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Dans la peau des agents pénitentiaires bruxellois

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Dans la peau des agents pénitentiaires bruxellois

Dans la peau des agents pénitentiaires bruxellois

Publié le 30-08-2019 par

Après avoir écopés d’une sentence devant un juge, les détenus arrivent parfois en prison. Dans cette dernière, ils sont confrontés aux personnes qui tenteront de leur faire vivre une détention paisible : les agents pénitentiaires. Nous les avons rencontrés, pour comprendre leur quotidien, leur vie dedans et en dehors des prisons, mais aussi les difficultés liées au manque de financement de notre justice belge.

Au coeur d’une prison pour femmes

Il est cinq heures du matin quand les réveils de Valentin et Myriam se mettent à sonner. Après avoir enfilé leurs tenues et bu un café, Valentin prend sa voiture alors que Myriam enchaîne les transports en commun pour se rendre sur leur lieu de travail, la prison B.

Valentin est agent pénitentiaire depuis sept ans. Arrivé par hasard dans ce milieu, il a déjà travaillé dans chacune des prisons bruxelloises. « Depuis le début de ma carrière, je ne me suis jamais pris la tête avec un détenu. Il n’y a que dans mes cauchemars qu’un détenu m’insulte », dit-il en rigolant. Avant de reprendre : « je suis respecté, car je tiens ma parole. C’est la règle principale dans notre métier : quand tu dis quelque chose, tu le fais. Tout se joue aussi dans la façon d’être et dans la manière de dialoguer avec eux. Si tu les respectes, ils te respecteront ».

Aujourd’hui, Valentin travaille entre les murs de l’unique maison d’arrêt pour femmes de Bruxelles, et ce depuis trois ans. Il est six heures quand l’agent commence son service. Première étape, l’appel visuel. « Je passe dans les différentes cellules et vérifie que les détenues sont vivantes ». Valentin est responsable de 30 détenues, dont cinq qui ont chacune un enfant. « Quand une femme est avec son enfant en cellule, la cellule doit rester ouverte, car l’enfant n’est pas punissable. Cependant, on met une petite grille afin que l’enfant ne se balade pas à l’intérieur de la prison. Petit bémol, on a reçu ces grilles deux mois après qu’on les ait demandées, faute de budget ».

Par après, il envoie les détenues, qui travaillent en cuisine, à la douche avant qu’elles ne commencent leur service. « À sept heures, je distribue le petit-déjeuner », continue Valentin. La prison compte différentes sections : la zéro et la une où les cellules sont fermées, et le niveau deux où les cellules sont semi-ouvertes. « La section deux accueille les mamans et les femmes enceintes. Au contraire des autres sections, les détenues mangent ensemble et partagent de nombreux moments », raconte-t-il. Une fois qu’elles ont fini de manger, les détenues retournent en cellule. Il est alors huit heures quand l’agent pénitentiaire emmène les détenues vers leurs différentes tâches. Une fois les travailleuses dispatchées, l’agent fait le tour des cellules pour envoyer les prisonnières restantes au préau, dans les services médicaux, à la bibliothèque, ou encore à la rencontre de leur avocat. « Vers 11 heures, on ramène tout le monde en cellule, et on fait un appel pour voir si tout le monde est bien de retour. Il est déjà arrivé qu’une détenue se cache, et il faut alors bloquer toutes les activités pour la retrouver ». Trente minutes plus tard, le déjeuner est servi.

Agent pénitentiaire, un métier à risque

« Au niveau deux, les détenues mangent ensemble dans un réfectoire. On ne met pas n’importe qui dans cette section, car les femmes sont mélangées entre elles, et c’est d’ailleurs quand elles sont réunies que les bagarres éclatent. Et ça cogne fort ! On est censé séparer les détenues et les mettre en cellule en cas de mêlée, mais nous n’avons même pas d’arme pour nous protéger. De plus, si une détenue n’aime pas votre tête, elle peut vous planter un couteau dans le dos à n’importe quel moment », explique Myriam.

Myriam travaille depuis toujours dans cette prison. Avec plus de dix ans d’expérience, elle s’occupe désormais des portiers, à l’entrée de la prison. « Je commence également mon service à six heures », dit-elle. « Je gère tout ce qui entre et qui sort de la prison : avocats, policiers, fournisseurs, visiteurs, etc. C’est une énorme responsabilité ! Si je laisse entrer quelqu’un alors qu’il a caché une arme dans le coffre de sa voiture, je mets en danger toute la population carcérale. Dans le temps, nous étions toujours deux aux portiers. Maintenant je me retrouve souvent seule, car il y a un manque de personnel. Je dois courir partout ».

Une relation paternelle avec les détenues 

« À 14 heures, il y a un changement d’effectif », reprend Valentin. « La nouvelle équipe d’agents refait un appel pour vérifier celui du matin et par la suite, les détenues ont droit à une deuxième sortie au préau ». Deux heures plus tard, retour aux cellules pour les détenues et distribution du souper. « Les détenues ont aussi droit à passer un coup de fil quotidien », ajoute-t-il. En soirée, les détenues se voient proposer de nombreuses activités : cours de dessin, cours de langue, atelier coiffure, jeux de société, concerts… « Un détenu en Belgique, il a tout sauf la liberté », poursuit Valentin.

La relation avec les femmes n’est pas la même qu’avec des détenus masculins. La violence doit être gérée différemment, ainsi que la présence d’enfants qui nécessite une toute autre prise en charge. Valentin ressent plus ces différences puisqu’il est plus souvent en contact avec les détenues que Myriam. « En tant qu’homme, j’ai appris à gérer mes relations avec ces femmes qui vivent un calvaire. Je dois les comprendre souvent, les apaiser parfois. Une présence masculine leur fait du bien, je pense. Souvent, elles ont connu des relations amoureuses compliquées. Elles se confient à moi, et savent qu’elles peuvent compter sur moi. Elles me considèrent comme un père ».

Sur le coup de 21 heures, les détenues retournent pour la dernière fois de la journée dans leurs cellules respectives. La journée se termine. Toutes ces femmes recommenceront la même journée le lendemain, tout comme pour les agents pénitentiaires.

Des aléas jour après jour
La prison de Forêt

Karim est agent pénitentiaire depuis une dizaine d’années à la prison de Saint-Gilles. Il doit satisfaire les détenus au quotidien, pour ne pas connaitre de troubles. Une situation pas toujours facile à gérer. C’est un travail de longue haleine qu’il a appris au fur et à mesure de ses expériences. Il nous raconte son travail quotidien, mais aussi ce qu’il doit vivre et supporter.

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Des chiffres cachés au fond des cellules
Réunion syndicaliste

1500 ans de congé… Difficile à croire ? C’est pourtant la réalité des agents pénitentiaires. Sur l’ensemble de notre royaume, ce sont 540 000 jours de congé que nos agents n’ont pas eu la possibilité de prendre. La raison est simple: il y a un manque d’agents alors que la surpopulation de nos prisons stagne entre 10% (septembre 2017) et 17% (mai 2017) depuis avril 2017.

Qui dit surpopulation carcérale et manque d’effectif au sein des agents dit aussi être obligé de travailler plus. Les agents cèdent facilement au profit des détenus et au détriment de leur vie privée. « Pour l’ensemble des agents pénitentiaires belges, il y a 540 000 jours de congé à récupérer. À moi seul, j’ai 289 jours de congé que j’ai le droit d’avoir, mais qu’on ne m’a jamais donné. Lorsque j’étais encore agent pénitentiaire, je travaillais alors que j’avais congé parce qu’il n’y avait pas assez de personnel. Je privilégiais la vie carcérale à ma vie privée. Je ne pouvais rien prévoir en famille ou des congés annuels pour partir en vacances », explique Didier Breulheid. 540 000 jours… C’est pratiquement 1500 ans de congé ! Un chiffre hallucinant. Dans des conditions pareilles, il n’est pas compliqué de se mettre à la place de l’agent pénitentiaire pour comprendre les grèves et les revendications qui vont avec.

Derrière la vie d’agent pénitentiaire et de tous ses problèmes quotidiens se cachent d’autres chiffres interpellants qui permettent de comprendre ces mêmes problèmes. En Belgique, en mars 2018 la capacité maximale de détenus dans les prisons était normalement de 9205. Pourtant, cette limite n’est jamais respectée. En avril 2017, il y avait 10758 prisonniers sur l’ensemble du territoire pour une capacité maximale de 9216 places, soit une surpopulation carcérale de 16,7%. En mars 2018, 10369 personnes étaient détenues dans nos prisons, soit une surpopulation de 12,7%. « Même si ce chiffre est en diminution lors des derniers recensements que nous avons effectués, nous ne respectons pas les quotas qui permettraient de travailler dans de bonnes conditions. Dans certaines prisons, il y a parfois 3 détenus par cellule : deux dorment sur des lits superposés, tandis que le troisième doit se contenter d’un matelas à terre, ce qui est pourtant interdit. Dans les prisons bruxelloises, ils ne sont pas plus de 2 par cellule pour l’instant », raconte le délégué permanent du syndicat de la CSC Services publics Didier Breulheid.

Agent pénitentiaire
Infogram

À la prison de Saint-Gilles, un accord prévoit une capacité maximale de 850 détenus, pas un de plus, théoriquement. « Dans la pratique, c’est différent. À la mi-octobre, on a eu un pic à 907 détenus. On a dû avoir un CCB (Comité de Concertation de Base) extraordinaire pour trouver une solution afin de diminuer ce chiffre. Il faut savoir que même si le nombre de détenus augmente, le nombre d’agents reste le même. Si un agent doit gérer 80 détenus, il ne peut pas passer 5 minutes avec chacun. On ne peut donc pas satisfaire toutes leurs demandes », continue Didier Breulheid.

En prison, les détenus ont des droits et les agents doivent leur offrir des services garantis comme des repas de qualité (à moins de 4€ pour 3 repas par jour), un accès pendant une heure à l’extérieur, le contact avec les proches et avec la défense, ou encore le contact avec un représentant de son culte. Aujourd’hui, vu le manque d’agents pénitentiaires, ils n’ont pas les moyens de remplir tous ces services. « On constitue un dossier pour répondre aux droits de l’homme et au respect des conditions de vie humaine », exprime Didier Breulheid.

Des anecdotes inquiétantes

Un seau hygiénique pour la nuit et pour… 80 détenus. Voilà la réalité quotidienne dans laquelle doit vivre la population carcérale de Forest. « Cela pose la question de la dignité humaine. Ce n’est pas le seul exemple. Pour nettoyer les cellules, on doit parfois faire un seul bidon d’eau de Javel par semaine! On divise donc ce bidon dans 10 bouteilles avec lesquelles on doit tenir », confie Karim, agent pénitentiaire à la prison de B. « Lorsqu’on fait grève, tout le monde nous en veut. Au vu des conditions de travail, mais surtout au vu des conditions de détention, les prisonniers nous poussent eux-mêmes à faire grève. Leur bien-être dépend entièrement du nôtre. »

Dans la section féminine de la prison de Forest (Berkendael), c’est le chauffage qui pose problème. « On ne l’a pas fait tourné vu la clémence de cet été. Lorsqu’on a voulu le remettre en marche lors du retour du froid en septembre, la chaudière en a décidé autrement. Depuis, toujours rien. Ça fait donc plus d’un mois qu’on est sans chauffage et qu’aucune solution n’a encore été trouvée », explique un autre agent pénitentiaire. « De plus, cette chaudière fonctionne avec des jetons au prix de 15€ qui nous sont fournis, normalement. Eh bien là, il nous est arrivé de ne plus en avoir. C’est donc l’agent qui doit aller en acheter lui-même, avec son argent, pour chauffer la prison. » Cela montre un gros problème de financement. « Le ministre de la Justice, Koen Geens, ne veut pas voir la réalité du terrain. On dirait qu’il s’en fiche. »

Couper les plombs au fur et à mesure pour voir quelle pièce ne reçoit plus l’électricité. La scène paraît cocasse, mais c’est pourtant ce qui a dû être fait dans l’une des prisons bruxelloises. « On s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de plan électrique de la prison. On a dû faire des allers-retours entre les étages et la cave pour vérifier le câblage », raconte Karim, un autre agent pénitentiaire, mais à la prison de B..

Ces situations montrent à quel point il est difficile d’exercer ce métier. Les agents doivent se concentrer sur d’autres tâches en dehors de leur travail. Cela engendre bon nombre de conséquences pour le fonctionnement de la prison. Ils ne peuvent plus assurer un service complet aux détenus ce qui peut amener de la frustration, voire de l’énervement dans les cellules. C’est pourquoi les grèves, notamment celle de 2016, doivent être mieux comprises par les politiques.

Agents pénitentiaires : plus que des gardiens ?

L’opinion publique n’a pas une image très positive du métier d’agent pénitentiaire. Et c’est bien normal au vu des informations qui filtrent dans les médias traditionnels : grèves, revendications, réunions syndicales, etc.

Pourtant, la vie d’un surveillant pénitentiaire est loin d’être un long fleuve tranquille. Loin du cliché aussi. « Nous sommes perçus comme des glandeurs, des personnes racistes et dépressives, souligne Karim. Mais les gens ne comprennent pas ce que nous vivons à l’intérieur de la prison. À l’intérieur des murs, c’est un autre monde. En plus, de devoir travailler pour deux, tu fais face à des choses qu’aucun être humain ne devrait voir ».

Polyvalence

Nous imaginons les agents pénitentiaires comme de simples gardes. Des robots qui ouvrent les cellules pour donner à manger aux détenus. La réalité est, quant à elle, bien différente. « On mériterait presque un diplôme d’assistant social ou de psychologue, continue le surveillant de la prison de B. Comme nous sommes les seules personnes en relation directe avec le détenu, nous sommes aussi là pour les écouter, voire même les conseiller. La vérité, c’est que tu te sens mal pour eux, mais tu ne peux pas le montrer sinon ils vont en tirer avantage. Nous sommes plus que des agents pénitentiaires. Et ça les gens ne comprennent pas. »

Karim concède que le côté humain est très important avec les incarcérés. Ce qui est paradoxal puisque « rien n’est humain dans une prison. Je veille toujours à séparer mon métier de ma vie en dehors de B. Mais ce n’est pas facile à gérer. Quand tu vois un détenu qui s’est pendu dans sa cellule ou une bagarre générale pendant le repas, ça laisse des traces psychologiques. Mais le pire, c’est quand tu amènes un détenu au cachot. Quand tu vois la pièce dans laquelle il va vivre pendant quelques jours, il faut bien s’accrocher pour ne pas craquer. En fait, tu amènes toujours un peu de la prison chez toi à la maison. Même si tu fais tout pour éviter ça, tu restes marqué à vie ».

C’est sans difficulté, mais avec, tout de même, un brin de pudeur que Karim révèle une fatigue chronique à la fois physique, mais surtout mentale liée à la pression du métier. « Mentalement je suis à bout, nous le sommes tous. Je fais des cauchemars toutes les nuits, c’est insupportable. Quand j’arrive le matin au parking de la prison, j’ai peur. Tu ne sais jamais vraiment comment va se dérouler la journée. Tu sais très bien qu’en passant la porte, tu ne seras plus la même personne. Pour vous dire la vérité, je n’ai même pas envie de sortir de ma voiture. »

Au bout du rouleau

38 heures semaines. Jusqu’à 63 ans. Des congés refusés (plus de 50 pour Karim) à cause du manque de personnel et des coupes budgétaires. Comment tenir le coup ? Comment se lever tous les matins et trouver le sommeil le soir ? « Un demi-somnifère chaque jour avant d’aller dormir. Pas le choix. C’est la seule solution que j’ai trouvé. De toute façon, tous les agents que je connais sont sous médication et antistress. Sans cela, on ne pourrait pas tenir ». Aucune aide ni aucun soutien psychologique ne sont proposés aux surveillants des prisons bruxelloises. Paradoxale quand on sait que les agents pénitentiaires ont un rôle d’assistant social auprès des détenus. « On permet aux prisonniers de vider leurs sacs en discutant et en partageant un peu avec eux, mais rien n’est mis en place pour nous permettre d’évacuer. Les détenus ont plus de droits que nous. Est-ce normal ? », se questionne le surveillant de B.

Au final, les agents pénitentiaires bruxellois ne demandent pas grand-chose. Changer la vision qu’a la société sur le métier ainsi que de rediscuter les termes de l’avant-projet de loi du 17 juin 2018 concernant l’organisation des services pénitentiaires et le statut du personnel pénitentiaire serait un bon début. « On se bat pour retrouver les droits que nous avions avant que le ministre de la Justice Koen Geens décide de restructurer la profession. L’instauration du service minimum, le manque de budget et le manque d’agents, nous ne disposons plus d’aucune marge de manœuvre. Nous travaillons dans des conditions loin d’être idéales, c’est déplorable. Comme je dis toujours, pour travailler en prison, il faut faire gaffe et avoir un bon parapluie. »

 

 

NDLR: Tous les noms utilisés dans ce reportage sont des noms d’emprunt pour préserver l’anonymat de nos intervenants ainsi que les lieux où ils travaillent, raison pour laquelle nous parlons de la prison B.

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