La justice au secours de la planète

Panser la Justice

La justice au secours de la planète

Alors que l’urgence climatique se précise pour notre planète, des citoyens du monde entier n’hésitent pas à s’emparer des tribunaux pour faire pression sur les gouvernements.

La justice au secours de la planète

Alors que l’urgence climatique se précise pour notre planète, des citoyens du monde entier n’hésitent pas à s’emparer des tribunaux pour faire pression sur les gouvernements.

Aline Bué, Jad El Nakadi, Gaëtan Tchnit Perez et Camille Vernin
Face à des politiques qu’ils jugent inefficaces, des citoyens du monde entier ont décidé de faire pression grâce à la justice pour lutter contre le réchauffement climatique. Ils vivent au Pakistan, en Colombie, aux États-Unis, aux Pays-Bas ou en France. Ils ont décidé d’attaquer leur État pour inaction climatique. Ces citoyens vivent aussi en Belgique. Leur lutte porte un nom : « Klimaatzaak, l’Affaire Climat ».
Quand le climat entre au tribunal
Photo d'Aline Bué

Nous étions onze copains aux parcours très différents, mais tous portés par le même désir d’agir pour le climat. Nous avons longtemps réfléchi à ce que nous pouvions faire. Nous avons finalement créé l’Affaire Climat.
Johan Van Den Bosch, cofondateur de l’Affaire Climat.

Au volant de sa petite voiture électrique, Johan Van Den Bosch nous conduit dans le parc national de la Haute Campine. Construit sur un ancien site minier du Limbourg, cette réserve naturelle de plusieurs milliers d’hectares accueille quelques 7.000 espèces d’animaux et de végétaux. « 50 % de la bruyère a brûlé à cause de la sécheresse l’été dernier, normalement c’est couvert de fleurs ici », nous confie Johan en pointant du doigt une large étendue de végétation calcinée.

Au même moment, 12.000 jeunes manifestent pour le climat à Bruxelles, Anvers, Dinant, Malines ou Liège.

Johan Van Den Bosch est biologiste, il coordonne l’équipe chargée de préserver la biodiversité du parc. Il est surtout l’un des fondateurs de l’Affaire Climat. Cette association, fondée il y a cinq ans, a décidé de poursuivre en justice les autorités belges. Ses onze fondateurs reprochent à l’État fédéral et aux Régions bruxelloise, wallonne et flamande leur manque de coordination et leur négligence en termes de politique climatique. Elle est aujourd’hui soutenue par plus de 55.600 co-plaignants.

« Le réchauffement climatique a un effet dévastateur sur notre biodiversité. On peut essayer d’y pallier en créant des parcs et des zones naturelles comme nous le faisons. Malheureusement, notre environnement change beaucoup trop rapidement pour que l’écosystème ait le temps de s’y adapter », déplore Johan Van Den Bosch.

L’association réclame que les mesures nécessaires soient prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre belges d’au moins 40 % d’ici à 2020 et d’au moins 80 % d’ici à 2050. Cela afin d’éviter une augmentation des températures supérieures à 2ºC.

Depuis la fin du 19e siècle, la température moyenne de la Terre a augmenté de 0,85ºC. Selon les scientifiques, une augmentation de plus de 2ºC constitue le seuil au-delà duquel nous risquons d’assister à des changements climatiques dangereux, voire catastrophiques (inondations, ouragans, montées des eaux, etc.). Pour éviter cette hausse de 2ºC, les scientifiques ont déterminé que, dans les pays développés, une réduction de 25 à 40 % des gaz à effet de serre est nécessaire pour 2020. À l’issue de la 21e conférence sur le climat qui se déroulait à Paris en 2016 (COP 21), la Belgique s’est engagée à diminuer son taux de CO2 de 15 % pour 2020. D’après un rapport du Groupe d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), la Belgique serait actuellement autour d’une réduction de 6 à 7 %.

Ignace Schops est vice-président de l’Affaire Climat et travaille lui aussi au parc de la Haute Campine, en tant que directeur. Selon lui : « La Belgique fait beaucoup trop peu pour contrer les risques qui découlent du changement climatique. Alors, nous avons décidé d’exiger ces mesures à travers un procès. »

Cet activiste belge au parcours prestigieux s’investit depuis plus de vingt ans dans la protection de l’environnement. En 2008, il reçoit le Prix Goldman pour l’environnement pour avoir créé la première et la plus grande réserve naturelle de Belgique. Il devient ensuite ambassadeur pour Al Gore, ancien vice-président des États-Unis et prix Nobel de la paix pour son engagement dans la lutte contre les changements climatiques. Ignace Schops se charge alors de médiatiser les enjeux du changement climatique et de développer des solutions pour lutter contre celui-ci. « Je mettais toute mon énergie dans la lutte contre le changement climatique, mais je sentais que ce n’était pas suffisant. »

À travers ce procès, l’association veut passer à la vitesse supérieure. En 2012, les fondateurs rencontrent l’avocat Roger Cox. Ce dernier est alors engagé dans un procès similaire aux Pays-Bas. L’association Urgenda avait décidé d’attaquer l’État néerlandais pour son manque d’ambition climatique. Le 24 juin 2015, la justice des Pays-Bas donnera raison à l’association. Un jugement confirmé par la Cour d’appel de La Haye en octobre dernier. L’État néerlandais n’en faisait pas assez pour protéger ses citoyens contre le changement climatique. Cela constituait une violation des droits de l’homme selon la Cour.

« Roger Cox nous a apporté son expérience dans ce type de procès », précise Johan Van Den Bosch. Mais son soutien ne suffit pas : il faut trouver des avocats. Opter pour le pro deo est impossible, étant donné l’ampleur du travail.

Je mettais toute mon énergie dans la lutte contre le changement climatique, mais je sentais que ça n’était pas suffisant.
Ignace Schops, cofondateur de l’Affaire Climat.

« Nous avons finalement trouvé des avocats qui acceptaient de nous faire un prix d’ami. » Le bureau d’avocats Equal Partners a été mandaté pour représenter l’association. Ce cabinet est spécialisé dans les questions environnementales et engagé dans la recherche de solutions durables. Il a accepté de travailler à tarif réduit afin de soutenir l’affaire. En effet, la recherche de financement demeure l’un des principaux enjeux pour l’association. Ce problème a été renforcé par le retard pris par l’affaire : trois ans au total.

La raison de ce retard trouve ses racines dans des questions communautaires. En Belgique, la législation linguistique impose que la procédure soit introduite dans une langue. L’affaire a été introduite à Bruxelles où trois des quatre parties défenderesses (l’État belge, la Région bruxelloise et la Région flamande) ont leur siège. Dans la Région de Bruxelles-Capitale, la procédure peut être introduite en français ou en néerlandais. Mais comme la quatrième partie défenderesse (la Région wallonne) possède son siège dans une région d’expression française, c’est donc le français qui a dû être retenu. Le tribunal compétent est par conséquent le tribunal de première instance francophone de Bruxelles.

La Région flamande a pourtant décidé de faire appel pour que le procès se déroule en néerlandais. Cette demande a d’abord été rejetée par le tribunal de première instance, puis par le tribunal d’arrondissement et finalement par la Cour de cassation. Ces recours successifs ont retardé le procès de trois ans.

Ignace Schops y voit une stratégie : « Les gouvernements ont vite compris que nous étions une organisation sans moyens propres et qu’une procédure telle que celle-ci pouvait durer longtemps. Alors, ils ont freiné l’affaire. Ils se sont dit que plus longtemps ça durerait, plus ce serait difficile pour nous de continuer. »

Cette question réglée, le débat sur le fond peut maintenant commencer. Les autorités et l’Affaire Climat échangent actuellement leurs conclusions avant les plaidoiries et le prononcé du juge.

Les ONG en ligne de front

Cette affaire met en exergue la façon dont les autorités sont désormais appelées à rendre des comptes et pas seulement sur des questions climatiques. C’est la santé de l’environnement dans son ensemble qui est scrutée par les citoyens, mais aussi par les ONG. Un nombre croissant d’entre elles engage des actions en justice contre les gouvernements belges.

Cette tendance a été facilitée depuis 2013, lorsque la cour de justice a décidé d’abandonner une jurisprudence qui restreignait l’accès à la justice aux ONG. Celle-ci considérait en effet comme irrecevable le dépôt d’une plainte groupée. Seul l’intérêt individuel à agir était considéré comme légitime. Les ONG devaient dès lors trouver des particuliers directement impactés pour prouver leur intérêt à agir.

La fin de cette jurisprudence restrictive a entraîné une augmentation du nombre de procès portés par les ONG, en témoignent les poursuites récemment menées par Greenpeace à l’encontre des gouvernements flamand et wallon. En cause cette fois ? La qualité de l’air.

La Belgique est l’une des régions les plus polluées d’Europe. Cela se voit même depuis l’espace. Les satellites de l’Agence spatiale européenne (ESA) ont scanné les différents polluants présents dans l’air et la Belgique est clairement dans le rouge.

Une directive européenne de 2008 impose aux États membres de mesurer la qualité de l’air ambiant afin de s’assurer qu’elle ne dépasse pas un certain seuil. Le problème en Wallonie, selon Greenpeace, est que les stations de mesure ne seraient pas situées aux bons endroits.

« On les trouve en zones péri-urbaines ou en campagnes », déplore Élodie Mertz, experte qualité de l’air et mobilité pour Greenpeace. « On obtient donc des mesures qui ne sont pas du tout représentatives de la pollution réelle de l’air en centre-ville, car elles ne tiennent pas compte de l’impact du trafic. Or, on sait que ce sont les voitures diesel qui émettent le plus de dioxyde d’azote. Sans parler de l’effet des canyons urbains. »
canyon urbain
Un « canyon urbain » rue de la Loi : la pollution a tendance à stagner dans les rues étroites bordées de bâtiments élevés.

En Flandre, le juge a donné raison à Greenpeace : la Région dispose d’un an pour proposer un plan ambitieux si elle ne veut pas payer des astreintes de 1.000 euros par jour de retard, avec un maximum de cinq millions d’euros. Quant à la Wallonie, l’affaire est pour l’instant en suspens. Le juge a décidé d’attendre la décision de la cour de justice de l’Union Européenne sur un litige similaire en Région bruxelloise avant de se prononcer.

L’organisation de protection de l’environnement ClientEarth et cinq citoyens ont en effet décidé d’introduire eux aussi une plainte concernant les mesures de pollution de l’air, contre la Région bruxelloise cette fois. L’ONG agit à l’international. Elle a récemment remporté sa troisième action en justice contre le gouvernement du Royaume-Uni, accusé de ne pas lutter assez efficacement contre la pollution de l’air illégale et nocive du pays.

Les citoyens et ONG se mobilisent dans les rues et maintenant dans les tribunaux. Mais comment prouver la responsabilité de l’État en tant qu’avocat ?

Quand le climat entre au tribunal
Photo de Jâd El Nakadi

Durant ce procès, nous espérons que les faits puissent être énoncés sans être dénaturés par laspect émotionnel. Il ne sagit plus de débattre de lexistence ou non du réchauffement climatique. Lobligation des juges et des avocats consistera à citer les faits et seulement les faits.
Johan Van Den Bosch

Jamais, au cours de son histoire, la Belgique n’a connu un procès de ce genre. C’est la première fois qu’une association poursuit en justice l’ensemble des gouvernements belges au nom de la justice climatique. L’enjeu pour les avocats consistera à démontrer la responsabilité de l’État dans le réchauffement climatique. Pour cela, il s’agira d’adapter une très vieille règle du Code civil dans un contexte tout à fait actuel : « Qui cause un dommage à autrui a l’obligation de le réparer. »

Ici, le manquement de l’État consiste en l’absence de prise de mesures suffisantes pour contrer le réchauffement climatique. Ce manquement aurait pour conséquence de faire subir à l’ensemble des citoyens les dommages provoqués par ce réchauffement.

Toutefois, il sera difficile d’établir ce lien de causalité. « Il y a des pays où lon voit très clairement les conséquences du réchauffement. En Belgique, nous sommes davantage privilégiés, nous ne subissons pas dinondations, ni douragans exceptionnels, ni de montées des eaux comme dans certains pays », déclare Maître Eric Gillet, l’un des avocats d’Equal Partners mandatés pour représenter l’association.

Les avocats vont donc devoir s’appuyer sur le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). D’après lui, la plupart des individus et surtout les jeunes générations, auront un jour à subir dans leur vie des dommages importants si le réchauffement climatique se poursuit. « On peut donc attaquer les autorités publiques en invoquant le fait qu’elles ne prennent pas les mesures préventives nécessaires pour éviter les dommages qui découleront du réchauffement climatique. »

avocat environnement
Maître Eric Gillet, avocat de l’Affaire Climat

Maître Gillet précise également que la protection des droits de l’Homme sera une approche très importante : le droit à la vie privée, le droit au logement, le droit à la santé notamment. Tous ces droits fondamentaux ne peuvent être respectés que dans le contexte d’un environnement sain, qui est d’ailleurs un droit garanti par la Constitution. Rappelons que ces arguments avaient été considérés comme recevables par la cour d’appel de La Haye dans le cadre du procès Urgenda aux Pays-Bas.

On a perdu trois ans à cause d’une discussion à la belge sur la langue de la procédure.
Maître Gillet, avocat de l’Affaire Climat

Il y a aussi les engagements pris par la Belgique au niveau international, notamment au moment de la conférence pour le climat organisée à Paris en 2016. « Il sagira de confronter les autorités publiques à leurs propres engagements. Le but étant que le tribunal les contraigne à adopter un plan de mesures qui permet de respecter les engagements pris lors de la COP 21. »

Si le plan proposé par l’État est considéré comme insuffisant par le juge, la Belgique sera contrainte de payer une astreinte. Ces dernières pourraient aller jusqu’à 10.000 euros par jour de retard, soit plus de trois millions par an. Cette somme sera mise à disposition d’associations et de projets impliqués dans la transition écologique en Belgique.

Néanmoins, nous n’en sommes pas encore là. Les deux parties échangent encore leurs arguments. L’État et les Régions viennent de remettre leurs conclusions fin janvier.

« Des conclusions basées sur une citation datant déjà de 2016 », déplore Maître Gillet. « On a perdu trois ans à cause dune discussion à la belge sur la langue de la procédure. Sans cela, il est évident quon aurait déjà un jugement en première instance. »

Le fédéralisme belge est un paramètre important dans ce type de procès. Il implique une répartition des compétences entre les différents pouvoirs et donc des politiques différentes en matière d’environnement. Pourtant, la lutte contre le réchauffement apparaît de plus en plus comme une question transversale.

Le caractère inédit de ces procès impose surtout aux avocats de faire preuve de créativité et d’audace dans la relecture du droit. Un défi que devront également relever les juges, plus que jamais sollicités dans ce type d’affaire.

Les juges au banc d'essai
Photo d'Aline Bué

En Belgique, le principe de séparation des pouvoirs dispose que le pouvoir judiciaire ne peut empiéter sur le pouvoir exécutif. Le juge ne peut en aucun cas prescrire au gouvernement belge ce qu’il doit faire. Tout jugement qui violerait ce principe serait automatiquement cassé par la Cour de cassation.

Dès lors, quelle est la marge de manœuvre du juge dans ce type d’affaire ? Luc Lavrysen, juge à la Cour constitutionnelle, précise : « Sil est prouvé que les autorités ont fait preuve dun manquement par rapport aux exigences internationales, le juge pourra leur imposer de lui présenter un plan plus ambitieux, mais il ne pourra pas décider du contenu de ce plan.  »

En effet, lorsque la Belgique s’est engagée à réaliser les objectifs prévus par l’accord de Paris, elle a engagé dans le même temps sa responsabilité. Elle peut donc être poursuivie en cas de non-respect de ces objectifs. Pour rappel, il s’agit d’une diminution de ses émissions de CO2 de 15 % afin d’éviter une augmentation de 2ºC préjudiciable à la planète.

Un juge généraliste peut soccuper dun divorce un jour et se charger de questions environnementales complexes le lendemain. Il va souvent perdre beaucoup de temps à comprendre laffaire.
Luc Lavrysen, juge à la Cour constitutionnelle.

Malgré la séparation des pouvoirs, le juge possède donc une certaine influence sur le pouvoir exécutif puisqu’il peut le contraindre de lui présenter un nouveau plan dans un délai imparti. Si ce délai n’est pas respecté ou que le plan n’est pas considéré comme suffisant, le juge peut prévoir une astreinte par jour de retard comme moyen de pression.

Au-delà de la question de la condamnation, les juges doivent faire face à plusieurs enjeux de taille. Luc Lavrysen pointe notamment du doigt le manque de spécialisation des juges en ce qui concerne le droit de l’environnement : « Un juge généraliste peut s’occuper d’un divorce un jour et se charger de questions environnementales complexes le lendemain. Il va souvent perdre beaucoup de temps à comprendre l’affaire. »  D’autant plus qu’une spécialisation est déjà reconnue du côté des avocats. Le juge peut donc se retrouver face à des avocats avec plus d’expertise que lui sur la question.

Le fédéralisme semble cependant rester l’obstacle principal à un deuxième Urgenda. « Les termes de la discussion en Belgique sont les mêmes quaux Pays-Bas, mais il y a une complication supplémentaire à cause du fédéralisme. Aux Pays-Bas, cest lÉtat qui est déclaré responsable pour toute la politique menée. Ici, la responsabilité est partagée entre les Régions et le Fédéral sur base dune répartition exclusive. Cela complique grandement les choses », explique Luc Lavrysen.

Les différents ministres de l’Environnement ont préféré de ne pas s’exprimer sur l’affaire tant que le procès est en cours. Céline Fremault, ministre de l’Environnement de la Région de Bruxelles-Capitale, a déclaré : « Nous ne comptons nullement contester le bien-fondé des arguments soulevés par l’Affaire Climat ni par les nombreux manifestants. »

La ministre précise cependant les mesures déjà prises par la Région bruxelloise pour réduire les émissions de gaz à effet de serre sur son territoire. Elle cite notamment la décision de la Région d’appuyer un rehaussement des engagements de réduction des émissions de l’Union européenne de -40 % à -55 % (au lieu des -15 % pour 2020 prévus initialement par l’UE). Cela afin de se montrer cohérente avec les objectifs de l’accord de Paris et les enseignements du GIEC et de faire preuve de leadership au niveau mondial.

L’Affaire Climat, à l’époque, j’ai trouvé ça exagéré. Mais ça m’a permis de faire pression sur mes collègues en disant : vous voyez qu’il faut agir.
Paul Furlan, ancien ministre en charge du climat

Elle relève également la situation particulière de la Région bruxelloise. Celle-ci se distingue par son caractère essentiellement urbain et par la densité de sa population. « Le principal secteur émetteur de gaz à effet de serre à Bruxelles est celui du bâtiment, surtout à cause du chauffage. Et puis, il y a les transports. De nombreux emplois sont occupés par des personnes extérieures à la Région de Bruxelles-Capitale donc beaucoup de navettes traversent la Région tous les jours. Le problème, c’est que les mesures qui permettraient de diminuer l’impact de ces navetteurs sur les émissions de la Région ne relèvent pas des compétences de la Région bruxelloise (mise en place du RER, création de parkings de dissuasion dans les autres régions, etc.). La fiscalité des voitures de société échappe également à ses compétences. »

Il y a un manque d’efficacité dénoncé par l’ancien ministre wallon de l’Énergie, Paul Furlan, alors en charge du climat lorsque la plainte a été déposée. «  La matière climat est régionalisée. C’est une matière complexe qu’on a décidé d’éclater entre les régions et le fédéral. Le ministre du Climat doit assumer une compétence transversale qui n’est pas des plus simples. Il faut absolument améliorer la gouvernance climatique en Belgique. Je pense, par exemple, qu’il faudrait re-fédéraliser la compétence climat. »

À la question de savoir si l’action en justice portée par l’Affaire Climat est légitime, Paul Furlan répond : « À l’époque, j’ai trouvé ça exagéré, mais ça m’a permis de faire pression sur mes collègues en disant : vous voyez qu’il faut agir. »

Une proposition de loi intitulée Loi Climat a été déposée par un groupe d’universitaires et par différents partis de la majorité et de l’opposition. Elle propose, entre autres, de rationaliser les politiques climatiques en créant une meilleure coordination entre les différents niveaux de pouvoir du pays. La Loi Climat propose donc de créer une agence interfédérale pour le climat et des conférences interministérielles des différentes autorités fédérales, régionales et communautaires pour coordonner les politiques climatiques. Le but ? Assurer une cohérence et une complémentarité des décisions pour une politique plus efficace.

Aujourd’hui, la Loi Climat semble enterrée. Elle ne sera pas adoptée durant cette législature, c’est-à-dire jusqu’au 26 mai prochain. L’adoption de cette loi impliquait une révision de l’article 7 bis, ce qu’a refusé la commission parlementaire de révision de la Constitution. Le MR a estimé qu’ouvrir la révision de la Constitution revenait à ouvrir « la boîte de Pandore  » communautaire.

L’article 7 bis de la Constitution postule : « Dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les communautés et les régions poursuivent les objectifs d’un développement durable, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale, en tenant compte de la solidarité entre les générations.  »

Cette Loi climat est qualifiée de spéciale, c’est-à-dire qu’elle doit obtenir une majorité spéciale des deux tiers au Parlement. Or, le MR, le CD&V, l’Open-VLD et la NVA ont exprimé leur refus. Certains blâment Ecolo d’avoir tenté de faire passer une loi qui avait peu de chance d’aboutir pour tirer la couverture à lui. D’autres reprochent aux partis réfractaires à cette proposition de loi de refuser de faire gagner l’adversaire.

La justice peut-elle sauver la planète?
Photo de Jâd El Nakadi

Le recours à la Justice peut-il être réellement efficace pour la sauvegarde de la planète ou n’est-il que symbolique ?

Les multiples procès intentés contre les États en Europe et dans le monde ont suscité beaucoup d’articles et de débats. Ils ont également contribué à la conscientisation croissante des enjeux environnementaux au même titre que les marches pour le climat, les campagnes des ONG ou les publications de rapports scientifiques de plus en plus alarmants.

Parmi les ONG, juges, avocats et citoyens directement impliqués, tous s’accordent sur le rôle symbolique que la justice peut jouer dans la lutte pour le climat.

Jespère que les États finiront par mesurer lenjeu et prendront les mesures quil faut de leur propre initiative. Le recours à la justice nest quun pis-aller.
Maître Eric Gillet

Mais ce n’est pas son seul rôle. Elle peut aussi constituer un levier fort, un vrai moyen de pression sur les politiques. En Australie, la cour de Nouvelle-Galles du Sud a rejeté un projet de mine de charbon malgré de lourdes conséquences économiques pour l’industrie minière. Au Pakistan, une « Commission sur le Changement climatique » a été imposée par le juge pour surveiller les politiques nationales en matière de climat.

Parallèlement, les contentieux climatiques font vivre le droit. Ils placent les juges face à des procès nouveaux, des règles de droit inédites, une jurisprudence en construction.

Mais l’enjeu reste d’abord politique, comme en témoignent les propos révélateurs de Maître Gillet, avocat dans l’Affaire climat : « J’espère que la justice n’est pas le dernier recours pour sauver le climat et l’environnement. J’espère que les États finiront par mesurer l’enjeu et prendront les mesures qu’il faut de leur propre initiative. Le recours à la justice n’est qu’un pis-aller. »

Si l’État est attaqué, c’est parce qu’il est en mesure de prendre des décisions contraignantes ou fortement incitatives quant aux comportements que les gens doivent adopter.

Mais il serait trop facile de pointer uniquement l’État du doigt. Maître Damien Jans, avocat et professeur en droit de l’environnement, insiste sur le partage des responsabilités. « Le véritable combat contre les changements climatiques repose sur des politiques volontaristes soutenues par un électorat sensibilisé et convaincu de lurgence dagir. Cest nous qui devrons faire savoir que les politiques nont pas à craindre de changer notre quotidien pour des raisons climatiques. Si les politiques ne veulent pas agir, cest que les citoyens eux-mêmes ne le veulent pas vraiment. Beaucoup ne sont pas prêts à changer leurs habitudes, cest au voisin de faire un effort. »

Le problème des lobbies et de la concurrence des entreprises est un autre obstacle majeur qui pèse sur les politiques. La justice a donc un rôle important à jouer, mais elle ne s’en sortira pas seule. En ce qui concerne l’Affaire Climat, le dénouement du procès devrait avoir lieu en automne 2020.

 

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