y a déjà eu des Américains avec des Russes, des serbes avec des Croates.
Et si des partenaires ukrainiens refusaient de présenter leur film ou d’apporter une aide parce qu’il y a un film russe qui est sélectionné, comment vous réagiriez à ça ?
On essayerait de gérer au mieux, en respectant au maximum la volonté de ces personnes-là. Mais honnêtement, dans le milieu du cinéma d’animation, c’est un milieu qui est quand même très progressiste. C’est rare les artistes qui ont des positions très fermées, très protectionnistes. La plupart des gens qui font des films d’animation, ce sont des gens ouverts sur l’étranger, qui voyagent beaucoup, qui sont curieux des autres, qui sont en grande partie des pacifistes, anti-système. Donc ça n’arrive pas qu’il y ait des positions crispées, ça ne nous est jamais arrivé. Nous, on veut justement promouvoir tous les artistes de partout dans le monde pour autant que leurs films soient bons. C’est ça la base, c’est les bons films.
Concernant l’Ukraine, essayer de promouvoir le pays pour stimuler les réalisateurs à continuer à produire. Est-ce que ce n’est pas aussi verser dans la discrimination inverse ? Essayer de favoriser l’Ukraine parce qu’elle est la victime dans le conflit et que du coup ça provoquerait une sélection de films qui potentiellement ne le mériteraient pas s’ils avaient été produits dans un contexte normal et de paix ?
Oui, c’est clair. Mais c’est une volonté de notre part de vouloir un peu pousser, encourager, comme on le fait avec les réalisatrices, avec les étudiants. Parfois, quand on voit qu’il y a trop de films, quand il y a une espèce de majorité silencieuse, on essaie de la contrebalancer avec autre chose pour essayer de donner un peu de visibilité aux plus faibles qu’on voit rarement ou qu’on voit moins. Par exemple, si on a des films du Maghreb ou des films africains qu’on voit rarement, on essaie de les promouvoir davantage. Donc, quand il y en a un, on y regarde à deux fois avant de ne pas le sélectionner parce qu’on a envie de donner un peu de visibilité à tous ceux qui en ont rarement.
C’était ma question suivante concernant les sélections sur les dix dernières années. On peut percevoir une certaine disparité dans la provenance des films sélectionnés. Pour les longs métrages, on voit que c’est majoritairement USA et Japon. Et pour les courts métrages, même si pour les longs métrages, on voit qu’au fur et à mesure, ça s’est diversifié. Pour les courts métrages, c’est principalement les pays limitrophes. On voit Belgique, France, Espagne, Italie. Donc, comment justifier ça ? Il y a forcément, d’une part, la faible minorité de production en provenance de pays d’Afrique. Et je présume que si, entre guillemets, Média impose un quota de films européens, ça va plutôt se diriger vers là. Est-ce qu’il y a d’autres facteurs qui interviendraient ?
Oui. Par exemple, le fait qu’on montrait par le passé beaucoup d’Américains et de Japonais, c’était parce que c’était quasi les deux seuls pays qui avaient les capacités de produire des longs métrages d’animation. Et maintenant, toutes les techniques de l’animation se sont démocratisées. Il y a plus d’écoles, il y a plus de budget. Et donc, il y a plein de pays européens qui, maintenant, sont capables de faire des films, des longs métrages. Mais avant, c’était juste parce que c’était les seuls qui faisaient des films. C’était rare, les longs métrages d’animation, parce que c’est un procédé hyper lent, hyper laborieux, qui demande des budgets beaucoup plus conséquents que le cinéma en prise de vue réelle. Donc on prenait les films de là où il y en avait, en fait. Même chose pour les courts métrages dans la carte de l’Europe. Donc les tout gros producteurs, c’est les Français. Parce qu’il y a les soutiens du CNC, les chaînes de télévision. Il y a vraiment un super programme d’aide au cinéma d’animation. Et donc ils font plein de films. Il y a plein d’écoles géniales. Du coup, on en montre plein, parce qu’il y en a plein, des supers. Les Espagnols sont très forts aussi. Les pays du Nord aussi. Il y a l’Allemagne, la Grande-Bretagne. Ils font beaucoup.
Est-ce qu’il y a eu des cas de censure, d’autocensure ou éventuellement d’embargo sur un film ?
Oui. L’année passée, il y a certains films israéliens qu’on aimait beaucoup et en cherchant un peu, il y avait notamment un film d’école. On a vu que cette école fabriquait les uniformes de l’armée. Ils avaient une option de stylisme et les étudiants en stylisme fabriquaient les uniformes de l’armée.
Vous avez été quand même cherché loin.
Oui, parce qu’on a fait ça pour chaque film. On voulait vraiment s’assurer qu’on ne commettait pas d’erreurs. Pour nous, ça, c’était un pas trop loin. Ça nous mettait mal à l’aise, en fait. On ne se sentait pas à l’aise avec ça.
Même si, entre guillemets, le film était vierge de toute ambition politique ?
Mais justement, c’était un peu ambigu. On n’arrivait pas trop à comprendre dans quel sens ça partait. Il y avait un petit doute.
Est-ce qu’il y a eu d’autres débats au sein du festival ?
Il y en a chaque année, franchement. Honnêtement, il y en a chaque année. Moins au début, lors de la sélection, mais plus une fois que les films sont sélectionnés. Il y a eu débat du public, de partenaires, de journalistes ?
Oui, en fait, les critiques qu’on a eues, ce n’était pas à propos de films russes ni à propos de films israéliens. C’était des films qui… C’était un membre du jury et elle l’a dit sur scène, donc c’est devenu public. Mais il y avait des films qui montraient une image de la femme dégradante. Donc ça, on a eu des critiques là-dessus. Et alors, on a aussi sélectionné des films faits avec les intelligences artificielles et on a été aussi critiqués là-dessus. Mais ça restait très soft. On n’a pas eu de vrais gros problèmes.
Si un partenaire ou le public vous sollicitait en vous interrogeant sur la sélection d’un film, est-ce que vous vous remettriez en question durant le festival, et potentiellement, auquel cas, le retirer, ou rompre en cours de route une association avec un pays ou des producteurs réalisateurs provenant de pays pointés du doigt en raison de conflits contemporains ? Est-ce qu’en plein milieu d’un festival, si entre guillemets vous, vous avez durant la sélection, vous n’avez vu aucun problème, vous avez inspecté, vous vous êtes dit c’est bon et que d’un coup, des membres du public du festival, des partenaires viennent vous solliciter, comment est-ce que vous allez réagir à ça ?
En fait, une fois que le festival est lancé, on doit tout assumer, parce que ce n’est pas possible pour une équipe de changer les trucs en dernière minute, c’est horrible. Et donc, on essaie de réfléchir en amont à tous les problèmes qui pourraient se poser. Moi, j’écris des statements un peu pour tous les trucs qui pourraient être problématiques pour que toute l’équipe du festival ait une réponse cohérente et commune. Après, si quelqu’un vient nous trouver en plein festival en disant ça ne va pas la tête, non on s’excuse si on a heurté la sensibilité de quelqu’un ou si on s’est trompé, ça peut arriver mais on ne déprogramme pas, on ne change pas, il ne faut pas faire ça, ce n’est pas bien.
Alors, le cinéma de manière générale a pour vocation parmi tant d’autres de remettre en question la société, de la questionner, de chambouler la société, également le politique, le champ politique parce que ça fait partie de la société. Est-ce qu’un des rôles des festivals de cinéma serait d’être présent sur la scène internationale diplomatique, ce qui jouerait vraiment un rôle de la part des festivals à mener sur le paysage politique ou pas du tout le festival de cinéma doit rester apolitique ?
Ouais moi je pense qu’un festival doit rester apolitique. Parce que les gouvernements changent tout le temps, et donc on ne peut pas dire qu’on est bleu une fois, et on est rouge le lendemain, et puis on est vert, et puis on est rose. Ça n’a pas de sens. Et nous, le cœur de notre activité, c’est vraiment de valoriser le cinéma d’animation, d’où qu’il vienne, par qui que ce soit, du moment que ce sont de bons films. Et moi, je pense que même si on ne s’affiche pas publiquement avec une couleur politique, tout le travail qu’on fait toute l’année, c’est politique. Par les choix qu’on fait, on oriente un peu ce que le spectateur va voir. Son expérience cinématographique va probablement un tout petit peu influencer le point de vue qu’il a sur le monde, sur ses idées. Le cinéma d’animation, c’est des points de vue de personnes sur le monde, mais vus d’une façon très, très personnelle, puisque même le médium est différent. La peinture, c’est du dessin. Et donc, c’est un point de vue très personnel, dans lequel le spectateur peut se projeter, et il peut changer d’avis sur certains sujets, et élargir un peu son horizon. Pour moi, c’est le cœur de notre boulot.
Comment est-ce que vous jugez l’intervention du président ukrainien Volodymyr Zelensky durant l’ouverture de Cannes en 2022 ?
Il a été projeté en visioconférence lors de la cérémonie d’ouverture à Cannes en plein milieu du conflit russe. Est-ce que vous estimez que ça a sa place dans un festival de cinéma ou pas du tout ?
Nous, au tout début du conflit, c’était le dernier jour du festival, quand la Russie a envahi l’Ukraine. Karine, qui est la co-directrice, et moi avons fait un petit statement sur scène à la clôture pour dire qu’on soutenait les artistes de partout et qu’on était désolés de cette situation. À l’époque, les choses n’étaient pas aussi claires. Nous avons pris une position pacifiste. Là, Cannes, c’est un tellement grand festival, c’est vraiment une caisse de résonance idéale pour tout un tas de débats politiques. Mai 68, quasi, a commencé là-bas. Il y a toujours eu des polémiques à Cannes sur le wokisme, le féminisme, l’éveil des consciences. Que Zelensky apparaisse, c’est de bonne guerre, ça fait partie du folklore du festival de Cannes.