Burn-out chez les avocats

Panser la Justice

Burn-out chez les avocats

Les avocats ne sont pas épargnés par le fléau contemporain du burn-out qui touche des milliers de Belges.

Burn-out chez les avocats

Les avocats ne sont pas épargnés par le fléau contemporain du burn-out qui touche des milliers de Belges.

Céline Van Hemelryck, Stéphanie Karagirwa
De la pression due au manque de personnel, à la surcharge des dossiers à traiter, le milieu judiciaire semble propice au surmenage. Les avocats ne font pas partie des métiers les plus sujets au burn-out, mais n’échappent pas à ce nouveau mal du siècle. Quels sont les effets de ce syndrome sur ces professionnels dont le devoir est de nous représenter, nous assister et nous défendre ?

Ils sont plus de 18.000 avocats à être inscrits dans les différents Barreaux de Belgique. Un métier difficile, où dès leurs études, les juristes gardent le souvenir de l’intensité du travail demandé. Quant aux jeunes diplômés qui réussissent le Barreau, ils doivent prester trois ans de stage auprès d’un avocat inscrit depuis plus de cinq ans au Barreau. Une entrée dans la vie active qui révèle souvent la difficulté du métier et l’envers du décor.

Quelqu’un qui travaille jour et nuit, weekend compris et qui n’a plus de vie familiale ou de vie personnelle n’est plus capable d’affronter le quotidien.
Jean-Pierre Buyle, président de l’ordre des Barreaux francophones et germanophone de Belgique.

Les heures cumulées rythment le quotidien. En principe, le contrat de stage entre l’avocat et le stagiaire stipule un minimum mensuel de 75 heures. La réalité est tout autre, certains jeunes avocats prestent parfois jusqu’à 50 heures par semaine. Une cadence soutenue, le tout pour un salaire de 1477 euros brut, en première année de stage pour la Région de Bruxelles-Capitale. À cette somme, qui reste modique au vu de la charge de travail, les cotisations des indépendants devront encore être soustraites.

Toutefois, que cela soit par passion, par sens du devoir ou pour les possibilités de carrière qu’il propose, ce métier séduit toujours. Au 1er décembre 2017 la Belgique comptait 18.594 avocats, soit une soixantaine de plus qu’en 2016 et environ 150 de plus qu’en 2015.

Le rôle de l’avocat est avant tout de conseiller. Il assure également la défense de son client et de ses intérêts, et peut aider à résoudre un litige à l’amiable. Il peut être sollicité dans différents domaines : de la création d’une société à la séparation d’avec un conjoint, en passant par la négociation d’un bail, la planification d’une succession ou des difficultés avec une administration. Indépendant de tout pouvoir politique, économique et judiciaire, il est tenu au secret professionnel et conseille en ce sens librement son client. Si le recours à un avocat n’est pas une obligation, il est un des symboles de la démocratie, puisque les conseils des avocats sont accessibles au plus grand nombre au travers de l’aide juridique.

Un métier, des réalités

Les avocats travaillent en moyenne entre quarante et cinquante heures par semaine. Des horaires difficiles pour concilier une vie professionnelle et une vie familiale. Chez les femmes, 40 % des avocates quittent le Barreau dans les dix premières années, contre 20 % pour leurs confrères. Alexiane Wyns, avocate au Barreau de Bruxelles en témoigne : « J’ai autour de moi beaucoup d’amies qui quittent le Barreau car elles commencent à avoir des enfants. C’est un dilemme que de faire un choix entre les deux, et je n’ai pas envie de faire ce choix qui pour moi est cornélien. »

« Quand vous faites du droit pénal, vous êtes en contact avec les personnes. Les bons côtés de cela, c’est le lien de confiance et c’est ce que je recherchais  », confie un jeune pénaliste du Barreau de Bruxelles. Rencontré au Palais de justice alors qu’il explicitait le jugement qui venait d’être rendu à ses clients, l’avocat estime qu’il est de son devoir de traduire le langage judiciaire, difficile d’accès. « Je reviens de façon systématique sur ce qui se passe au tribunal. Le langage du système judiciaire est extrêmement complexe et dans l’affaire en question mes clients ne maîtrisaient pas la langue française et avaient recours à un interprète pendant l’audience. De façon générale, après chaque jugement on a toujours ce travail pédagogique à faire avec le client, il faut expliquer un peu plus clairement ce qui ressort du jugement. Et là, vous m’avez vu faire, j’ai dû expliquer aux gens à quoi ils avaient été condamnés et pourquoi ils l’avaient été. Surtout, il est important de leur expliquer qu’ils peuvent faire appel ou pas, et ce qu’on leur conseille. »
Si ce métier le passionne, l’avocat concède que le temps pris à « traduire » le jugement devant la place Poelaert ne faisait pas partie de ses honoraires, bien qu’il s’ajoute à sa charge de travail.

Point commun des témoignages d’avocats : la surcharge de travail, une pression liée aux horaires et aux délais, de lourdes responsabilités vis-à-vis d’autrui et une implication plus ou moins importante sur le plan humain.  Autant de caractéristiques inhérentes au métier et qui sont parmi les causes les plus répandues du burn-out.

Le burn-out, qu’est-ce que c’est ?

La difficulté avec le burn-out, c’est qu’il se vit différemment d’une personne à une autre, ce qui nécessite une prise en charge à plusieurs niveaux.
Intervenant Réseau BurnOut.

Le burn-out, synonyme de l’épuisement professionnel, est devenu un terme « fourre-tout ». Un peu galvaudé, il n’en est pas moins une réalité ! La ministre de la Santé, Maggie De Block a annoncé en 2016 que le burn-out allait être reconnu comme maladie liée au travail, cette reconnaissance devant entraîner des investissements dans la prévention de celui-ci. Une nécessité face à l’augmentation croissante des cas de burn-out, 28.000 cas auraient été diagnostiqués en Belgique en 2018.

Le burn-out signifie littéralement « être épuisé ». Il est caractérisé par :

La caractéristique de ce fléau professionnel est qu’il est multi-causal. De la surcharge de travail au manque de reconnaissance, en passant par un mauvais climat de travail, un déséquilibre entre les objectifs et les moyens ou encore des dysfonctionnements internes, la liste est longue et non exhaustive.
Comme le rappellent les psychologues, tous les métiers peuvent conduire au burn-out. De plus, même si l’environnement professionnel et les caractéristiques du travail en lui-même sont les causes prépondérantes, certaines caractéristiques individuelles et le contexte familial ou amical peuvent également entrer en jeu.

Quant aux conséquences du burn-out, elles sont nombreuses et néfastes pour la santé de l’individu, pouvant aller jusqu’à l’hémorragie cérébrale ou l’infarctus. C’est ce que constate le Réseau BurnOut, une asbl composée d’intervenants spécialisés dans le suivi et l’accompagnement de pathologies liées à la charge psychosociale au travail.

Le burn-out à la barre

Jean-Pierre Buyle, président de l’Ordre des Barreaux francophones et germanophone de Belgique, atteste également des causes multiples du burn-out. Elles se retrouvent, selon lui, chez les avocats indépendamment de leur âge, leur expérience professionnelle, leur sexe, leur origine ou leur milieu social.

Photo de Stephanie Karagirwa

L’ancien bâtonnier du Barreau de Bruxelles confirme les cas de dépression et de burn-out au sein de la profession. La charge de travail est souvent mise en cause : « Quelqu’un qui travaille jour et nuit, weekend compris et qui n’a plus de vie familiale ou de vie personnelle va s’affaisser et à un moment donné, ne sera plus capable d’affronter le quotidien. »
Les mauvaises relations avec un associé, la perte d’un client ou les problèmes financiers sont aussi des facteurs : « Du jour au lendemain vous avez une partie substantielle du chiffre d’affaires qui n’est plus là et donc une crainte de savoir comment continuer à assurer les charges mensuelles, à payer son personnel, à rembourser les éventuels emprunts. Tout cela fait qu’on se sent submergé par un événement tiers qui nous dépasse. On n’a plus la force de faire face, même se lever devient impossible, se rendre à un rendez-vous, ouvrir un courrier ou simplement regarder l’autre devient difficile. »

Si le burn-out concerne en premier lieu la personne sujette au syndrome, c’est tout son environnement professionnel et privé qui s’en trouve impacté. Chez les avocats, les conséquences du burn-out peuvent se répercuter sur leurs clients et leurs confrères. Aussi, pour Jean-Pierre Buyle, il s’agit d’un véritable devoir de solidarité confraternelle que de s’entraider en cas d’épuisement professionnel.

Un soutien au sein de la justice

Il n’existe pas de cellule spécialisée dans le soutien au burn-out au sein de la justice belge. Toutefois, une commission a été créée à l’intérieur des Barreaux francophones et germanophone, dans laquelle des avocats viennent en aide à leurs confrères. « Lorsqu’on est dans une situation d’épuisement professionnel, on ne suit plus rien. Il est important de relever que cette entraide est indispensable pour les avocats, mais également pour les justiciables, car dans notre profession il y a des délais qui courent tous les jours. Ne pas donner suite à une demande d’un justiciable peut avoir des conséquences extrêmement néfastes sur la vie d’autres personnes, que ce soit en matière pénale, pour les gardes d’enfants ou la pension alimentaire  », rappelle Jean-Pierre Buyle.

L’objectif, pour les avocats volontaires, est de se rendre une ou deux fois par semaine au cabinet de l’avocat concerné pour avoir un dialogue, vérifier si les emails et le courrier sont ouverts, mais également pour l’épauler dans le traitement de ses dossiers. Si Jean-Pierre Buyle insiste sur la confraternité au sein du métier, il ajoute que dans les grands Barreaux du pays et notamment au Barreau de Bruxelles, des groupes de travail ont été créés. Depuis 2016 une commission contre le harcèlement a également été mise en place, ainsi qu’un institut de développement personnel qui organise des conférences sur les thèmes de la gestion du temps, du stress et de l’argent. L’ordre du Barreau francophone de Bruxelles rémunère aussi une assistante sociale pour les questions liées au burn-out et au harcèlement.

Certains avocats qui arrivent à rebondir viennent me trouver en me remerciant de la main tendue. J’ai en tête un avocat qui a été très heureux de trouver au sein du Barreau une structure d’accueil qu’on ne trouvait pas dans d’autres professions. Cela est lié à notre déontologie dans laquelle on défend la valeur de confraternité.
Jean-Pierre Buyle.

Photo de Stéphanie Karagirwa

Ces efforts témoignent d’une volonté d’assurer le bien-être professionnel des avocats, mais la disparité de cette aide au sein des différents Barreaux de Belgique persiste. Les plus petites structures, comme les Barreaux de Huy, Verviers ou Tournai, ne bénéficient d’aucune aide sur place. Le site internet des Barreaux, avocats.be, met cependant à leur disposition une assistante sociale qui peut les recevoir.
Enfin, au Barreau de Bruxelles, le service social dédié aux avocats n’est ouvert qu’à temps partiel.

Après un burn-out, il est rare de retourner à son métier ou même de continuer à travailler dans le même domaine. Plus vite on réalise qu’on est en burn-out, plus vite on peut rectifier le tir. Cependant, le burn-out peut être une chance, soit de réaliser ce qui ne va pas, soit de changer de voie professionnelle.

Et après ?

Le burn-out n’est pas une fatalité. Il est parfois synonyme de reconversion professionnelle. C’est le cas de France, qui souhaitait devenir avocate depuis l’enfance. Après une carrière brillante dans le droit des affaires, elle est envoyée six mois en détachement à Londres au siège de sa firme. Un « magic circle » comme on dit dans le métier, qui désigne le cercle fermé des cabinets d’avocats les plus prestigieux d’Europe.

« Pour moi, tout allait divinement bien. Ce que je ne savais pas encore c’est qu’en l’espace de quelques semaines, tous les ingrédients du cocktail burn-out allaient être parfaitement réunis et m’amener dans un engrenage irréversible. »

Devenue avocate senior, France s’investit totalement dans son travail qui consiste à aider des multinationales à réaliser leurs transactions financières et boursières. « Je me suis retrouvée à travailler avec un associé très exigeant, dont je n’arrivais absolument pas à comprendre le fonctionnement, et avec un client plutôt difficile à gérer. Bien que je sois quelqu’un qui gère plutôt bien la pression en général, cela faisait plusieurs années que je nageais dans un bain de pression constante par mon métier. Je n’ai absolument pas réussi à gérer le stress de cette situation. Je me suis mis une pression folle pendant des mois, et j’avais le sentiment de faire du mauvais travail constamment. »

J’étais à Londres pour six mois, soit 182 jours et à partir du 59e jour, j’ai commencé à décompter le temps qu’il me restait à tenir. Je tenais ce calendrier sur un bout de papier. Chaque jour, je prenais plaisir à barrer le jour de la veille, ou encore je m’amusais à compter le nombre exact de jours de travail qu’il me restait à tenir. Toute ma vie se résumait à ce petit bout de papier. 

Quelques semaines avant la fin de sa mission, les pensées les plus sombres commencent à lui traverser l’esprit : « J’allais tous les jours à pied au travail et il m’arrivait de souhaiter qu’une voiture ou même un bus me heurte, m’amenant tout droit aux urgences. Ce que je vivais au quotidien devenait tellement insupportable que j’en venais à préférer me retrouver avec deux jambes cassées et plusieurs côtes fêlées sur un lit d’hôpital. La fatigue était tellement intense que la mort me semblait un doux repos. »

À son retour de Londres, France prend contact avec un coach de vie. « Je lui ai confié que je rêvais de lancer mon blog, mais que je n’avais jamais osé le faire. Il m’a tout simplement donné une deadline. Voilà comment j’ai finalement lancé mon blog. Ce n’était qu’un hobby, un projet pour me changer les idées et me sortir de mes idées noires. J’étais loin de me douter que ce blog allait complètement chambouler mon existence.  »

La création de ce blog aura sur France l’effet d’une thérapie. Elle quitte son métier d’avocate d’affaires et des revenus confortables. Aujourd’hui, elle est influenceuse et suit des cours de théâtre à Bruxelles. « Avec le recul, je suis ravie d’avoir vécu cette expérience de remise en question totale de ma vie. Mon burn-out m’a ouvert les yeux, m’a permis de réaliser qui j’étais et ce que je voulais pour ma vie. Et sans aucune honte, ni aucun regret, je peux crier haut et fort que c’est une des meilleures choses qui me soit arrivée dans la vie », raconte-elle.

Un sujet de santé publique

Suite à la reconnaissance du burn-out comme maladie liée au travail, l’agence fédérale des risques professionnels, La Fedris, a instauré un projet pilote pour l’accompagnement des travailleurs. Lancé en janvier 2019 et réservé au personnel des secteurs hospitalier et bancaire, le projet prend en charge les personnes atteintes d’un burn-out et propose des séances de consultation, animées par des intervenants spécialisés. L’objectif est de permettre aux victimes de burn-out de rester actives professionnellement ou de reprendre le travail rapidement. Ce projet sera évalué à son terme, dans trois ans. L’épuisement professionnel devient un véritable sujet de santé publique.

Chez les acteurs du monde judiciaire, le bien-être professionnel des avocats est un élément nécessaire pour que la justice puisse fonctionner correctement. Depuis quelques années déjà, les avocats et autres professionnels du milieu judiciaire belge se plaignent du manque de budget et du peu d’intérêt dont ils font l’objet. Un sentiment de désintérêt partagé par l’opinion publique. Comme le confie un avocat à la sortie d’un jugement, « c’est toujours comme ça, personne ne s’intéresse à la justice ni à son fonctionnement, et puis il faut se retrouver dedans pour s’y intéresser !  »
N’est-ce pas dès lors notre devoir de s’intéresser davantage à la justice ? N’est-ce pas dans notre intérêt de veiller à la bonne santé de ses professionnels ?

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