La K-pop : un export K-ulturel sans fausses notes ?

Lucía Hernández, Matteo Giacca, Sara Van Den Heede, Ivan Velasco

La K-pop : un export K-ulturel sans fausses notes ?

La K-pop : un export K-ulturel sans fausses notes ?

Lucía Hernández, Matteo Giacca, Sara Van Den Heede, Ivan Velasco
Photos : Ivan Velasco
9 mai 2025
Une exploration des liens qui unissent les fans et "leurs idols"

L’univers musical de la K-pop s’exporte. Derrière les chorégraphies et les beaux visages se cache une industrie complexe aux contours parfois extrêmes.

Dans la chambre de Filisam (nom d’emprunt), presque chaque surface de mur est recouvert de posters divers et de cartes postales représentant les artistes coréens favoris de la jeune fille. Sa bibliothèque est garnie d’albums en tout genre, et des figurines portraiturant certains idols (majoritairement des membres du groupe BTS) ornent ses étagères. On se croirait presque dans une boutique.

Filisam a découvert la K-pop par pur hasard : Je scrollais sur les réseaux sociaux quand je suis tombée sur un extrait d’un clip vidéo de BTS. Ça m’a tout de suite interpellée, et depuis lors je ne regarde et n’écoute plus que ça”, dit-elle avant de continuer : “Je me souviens de mes débuts dans cette communauté quand je ne connaissais encore rien”, rit-elle. “Il y a tellement de groupes (girls-group / boys-group), un jargon propre à l’industrie et une fanbase immense que c’était vraiment difficile de prendre mes marques. Maintenant, je suis au courant de toutes les sorties”, termine-t-elle avec une certaine fierté. 

 

Cette industrie de la K-pop, unique dans sa manière d’opérer, a pour point central les idols. Des artistes polyvalents qui, pendant leurs années de training, se perfectionnent dans des domaines comme la danse ou le chant. Après leurs années d’apprentissage, les plus chanceux  sont sélectionnés pour débuter en solo ou dans un groupe. Il y a même des sortes de concours, comme Produce 48, où c’est le vote du public qui détermine les débuts ou non d’une idol, explique Filisam, membre de la communauté depuis la pandémie du COVID-19. L’univers de la K-pop remonte néanmoins à plus longtemps.

Informations de l’article de Hae-Jeen Ryou « Generations of K-pop Explained: Part Two and Three ».

Ce phénomène de la K-pop s’inscrit dans un mouvement plus grand : celui de la Hallyu, la vague coréenne.

Un phénomène mondial

Le centre culturel coréen a ouvert à Bruxelles en 2013. ©Ivan Velasco

Au centre-ville de Bruxelles, les boutiques et les restaurants coréens sont nombreux. Dong-Co rue du Midi, Cosmeticary rue Auguste Orts, Now Pow rue au Beurre….la Hallyu s’est doucement installée dans la capitale belge.

 

Avant, nous étions plus centrés sur tout ce qui se rapportait à l’univers du manga, des animés,…etc. Mais depuis que des groupes comme BTS se sont popularisés, nous avons complètement changé notre stratégie. Chez nous, les albums de K-pop ont remplacé les mangas”, explique l’un des gérants du magasin SuperDragonToys

→ Lexique 

Front row : Premier rang dans un défilé de mode.

Hallyu : Hallyu est un terme d’origine chinoise signifiant « vague coréenne », qui désigne l’engouement envers les productions sud-coréennes dans plusieurs industries culturelles à partir des années 2000.

Idol : une célébrité de Corée du Sud travaillant dans l’univers de la K-pop.

K-pop : Le K de K-pop signifie korean, « coréen » en anglais. La K-pop, c’est le nom que l’on donne à la musique pop produite en Corée du Sud

Parasocial : Les relations parasociales sont des relations unilatérales que les gens nouent avec des célébrités, des influenceurs en ligne et des personnages fictifs. Ces relations impliquent qu’une personne ressent un lien émotionnel avec une autre personne qu’elle ne connaît pas dans la vraie vie.

Sasaeng : Dans la culture sud-coréenne, un sasaeng, ou fan sasaeng, est un fan obsessionnel qui traque ou adopte d’autres comportements constituant une atteinte à la vie privée des idols coréennes, des acteurs de théâtre ou d’autres personnalités publiques.

BTS, BLACKPINK, ou encore New Jeans, l’hégémonie de ces groupes sud-coréens dans les rayons témoigne de leur influence médiatique phénoménale. Au point où ils se retrouvent en couverture de magazines internationaux tels que Vogue ou Elle, en front row de nombreux défilés de mode dont Louis Vuitton et Dior, et en tête d’affiche de plusieurs festivals mondiaux comme Coachella et Lollapalooza. 

Ces trois groupes comptabilisent à eux seuls, sur la plateforme Spotify, plus de de 50 millions d’auditeurs et auditrices par mois. En comparaison, Beyoncé en compte près de 55 millions. La pop coréenne prend donc doucement mais sûrement sa place dans une scène musicale globale largement dominée par les Etats-Unis. Mais un tel engouement peut engendrer des relations para-sociales.

Source : Kim Bok-Rae « Past, Present and Future of Hallyu (Korean Wave) », et de Sooho Song « The Evolution of the Korean Wave »

Une relation para... quoi?

Kang Yeo-Sang, d'Ateez, le premier groupe coréen à avoir rempli Paris La Défense Arena. ©Ivan Velasco

Selon Filisam, ce qui démarque vraiment la K-pop des autres scènes musicales, c’est avant tout la relation particulière que les fans développent avec “leurs” idols : “Je peux en témoigner, moi-même je sais que parfois je suis un peu trop investie dedans”, avoue la jeune fille.

Les relations dites parasociales, où des individus sur internet donnent de leur temps, de leur argent et de leur intérêt à des personnalités publiques sans réciprocité. Ce phénomène touche en général tout l’univers du divertissement, mais en Corée du Sud, c’est particulièrement le cas.  

“ Les interprétations par les fans, via les covers, les flash mobs, mais également les discussions nombreuses sur les forums et au sein des fandoms, facilitent la construction d’une intimité imaginée et intensément vécue”, expliquent les sociologues Vincenzo Cicchelli et Sylvie Octobre dans leur livre La K-pop, soft power et culture globale.

Et à chaque industrie, son lot d’extrêmes.

Les « sasaeng » 

Les sasaeng sont des fans obsessionnels qui sont prêts à n’importe quel prix à rentrer dans la vie privée des idols. Leur organisation méthodique fonctionne selon une structure pyramidale. La hiérarchie est forte. A la base, les « aspirants sasaeng » ont pour objectif de surveiller le bâtiment des agences depuis l’extérieur, sans bien sûr interférer avec le travail des sasaeng plus « âgées ».

Quelle que soit l’admiration que vous portez à quelqu’un, le fait de le suivre dans ses activités privées et quotidiennes – en dehors des spectacles ou des événements officiels – ou même de se cacher pour l’observer en secret, constitue une violation manifeste de sa vie privée. Il s’agit d’un délit.” s’insurge Shy (nom d’emprunt), ingénieur du son de nationalité coréenne qui a travaillé avec plusieurs idols par le passé.

Plus les sasaeng montent en grade, plus il y a de tâches et donc de privilèges. Par exemple, certains des fans peuvent accéder aux fan signs ou aux programmes auxquels participent les idols

Bien que certaines agences aient engagé des actions juridiques, le système légal coréen peine à offrir une protection adéquate selon Shy : En Corée, il semble qu’il y ait encore une tendance culturelle à ne pas reconnaître ces actes comme des crimes graves. Les gens disent souvent des choses comme « alors ne devenez pas une célébrité » ou  « n’est-ce pas mieux que d’être ignoré? » Certains affirment même que la souffrance causée par les fans de sasaeng est comme une « taxe » que les célébrités doivent payer, explique l’ingénieur du son.

Une industrie K-asie parfaite

Des figurines des membres du groupe BTS dans un magasin à Bruxelles. Certaines sont souvent en rupture de stocks. ©Ivan Velasco

Dans le paysage musical sud-coréen, les maisons de disques ne se contentent pas de produire de la musique : elles orchestrent des stratégies complexes de marketing émotionnel, transformant les artistes en icônes culturelles. Parmi elles, on peut citer Hybe, leader du secteur au chiffre d’affaires de 10.5 trilliards de wons coréens, soit 6.451 milliards d’euros.

Mais comment fonctionne ce marketing ? C’est un jeu de narration, d’authenticité simulée et de construction de communautés affectives.


Chaque chanteur a une histoire, et les étiquettes la façonnent pour toucher des cordes émotionnelles profondes – le rachat personnel, la douleur surmontée, le rêve réalisé. Une narration savamment orchestrée dans des vidéos et interviews et sur les réseaux sociaux, créant ainsi un récit dans lequel le public peut se reconnaître. Chaque post, chaque story, chaque backstage partagé renforce l’illusion d’une connexion personnelle avec l’artiste.

Les maisons de disques créent également un sentiment d’appartenance à travers des événements exclusifs, du merchandising et des contenus réservés : le fan n’est pas seulement spectateur, mais partie active d’une communauté : Cette intimité digitale produit une diversification et un renforcement des contacts et des interactions à une échelle large, au sein des fandoms, autour des contenus et de rites culturels. Or cette intimité est nourrie et actualisée régulièrement par des pratiques participatives de fans qui lient ces derniers à leurs idols en oscillant entre registre privé et registre public”, écrivent Vincenzo Cicchelli et Sylvie Octobre, sociologues et auteurs du livre la K-pop, soft power et culture globale.

“C’est une industrie à haut risque et à haute récompense.”

Si les stratégies des maisons de disques nuisent parfois aux fans, elles sont également nocives pour les idols eux-mêmes. Elles contrôlent la vie personnelle des artistes. Ceux-ci ne sont par exemple pas autorisés à être en couple. Ce contrôle s’exerce dès les auditions, hautement compétitives, via des régimes extrêmes et des entraînements de 12 heures par jour

Cette pression a conduit des artistes à rapporter des problèmes de santé mentale comme Hanni, du groupe NewJeans, qui a dénoncé des épisodes de harcèlement. L’argent en jeu n’aiderait pas à faire cesser ces abus. C’est une industrie à haut risque et à haute récompense. Si une idol ne réussit pas, cela peut représenter un défi financier pour l’entreprise. Si tout se passe bien, l’entreprise peut croître de façon significative. Mais actuellement, il y a une tendance en Corée du Sud à produire un très grand nombre d’idols. L’attention ne se focalise parfois plus sur la musique elle-même, mais sur le succès commercial”, ponctue Shy, qui a travaillé dans une industrie non exempte de fausses notes.