Dernier acte : thanatopracteur, un métier nécessaire mais encore tabou

Anne-Laure Dufeal

Photojournalisme

À la morgue de l'hôpital Molière-Longchamps (hôpitaux Iris Sud), où je suis resté trois semaines, les agents ont un rôle bien différent des autres membres de l'hôpital. L'enjeu n'est plus de sauver le corps souffrant mais de lui offrir un dernier soin : effacer toutes traces des conséquences de la mort. Dernier maillon de la chaîne hospitalière, pour l'agent de la morgue, le défunt n'est pas une dépouille anonyme mais un être singulier qu'il faut traiter avec attention.

"Rendre à la famille leur proche", voilà l'essence du travail de Joëlle Hocquet, embaumeuse professionnelle, thanatopracteur et responsable de la coordination des morgues pour les hôpitaux Iris Sud (Etterbeek-Ixelles, Joseph Bracops, et Molière-Longchamps). De l'arrivée du corps, jusqu'à son ultime départ, Joëlle est présente. Les gestes répétés mille et une fois sont empreints d'une tendresse et d'une précaution infinies.

La morgue, hors du temps, est régie par un silence absolu. Parfois, les frigos de la chambre froide grondent comme pour nous rappeler où nous sommes. L'immobilité des longs jours s'interrompt par la sonnerie du téléphone qui signale une arrivée ou un départ : aller chercher le défunt, faire les soins de présentation, apaiser le corps de sa rigidité cadavérique, le conserver au frigo, prendre contact et présenter le corps à la famille, assurer le circuit administratif, mettre en bière* avec les pompes funèbres.

Un métier difficile

Si la plupart des agents en morgue hospitalière choisissent ce métier après une reconversion professionnelle, pour Joëlle, travailler avec les défunts a toujours été une évidence. Petite, elle voulait “maquiller les morts”. Malgré sa fascination pour ce métier, si particulier, travailler à la morgue n'est pas toujours facile : “c'est un métier difficile psychologiquement. J'ai voulu arrêter”. Il y a quelques années, elle troque ses gants et son tablier jaune pour un travail plus conventionnel. Elle obtient en cours du soir, un bachelier en management et rejoint le corps administratif des hôpitaux Iris Sud. Mais Joëlle, n'est pas une femme de convention, plutôt de convictions. Elle décide de revenir à son premier amour, à cette morgue qui la fascine tant. Elle assure que la clé pour faire ce métier "c'est de réussir à couper avec tout ce que l'ont fait une fois que l'on passe la porte". Aujourd'hui, plus qu'hier', elle semble y parvenir.

Toutefois, elle déplore l'élimination du test psychologique qui permet de déterminer si l'on est prêt à exercer ce métier dans les formations pour devenir thanatopracteur aujourd'hui. Alors, en tant que responsable des morgues, elle est attentive au bien-être psychologique de ses agents mortuaires.

Dans son travail, elle ne doit pas uniquement faire face aux affres de la mort, son rapport aux autres est marqué par son activité professionnelle. Consciente de l'étrangeté de son métier, elle préfère ne pas le dévoiler aux inconnus. "Je ne dis pas que je travail à la morgue, comme cela j'évite une curiosité malsaine" confie-telle.

Ce qui reste... une part d'humanité

Au travail, l'agent mortuaire est le seul maître à bord. Son travail n'est pas dicté par la chaîne de commande et la hiérarchie du travail médical. Ce système lui confère une grande liberté, mais sa profession est souvent reléguée au second plan. À l'hopital le travail à la morgue reste tabou, pratiquement aucun agent de l'hôpital ne se rend à la morgue. La division entre la morgue et l'institution hospitalière est apparente comme en témoigne l'organisation de l'espace au sein de l'hôpital. La morgue semble représenter un bâtiment parfaitement autonome. Pourtant, la morgue est une pièce maitresse de l'institution : les différents services gériatriques y envoient leurs patients défunts.

Même si Joëlle Hocquet déplore ce manque de considération, pour elle, les défunts et la famille sont la priorité. Elle n'oublie pas la part humaine de son métier : “j'agis comme si c'était mon père sur la table”. En vingt-neuf ans de carrière, elle refuse de se laisser submerger par l'indifférence. Elle assure que si cela devait arriver, alors, “il serait temps de changer de métier”.