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Drag : une quête de soi et du monde

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Drag : une quête de soi et du monde

Drag : une quête de soi et du monde

Publié le 12-05-2024 par , , et

À la croisée des genres, le drag est un art militant, méconnu et entouré de mystères. Son côté identitaire fait émerger de nombreux questionnements.

À 20 heures, alors que la lumière du jour cède lentement sa place à la lueur chaleureuse des réverbères, les terrasses des bars de la capitale belge se remplissent peu à peu. Les rires fusent et les verres s’entrechoquent. Au milieu de cette effervescence, derrière une petite porte en bois, se cache un monde à part.

L’équipe se rassemble discrètement prête à dévoiler son talent au grand jour. Les étoiles de la soirée se préparent dans l’intimité de l’arrière-salle, métamorphosant leur apparence avec dextérité. Ce sanctuaire de la transformation, s’appelle « Chez Maman », un cabaret mythique où les Drag Queens règnent en maitresses de cérémonie et où naissent les personnages flamboyants qui enflammeront bientôt la scène.


Les loges de Chez Maman. © Amina Sidi Yekhlef.

À l’arrivée, Fernanda (elle) et Chloé (elle), deux figures de la scène drag bruxelloise, ouvrent la porte. « Chez Maman » célèbre cette année ses 30 ans. Tout comme la carrière de Chloé, qui a accompagné les débuts de cette institution. Dès qu’elle a été remarquée par « Maman », celle-ci a déclaré avec une candeur insolente : « Elle est moche, mais elle a quelque chose. »

Puis, tel un tourbillon d’énergie, Gabanna (elle) monte les escaliers pour rejoindre ses deux collègues, encore marquée par les traits de Fausto (lui), son identité hors des projecteurs. Vêtue de façon décontractée elle transporte une valise débordante de costumes et d’accessoires avec laquelle elle s’est battue tout au long de la montée.

Si le charisme et l’extravagance sont déjà présents chez Fausto, son apparence physique n’est pas encore totalement alignée avec la personnalité de Gabanna. Lorsque le rituel de métamorphose commence, Fausto se laisse peu à peu submerger par le personnage qu’il incarne, laissant Gabanna surgir de ses artifices scéniques. Au fur et à mesure, les gestes s’affinent, les voix s’affilent, et finalement les personnalités extravagantes de Fernanda, Chloé et Gabanna prennent le dessus.

  • Drag : performance artistique d’expressions, caractéristiques et stéréotypes associés au genre.
  • Les drags kings sont des personnes qui performent la masculinité ou une identité de genre masculine.
  • Les drags queens sont des personnes qui performent la féminité ou une identité de genre féminine.
  • Les drags queers sont des personnes qui performent une identité de genre qui rompt avec la binarité de genre. Ces performances ne sont pas une indication quant à l’identité de genre de la personne ; par exemple, les drags queens ne sont pas forcément interprétées par des hommes cisgenres
  • Cross dressing : fait de porter des vêtements socialement attribués au genre opposé.

Source : « Informer sur les thématiques LGBTQIA+ » (supplément de l’AJP)

Passer de personne à persona
Le Drag persona ou encore alter ego est le personnage créé par l’artiste, pour ses prestations. © Amina Sidi Yekhlef.

Certain.e.s ont découvert le monde du drag récemment, à travers l’émission Drag Race de la RTBF, d’autres se sont familiarisé.e.s à cet art ancien, depuis bien plus longtemps. Le Drag, qui est une performance artistique généralement caractérisée par des stéréotypes associés aux genres, souvent liés au burlesque, passe nécessairement par la création de ce qu’on appelle un persona. Le Drag persona ou encore alter ego est le personnage créé par l’artiste, pour ses prestations. En général, un persona est caractérisé par une identité de genre, et un style à part entière.

Moi je suis hyper timide en tant que Fernando. Dans la peau de Fernanda, je fais tout, j’ose tout. Si j’enlevais mon « makeup » on ne me reconnaîtrait pas. On est un peu protégées derrière nos masques.

Fernanda

Que ce soit Gabanna, Fernanda ou Chloé, les trois sont d’accord sur ce fait. La personne qu’elles sont en drag n’a rien à voir avec celle qu’elles sont dans la vie de tous les jours. Les trois artistes se décrivent comme étant des hommes timides et réservés dans leurs quotidiens, mais des femmes extravagantes sur scène. Gabanna est chanteuse, c’est la partie qu’elle préfère dans le drag. Pourtant, elle le précise, « Si je ne suis pas maquillée, je ne chante pas. Je n’ai pas le courage de le faire. »

Cette séparation nette entre artiste et alter ego ne semble pas aussi claire chez Chéri.e Chapstick (iel), qui se définit comme « drag truc ». « Chéri.e et moi (Eden, nom de l’artiste, il/iel), nous sommes la même personne, nous portons juste des noms différents, et c’est la manière dont je vais amener les choses et parler qui va changer. » Eden est non binaire et utilise les pronoms il et iel. Son persona, Chéri.e Chapstick est également non binaire et interprète des personnages de femmes, d’hommes ou encore non genrés. Pour Eden donc, le style et le genre de Chéri.e est moins figé que pour les filles de « Chez Maman », et dépend beaucoup plus de ce qu’iel veut exprimer sur scène à un moment donné.

La création du persona

Un persona, ça peut être plutôt un simple nom d’artiste, comme pour Chéri.e Chapstick, ou au contraire, une personne à part entière avec sa propre histoire. Chloé, l’alter ego de Steve (il), a une histoire entière inventée sur ses origines. « Maman m’a trouvé quelque part dans les années 80 sur l’autoroute près de la mer dans un petit panier abandonné. Ma mère était russe et mon père était un Allemand. Je n’en sais pas plus, » raconte Chloé. C’est « Maman » qui a décidé de tout ça, quand elles ont co-créé le persona il y a de ça 30 ans. Chloé a choisi son nom, Maman a choisi son histoire.

Gabanna a mis plus de temps à créer son persona et à trouver son nom. Elle ne savait pas au début ce qu’elle voulait faire de sa carrière, ni ce qu’elle voulait incarner. Elle raconte qu’à ses débuts, elle mettait des robes longues et restait raide sur scène, imitant ce qu’elle avait déjà vu. Quand elle cherchait son nom d’artiste, tout ce qu’elle savait c’est qu’elle voulait un nom qui rappelait le luxe. « On a dit des marques de luxe, des noms de voitures ou de vêtements. Dior, Prada, je me suis dis pourquoi pas Dolce Gabanna. Je suis Gabanna, je cherche mon Dolce. »

La préparation de Gabanna. © Abigail Frizon et Amina Sidi Yekhlef. 

La métamorphose

La question se pose aussi de savoir quel est le moment où l’artiste se transforme en son persona. Dans le cas des filles de « Chez Maman », le contraste est tel entre les trois hommes et leurs alter ego, qu’il rend très visible le changement. Chez Chloé, le processus semble être évolutif, au fur et à mesure qu’elle se prépare. Au début, elle est silencieuse, et ne répond aux questions de ses collègues qu’avec un « oui » ou un « non » timide, sans même détourner le regard de son reflet dans le miroir. Une fois maquillée, avec des lentilles bleues et des sourcils dessinés, elle commence à s’ouvrir, rigoler, raconter. C’est également ce qu’explique Sugar Love (elle), la doyenne de « Chez Maman ».

Quand tu fais le drag, il y a des moments où tu passes une frontière. C’est vrai que Sugar Love est là, un peu, mais c’est seulement quand tu termines le maquillage, que tu mets la robe, les bas, la perruque, les bijoux, le parfum. Et là c’est comme si tu es possédé.

Sugar Love

 

Pour Gabanna, cette transformation est quelque chose de beaucoup plus immédiat. Elle explique qu’elle passe de Fausto à Gabanna dès qu’elle exerce sa voix, ou pose ses cils. « Une fois que je mets les faux cils, ça change, je ne suis plus là »

Le genre au centre du drag
© Amina Sidi Yekhlef.

Dans le monde du drag, l’identité de genre et l’orientation sexuelle sont des notions centrales qui soulèvent des questionnements profonds. Le drag, en tant qu’expression artistique est souvent associée à la communauté LGBTQIA+, certains pourraient se demander si elle confère automatiquement une identité queer à une personne. La question est intéressante et les réponses varient mais il est important de noter que si la majorité des drags sont queer, certaines ne le sont pas. Le participant de la saison 14 de RuPaul’s Drag Race, Daniel Truitt, connu sous son nom de scène Maddy Morphosis, est le premier candidat ouvertement hétérosexuel de l’émission. Iels sont peu, mais iels existent tout de même.

 

Queer c’est une volonté, une idéologie intersectionnelle aussi. Il y a des gens qui sont hétéros et non queer qui font du drag mais qui pour moi dans leur vie de tous les jours ont quand même une démarche queer, même si iels ne sont pas queer. Je ne me positionne pas sur qui peut faire du drag et qui est queer, ça reste un art.

Chéri.e Chapstick

 

© Abigail Frizon. Gabanna se prépare.

Il devient évident que cette sphère artistique défie toute tentative de catégorisation rigide. Être drag n’a pas de lien avec la transidentité et ne peut pas être résumé à la pratique du cross-dressing. Pour certain.e.s, la pratique du drag est une performance artistique, pour d’autres, il s’agit d’une exploration de soi. Pour Loulou Pogi (elle) par exemple, Drag Queen émergente, son expression de genre est divisée en deux : « Personnellement, je préfère séparer les choses. Mon énergie masculine je préfère la garder pour moi hors-drag et mon énergie féminine, je préfère l’exprimer quand je suis en-drag. C’est comme ça que je vis mon identité de genre. »

Source : « Informer sur les thématiques LGBTQIA+ » (supplément de l’AJP)

Dans ce monde où les frontières de l’identité de genre sont aussi fluides, il est naturel que la question de l’orientation sexuelle fasse surface. Sortir avec une personne qui fait du drag signifie-t-il sortir avec son alter ego? Et si c’est le cas, cela donne-t-il des indications sur notre propre orientation sexuelle ? Pour cela il faut comprendre qu’il est parfois difficile de dissocier la personne de son persona. Faire du drag c’est l’être aussi. Gabanna approfondit cette réflexion : « Je crois qu’on commence toutes par faire du drag queen et puis quand le temps passe c’est impossible de ne pas être une drag queen. […] Quand tu commences à faire le show tous les soirs de la semaine, le personnage devient plus grand que toi-même, alors il t’absorbe. »

Selon Loulou Pogi un.e partenaire doit aimer la partie drag de l’autre, mais il s’agit quand même d’un personnage et non d’une « autre personne ». De la même manière que certains traits de personnalités peuvent émerger dans certains contextes, parfois le persona ressort dans la vie de tous les jours. Steve qui incarne Chloé sur la scène de « Chez Maman » à Bruxelles explique que quand il « pique des crises », son mari lui dit de retourner à Bruxelles « s’il veut faire la diva ».

Au-delà de la binarité

Souvent, dans les médias et dans l’imaginaire collectif, le drag est un art très binaire. On pense à des hommes qui jouent des femmes (les drag queens), ou à des femmes qui jouent des hommes (les drag kings). Pourtant, dans la réalité, cette binarité est souvent dépassée. En premier lieu, il n’est pas vrai que seul un homme peut être drag queen. Des femmes peuvent-elles aussi avoir un persona féminin et vice versa, des hommes peuvent se produire en drag king. Ensuite, surtout dans les nouvelles générations de drag, certain.e.s artistes remettent en question complètement cette binarité de genre.

Alessandra Vitulli (elle) a fait son mémoire de master en 2019 sur les nouvelles générations de drag. Dans ce travail de recherche, elle s’est demandée si aujourd’hui le drag était une performance postgenre. «L’injonction à se conformer à une seule des deux uniques catégories de genre socialement considérées représente une oppression pour bon nombre de personnes. Combattre cette oppression passe donc par le questionnement de cette injonction, » explique-t-elle dans son mémoire. Elle remarque, lors de sa recherche, que de plus en plus d’artistes drag utilisent justement cet art pour dépasser les catégories genrées d’homme et de femme.

Gabanna s’habille. © Amina Sidi Yekhlef. 

C’est, en effet, ce que confirme Chéri.e Chapstick (iel) à travers son art. Eden (il/iel), l’artiste derrière Chéri.e explique : « Je suis non binaire à la base et je ne comprends pas très bien les normes de genre ». Lorsqu’iel est questionné.e sur le choix entre drag king et drag queen, au moment de la création de son persona, iel répond : « Le choix pour moi a été de ne pas faire de choix tout simplement. Ça me permet aussi de créer des numéros en fonction de ce que je veux raconter et non pas en fonction du genre de mon personnage. »

Chéri.e Chapstick se définit comme « drag truc », iel trouve ça plus positif que de dire « drag non binaire », qui est dans la négation, ce serait le fait de ne pas être quelque chose. « Drag truc on ne sait pas trop ce que c’est, mais c’est pas grave et c’est marrant quand même, » dit-iel en rigolant. Chéri.e Chapstick, sur scène, incarne tout de même souvent des stéréotypes genrés, qu’ils soient féminins ou masculins. Mais Eden précise bien que c’est Chéri.e qui joue des rôles pour raconter une histoire, ce n’est pas son identité de genre. Cela permet une plus grande liberté dans ses créations de performances et de costumes.

Comme Chéri.e, beaucoup d’artistes drag utilisent leurs performances pour pousser les normes sociales sur les questions du genre. Cette pratique, au-delà d’être artistique, est donc aussi politique.

Militer en costume
© Amina Sidi Yekhlef.

Le caractère militant de l’univers drag n’est pas nouveau, même si cet aspect est souvent méconnu. Bien plus qu’une simple forme d’art, le drag a toujours été intimement lié aux mouvements sociaux et politiques, servant de catalyseur pour le changement et la révolution culturelle. Célébré depuis l’Antiquité, le drag a traversé les époques. Ses origines peuvent remonter aux performances théâtrales de la Grèce antique, où les hommes se déguisaient en femmes pour honorer les divinités féminines lors des fêtes religieuses.

Au cours des siècles suivants, le drag a continué à évoluer, trouvant sa place dans les théâtres, les cabarets et les spectacles à travers l’Occident. Cependant, c’est au cours du 20e siècle que le drag a pris un tournant décisif en devenant un outil de résistance et de revendication pour la communauté LGBTQIA+. Au milieu du siècle, les bars et les clubs LGBTQIA+ étaient souvent les seuls endroits où les personnes queer pouvaient se rassembler en toute sécurité, et le drag est devenu un élément central de ces espaces, offrant une plateforme pour s’affirmer, se réapproprier le pouvoir et défier les normes sociales oppressives.

Parmi les figures pionnières du drag, l’une des plus célèbres est probablement William Dorsey Swann, souvent considéré comme la première drag queen documentée de l’histoire américaine. Né sous esclavage en 1853, Swann a été affranchi à l’âge d’adulte et est devenu une figure emblématique de la scène drag à la fin du 19e siècle. Il organisait des bals costumés où des personnes queer, transgenres et de diverses origines pouvaient se réunir. Swann et ses contemporain.e.s ont non seulement défié les lois discriminatoires et les normes sociales de leur époque, mais iels ont également établi les bases d’une tradition drag qui allait continuer à inspirer les générations futures.

©NationalGeographic

©Cellesquiosent

©VivreTrans

 

Et aujourd’hui?

Aujourd’hui beaucoup de drags entrent dans ce monde sans connaître ses origines militantes, pour ces personnes, c’est l’aspect artistique qui les attire. Impossible, toutefois, de ne pas remarquer que le milieu est intrinsèquement lié à l’activisme par son histoire. Selon Alessandra Vitulli, il y a eu un développement militant et politique ces dernières années : « Je ne pense pas pour autant que les anciennes drags n’avaient rien à dire […] peut-être que c’était vécu d’une façon différente. Ça se développe peut-être de manière plus perceptible et plus revendiquée ces dernières années. »

Et puis au-delà des actions, des manifestations et des revendications auxquelles prennent part les drags, être drag, c’est tout simplement du militantisme en tant que tel. Mettre une perruque, des talons et du maquillage va bien au-delà de simples choix esthétiques. C’est un acte de rébellion contre les normes de genre préétablies, une affirmation au droit à une expression de soi libre et sans entraves. En arborant ces éléments, les drags défient les attentes sociales et démontrent que la masculinité et la féminité ne sont pas des concepts figés, mais plutôt des normes façonnées par la société. « Mais rien que le fait d’aller sur scène, c’est politique. Etant une personne trans et neurodivergente, c’est une manière de déconstruire les choses. Cela me permet aussi de parler à d’autres générations », confie Chéri.e Chapstick.

 

Une réalité économique compliquée

Etre drag, c’est aussi un métier rémunéré. Chez Maman, seules Gabanna et Sugar Love n’ont pas d’autre métier à côté du drag. Gabanna explique que depuis qu’elle a arrêté sa carrière dans l’hôtellerie, elle ne vit pas, elle survit. Pourtant, elle se produit généralement plusieurs fois par semaine que ce soit « Chez Maman » ou dans d’autres cabarets. Elle est, également, arrivée en troisième position dans la saison 2 du concours télévisé Drag Race, ce qui lui a valu une plus grande visibilité.

Gabanna sur scène. ©Amina Sidi Yekhlef. 

Chéri.e Chapstick voit le drag aussi comme un métier à l’instar « du théâtre, de la comédie ou de danse ». Iel explique que le drag n’était à l’origine pas reconnu comme « catégorie » dans le statut d’artiste. Pour en bénéficier, il fallait se déclarer « comédien.nne » ou « danseureuse burlesque ». Ce statut est, selon iel, indispensable pour avoir un revenu stable. Il peut être obtenu au bout d’un certain nombre d’heures de travail et de revenu. Il offre un chômage, qui permet de percevoir les sommes ponctuelles lors des prestations. « La réalité économique est compliquée. Parfois, on nous propose un cachet de 50 euros en cash pour une soirée. Les gens ne se rendent pas compte de l’investissement que c’est», précise Chéri.e Chapstick.

Pour iel, l’autre problème de travailler sans le statut d’artiste, c’est qu’iel doit faire des choix « alimentaires ». « Du coup je joue pour celleux qui ont de l’argent, les riches. Quand j’aurai mon statut d’artiste, je pourrai rejouer dans les squats et chez les étudiant.e.s. » Chéri.e raconte en souriant qu’iel devrait recevoir ce statut d’artiste d’ici 6 jours, ce qui rendra son métier beaucoup plus simple.

 

La médiatisation: arme à double tranchant

Ces dernières années, la culture drag a gagné en visibilité notamment grâce à des figures emblématiques américaines telles que RuPaul et son émission « RuPaul’s drag race » (depuis 2009). Le succès fut tel que la Belgique a suivi la tendance. Si « Drag race » permet de mettre la culture drag sur le devant de la scène, l’émission a cependant rencontré de nombreuses critiques pour son aspect très codifié : on n’y voit que des drags queens, le reste de la communauté est oubliée. Pour Chéri.e Chapstick ce problème est également dû à l’aspect financier qu’implique la participation à l’émission : « Ça me gêne vraiment fort que vu que le drag devient mainstream, il devient capitaliste. On doit toujours prouver qu’on a de nouvelles tenues, qu’on a autant d’argent à dépenser pour participer à l’émission. C’est se rendre encore plus précaire que ce qu’on est déjà dans cette communauté marginalisée. Donc ça fait que les personnes qui peuvent participer sont déjà des personnes privilégiées. »

Ces émissions mettent en avant l’art du drag à travers des performances, du playback et des costumes flamboyants. Ces éléments visuels prennent de plus en plus le dessus, jusqu’à l’effacement quasi total de la dimension politique, pourtant clé, du milieu. Alessandra Vitulli affirme également que la popularité grandissante de la culture drag permet peut-être aux revendications portées par les artistes de toucher un public plus large. Mais, selon elle, cela se ferait au détriment de son engagement politique.

Un risque qui inquiète Chéri.e Chapstick : « Il y a une récupération politique en ce moment parce que c’est quelque chose qui est très médiatisé, mais du coup ça perd de son militantisme. […]. Comme ça passe à la télé, t’as pas le droit de dire certaines choses. Donc en fait ça s’inscrit petit à petit dans un truc mainstream ce qui fait que t’as moins de liberté d’expression. »

Cependant, Alessandra Vitulli rassure et nuance. Il ne faut pas craindre cette popularité « à condition de ne pas rendre ça lisse, aseptisé. C’est un risque auquel il faut faire attention quand on est sur ce chemin de populariser un art contestataire. »

 

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