1,05 million de personnes sont déjà atteintes du diabète de type 2 en Belgique. Parmi elles, un tiers ignore avoir contracté la maladie. Le nombre de cas ne cesse d’augmenter, notamment chez les personnes plus précaires et les rares actions de prévention ne suffisent pas.
Stylo autopiqueur, capteur de glycémie, stylo à insuline, sucre, languette blanche, voilà le matériel rangé dans la trousse que Mehidi traine toujours derrière lui. Il est 15h32 lorsqu’il mesure son taux de glycémie pour la troisième fois de la journée. "Dès que je ne me sens pas bien, automatiquement je me teste." Il prend son stylo et se pique le bout de son doigt. Il prélève une goutte de sang sur une petite languette blanche et l’insère ensuite dans un capteur qui lui permet de connaître l’état de sa glycémie. "Voilà, je suis à 90 milligrammes de sucre par décilitre de sang. Si je ne mange pas quelque chose de sucré dans les trente minutes, je risque de faire une crise de glycémie. » Mehidi note minutieusement l’heure et sa concentration de glucose dans un carnet qui le suit partout. Il en a déjà rempli sept en l’espace de deux ans depuis qu’il a appris qu’il était atteint du diabète de type 2.
"J’ai déjà eu des crises, mais au début je ne savais pas forcément que c’était à cause du diabète. » Il pense alors à des baisses de tension parce qu’il a sauté des repas. "Est-ce que tu es déjà tombé dans les pommes ou as-tu déjà eu une baisse de tension ? Ce sont à peu près les mêmes symptômes sauf qu’ils sont considérablement augmentés. C’est vraiment désagréable, tu commences à paniquer car ton corps te lâche, d’un instant à l’autre tu perds le contact avec la réalité. Ma voisine m’a déjà retrouvé deux fois inconscient devant ma porte." Mehidi vit seul.
L’épidémie du siècle
Le diabète de type 2 est une maladie chronique incurable, qui se traduit par des symptômes silencieux provoquant une diminution de la sensibilité à l’insuline et un épuisement du pancréas. Considérée comme "l’épidémie du siècle[1] », cette maladie dite de "maturité » apparait progressivement à partir de l’âge de 40 ans. De plus en plus de jeunes sont concernés. En plus des crises, les personnes atteintes s’exposent à un risque de cécité, d’insuffisance rénale, d’accident vasculaire cérébral (AVC) ou encore d’amputation.
Selon le Centre européen d’étude du diabète (EDC), le nombre de diabétiques dans le monde était de 108 millions (diabète de type 1 et de type 2 confondus) en 1980. En 2021, la maladie affectait 537 millions de personnes, parmi lesquelles 90 % étaient diabétiques de type 2. D’ici 2030, l’EDC estime que 643 millions d’êtres humains seront concernés.
En Belgique, d’après les données de belgiqueenbonnesante.be[2]), la prévalence du diabète (type 1 et 2) est de 10 % parmi la population depuis 2020. Ainsi, 1,05 million de Belges sont diabétiques de type 2 (90 % des cas de diabètes). Pour avoir un ordre de comparaison, en 2014, Sciensano estimait que la prévalence du diabète de type 2 était de 640 000 personnes. De ce fait, en l’équivalent de 10 ans, ce ne sont pas moins de 410 000 nouveaux cas qui sont apparus au sein de la population belge.
Dans la capitale, le constat est encore plus alarmant. À Bruxelles, 40 % de la population a plus de 40 ans. Le Réseau santé diabète estime donc qu’un Bruxellois sur quatre de plus de 40 ans est atteint du diabète de type 2, soit plus de 120.000 habitants.
Chez les plus précaires
Les 120.000 Bruxellois atteints par la maladie ne sont pas équitablement répartis dans les communes. On retrouve une forte concentration de diabétiques de type 2 dans le "croissant pauvre » (partie Ouest du pentagone sur les territoires de Bruxelles-ville, des communes de Saint-Josse, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Schaerbeek et Anderlecht).
Cette zone regroupe les communes ayant les revenus totaux nets moyens les plus bas de la Région[3]. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les personnes précarisées voient leurs choix alimentaires limités en raison d’un faible pouvoir d’achat, qui les pousse à consommer des aliments transformés riches en sucre et en graisse. Ces personnes sont également plus vulnérables au stress que peut procurer l’environnement urbain, ce qui favorise la consommation d’alcool et de tabac. 70 % des espaces verts se trouvent en périphérie de la capitale bruxelloise, les habitants du « croissant pauvre » courent donc aussi un risque plus important de mener une vie sédentaire. Toutes ces circonstances contribuent à la propagation du diabète de type 2. Ce sont donc ces raisons qui exposent les Bruxellois précarisés à un risque presque 50 % plus élevé que les plus aisés, de souffrir de diabète de type 2[4].
Malgré cette vulnérabilité accrue, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) constate que dans les quartiers défavorisés de Bruxelles, on retrouve moins de généralistes et de spécialistes, plus de patients sans mutuelle et un taux de mortalité plus élevé pour certaines maladies. D’après l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), en 2020, environ un tiers des Belges ont reporté ou évité des soins de santé pour des raisons financières.
Une angoisse omniprésente
Mehidi doit jongler avec ses quatre à cinq piqûres quotidiennes d’insuline. Le traitement médicamenteux ne suffit plus. Les injections lui permettent de contrôler son taux de glycémie, sans quoi la quantité de sucre qu’il a dans le sang serait trop instable.
Il se pique à hauteur de son nombril. "Certains ont peur de faire un malaise s’ils s’injectent trop d’insuline. On doit être son propre médecin !" Il a dû se contenter des seules indications qu’on lui a données lors de son diagnostic. "Ils m’ont simplement dit : “Vous mettez cinq doigts à droite ou à gauche du nombril et vous vous piquez là” », explique-t-il. Avec le temps, ce protocole devient douloureux. "Avec quatre à cinq piqures par jour, à la longue, ça fait mal et ça devient sensible. Sur deux ans, tu peux imaginer le nombre d’injections."
D’autres tracas s’ajoutent à la charge que lui impose son traitement. "Ce qui est difficile avec cette maladie, c’est qu’il faut sans cesse faire attention à son alimentation." Avant chaque repas, Mehidi doit connaitre son taux d’insuline et le sucre contenu dans les aliments qu’il consomme. En plus de cette rigueur alimentaire, le diabète ne lui facilite pas la tâche sur le marché de l’emploi. "J’ai toujours été restaurateur d’œuvres d’art indépendant et dans ce domaine, tu ne trouves pas facilement du boulot. Depuis que je suis diabétique, c’est encore plus compliqué." Mehidi ne s’en cache pas : il a du mal à joindre les deux bouts. "Quand je paye mon loyer et tout ce qui va avec, je vis avec un budget de 21 euros par jour et avec ça, je dois manger, je dois tout faire. » Il reçoit une aide du CPAS, qui lui permet de bénéficier des transports en commun gratuitement et de médicaments à prix réduit. "Sans le CPAS, je ne sais pas comment j’aurais fait."
Aux yeux de Mehidi, le diabète de type 2 est une « agression journalière ». "Ce n’est pas une maladie anodine, elle change ta perception des choses." Les personnes autour de lui ne se rendent pas souvent compte des problèmes auxquels il est confronté. "C’est vraiment une angoisse. Que je sois bien ou pas bien, je dois cuisiner, je dois aller faire les courses, je dois gérer toutes les questions administratives. »
Une prévention inefficace
Comme pour beaucoup de diabétiques de type 2, Mehidi ne connaissait pas la maladie avant d’en être lui-même atteint. Lorsqu’il l’a découverte, il était abasourdi. "On n’en avait jamais parlé, que ce soit en famille ou bien entre amis." Selon le Réseau santé, plus d’un diabétique de type 2 sur trois ne serait pas au courant qu’il est porteur de cette maladie.
Seule une analyse de sang, à jeun, permet de confirmer la présence d’un diabète. Contrairement aux stratégies de dépistage mises en place pour le cancer du côlon, celui du sein ou encore celui de la prostate, aucune stratégie n’existe réellement concernant le dépistage du diabète de type 2. D’après l’Agence inter mutualiste (AIM) et le Réseau santé diabète, il n’y a pas d’invitation systématique à se faire dépister, ce qui est paradoxal au vu du nombre de diabétiques qui l’apprend par hasard, lors d’une prise de sang de routine.
À Bruxelles, c’est la Commission communautaire française (COCOF) qui gère les compétences en matière de santé. Elle fixe un cadre général au travers, notamment, d’un Plan de promotion de la santé qui vise à sensibiliser les Bruxellois aux comportements sains (favorables à la santé concernant l’alimentation, les activités physiques, la consommation d’alcool et de tabac). Le Réseau santé diabète a été désigné pour promouvoir la santé autour du diabète de type 2. Dans les Marolles, le Réseau organise des ateliers de cuisine et des séances sportives. On retrouve également ce genre d’initiatives à Forest et Saint-Gilles grâce l’asbl Forest quartier santé, à Cureghem avec l’asbl Pissenlit et à Molenbeek grâce l’asbl La rue.
Limitées au niveau du quartier, ces stratégies ne suffisent pas. Les associations déplorent ne pas pouvoir étendre leurs actions. "On a l’impression qu’on ne nous donne pas les moyens d’atteindre nos ambitions. Il faudrait des initiatives à l’échelle de plusieurs quartiers, et même à l’échelle de Bruxelles », indiquent les membres du Réseau santé diabète. "On peut agir sur un ou deux déterminants pour notre quartier. Le problème du diabète de type 2, c’est qu’il englobe des déterminants comme la qualité alimentaire, ce qui nous dépasse. » L’OMS recommande de mettre en place des politiques et des stratégies nationales pour prendre en charge la prévention. En optant pour cette approche holistique, peut-être que la Belgique parviendra-t-elle à faire baisser le nombre de cas sur son territoire ?
La vie continue
Bien que la maladie ne soit pas toujours évidente à gérer, des millions de diabétiques de type 2 continuent de vivre. Dans le groupe Facebook "diabète de type 2 description et recettes, conseil », Riccardo suggère d’avancer un pas à la fois. "Le diabète ne requiert pas un régime, mais un changement de style de vie. C’est difficile de totalement lâcher le sucre du jour au lendemain. Plutôt que de me limiter à 0 sucre, je me permets quelques petites gâteries pendant le mois et mon diabète se porte très bien. »
Pour Cécile, la maladie l’a obligée à reprendre des routines oubliées. "C’est motivant de se réapproprier son image. Parvenir à remplir tous ces petits objectifs, ça me pousse à aller de l’avant. »
"Finalement, conclut Séverine, le diabète, même si c’est difficile à dire, m’a rendu service car il m’a permis de changer. »
[1] "Le diabète, l’épidémie du 21e siècle", Esanum (en ligne).
[2] Site web à l’initiative du gouvernement destiné à sensibiliser le public belge à l’importance de la santé et du bien-être.
[3] Institut bruxellois de statistique et d’analyse (IBSA).
[4] Observatoire de la santé et du social de Bruxelles