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Hausse du minerval: place à la solidarité

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Hausse du minerval: place à la solidarité

Hausse du minerval: place à la solidarité

Publié le 27-04-2017 par
Retour sur une année de lutte

Cela fait un peu plus d’un an que le mouvement mène des actions pour protester contre la hausse du minerval. Ils ont commencé par un blocage du service des inscriptions. Aujourd’hui, ils ont pris possession du rectorat. Retour sur quelques moments clé de cette lutte.

1er mars 2016: Menace de désinscription

Une vingtaine d’étudiants étrangers soutenus par l’Union syndicale étudiante ont mené une action de blocage du service des inscriptions à l’ULB. Ils protestaient contre la réclamation de plusieurs milliers d’euros de frais d’inscription en raison d’une erreur administrative. Les étudiants hors de l’Union européenne étaient considérés comme inscrits depuis la rentrée une fois leur minerval de 835€ payé, or ils ont été menacés de désinscription s’ils ne réglaient pas une sommesupplémentaire (de 1800€ à 3700€) dans un délai de deux semaines à un mois. L’Union syndicale avait déclaré: « Les étudiants réclament une solution qui ne met pas en péril leur année scolaire pour une erreur dont ils ne sont pas responsables ». Les étudiants ont cessé leur action en début d’après-midi. Chacun avait pu rencontrer individuellement la responsable du service des inscriptions afin d’examiner leur cas.

Juin 2016: 12 525€ de frais d’inscription

Suite à un compromis politique entre les recteurs et le ministre Marcourt, le décret Paysage a été modifié. Cette modification permet aux universités d’augmenter le minerval pour les étudiants hors de l’Union européenne jusqu’à 15 fois le minerval de base (835€). Ainsi, certains étudiants seraient susceptibles de payer un minerval allant jusqu’à 12 525€. L’ex-futur recteur, Yvon Englert avait lui aussi annoncé sa volonté d’augmenter le « déplafonnement des droits d’inscription des étudiants non-EU ».

Septembre 2016: une rentrée coûteuse et mouvementée

La passation de pouvoir entre Didier Vivier et Yvon Englert a été perturbée par les étudiants qui dénoncent l’augmentation du minerval. Le mouvement « NON à la hausse du minerval des étudiant-e-s hors UE » a interrompu le discours du nouveau recteur de l’ULB pour protester contre cette hausse en dressant une banderole avec le message « ULB pompe le blé des étudiants étrangers ». En effet, le minerval de la rentrée académique 2016-2017 s’élevait à 4 175€ pour les étudiants issus de la liste « Pays en Voie de Développement ».

Décembre 2016: un cadeau de Noël empoisonné


Le recteur Yvon Englert avait annoncé que l’entièreté du minerval, soit 4 175€, devait être déboursée avant le 23 décembre 2016 et avait vivement conseillé aux étudiants étrangers de régulariser leur situation le plus rapidement possible. En réponse à cette déclaration, le mouvement « NON à la hausse du minerval des étudiant-e-s hors UE » a placardé des affiches où l’on pouvait lire « Joyeux Noël ! Etudiant-e-s hors Union européenne, l’ULB veut vos 4 175€ pour le 23 décembre. Bisous, le recteur ».

L’annonce était accompagnée de plusieurs sanctions en cas de non-paiement. L’étudiant ne pourrait pas accéder à ses notes d’examens, ni aux cours du second quadrimestre. Il se verrait également refuser toute nouvelle inscription tant que sa « dette » ne sera pas remboursé.

 

Avril 2017: Rectorat occupé
Depuis le jeudi 20 avril, un groupe d’étudiants occupe le rectorat de l’Université Libre de Bruxelles.

 

 

 

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« Je me suis rendu compte que dans mon pays je vivais, qu’ici j‘essaye plutôt de survivre »

Être étudiant hors Union Européenne en Belgique n’est pas chose facile. Entre payer le minerval, subvenir à ses besoins et réussir ses études, l’étudiant vit loin de la stabilité. Joseph (prénom d’emprunt), étudiant camerounais en deuxième année de Master, se bat au quotidien pour obtenir son diplôme.

En mars 2014, Joseph envoie sa demande d’inscription à l’Université Libre de Bruxelles. Quelques mois plus tard, le Camerounais commence à perdre espoir quant à son adhésion. L’étudiant n’a eu de réponse que six mois plus tard à quelques semaines de la rentrée scolaire. Une chance à ne pas laisser passer, il décide de s’envoler pour la Belgique. «J’étais un peu sous pression. Ce n’était pas évident de venir en Belgique vu qu’il y a au moins 80% de dossiers de visa déposés qui sont refusés. Il y a des personnes qui déposent presque chaque année une demande et qui n’ont jamais obtenu de visa. Je suis sorti du lot. J’ai eu de la chance », explique l’étudiant.

Mais le rêve va vite tourner au cauchemar. Dès son entrée à l’ULB, Joseph a du faire face à des problèmes administratifs. L’étudiant était considéré comme inscrit une fois son minerval payé, or il a été menacé de désinscription s’il ne payait pas une somme de plusieurs milliers d’euros dans un délai de deux semaines à un mois : « Il y a eu une erreur administrative qui m’a franchement traumatisé. Je voulais rentrer chez moi à cause de ça. C’est grâce au soutien des professeurs, des camarades de classes que je suis resté serein. Je suis venu pour obtenir mon diplôme et c’est important pour moi de terminer, ne serait-ce même s’il faut rentrer au pays après. Je ne voulais pas rentrer sans ça ». Des obstacles non seulement administratifs mais aussi liés aux conditions de vies. Malgré un minerval de 835€, l’étudiant avait déjà du mal à joindre les deux bouts durant sa première année. « J’ai déjà eu du mal à payer ne serait-ce que ces 835 euros. C’était compliqué de pouvoir résoudre même des problèmes de premières nécessités », ajoute Joseph. Un cas qui se veut général selon les dires de l’étudiant : « J’ai rencontré d’autres personnes, des compatriotes, qui vivent la même situation que moi. Payer le loyer, se vêtir, se déplacer, c’est déjà difficile et au dessus de ça, on te demande encore de payer 4175€. C’est impossible à faire ».

Un combat pour les autres
Etant dans sa dernière année d’études, Joseph n’est pas directement concerné par cette mesure. Néanmoins, il est important pour le Camerounais de militer pour les générations futures. « Je veux me battre pour la génération à venir. Moi, j’ai bientôt mon diplôme, je pourrai rentrer chez moi mais celui qui est encore dans son pays d’origine, ça sera très compliqué », raconte l’étudiant. Il estime que cette hausse du minerval est un frein à l’éducation pour les ressortissants des pays en voie de développement : « Il faut donner la chance à ceux qui ont moins accès à l’éducation. C’est vraiment empêcher des personnes de pays en voie de développement de s’éduquer ». Il ajoute : « Les étudiants qui viennent ici sont tout le temps sous pression, parce qu’ils doivent travailler pour subvenir à leurs besoins. Ils ne se reposent jamais, ne prennent jamais quelques jours de vacances, comme le font leurs camarades belges ou européens ».

En faisant le bilan de ses années d’études en Belgique, Joseph regrette les décisions qui l’ont poussé à quitter son pays. Sa seule motivation reste son diplôme.

A l’intérieur du rectorat : une organisation horizontale

Ce mercredi, ça fait presque une semaine que les étudiants du mouvement “Non à la hausse du minerval des étudiants étrangers hors union européenne” occupent le rectorat de l’ULB. A la pause d’un spectacle d’impro organisé par le cercle “Impro-vocation” de l’ULB, Hugo, l’un des étudiants à la base du mouvement, répond à quelques questions…

Comment ça fonctionne ici au jour le jour ?

Le mouvement s’est fort inspiré du fonctionnement de l’union syndicale étudiante (USE). C’est un syndicat étudiant qui fonctionne par affiliation, contrairement au bureau des étudiants administrateurs (BEA) et à la fédération des etudiants francophones (FEF) qui sont des délégations de représentation étudiante où tous les étudiants sont appelés à voter. Ils ont un système différent. Avec l’USE, n’importe qui peut se syndiquer, tout le monde est le bienvenu aux assemblées syndicales.

C’est plus ouvert donc, que le Bureau des étudiants (BEA) ou la fédération des étudiants francophones (FEF) ?

Oui. Et avec des poids dans les institutions qui sont moindre, avec des capacités financières moindre, mais plus proche du terrain, qui assume des actions plus fortes, des actions de blocage. On a aussi des liens avec les syndicats. Et puis, à travers l’association inter-cercles (AIC)  –qu’on a créé- il y a aussi le lien avec tous les cercles culturels, sociaux et politique. Mais aussi du coup, à l’USE, ils ont un modèle de fonctionnement horizontal basé sur des assemblées générale, avec des mandats tournants, etc. C’est de leur fonctionnement que ce mouvement s’inspire.

Vous faites des assemblées générales tous les jours ?

Au moins une. Normalement il y en à deux. C’est la meilleure façon de faire passer l’information, que tout le monde soit au courant de tout. Et puis parce qu’il n’y a pas une personne qui est plus légitime que l’autre, il faut que tout le monde soit au courant et puisse participer aux décisions.

Et est-ce qu’il n’y a pas un risque de délitement, de perte du message initial avec cette structure très ouverte et participative ?

Non. Moi je pense que le message est clair pour tous, et qu’il n’est plus discuté. On a accepté depuis le début un message de solidarité vis-à-vis de ces étudiants étrangers et de demander un même minerval pour toutes et tous.

“On lutte contre la gestion néo-libérale de l’université”

Et puis on a accepté aussi d’exprimer des messages de solidarité vis-à-vis d’autres luttes, qui pour nous sont liées. Par exemple avec les travailleurs d’ISS, avec les sans papiers, par rapport aux liens entre l’ULB et McKinsey, le nouveau master à 50.000 euros. Pour nous il y a un lien entre tout ça. On lutte de manière plus large contre la gestion néo-libérale de l’université, contre les mesures stigmatisantes et racistes. Et donc par rapport à ça, il n’y a aucun problème sur le fond du message.

De quoi vous discutez pendant les assemblées générales alors ?

On parle des négociations : où est-ce qu’on en est. De l’action : quelle tournure on a envie qu’elle prenne. Des contacts politiques qu’on a, du mode de fonctionnement de l’occupation…

Et où est-ce que vous en êtes concrètement, au niveau des discussions avec les autorités de l’ULB?

Il y a cinq mois, il y avait une première rencontre où on avait demandé des chiffres [sur ces étudiants, leur nombre, ce que cela représentait sur le budget total de l’ULB].

“Les chiffres nous donnent raison”

Ils étaient parti pour nous les donner dans un mois, voire plus loin. Ce qu’on a obtenu là, c’est la note en conseil académique avec tous les chiffres, qui nous donnent raison.

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Il y a 367 étudiants qui sont concernés sur la communauté ULB, ça représente 1 étudiant sur 70, donc c’est pas un coût, c’est pas une surcharge de travail pour l’environnement pédagogique. On a vu que ça rapporte aujourd’hui 0,1 % du budget. Si on mettait le même minerval pour tous, à terme, ça serait un manque à gagner de 0,5% du budget. Enfaite on est vraiment pas entrain de parler du refinancement de l’enseignement supérieur, comme le rectorat a voulu le présenter.

 

367 étudiants de l’ULB paient 5 fois le montant du minerval normal
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Ca prouve qu’il y a une prise en compte de vos revendications, de votre mouvement ?

Oui, clairement. Ils flippent à mort. On est tout le temps dans la presse. Et puis on avait aussi obtenu –il y a déjà quelques semaines- le fait qu’ils n’aillent pas au-delà des 4175. Il faut dire que l’année passé ils ont modifié le décret pour permettre d’aller jusqu’à 12 000 euros de frais d’inscriptions. Avec toute la mobilisation qu’il y a eu jusqu’à présent, ils ont décidé de rester à 4175. C’est une première victoire, mais on conteste toujours ces 4175 euros, parce que c’est impayable pour plein d’étudiants !

La principale revendication, c’est quoi ?

Nous ce qu’on revendique c’est un même minerval pour toutes et tous. Pour nous, c’est injuste, ça exclu plein d’étudiants et puis ça ne rapporte quasi rien à l’université. Il n’y a aucune raison que ça soit justifié. C’est une brèche dans le financement de l’enseignement supérieur.

“Un même minerval pour toutes et tous”

Ce qu’on voit c’est qu’en Angleterre, ils ont fait ça, ils ont augmenté le minerval des étudiants étrangers, puis le minerval de tout le monde. C’est parmi les trucs les plus élitiste. Nous on ne veut pas aller dans cette direction là.

Donc vous ne sortirez pas du rectorat avant…

Avant d’avoir des avancées sur ces questions ! Là, il y a peut-être un rendez-vous qui va être fixé avec les recteurs et le ministre pour mardi prochain, à voir.

 

Recteurs, Ministre, chercheurs : La hausse divise

Du côté de l’administration ULB, on renvoit la balle vers le politique, et plus particulièrement le fédéral, compétent pour le budget alloué à l’enseignement supérieur et responsable de sabrer dans ce budget. Le cabinet du ministre de l’enseignement supérieur à la fédération Wallonie-Bruxelles n’a pas souhaité s’exprimer, du moins pas avant d’avoir rencontré les étudiants et le recteur. Le rendez-vous devrait avoir lieu mardi prochain. En attendant, la communauté scientifique reste divisée sur le sujet.

Renaud Maes et Michel Beine, des avis qui divergent.

Michel Beine est professeur d’économie à l’Université du Luxembourg. Il est plutôt favorable à la hausse du minerval, mais sous certaines conditions. Renaud Maes est docteur en Sciences sociales et du travail de la Faculté des Sciences sociales et politiques de l’ULB. Il propose une alternative pour financer les universités.

Une mauvaise solution au problème

Renaud Maes est sceptique vis-à-vis du succès économique de la hausse du minerval des étudiants étrangers. Selon lui, aucun recteur n’est capable de prédire un impact positif de cette mesure. Ce qui lui fait dire ça, ce sont les contre-exemples. « Il y a le cas de la Nouvelle Zélande par exemple. Dans le pays, lorsqu’il ont pris la mesure d’augmenter les frais d’inscriptions des étudiants étrangers, leurs universités ont été désertées.” Il affirme que des frais d’inscription de 4000 à 5000 euros vont faire réfléchir à deux fois un étudiant avant de venir s’inscrire à l’ULB. “Ce que les étudiants vont faire, c’est trouver une même formation ailleurs au même prix mais mieux placée dans le ranking des universités ». De plus, pour Renaud Maes, cette augmentation des frais d’inscription représente seulement une infime partie des rentrées financières de l’université. Cela ne suffira pas à régler tous les problèmes.

Une alternative

Renaud Maes évoque des changements au niveau constitutionnel.

Ce qui est compliqué avec le refinancement de l’enseignement supérieur c’est que c’est le fédéral qui s’en charge. Moi je pense qu’il faut oser innover. Pourquoi pas faire un partenariat avec les régions. Prenez la région Wallonne. Elle a des moyens conséquents. On pourrait peut-être chercher de ce côté-là.

Mais pour Michel Beine, cela ne peut pas fonctionner. Selon lui, il ne faut pas substituer la hausse du droit d’inscription des étrangers par autre chose, mais bien investir dans plusieurs sources de financement différentes. “Il ne faut pas se limiter à la seule source de financement de l’Etat.”

Il affirme que la Belgique est déjà un pays qui finance beaucoup pour ses étudiants étrangers.

Pour remettre en contexte, voici les chiffres donnés par le rectorat de l’ULB

Chiffres hausse du minerval des étudiants étrangers
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Le budget annuel de l’ULB s’élève à 220 millions€ (en bleu). En comparaison, en rouge, les 210.000€ de bénéfices que l’ULB retireraient, la première année, de cette hausse des droits majorés de 2758€ à 4175€. 

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