Le genre de la Justice

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La robe d’avocat reste encore majoritairement portée par les hommes, particulièrement dans certains domaines du droit. Mais où se trouvent donc les avocates?

Pixabay, Edward Lich/AJEL

Le genre de la Justice

La robe d’avocat reste encore majoritairement portée par les hommes, particulièrement dans certains domaines du droit. Mais où se trouvent donc les avocates?

Laetizia Barreto, Alexia Peren
La féminisation de la justice est un sujet souvent abordé dans la presse. La profession d’avocat reste encore majoritairement masculine et surtout dans certains domaines du droit. Comment et pourquoi ? Nous nous sommes penchées sur la question de la représentation des femmes au barreau bruxellois.

En mars 2018, un article du Soir affirme que les avocates gagnent deux fois moins que leurs collègues hommes. L’article évoque des « inégalités salariales encore très profondes ». Cette observation se base sur les chiffres de l’enquête réalisée en 2017 par l’OBFG (Ordre du barreau francophone et germanophone) et le centre Perelman de l’ULB. Si en termes de statistiques, ce constat se vérifie, (la moyenne médiane est de 78.595 euros pour les femmes et de 143.710 euros pour les hommes, c’est-à-dire une différence de 54.7 %), il ne reflète pas la réalité.

En Belgique, les avocat.e.s ont un statut d’indépendant. Ce qui signifie qu’en matière de revenus, les avocats fixent eux-mêmes leurs honoraires. D’après l’étude de l’OBFG, le barreau bruxellois comporte 5.123 avocats, dont 2.349 avocates (les femmes représentent 45,9 % de la profession). Il faut savoir que seulement 1 % des avocats sont salariés. Un point que Gregory Lewkowicz, professeur de droit à l’ULB, souhaite mettre en avant : « l’évolution des revenus se fait en parallèle de la carrière. Les avocats sont libres de fixer leurs prix, une avocate de 50 ans peut logiquement gagner exactement le même revenu que ses confrères ».

Les revenus varient donc en fonction du nombre d’années d’expérience et du statut de l’avocat.e, à savoir : stagiaire, collaborateur ou associé. Il apparaît que la moyenne médiane des revenus est plus élevée du côté des avocats que des avocates.

Comment expliquer une telle différence entre genres ? Relevons que la représentation féminine est très forte dans la tranche d’âge des 20-29 ans, mais s’inverse après 40 ans. C’est-à-dire que la représentation des femmes qui pourraient prétendre à un salaire plus élevé par rapport à leurs années d’expérience est moins élevée que le nombre de débutantes dans la carrière.

Davantage de jeunes femmes en fac de droit

D’après le rapport sur l’état de l’égalité de genre, publié par l’ULB pour l’année 2016-2017, « le corps estudiantin de l’ULB compte, pour l’année académique 2016- 2017, 26.809 membres régulièrement inscrit.e.s, dont 14.856 femmes, soit 55 %. » Il en va de même pour l’Université Catholique de Louvain (UCL), où « pour l’année académique 2016-2017, le nombre d’étudiant.e.s régulièrement inscrit.e.s à l’UCL est de 30.774, dont 16.544 étudiantes(53,8 %) et 14.230 étudiants (46,2 %). »

Parmi ces universitaires, nombreuses sont celles qui poursuivent des études en droit. En effet, à l’UCL en 2016-2017, l’auditoire de droit était composé à 67,8 % de femmes, environ 1.631 jeunes femmes sur 2.406 personnes au total. En termes de chiffres et non de pourcentages, la faculté de droit est la quatrième faculté la plus prisée après celle de médecine, de sciences économiques, sociales, politiques et de la communication, sans oublier la faculté de psychologie et les sciences de l’éducation.

Comme il est possible de le voir sur le graphique présenté à gauche, les étudiantes représentent une part non négligeable des élèves qui occupent un auditoire de droit. Dans les registres, 67,8 % des candidats enregistrés pour l’année universitaire 2016-2017 étaient des jeunes femmes. Notons qu’il est spécifié sur le site de l’ULB que seulement 30 % des étudiants (tous genres confondus) inscrits en première année de droit accèdent à l’année supérieure.

Une fois les études terminées, les juristes doivent effectuer un stage de trois ans au sein du barreau. En 2017, ce sont 879 stagiaires qui se retrouvaient inscrits au barreau bruxellois. C’est-à-dire 17,1 % des 5.123 avocats exerçant au barreau de Bruxelles débutent leur carrière professionnelle. Selon Gregory Lewkowicz, qui est aussi directeur du programme de droit global du centre Perelman, la proportion hommes-femmes représentée au sein des stagiaires est la même qu’à la sortie des études de droit. Ce n’est qu’une fois le stage accompli que des différences se font ressentir.

Selon Gregory Lewkowicz, qui a mené la radiographie du barreau bruxellois, « la masse de travail est très importante, dans la profession. Certains chiffres vont jusqu’à plus de 50 heures par semaine ! » En tant qu’avocate, les femmes sont confrontées à un choix une fois leur stage terminé : devenir associée ou collaboratrice. D’après l’étude que Gregory Lewkowicz a mené, le statut de collaborateur convient particulièrement aux femmes. En effet, il permet une plus grande flexibilité dans la gestion de ses horaires.

Dans de grosses structures, votre marge de manœuvre de la gestion de votre temps de travail est très limitée. Vous ne pouvez pas expliquer dans un grand cabinet de relations internationales qu’il est 5 heures, et que vous devez partir parce que votre enfant est malade

« On voit que les femmes sont plus représentées dans un mode d’exercice où elles travaillent seules ou avec des collaborateurs. Beaucoup ne sont pas ou ne restent pas dans des grandes structures où elles pourraient devenir associées. Dans de grosses structures, votre marge de manœuvre de la gestion de votre temps de travail est très limitée. Vous ne pouvez pas expliquer dans un grand cabinet de relations internationales, par exemple, devoir partir à cinq heures parce que votre enfant est malade. Tandis que quand vous travaillez avec des collaborateurs, vous pouvez partir, même si vous allez devoir travailler tard la nuit », explique-t-il.

C’est un point important que soulève le professeur Lewkowicz, la conciliation de la vie professionnelle et privée des avocats ne semble pas être vécue de la même manière pour les hommes et les femmes. Toujours d’après la radiographie de 2017, les femmes sont très présentes dans les tranches d’âges 20-29 et 30-39. « Après cela, on assiste à un renversement de la pyramide des âges », explique Gregory Lewkowicz. La maternité constitue en effet la raison principale du départ des femmes du barreau vers la magistrature selon Adeline Cornet, criminologue.

Allier vies privée et professionnelle

« On sort de l’explication juridique et professionnelle et on s’approche de la confluence entre la sphère privée et la sphère professionnelle, soutient Adeline Cornet. Aujourd’hui, ce sont toujours les femmes qui portent la majorité des tâches ménagères et éducatives à la maison. Ce temps investi à la maison ne peut pas être utilisé au travail, on n’est plus appelable et corvéable à merci, c’est en général pour cela que les femmes sortent du barreau. Car dans la culture professionnelle du barreau, le fait de travailler longtemps est valorisé et quand il faut quitter le travail pour aller chercher son enfant à la crèche, c’est mal vu ».

En plus d’un travail important à fournir quotidiennement, Adeline Cornet parle de l’importance des activités para-professionnelles. « La sociologue Anne Boigeol en a parlé, les activités qui permettent de créer un réseau au sein du barreau ont lieu en dehors des heures de travail et sont principalement masculines », cite la diplômée en criminologie. Afin de ne pas passer leur vie au travail, les solutions envisagées par de nombreuses avocates restent de migrer soit vers le droit d’entreprise, soit vers la magistrature selon l’experte.

La magistrature offre de nombreux avantages aux femmes, comme l’explique Adeline Cornet : « c’est une tendance depuis 1980, il y a plus de femmes dans la magistrature. Là, elles sont fonctionnaires. Elles ont donc accès au congé maternité, au 4⁄5 possible et c’est aussi une sécurité financière. Le revenu est assuré, même en cas de vacances. Ce qui n’est pas le cas en tant qu’indépendante. La magistrature est une bonne porte de sortie, c’est plus régulé et souple en termes d’horaires. C’est une des fonctions étatiques les mieux payées. La carrière est plate, c’est-à-dire qu’en commençant avec à peu près 4000 euros par mois, en sortie de carrière elles n’atteignent pas plus de 4500 euros par mois. C’est un métier sympa et qui leur permet de continuer de faire du droit ».

En 2018, les femmes représentaient 54 % de la magistrature belge. Encore une fois, il est bon de nuancer la féminisation qui se produit dans ce secteur depuis plusieurs années. Comme l’explique Adeline Cornet, de manière générale le nombre de magistrats ne cesse d’augmenter. « Ce sont des femmes qui viennent combler l’élargissement du cadre de magistrats, précise-t-elle, mais en plus de cela, quand les hommes quittent la profession, ce sont généralement des femmes qu’on embauche pour les remplacer. » Cela explique que 54 % de femmes exercent dans la magistrature. Cependant la répartition n’est pas homogène comme l’explique un article paru dans La Libre en janvier 2018

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Contourner le plafond de verre ?

Le plafond de verre du barreau bruxellois repose majoritairement sur le fait que les femmes quittent d’elles-mêmes la profession d’avocat. Mais l’importance des activités paraprofessionnelles et le système de cooptation mis en place font office de barrière pour les avocates qui souhaitent allier leur vie professionnelle à leur vie familiale.

Alexiane Wyns, avocate spécialisée dans les affaires, a lancé sa propre chaîne YouTube pour gagner du temps et maximiser son travail, mais aussi afin de se créer une véritable clientèle. Déterminée à changer les choses, Maître Wyns est persuadée qu’il incombe aux femmes de trouver de nouvelles stratégies pour pouvoir exercer au mieux leur profession. Elle intervenait dans l’article du Soir de mars 2018 en déclarant :« il faut repenser la structure des cabinets d’avocats pour donner plus de chance aux femmes ».

Nous l’avons contactée pour comprendre ce qu’elle entendait par « repenser la structure » pour donner plus de chance aux femmes. En déplacement au Japon, elle nous a répondu par mail. Convaincue que les femmes n’ont rien à attendre des cabinets existants pour qui, Maître Wyns juge que les changements structurels dépendent de beaucoup d’autres facteurs que la « place des femmes au barreau », elle invite ses consœurs à être pro-actives.

« Il revient aux femmes elles-mêmes d’être actrices du changement qu’elles souhaitent voir survenir. Personnellement, j’ai la conviction que la révolution numérique que nous vivons actuellement présente une réelle opportunité pour les femmes de développer une belle carrière professionnelle au sein du barreau, tout en poursuivant des projets personnels qui leur tiennent à cœur. L’automatisation de certaines tâches, l’analyse de données, la visibilité offerte par les réseaux sociaux et le référencement sont autant d’outils qui sont aujourd’hui facilement accessibles pour ne plus devoir compter sur la structure d’un cabinet. »

Me Wyns a gagné le prix de l’Innovation de l’Incubateur d’Avocats.be en 2017. L’avocate espère pouvoir proposer une voie alternative à nombreux de ses confrères.
« Je prépare un programme d’accompagnement qui sera lancé en janvier 2019 pour les avocats et les avocates qui souhaitent poursuivre leur carrière au Barreau sans subir les contraintes imposées par les structures traditionnelles », mentionne-t-elle dans son mail.

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