Hors les murs : par-delà la prison

Panser la Justice

Hors les murs : par-delà la prison

« Si on ne vole que l’œuf, pourquoi emprisonner pour être sûr qu’on ne vole pas le bœuf ? Si je suis en prison pour avoir volé l’œuf, pendant ce temps qui vole le bœuf ? »

Hors les murs : par-delà la prison

« Si on ne vole que l’œuf, pourquoi emprisonner pour être sûr qu’on ne vole pas le bœuf ? Si je suis en prison pour avoir volé l’œuf, pendant ce temps qui vole le bœuf ? »

Salwa Boujour, Leila Fery
La prison est la meilleure école du crime, un adage qui semble bien vérifié lorsque l’on sait que 57 % des condamnés emprisonnés récidivent. Et que dire des 150 euros que coûtent un prisonnier par jour ? Ou encore du budget annuel de 58.153.288.009 d’euros alloué aux prisons ? Les études sont claires : baisser le taux de récidives de 15 % ferait économiser 30 millions d’euros aux contribuables. De nombreuses voix s’élèvent et plaident pour ne plus investir dans de nouvelles prisons. Les mêmes appellent à tout mettre en oeuvre pour les vider.

4.827. C’était le numéro d’écrou de Valérie Zézé. Sa seule identité en prison. Incarcérée à plusieurs reprises à la prison de Berkendael, elle s’en souvient comme si c’était hier. Les détails du trajet vers la prison lui sont vifs. Elle emmagasine un maximum d’images de l’extérieur pour les emporter avec elle durant son séjour à l’ombre. Valérie se remémore les instants douloureux : l’attente, les brimades, la douche devant les agents… Dépossédée d’elle-même, infantilisée, l’envie de hurler qui la prend à la gorge comme une main qui vous étrangle. Elle suffoque. Elle ne s’appartient plus. Comme beaucoup de détenus, les émotions l’envahissent lorsqu’elle arrive en prison. La première question qui vous vient à l’esprit est certainement : pour quoi est-elle tombée ? Pour vol. « Une poule de luxe  », comme l’appelaient les magistrats. Valérie volait des parfums pour acheter sa coke. Typique, direz-vous. Pourtant, Valérie était professeure de français. Ce sont les cicatrices encore infectées de la vie, laissées par l’inceste, la violence et le désespoir qui l’ont menée derrière les murs. Aujourd’hui, cinq ans après sa sortie, Valérie panse ses plaies.

Valérie Zézé devant la prison pour femmes de Berkendael (Belgique)
Cinq ans après sa sortie, Valérie revient devant la prison pour femmes de Berkendael. Photo de Leila Fery

Les récits comme celui-ci sont nombreux. Vous êtes-vous déjà demandé qui occupait les prisons belges ? D’après Hans Claus, directeur de la prison de Gand, 70 % de la population carcérale est enfermée pour des faits liés à des vols et aux stupéfiants qui y sont généralement associés. Bruno Dayez, avocat, précise que « les chiffres sont disponibles au Ministère de la Justice. Mais ils sont soigneusement confidentiels. On n’y a pas accès. En tant qu’avocat, on raisonne sur foi de notre expérience ». Des statistiques précises n’existent pas pour la Belgique. Ou du moins, elles ne nous ont pas été accessibles. Quoi qu’il en soit, tueurs en série, violeurs, pédophiles, ne sont pas représentatifs de la majorité des détenus en Belgique.

Notons que la loi belge est claire sur le sujet : la prison doit être utilisée en dernier recours. C’est le principe de subsidiarité qui veut qu’on ne recoure au système pénal que lorsqu’on a essayé toutes les autres solutions pénales. Or, force est de constater que dans les faits, « c’est la peine de référence. D’ailleurs, on parle de “peines alternatives à la prison” et pas des “peines avec comme alternative la possibilité de mettre en prison” », explique Harold Sax, co-directeur à la section belge de l’Observatoire International des Prisons (OIP).

Pourquoi la prison ?

D’après Michel Sylin, professeur à la faculté de psychologie de l’Université libre de Bruxelles (ULB), c’est une question de classe sociale. La création de la prison à usage massif remonte au 19ème siècle. À cette époque, toutes les institutions remplissent une mission : structurer et maintenir un ordre social. Créée par la bourgeoisie, l’institution de la prison avait alors pour but de gérer les masses de paysans ouvriers. Actuellement, selon lui, son essence même consiste à rappeler aux classes dominées qu’elles sont dominées. C’est notamment ce que Michel Foucault développe dans son ouvrage de référence Surveiller et Punir.

« La prison apprend aux gens à être à leur place, c’est pourquoi on y retrouve les classes sociales dominées », explique le professeur. Il poursuit : 

La prison est là pour rappeler que l’Etat existe. Elle ne sert à rien d’autre que ça.

Bon nombre de spécialistes du domaine carcéral s’expriment de concert sur ce sujet. Dan Kaminski, criminologue à l’Université catholique de Louvain (UCL), indique que la prison est une manière de polariser les pauvres, de les diviser en deux groupes : les méritants et les non-méritants. « Les méritants croient à la nécessité de rester honnêtes et tiennent absolument à cette différence sociale interne à leur propre groupe. Moi, au moins, je suis honnête”. Ils conservent ainsi une étiquette morale d’honnêtes hommes  », explique-t-il. Ils acceptent donc plus facilement leur condition sociale défavorisée.

La descente aux enfers

Valérie Zézé témoigne : « Dans une prison, le b.a.-ba c’est la frustration  ». Pour elle, l’enfermement est un échec. Ce système n’est pas adapté, et encore moins pour les petites peines ou les faits de toxicomanie.

En Belgique, hormis quelques associations qui tentent d’aider les détenus toxicomanes, rien n’est prévu pour les aider à s’en sortir. Des propos corroborés par Harold Sax : « à partir du moment où l’on considère que la consommation de stupéfiants est un délit, on met les gens en prison parce qu’ils sont consommateurs de stupéfiants  ». Dans ce contexte, la solution serait de décriminaliser et dépénaliser certains délits, comme le propose Michel Sylin.

Vincent (nom d’emprunt) avait entre 22 et 23 ans lors de sa première incarcération. « Ça remonte à loin », se souvient-t-il, le regard vide, sa tasse de café à la main. Aujourd’hui, il approche la quarantaine. « Au début, je n’avais pas peur parce que je ne savais pas encore ce qui allait m’arriver. Et puis c’est après la condamnation que tu réalises. Moi, je ne réalisais pas au départ, je ne pensais pas avoir toutes ces années de prison. Je savais que j’en ferai mais pas autant. » Vincent a exécuté quinze ans de prison. « J’ai eu une condamnation de six ans plus une condamnation de cinq ans plus une de quatre ans. Le total de tout à fait une grosse peine. » Plusieurs faits lui étaient reprochés. « Des histoires de hold-up et de vols », confie Vincent, pudique sur ce qu’il ressent, ce qu’il a vécu. Face à notre obstination, il finit par revenir sur ce qui a déclenché ses quinze années de coma carcéral. Comme la plupart des détenus, Vincent était en décrochage scolaire. « J’en avais marre. J’étais en cinquième secondaire, technique de formation et comptabilité. Je suis devenu élève libre. J’avais raté mes examens deux fois de suite. Puis, il y a eu la prison, quelques mois après. » Vincent correspond au profil sociologique des détenus en Belgique. Désaffiliation, déscolarisation, moyens financiers limités…. Vous trouverez plus de détails sur ce sujet dans ce rapport de l’Atelier d’éducation permanente des personnes incarcérées (ADEPPI).

Alors, quelle alternative ?

Nous avons rencontré Ebrahim El Ahrache, un ancien détenu, à Anderlecht, dans le quartier Clémenceau. Soucieux de bien nous recevoir, il nous propose de le rejoindre au bar d’un hôtel du coin. Ambiance tamisée, fauteuils en cuir noir… C’est autour d’un thé que nous échangeons avec Ebrahim. Très réservé sur la longueur de sa peine et sur les actes qui l’ont mené en prison, il ne s’attardera pas sur la question. Aujourd’hui, Ebrahim s’est remis de ces maux, les hématomes que la prison peut causer semblent avoir disparus. Il cherche à présent des solutions. Il passe de l’autre côté des barreaux et entreprend d’ouvrir sa propre asbl d’aide à la réinsertion. Tel un médecin à la blouse blanche, il aspire à guérir les jeunes du mal de la délinquance.

L’ex-détenu en est certain : « Il y a d’autres solutions. » En se penchant sur les chiffres, l’on remarque qu’un détenu coûte environ 4.500 euros par mois. Pour Ebrahim : « Au lieu d’investir des sommes faramineuses dans les prisons, on pourrait faire en sorte que les jeunes délinquants ne soient pas incarcérés mais travaillent. De cette façon, on leur apprend et on leur donne des responsabilités. Trouvez-leur du boulot. Du boulot, il y en a ! », s’exclame-t-il. Pour lui, cette notion de responsabilité du travail serait inconnue des jeunes. Et il est clair et net que « c’est l’une des choses qui mènent à la prison. »

D’après Ebrahim, c’est évident : la justice doit s’assurer du suivi des délinquants et criminels. Pour cela, il lui paraît évident qu’une partie des 4.500 euros doit être injectée dans le système judiciaire. Une autre partie de cette somme devrait être versée chaque mois à un employeur afin de l’encourager à embaucher une personne dont le casier judiciaire est entaché.

« Quand tu sors de prison, les patrons ne t’acceptent jamais. Je pense que leur fournir un chèque de 1000 euros par mois, par exemple, pourrait les pousser à accepter un ex-détenu. »

L’alternative serait donc de passer des accords avec les directeurs et directrices d’entreprises. L’homme souligne également l’importance d’un emploi du temps fourni. Il assure voir les ex-détenus de son entourage, une fois un emploi trouvé, refuser des soirées entre amis trop longues pour se coucher tôt. « Désolé, je dois rentrer, demain je travaille… » Une journée de travail couplée à des activités sportives ou bénévoles diverses ne laissent pas le temps aux jeunes de délinquer d’après Ebrahim.

Selon lui, les peines d’intérêt général constituent une bonne alternative à la prison. Néanmoins, elles doivent être rémunérées. Il n’en démord pas : « L’argent c’est le nerf de la guerre.  » D’après son expérience, même si le jeune délinquant évite la prison, il poursuivra ses petits délits en dehors des travaux pour la simple et bonne raison qu’il n’a pas d’argent. Il lui semble donc nécessaire que ces travaux soient payés.

Vincent estime que, dans son cas, une peine de travail d’intérêt général ne l’aurait pas aidé. Il était trop jeune, « trop fou  », pas suffisamment investi dans ce qu’il faisait. Ce qui l’intéressait, c’était « l’argent facile » : « À l’époque, j’ai travaillé. Je n’ai pas réussi à garder mon boulot. L’argent facile, pour moi, c’était mieux. C’était rapide. En deux minutes, tu peux avoir deux ou trois mois de salaire. Et une fois que tu as connu cette adrénaline, une fois que tu es dans ça, c’est un kiff. Et en plus, tu as de l’argent. » La solution proposée par Ebrahim correspondrait sans doute à certains profils, mais pas à tous.

Au fil de ses nombreuses condamnations, Valérie Zézé a effectué une peine d’une centaine d’heures de travail d’intérêt général au Musée des Sciences Naturelles. Une expérience qu’elle qualifie de « très gratifiante. » « Je suis entrée avec un badge. Mon statut était reconnu. C’est vraiment valorisant. Mes collègues de travail ne sont pas censés savoir que j’exécute ma peine », déclare-t-elle. Elle retiendra principalement le bon contact avec son équipe de travail et les nouvelles compétences qu’elle a acquises, « j’ai vu des planches de mouches, de papillons, du formol… » Valérie se souvient de toutes les étapes. Elle détaille chaque mouvement en mimant des gestes qui semblent intacts dans sa mémoire : « j’ai dû les mettre sur une aiguille, sur une plaquette, faire la carte d’identité des insectes… il faut que les ailes soient bien déployées. » Valérie explique l’aspect minutieux de la technique, qui lui était jusqu’alors inconnu. Cette expérience, profondément différente de celle qu’elle a vécue en prison, l’a marquée. Nous lui avons soumis la proposition d’Ebrahim. Sa réaction est sans équivoque :

C’est clair que s’il y avait le petit billet en plus à la fin je dirais presque « vive les travaux d’intérêt général » ! Ça te donne l’envie de faire des choses, de travailler, au lieu d’être confinée dans un environnement malsain…

Selon elle, il s’agit d’une des alternatives à privilégier. Un type de peine encore trop peu utilisé pour punir les faits lourds puisque 40 % des peines de travail d’intérêt général sont prononcées en cas d’infractions de roulage.

Quand les peines alternatives pèchent

Les peines alternatives, et principalement le bracelet électronique, sont de plus en plus utilisées depuis quelques années. Il suffit de se pencher sur les chiffres pour le constater. En effet, selon les Maisons de Justice de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le nombre de dossiers de surveillance électronique a presque doublé entre 2011 et 2016, passant de 1.237 à 2.228 dossiers. Autre fait intéressant : ce genre de peine semble avoir un effet significatif sur la baisse de la récidive. C’est en tout cas le constat de l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC) : un condamné qui purge sa peine en portant un bracelet électronique plutôt qu’en prison a environ trois fois moins de chance de récidiver (après un an, 18 % des détenus ayant été emprisonnés récidivent, contre 5 % pour ceux placés sous surveillance électronique). La raison principale ? Avec le bracelet électronique, l’ancrage social se maintient. Selon Harold Sax : « La prison opère une rupture complète entre le détenu et la société. Cela complexifie les contacts et renforce aussi l’idée d’une exclusion du détenu de la société. Il ne se sent pas appartenir à la société. Le fait d’avoir une peine alternative fait que vous êtes davantage en contact avec la société. »

Les peines alternatives permettent aux condamnés de maintenir des contacts avec la société, leurs proches, le monde extérieur. La réinsertion peut ainsi être facilitée. Cependant, le co-directeur de la section belge de l’OIP relativise l’efficacité du bracelet électronique : « Cela dépend du point de vue. C’est efficace dans la mesure où cela permet à certaines personnes d’éviter une détention préventive. Je pense que dans de nombreux cas, cela a été utilisé pour pouvoir appliquer une mesure judiciaire de contrôle sur une personne qui, si cette mesure n’existait pas, n’aurait pas été mise en détention préventive. Donc, en réalité, on contrôle plus de personnes qu’on ne le faisait auparavant. »

Vincent purge une peine de prison alternative et porte le bracelet électronique
Vincent porte le bracelet électronique
Photo de Leila Fery

Heureusement pour Vincent, ce n’est pas son cas. La surveillance électronique lui permet de poursuivre sa peine hors les murs. Une expérience qu’il vit comme un souffle de liberté après les longues années passées derrière les barreaux. Une bouffée d’air frais : « Avec le bracelet électronique, tu es à l’extérieur. C’est vrai que tu n’es pas 24h/24 dehors mais le peu de temps que tu passes dehors, c’est déjà ça, parce que tu es avec ta famille, tu es chez toi. Tu vis un petit moment de la vie normale… » confie-t-il. Il en profite pour reprendre ses habitudes, une vie relationnelle et professionnelle. Vincent doit suivre à la lettre un emploi du temps minuté. En semaine, il est bénévole dans une ONG bien connue jusqu’à 16h. Jusqu’à récemment, il se devait de rester cloîtré chez lui après 17h. Ce n’est que dernièrement qu’il a réussi à obtenir l’autorisation d’aller à la salle de sport neuf heures par semaine. Une dose d’indépendance supplémentaire.

Mais ce tableau peut parfois s’assombrir lorsque le condamné ne parvient pas à respecter l’horaire presque militaire qui lui est imposé. Vincent explique : « J’ai beaucoup de petits retards mais ce sont des retards quand même. Il y a une certaine limite à ne pas dépasser. » Les conséquences peuvent être multiples : convocation, suspension, voire retour en prison. Pour Vincent, ce dernier cas de figure est probable. Il sait qu’il fait de son mieux pour éviter à nouveau l’incarcération : « C’est pas des retards faits exprès. C’est comme aujourd’hui. Pourtant, je me suis levé tôt. Ça arrive. Voilà, il y a un accident. On doit faire les constats… C’est des choses de la vie. J’ai toujours un motif. Je justifie tout. » Nous avons effectivement attendu Vincent pendant près d’une heure et demi. Les détenus ayant été privés d’espace, de temps et de mouvement ont du mal avec la notion du temps. Surtout dans le cas de peine longue comme celle de Vincent. En dehors des horaires stricts, d’autres conditions existent comme ne pas fréquenter d’ex-détenus, de boîtes de nuit ou de cafés, d’endroits toxicophiles, ne pas consommer de drogues. Lorsqu’on lui demande si elles sont difficiles à tenir, il répond : « Certaines oui, certaines non. Ça dépend. Dans mon cas, par exemple, depuis que je suis petit, la plupart des gens que je connais et avec qui j’ai grandi ont fait de la prison. Même si on fait attention, il arrive qu’un moment donné… Voilà. On essaie d’être malin. On connaît un peu les rouages de la justice. C’est à nous de faire attention et d’être plus malins qu’eux. » Le bracelet électronique permet une échappatoire hors du bagne mais les murs ne sont jamais bien loin et la menace d’y retourner pèse sur Vincent.

« Et Marc Dutroux alors ? »

C’est la question. Une des plus entendues dans la bouche de l’opinion publique, Marc Dutroux étant la figure même du criminel absolu. Tout d’abord, « Marc Dutroux ne représente que lui-même. Il est presque aussi fantasmatique que la prison ne l’est », assure Maître Bruno Dayez, l’avocat de Marc Dutroux. « Ce cas est très complexe. Il est emblématique. Il y a une conjonction d’une série de facteurs qui a fait qu’il est devenu ce qu’il est devenu dans l’imagerie populaire », poursuit-il.

Mais ce n’est pas le sujet ici. Cet aparté fait, que fait-on des violeurs, des pédophiles, des tueurs en série ? Nous l’avons mentionné précédemment : ils constituent un petit pourcentage de la population carcérale. Bien souvent, les gens qui sont en prison ne sont pas spécialement dangereux. Pour Bruno Dayez, « ils ont manqué de garde-fous. » Il y a une très grande frange de la population carcérale qui n’a rien à faire derrière les barreaux. Il affirme qu’environ 85 % des détenus ne représentent aucun danger réel, pour autant qu’ils bénéficient d’une assistance à leur sortie et d’un bagage intellectuel et matériel qui leur permette de ne pas récidiver immédiatement. Les 15 % restants sont effectivement des individus dangereux. Ils ont commis des actes graves, voire très graves, et ne peuvent pas passer au travers des mailles du filet. Pour ces personnes, le passage par la « case prison » est obligé « parce que, si le corps social reste sans réaction, autant dire que c’est une prime à l’impunité. Dans ces conditions, on pourrait craindre une escalade », explique l’avocat.

Neutraliser quelqu’un, l’empêcher de nuire, c’est ce qui semble avoir du sens pour les juges. Dan Kaminski fournit des estimations quasi équivalentes. Il est convaincu que 20 % de la population « mérite » de s’y trouver. Il convient que pour ces cas, il n’y a rien de mieux à faire que de les enfermer pendant un temps, pour éviter le moindre risque.

Ceux qui ont vécu la prison dans leur chair, les détenus, ont un positionnement similaire. Ebrahim est « d’accord avec la “case prison” pour quelqu’un qu’on coince avec 500 kilos de shit, pour un violeur ou encore un pédophile. Mais pas pour celui avait juste trois grammes ou qui a volé un sac. » Il déclare d’un ton ferme : « Que la prison soit utile ou pas, ces personnes méritent la prison. Si tu as commis un meurtre, tu dois être jugé. » La prison ne fait sens que pour une minorité de criminels. Vincent a sensiblement le même avis puisque, pour lui, les pédophiles et violeurs méritent clairement une peine de prison. « Il y a des gens qui font tout et n’importe quoi. C’est abominable. C’est quelque chose que je ne supporte pas. » Ebrahim déplore le manque de suivi et de prise en charge des détenus : «  Si [un détenu] a des problèmes psychologiques, il doit être interné et suivi. Ce qui n’est pas le cas factuellement. » Le peu de prise en charge psychologique ressemble davantage à une formalité administrative qu’à un véritable soin.

Tous ces acteurs vont de concert. Leurs voix s’élèvent dans la même direction : ils sont contre le système carcéral mais, face à certains cas graves, ne parviennent pas imaginer d’autres alternatives. Ce n’est pas le cas d’Harold Sax. Bien moins nuancé sur le sujet, son point de vue tend vers l’abolitionnisme :

La prison ne répond à aucune nécessité, à aucune fonction pour laquelle elle a été instituée. Elle ne facilite pas la réinsertion, que du contraire. Elle ne crée pas d’apaisement pour la société. La récidive est beaucoup plus importante. Pour nous, la prison n’est jamais une solution. Il n’y a jamais de bonne raison de mettre quelqu’un en prison. Il n’y a pas de délit particulier qui justifierait qu’on mette quelqu’un en prison.

Emprisonner quelqu’un pour en faire un exemple et tenter ainsi de dissuader d’autres de commettre les mêmes délits/crimes serait illusoire selon lui.

Un taux de récidive élevé, un coût exorbitant et des conditions de détention inhumaines ; autant d’éléments qui montrent que la prison ne semble pas la solution idéale à la criminalité. Loin de là. Les acteurs et penseurs du milieu carcéral que nous avons rencontrés sont unanimes : il est grand temps de repenser l’enfermement et de mettre en place des alternatives plus humaines et gratifiantes afin de préserver notre société. Cependant, actuellement, le séjour à l’ombre semble rester la solution adéquate pour certains criminels incarcérés pour assassinat ou fait de moeurs, qui restent toutefois minoritaires. Pour les autres cas : après-midi dans un musée en compagnie de fossiles et insectes divers, stage en entreprise… l’heure est à la recherche d’alternatives imaginatives…

Pour rappel, le 9 janvier 2019 le Tribunal de première instance de Bruxelles a déclaré l’État belge responsable de la surpopulation carcérale au sein des prisons de Forest et de Saint-Gilles et le condamne à remédier à cette situation dans les six mois, sous peine d’astreinte.

Pour aller plus loin : 

Cet article a été initialement rédigé en écriture inclusive. Pour des raisons de cohérence visuelle, l’équipe rédactionnelle a choisi de ne pas l’appliquer à l’ensemble des productions de ce site.
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