Avocats pro deo : coulisses d’un métier déconsidéré

Panser la Justice

Avocats pro deo : coulisses d’un métier déconsidéré

La passion qu’ils vouent à leur métier ne suffit pas toujours à motiver les avocats « pro deo ». Ils dénoncent un système qui les épuise.

Avocats pro deo : coulisses d’un métier déconsidéré

La passion qu’ils vouent à leur métier ne suffit pas toujours à motiver les avocats « pro deo ». Ils dénoncent un système qui les épuise.

Elise Jeannelle, Maureen Vanverdegem
Ils offrent une défense partiellement ou entièrement gratuite aux plus démunis : on les appelle avocats d’aide juridique de deuxième ligne ou, plus communément, avocats pro deo. Sous l’œil parfois méfiant des justiciables, ils sont pris, eux aussi, dans les rouages du système. En 2016, à la suite d’une réforme des conditions d’accès à leurs services, ils criaient à l’encombrement d’un métier déjà difficile. Après une hausse budgétaire pour l’aide juridique de quatorze millions d’euros en 2018, l’espoir renaît chez certains d’entre eux mais le chemin qu’il reste à parcourir semble fastidieux.
2016 : l’année des (trop) grandes exigences
Photo d'Elise Jeannelle

Tanguy Kelecom est avocat depuis 12 ans. Dans son bureau à Liège, il a accueilli des centaines de justiciables démunis incapables de payer ses services… Jusqu’en 2016, où il a renoncé à cette partie de sa vie. Il pensait pourtant qu’elle était inhérente à son métier qu’il continue à exercer avec envie. Ces clients, on les appelle pro deo (étymologiquement : pour [l’amour de] Dieu, gratuitement)  : un qualificatif également employé pour désigner leurs avocats. Ils répondent aux critères financiers d’accès à l’aide juridique de deuxième ligne. Rien qu’à Bruxelles, plus de 30.000 justiciables recourent chaque année à ces services partiellement ou entièrement gratuits. Peut alors devenir pro deo tout avocat qui le désire, l’aide juridique étant accessible sur base volontaire depuis 1998. Le système laisse la possibilité de combiner affaires payantes et aide juridique.

 

Bon à savoir…

L’aide juridique se divise en deux parties. D’une part, la première ligne, accessible à tous sans restriction, propose une consultation de conseil. D’autre part, l’aide juridique de deuxième ligne permet la réelle prise en charge d’un dossier. Elle n’est offerte que sous plusieurs conditions financières.

Pour plus de précisions sur ces conditions, rendez-vous ici.

Le pro deo, c’est un mécanisme merveilleux […] La vraie mission d’un avocat, c’est d’être le porte-parole des personnes les plus démunies et de, justement, combattre les inégalités.
Tanguy Kelecom, avocat au barreau de Liège

Tanguy a été découragé par le système, à l’instar de plusieurs de ses confrères. 2016 a connu une réforme lourde de conséquences. En renforçant les conditions d’accès à l’aide juridique, elle a contraint les justiciables à fournir une multitude de documents. Cette mesure a considérablement densifié les charges administratives des avocats d’aide juridique de deuxième ligne. Tanguy l’affirme : aujourd’hui, ils croulent sous la paperasse.

Plusieurs piles de dossiers et documents dans le bureau d’un avocat qui fait du pro deo à Namur. Une mallette d’ordinateur est également au sol.
Piles de dossiers posées au sol dans le cabinet de Maître Philippe Leloup, à Namur.
Photo d’Elise Jeannelle

À l’origine, ce sont des organes centraux qui traitent ces demandes d’accès : les bureaux d’aide juridique (BAJ). Ils sont répartis par barreaux (Mons, Charleroi, Bruxelles, etc.) et leurs missions sont multiples. D’abord, ils assurent la majorité des permanences d’accueil des justiciables désirant obtenir une aide de première ou de deuxième ligne. Ensuite, ils regroupent toutes les demandes de désignation d’un avocat pro deo effectuées au sein de leur circonscription. Enfin, ils gèrent une liste de ces avocats qui s’y inscrivent sur base volontaire.

Le problème, c’est que les nouvelles exigences amenées par la réforme nécessitent des ressources supplémentaires dont les BAJ ne disposent pas s’ils veulent travailler efficacement et rapidement. Face à cette nouveauté, chacun a su s’adapter. Si, à Liège, la volonté reste de gérer un maximum de dossiers au sein de l’organe central, ailleurs, la solution s’exprime souvent par un déplacement de responsabilité du BAJ vers l’avocat.

En tant que président du BAJ, j’assume que j’ai transféré un peu la lourdeur administrative aux avocats par souci de donner plus de confort au justiciable. […] Le but, c’est que […] tout le monde ait le sentiment d’avoir accès à la justice.
Cédric Dionso, président du BAJ de Bruxelles

Avant d’abandonner l’aide juridique, Tanguy Kelecom était également correcteur. Il pointe du doigt un autre point de la réforme : une hausse des exigences et des vérifications. Chaque année, les avocats pro deo remettent un rapport de clôture qui comptabilise les indemnités qui leur sont dues. Le rôle des correcteurs est de récolter les justificatifs de chaque prestation effectuée. Le processus est long et peut aboutir à une diminution de rétribution si l’avocat ne peut justifier ses déclarations à l’aide de documents. Depuis 2016, les prestations des pro deo sont davantage contrôlées et les sanctions envisagées sont radicales : retrait de leurs indemnités, voire suspension ou exclusion de la liste des volontaires tenue par les BAJ.

Bon à savoir…

À Bruxelles, plus de 2.550 avocats pratiquent officiellement l’aide juridique. Pourtant, ils n’étaient que 702 à rendre un rapport de clôture en 2018. L’observation se répète dans les autres barreaux. Comment expliquer cette différence ? La plupart des avocats s’inscrivent aux BAJ uniquement pour parer aux éventualités.

Ces nouvelles exigences, invivables pour Tanguy et certains de ses confrères, sont totalement justifiées pour d’autres. « Dans le droit des étrangers […] Il y a cette tentation de multiplier les procédures dans des dossiers où les connaissances de départ sont bien spécifiques », explique Philippe Leloup, avocat au barreau de Namur. Pour lui, les avocats pro deo sont en partie responsables de cette hausse des contrôles.

Comment éviter les abus ? C’est souvent en augmentant la quantité d’informations qui doivent être fournies pour rendre les choses vérifiables.
Philippe Leloup, avocat au barreau de Namur

Cabinet d’avocat, tampons avec marqué « Rappel », « Urgent », « Projet », « Original », « Confirmation de mail ». Quelques dossiers et documents avec le nom de cabinet « B&T ». Un stylo, trombones et agrafeuses sont également posés sur la table.
Tampons posés à côté du dossier de l’avocate-stagiaire Sarah Ferreira dans son cabinet à Wavre
Photo d’Elise Jeannelle

Le cas de Bruxelles

Bruxelles possède le plus grand BAJ de Belgique : cela nécessite une organisation millimétrée. Les volontaires se soumettent à un examen d’entrée afin d’intégrer la section de leur choix et, chaque année, ils suivent une formation dans cette matière. Cinquante correcteurs étudient scrupuleusement les rapports de clôtures afin de vérifier de la qualité et de l’effectivité des avocats, dossier par dossier. Enfin, depuis le 11 février 2019, tous les justiciables qui se présentent au BAJ sont accueillis, sans restriction numérique. Cela nécessite des heures supplémentaires de la part des avocats « conseillers » ou de première ligne, alors que la question de la rémunération de celles-ci n’a pas encore été réglée. Dans d’autres BAJ, comme à Liège, un système de tickets numérotés existe encore pour réguler et limiter cet accueil.

Un métier qui reste captivant
Photo d'Elise Jeannelle

Depuis un an et demi, Sarah Ferreira et Célia Dierick sont toutes deux avocates-stagiaires, exerçant dans le Brabant-Wallon. Environ 85 % des affaires dont elles s’occupent sont pro deo. Pour Célia, bientôt 25 ans, « C’est le meilleur moyen […] quand on commence, d’avoir des dossiers et des clients assez rapidement. » C’est plus facile d’obtenir des affaires par le bureau d’aide juridique que de devoir partir à la pêche au client soi-même. Ils sont une quarantaine d’avocats-stagiaires dans le Brabant-Wallon, mais tous ne font pas du pro deo.

En Belgique, l’obligation de pratiquer l’aide juridique durant le stage varie selon les barreaux. À Bruxelles, par exemple, les avocats ont l’obligation de traiter seize dossiers pro deo sur leurs trois années de stage. Mais, pour Sarah et Célia, exerçant au barreau de Nivelles, c’est un choix et cela dépend des matières. Un avocat traitera davantage d’affaires pro deo s’il est spécialisé dans le pénal, le droit des étrangers ou le droit familial. Les mineurs bénéficient, eux, d’un accès sans condition à l’aide juridique.

Le métier d’avocat est prenant, que ce soit dans le pro deo ou dans les dossiers payants. Il ne faut pas compter ses heures, quitte à se tenir prêt à travailler entre deux séances ou même depuis sa voiture, dixit Célia. Elle «  adore justement le fait que ça soit toujours différent, qu’on bouge tout le temps. » En effet, un jour elle peut se déplacer à Namur pour une chambre du conseil, un autre à Nivelles ou à Wavre pour des affaires d’aide juridique.

On peut être dans le métier depuis de nombreuses années et continuer à traiter avec attention des dossiers d’aide juridique. C’est le cas de Philippe Leloup, avocat depuis 1984 au barreau de Namur. En 34 ans de métier, il a vu de nombreux changements se mettre en place au niveau de la charge de travail donnée aux avocats pro deo. Cela ne l’a jamais démotivé de pratiquer l’aide juridique, bien au contraire. Philippe reçoit de nombreux clients qui n’ont pas les moyens de payer ses services, dans son cabinet parsemé de peluches et de décorations en tout genre. Il exerce son métier en conservant toujours un peu de son âme d’enfant.

Plusieurs piles de dossiers rouges et orange dans le bureau d’un avocat qui fait du pro deo à Namur. Une cheminée dans le fond. Une peluche dinosaure parmi les dossiers.
Peluche dinosaure parmi des piles de dossiers posées au sol dans le cabinet de Maître Philippe Leloup, à Namur
Photo d’Elise Jeannelle

Aloys Muberanziza est avocat au barreau de Bruxelles depuis 2008. Plus de 75 % des affaires qu’il traite relèvent de l’aide juridique. Pour lui, c’est un travail de passion mais aussi, comme il le rappelle, un devoir : « Si vous avez une large clientèle, parmi les étrangers, vous ne pouvez pas leur demander de payer vos services parce qu’ils n’ont pas suffisamment d’argent. »

Rémunération : « peut mieux faire ! »
Photo d'Elise Jeannelle

Le budget alloué à l’aide juridique de deuxième ligne est une enveloppe fermée. Par conséquent, plus le nombre de prestations accumulées est important, plus les indemnités des avocats pro deo sont faibles. La valeur du point fluctue chaque année, même s’il existe une volonté de maintenir sa stabilité.

Ce dispositif soulève plusieurs problématiques. D’abord, les avocats ne sont payés qu’une fois par an. Il faut donc comprendre qu’entre l’ouverture, la fermeture d’un dossier et le rapport de clôture, il s’écoule plus d’une année. « Je ne connais aucun [autre] pays au monde où les avocats acceptent d’être payés un an après », affirme Cédric Dionso, président du BAJ de Bruxelles. La valeur-surprise du point peut également être source d’angoisse. Enfin, le système ne prend pas suffisamment en compte, selon certains avocats, la charge administrative inhérente à la réforme. À ce jour, il propose des frais administratifs à hauteur de 20 % des indemnités reçues pour chaque dossier. Néanmoins, l’avocat s’expose à travailler gratuitement si, après analyse de toutes les pièces, un justiciable ne remplit finalement pas les conditions d’accès à ses services.

Il y a des dossiers dans lesquels on aura plus travaillé que les points encodés. Il y aura des dossiers dans lesquels on aura moins travaillé […] ça s’équilibre. C’est quand même un système qui est efficace et, à mon sens, qui est juste.
Célia Dierick, avocate au barreau de Nivelles

Bureau d’un avocat de Namur qui fait du pro deo. Nombreuses piles de dossiers rouges et orange, sous-main rouge, lampe de bureau allumée.
Bureau de Maître Philippe Leloup
Photo d’Elise Jeannelle

« Il y a des problèmes d’ordre financiers lorsque l’on travaille en tant que pro deo mais, sans pour autant s’enrichir, on peut faire vivre sa famille. » Dans ces quelques mots, Aloys Muberanziza reflète un peu le sentiment général qui se dégage de l’aide juridique. En théorie, une heure de travail équivaut aujourd’hui plus ou moins à un point, qui équivaut lui-même à 75 euros. Il est cependant difficile de calculer les heures prestées par un avocat, qu’il soit ou non pro deo. Souvent, une partie de la charge de travail n’est pas comptabilisée. Pour Serge Mascart, directeur du BAJ de Liège, « 75 euros bruts, ça reste quelque chose qu’on ne peut pas qualifier de rémunération mais d’indemnisation. L’objectif est de continuer à lutter pour que cette indemnisation se mue en une rémunération. » Par comparaison, dès la fin de son stage, un jeune avocat peut s’attendre à un salaire horaire de 90 euros.

Cette équivalence horaire n’a pas toujours existé. L’évolution des indemnités des avocats pro deo ces trois dernières années s’explique en deux temps. D’abord, en 2016, la nomenclature (le système qui permet de transposer leurs prestations en points) a été divisée environ par trois : une procédure qui valait trois points n’en vaut aujourd’hui plus qu’un. Ensuite, grâce à une hausse budgétaire de quatorze millions d’euros en 2018, le point qui valait environ 25 euros est passé à 75 euros.

Durant plus d’un an, les avocats pro deo ont vécu dans l’incertitude. Sans l’augmentation du point, ce changement de nomenclature aurait été dévastateur pour leur métier.

Quand la réforme est entrée en vigueur, certains se sont dit : « Comme je ne sais pas à combien sera valorisé le point, je me désengage ». […] Savoir si ces égarés de l’aide juridique sont revenus dans le troupeau est un peu difficile.
Serge Mascart, directeur du BAJ de Liège

L’objectif de cette hausse budgétaire était d’améliorer considérablement les conditions de vie des avocats d’aide juridique de deuxième ligne. Cependant, elle n’est pas ressentie au sein de l’aide juridique. Cédric Dionso explique : « Avant, une procédure d’asile était payée à hauteur de 25 points. Le point était égal à 25 euros donc l’avocat gagnait 625 euros. Avec la nouvelle nomenclature, elle est payée 9 points mais le point vaut 75 euros. L’avocat gagne 675 euros. […] Le ministre a fait une communication qui l’avantage en disant que les avocats gagnent mieux. Il n’en est rien, on est plus dans la stabilisation. »

Aujourd’hui, trois ans après la réforme, la rémunération des avocats pro deo a donc été stabilisée, à défaut d’être réellement augmentée. Néanmoins, certaines matières se disent lésées par la nouvelle nomenclature, c’est le cas en droit des étrangers. « Il est clair qu’un avocat spécialisé dans le droit des étrangers va gagner moins que la section famille et celle-ci va considérer qu’elle est moins payée que la section jeunesse  », confirme Serge Mascart. L’objectif était pourtant clair : adapter le système aux réalités sociétales. Pour Philippe Leloup, avocat au barreau de Namur, cela s’explique sans doute par les excès qui ont secoué ce domaine dans le passé.

Pour 2019, le budget a été renouvelé, malgré un contexte particulier : celui des affaires courantes, gérées par un gouvernement démissionnaire. Qu’en est-il de l’avenir ? « Le système est perfectible mais il y a déjà un bon chemin qui a été parcouru » affirme Cédric Dionso.

Le cas de Bruxelles

La valeur du point étant identique pour tous les avocats d’aide juridique de deuxième ligne, elle ne prend pas en compte le niveau de vie plus élevé (loyer du cabinet, par exemple) auquel doivent faire face les avocats bruxellois. Ceci explique le sentiment de difficultés financières qui semble peser davantage sur ceux-ci. Ensuite, dû aux nombreux dossiers qu’il doit traiter, le BAJ de Bruxelles est le seul dont les frais de fonctionnement ne suffisaient pas à le financer entièrement, jusqu’en 2018. « Avec l’ancien système, on recevait 900.000€ […] Le barreau de Bruxelles, par solidarité, finançait le solde pour qu’on puisse fonctionner. La réforme a fait en sorte que les frais de fonctionnement passent à 1,3 million » explique Cédric Dionso, président du BAJ de Bruxelles

Des idées pour l’avenir de l’aide juridique
Photo d'Elise Jeannelle

L’automatisation des demandes d’accès est l’une des premières préoccupations dans l’aide juridique. Cela faciliterait la démarche des justiciables et éviterait leur découragement face à cette montagne de paperasse qu’ils doivent fournir. Le président du BAJ de Bruxelles, Cédric Dionso, est ferme là-dessus, « C’est à nous d’aller vers ceux qui sont les plus précarisés […] mais ça ne pourra se faire aussi que grâce à l’informatisation. » Il est rejoint sur cette idée par le président du BAJ de Charleroi, Gaël D’Hôtel et le directeur du BAJ de Liège, Serge Mascart. Ce programme informatique permettrait au justiciable, via sa carte d’identité, de donner accès à la banque carrefour de sécurité sociale et à tout document nécessaire pour remplir son dossier auprès d’un avocat pro deo. Le temps de préparer le dossier serait beaucoup plus court et l’avocat pourrait se lancer directement dans l’affaire. Ce sera plus simple pour le justiciable qui n’aura pas à aller chercher ses papiers dans différentes structures.

Nous travaillons avec une population qui est paupérisée, donc leur demander des informations par mails, des documents scannés, c’est plus délicat. Ce sont des obstacles.
Serge Mascart, directeur du BAJ de Liège

Après douze années de pro deo, Tanguy Kelecom constate que les avocats travaillent plus ou moins toujours avec les mêmes personnes, les mêmes mutuelles, le même Service Public Fédéral, etc. L’idée qu’il avance est la suivante : « une adresse e-mail unique, avec un service unique donnant une attestation unique. » Cela permettrait de faciliter la tâche des avocats et ne plus perdre leur temps à la chasse aux papiers administratifs. Ce travail supplémentaire ne permet pas à l’avocat de se pencher directement sur le cas de son client. En conséquence, durant tout ce temps, qui peut durer des mois, l’avocat n’est pas payé. Si cette charge administrative diminue, l’avocat recevra plus rapidement son salaire.

Le président du bureau d’aide juridique de Bruxelles, Cédric Dionso, confie qu’il souhaiterait que le système d’enveloppe fermée soit revu et que l’aide juridique dispose d’un budget ouvert. Cela permettrait aux avocats d’être payés à la mesure réelle de leurs prestations. Avec ce système d’enveloppe fermée, ils clôturent leurs dossiers et sont payés un an après. Ne connaissant pas la future valeur du point, ils ont toujours cette angoisse de la rémunération. Raccourcir cette échéance est également un souhait de Maître Dionso : « En France, ils [les avocats] sont payés trois mois après, c’est déjà mieux. […] C’est à l’État de créer un fond pour avancer de l’argent aux avocats. » Mais, comme le souligne Aloys Muberanziza, la justice belge connaît un problème d’ordre financier qui ne va pas permettre de trouver une solution assez rapidement.

Extérieur du Palais de Justice de Première Instance de Namur. Bâtiment d’extérieur, échafaudage sur la porte principale. Un bout de coupole qui dépasse.
Palais de justice de Première Instance de Namur, extérieur
Photo d’Elise Jeannelle

L’état du Palais de justice et le manque de matériel (chaises, bureaux, locaux…) et de personnel ne permettent pas aux avocats pro deo, et aux avocats en général, de travailler dans de bonnes conditions. Par exemple, plusieurs justices de paix sont menacées de fermer depuis plusieurs années par manque de greffier.

À ces conditions de travail s’ajoute un poids parfois difficile à assumer : le regard des justiciables. Cette perpétuelle croyance que l’avocat pro deo travaille moins bien, qu’il privilégie ses dossiers payants, gangrène le moral. « Ce n’est pas toujours agréable d’exercer un métier qui est déconsidéré », confie Philippe Leloup. Tantôt, les clients sont sur la défensive et ne voient pas l’effort fourni, tantôt ils ne participent ni à l’élaboration, ni à l’avancement de leur dossier. «  Je dirais seulement aux différentes personnes qui font appel à l’aide juridique d’avoir confiance en leur avocat et de s’intéresser à leur dossier », demande Aloys Muberanziza, avocat au barreau de Bruxelles.

Si les justiciables ont bien souvent des préjugés sur les avocats pro deo, cela s’amplifie quand ces derniers viennent de débuter. Les clients pensent qu’ils seront moins bien défendus par un tout jeune avocat, que par un avocat qui a de longues années d’expérience. « Qu’un avocat intervienne quand il a deux ans de barreau ou quand il a vingt-cinq ans de barreau, a priori il va rendre le même service avec la même détermination […] Je dis ça parce que très souvent, dans le cadre de l’aide juridique, on se retrouve avec des confrères plus jeunes », rappelle Philippe Leloup.

Une salle d’attente dans un cabinet d’avocat à Namur. Mur blanc, orange et rouge. Deux chaises noires contre le mur orange. Peluches contre un radiateur et sur le rebord d’une fenetre, à droite de la photo. Peluche Le Chat, un chien, un castor et le poisson Dory. A gauche de la photo, à côté des chaises, une table rouge avec des magazines dessus.
Salle d’attente du cabinet de Maître Philippe Leloup
Photo d’Elise Jeannelle

L’accès à la justice aux personnes démunies est le fondement même de l’aide juridique. C’est pourquoi les présidents du BAJ de Bruxelles et Charleroi, ainsi que le directeur de Liège, souhaitent garantir son ouverture à tous les justiciables qui en bénéficient. Pourtant, certaines personnes demeurent « en marge de la société ». À Liège par exemple, une cellule d’aide sociale pour les SDF est en projet. À Charleroi, d’autres projets sont également en cours d’élaboration. L’objectif est d’informer correctement les justiciables des procédures à suivre afin qu’ils reçoivent plus facilement l’aide dont ils ont besoin. « Il faut qu’on se mette en mesure de pouvoir accueillir toutes ces personnes-là et de pouvoir aussi leur faciliter le travail […] On échoue si elles ne viennent pas faire une demande parce qu’elles se disent découragées », explique Serge Mascart.

Les acteurs de l’aide juridique ont mis du temps à s’adapter à la réforme de 2016 mais, petit à petit, ils reprennent leurs marques. « Une réforme telle qu’on vient de la connaitre, on ne risque pas d’en avoir une dans les cinq prochaines années. Je pense qu’on a « pérennisé » le secteur par rapport à certaines craintes des avocats, à nous de l’améliorer au quotidien », conclut Serge Mascart.

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