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Le grand retour du vinyle ou la stratégie de la nostalgie

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Le grand retour du vinyle ou la stratégie de la nostalgie

Le grand retour du vinyle ou la stratégie de la nostalgie

Publié le 16-05-2019 par

Le disque vinyle résiste face au streaming et au téléchargement digital.

En 2016, 267 000 disques 33 tours se sont vendus en Belgique, un chiffre d’affaires qui s’élève à près de 6 millions d’euros.

Ventes musicales en 2018 – Belgique
Infogram
Source : IFPI et BEA

Même si cela ne représente que 5% du marché, cinq ans plus tôt, il ne s’en était vendu que 63.000. On observe donc que le vinyle gagne des parts de marché face au streaming et au téléchargement digital, et c’est toujours le cas actuellement.

Marché du vinyle : passion ou business ?
Pierre est gérant de la boutique

Depuis des années, les « diggers » (collectionneurs de vinyles), à la recherche de la perle rare, sont prêts à fouiller pendant des heures dans les bacs des brocanteurs et ceux des vendeurs spécialisés.
La « galette noire », comme ils l’appellent, est un produit de collection pour une communauté de plus en plus importante. En Belgique, on peut acheter des disques dans divers magasins, de petites boutiques spécialisées aux grandes chaînes qui consacrent des rayons entiers à la musique.

Pierre est le gérant de la boutique « The Collector » et un expert dans la vente de vinyles. Située à côté de la Bourse de Bruxelles, la boutique existe depuis 1982. Ces dernières années, il a constaté une augmentation significatives des ventes, essentiellement de la part des jeunes de 18 à 30 ans. Il précise que le vinyle « n’a jamais cessé d’exister depuis sa création parce que les clients sont surtout des collectionneurs ». Le vinyle est donc « tendance » auprès du jeune public. Pierre ajoute que c’est un public curieux qui vient en magasin pour fouiller et découvrir des musiques des années 60, 70 et 80 qu’ils connaissent grâce à leurs parents.

 

Pierre travaille chez « The Collector » depuis son ouverture dans les années 80 / Crédit photo: Noemi Dell’Aira

De nombreux disques rares font le bonheur des collectionneurs / Crédit photo: Noemi Dell’Aira

Du point de vue de la valeur ajoutée, Pierre est catégorique : « Je pense que la qualité du son sur vinyle est mieux que celle d’un son MP3 ».Pour lui, écouter de la musique sur vinyle « c’est plus sympa ! ». En effet, le rapport à la musique est différent au niveau matériel.

Pour Pierre, il existe un avant et un après cette tendance du vinyle. D’abord au niveau de la qualité : « Avant c’était de la bonne qualité, maintenant tout est en digital ». Il explique que le son des nouveaux disques a perdu le caractère chaleureux des vieux vinyles et le grain qui leur est propre. « Dites vous que les vieux disques, on les faisait directement à partir des instruments dans un studio, tandis que maintenant c’est à partir d’un CD ». L’écoute d’un disque plus ancien nous immergeait directement dans la salle de concert. Au niveau de la forme, « les nouveaux sont moins solides, même leurs pochettes », explique-t-il.

Pierre s’exclame : « Les nouveaux disques ne sont pas des objets de collection ! Pour les anciens, ceux des années 60, 70, 80 c’est le cas et d’ailleurs ils sont difficiles à trouver. Mais les nouveaux, on peut les graver en milliers d’exemplaires donc il n’y a plus de notion de rareté ».  Tous les disques neufs sont pour lui « chers, vraiment très chers ». Les disques anciens, de collection, sont coûteux, eux aussi, mais ce sont des originaux. Le vendeur nous explique que le prix d’un vinyle dépend des groupes, des noms, des années, de son état de conservation,…
Le prix des vinyles actuels, Pierre le justifie par le marketing. « Ce sont les compagnies qui décident, qui savent que c’est à la mode alors ils montent les prix, ils en profitent ». En chiffres, on observe que les anciens tirages avoisinaient  les 2000 exemplaire, tandis qu’à présent on en tire jusqu’à 10 000. « C’est l’économie, c’est moins cher de faire comme ça, au détriment de la qualité » ajoute-t-il.

Étalage de vinyles Rap – Hip-Hop chez Fnac / Crédit photo: Noemi Dell’Aira

On trouve aussi des vinyles dans les grandes enseignes comme Médiamarkt, la Fnac, etc. Dès l’entrée des magasins, on aperçoit que le vinyle et le CD sont mis en avant côte à côte sur les étalages.

Catherine est responsable du rayon musique à la Fnac de la rue Neuve depuis 10 ans environ . Elle a effectivement observé une augmentation des ventes de vinyles ces dix dernières années. Elle ajoute que la Fnac a dû changer la disposition du rayon depuis lors. « Avant, on consacrait une petite partie du magasin à certains vinyles assez vieux et c’était pas le produit phare du magasin. Maintenant, les artistes du moment nous envoient pour la plupart un tirage de vinyles en plus de leurs albums ». Elle explique également que les disques sont à présent mis en avant à l’entrée du magasin. Elle ajoute d’ailleurs : « On sait qu’une partie de notre clientèle est attirée par ce produit, dont beaucoup de jeunes, alors on les place à l’entrée ».

Elle pense que le vinyle fait partie de la tendance vintage. Il y a un nouvel engouement autour de l’achat de tourne-disques et l’envie de commencer une collection de vinyles. « On reçoit les dernières nouveautés des artistes, souvent ceux que les jeunes adorent et ils se ruent dessus » dit-elle en riant. Elle ajoute que le public se compose tout de même encore de connaisseurs, souvent plus âgés, car le magasin propose une sélection très diversifiée de disques.

Tout ne tourne pas rond
Chez

Le processus industriel pour dupliquer à grande échelle les oeuvres musicales sur le support du vinyle entraîne plusieurs faiblesses d’un point de vue sonore. En effet, la qualité sonore n’est pas des plus parfaites. Dans le cas du vinyle, une partie de l’information est toujours perdue et des bruits de distorsions s’ajoutent à la listes des défaillances. Ce sont ces points critiques qui ont poussé les opérateurs à tenter une amélioration de la technique au fil des années. Avec l’apparition du CD en 1982, les défauts du vinyle se sont fait entendre et une réelle compétition est née entre les deux disques.

Le vinyle: un objet esthétique

Mais, une question se pose : si le son n’est pas des meilleurs, pourquoi autant de consommateurs préfèrent-ils le disque vinyle ?

Premièrement, son aspect visuel est attractif. Dans la société actuelle, la population est plus attirée par le packaging d’un produit que par ce qu’il contient. C’est le cas pour la nourriture, les produits de soins et c’est ce qu’il se passe également pour d’autres objets du quotidien comme le vinyle. Certains l’achètent uniquement pour l’exposer et il devient ainsi un véritable objet de décoration.

Deuxièmement, la durée de 20 minutes par plage qui oblige l’auditeur à retourner la face ou la remplacer par une autre lui permet de devenir acteur de son écoute. Ce n’est pas le cas par exemple avec une playlist en streaming qui ne s’arrête jamais.

Le dernier point attirant pour les consommateurs se révèle être l’objet en lui-même. Le fait de voir tourner le disque vinyle, de pouvoir le manipuler, de le prendre du bout des doigts entraîne une relation qui est plus sensorielle qu’avec le CD, dont la manipulation n’est pas aussi délicate.

On l’a compris, le vinyle n’est pas parfait mais il comporte tout de même certaines qualités qui ne sont pas des moindres pour les collectionneurs et les plus passionnés.

Le vinyle pas prêt de geler
Quelques vinyles disponibles chez Igloo Records

Le vinyle ne fait pas que le bonheur des grandes maisons de production comme Warner et Universal. Des labels indépendants, comme le belge Igloo Records, ont aussi misé sur le retour en grâce du bon « vieux » disque noir.

Rémi Planchenault, label manager et gestionnaire de la distribution chez Igloo Records.

Rémi Planchenault, label Manager et en charge de la distribution chez Igloo Records, a accepté nous dévoiler les coulisses de son métier. Historiquement, c’était comme une évidence pour Igloo Records de revenir au vinyle. En effet, ce label spécialisé en musique jazz est né en 1978, quand personne ne se doutait vraiment que le C.D viendrait jouer les trouble-fête. Pourtant, comme il nous l’explique, à la fin des années 80, il a bien fallu déchanter : « le marché du vinyle n’était plus là, à part pour les « dj’s » ou certains types de musique comme le Reggae ». S’en suit une période de presque 20 ans pendant laquelle le vinyle disparaît du catalogue de chez Igloo.

Mais qu’avait donc le CD de si fantastique ? Ce que Rémi expose pourrait bien remettre en question les convictions de bon nombre d’acheteurs. « Sur CD, la retranscription du « master »  est beaucoup plus fidèle. Il faut savoir que le processus de fabrication du vinyle avec la galvanoplastie entraîne automatiquement une perte de qualité. Sur vinyle vous pouvez avoir de la distorsion, des bruits parasites, l’absence de certaines fréquences ». 

Mais alors comment expliquer un tel engouement pour un produit qui serait en fait de moindre qualité ? « Le son est plus chaud. De plus l’aspect esthétique représente un facteur moteur de son succès. Les pochettes peuvent être « exposées ». Je pense aussi qu’écouter un vinyle est parfois comme une sorte de « rite ». Tous les gestes qui y sont associés comme, par exemple, changer la face du disque, rappellent à certains des souvenirs de jeunesse.

 

Nostalgie 

En 2008, le label a souhaité « marquer le coup » pour célébrer ses 30 ans. Et quoi de mieux qu’un petit retour aux sources ? Le vinyle retrouvait sa place aux côtés du CD. Meilleurs ennemis ? Pour Rémi Planchenault, il y a peu de chances que le CD se fasse remplacer par le vinyle même s’il est clairement en perte de vitesse. Chez Igloo Records, il représente encore environ 80% des ventes, les 20% restant étant principalement occupés par le téléchargement qui augmente d’années en années. Le vinyle cherche encore sa place dans cet ensemble malgré un retour en fanfare.

Si le vinyle n’est pas le cœur des ventes chez Igloo c’est d’abord pour des questions de rentabilité. « Le vinyle coûte plus cher à presser que les CD. Notre label se trouve dans un petit marché de niche, de la musique jazz et indépendante. Pour nous, la rentabilité du vinyle n’est pas assurée car les coûts de production étant élevés, les marges sont plus faibles. De plus, la livraison est aussi plus compliquée et coûteuse à cause du format et du poids du vinyle. »

 

Le juste prix

La question de la rétribution des artistes revient aussi souvent chez les consommateurs. Beaucoup considèrent que l’achat de musique en format physique garantit une rémunération plus juste. Rémi Planchenault confirme cette tendance et ajoute que « le meilleur moyen de garantir une bonne rétribution de l’artiste c’est d’assister à son concert, d’acheter l’album à la sortie et d’éviter ainsi de passer par trop d’intermédiaires. » Par contre, à l’achat d’un vinyle ou d’un CD, les droits de reproductions mécaniques (1) et les royalties (2) versés à l’artiste sont les mêmes.

Enfin, la décision d’éditer certains artistes en vinyles se fait au cas par cas chez Igloo Records. Certains artistes sont demandeurs dès les premiers contacts mais quoi qu’il arrive, un temps de réflexion et d’écoute est crucial pour déterminer le format d’édition selon le producteur du label. Il considère que tous les types de musique peuvent être édités en vinyle.

Vinyles, CD, liens de téléchargement sont donc colocataires chez Igloo Records et la cohabitation se passe plutôt bien. Chaque format présente ses qualités et ses défauts mais c’est ce qui fait toute la richesse du secteur musical qui est loin de tourner en boucle.

 

(1) Droits liés aux reproductions autres que graphiques permettant à l’auteur de communiquer ses œuvres au public.

(2) La maison de production rémunère l’artiste sous forme de « royalties » calculées sur base des ventes de disques et des différents revenus tirés de l’exploitation des enregistrements.

Ceux qui écoutent : portrait d'un jeune mélomane
Ernest, jeune collectionneur de vinyles.

Dans cette petite chambre d’ado, réside un beau bazar organisé. Au milieu de piles de linges sales et d’un tas de bouteilles d’eau vides, les vinyles ont droit à un traitement de faveur. Ils sont soigneusement rangés dans des caisses en bois décorées ou empilés sur des étagères bricolées. Aujourd’hui, c’est Gainsbourg qui chante, éclairé par la lumière du jour.

Couché sur son lit, Ernest ne lâche pas son « dernier Brel ». Il n’a que 19 ans mais écoute principalement de vieux disques: « j’écoute beaucoup de vieilles chansons donc c’est cool parce que je m’y retrouve pas mal dans les vinyles. Là j’ai une centaine de disques et je pense qu’il n’y a que 20 trucs max plus ou moins récents. Le reste c’est de l’ancien. J’adore écouter de vieilles musiques ! » Si certains lui reprochent une nostalgie d’un temps qu’il n’a pourtant jamais connu, il estime profiter d’un mini musée sonore: « je vois ça comme un privilège d’avoir accès à une petite pièce bien conservée, une partie de l’histoire qui ne m’a pas été donnée de voir. J’écoute Jacques Brel et je peux imaginer qu’il a bossé sur ce disque, je l’entends faire vibrer les murs de ma chambre. Je n’étais pas là pour l’écouter de son vivant mais c’est ça qui est beau dans l’art, c’est cette intemporalité. Cette impression est renforcée avec le vinyle, on a un objet dans les mains comme une preuve de l’existence de ce qui a été. »

 

Ralentir le tempo

Gainsbourg finit de chanter et le disque continue de danser. Il est temps de le retourner. Ernest s’y applique avec précaution. « Ce qui me plait avec les vinyles c’est qu’on a une vraie oeuvre d’art dans les mains. Certains vinyles ont même marqué l’histoire par leur couverture, on a donc un rapport plus intime et plus concret avec le travail réalisé par l’artiste. » Quand il prend le disque en mains, il se passe un temps sans un mot. Il le repose et l’aiguille repart piquer la bête noire. Gainsbourg résonne à nouveau, cette fois accompagné de Jane Birkin. Le jeune homme part fermer la fenêtre pour mieux entendre, il raconte: « ce que j’aime aussi c’est que contrairement à la musique en ligne où tu peux faire ta sélection, mélanger les dernières chansons à la mode ou passer un titre qui te plaît moins, avec les vinyles, on pose le disque, on en profite. On écoute l’oeuvre de l’artiste dans son entièreté, comme il l’a construite. J’aime cette idée de prendre le temps, c’est si rare aujourd’hui. »

 

 

Platine ou plate-forme ?

Sur ces mots, Ernest sort son smartphone et ses doigts accompagnent en mouvement le disque qui finit sa course. Sur Spotify, sa collection est également bien remplie, le vinyle est donc un plaisir qui ne se suffit pas à lui-même. En faisant défiler ses albums numériques d’un glissement de doigt, il explique: « pour moi, le stream et le vinyle peuvent être complémentaires. J’ai des albums que j’écoute sur internet mais que j’ai quand même acheté pour le plaisir de sortir un 33 tours orange qui pèse 500 grammes plutôt que d’appuyer sur un bouton « play » virtuel. Cela m’a aussi amené à redécouvrir des artistes que je n’avais plus l’habitude d’écouter.  Par contre, j’ai des disques que je suis content d’avoir en numérique parce que c’est plus pratique et que j’emporte ma musique partout où je vais. En gros, j’écoute de la musique sur mon téléphone toute la journée mais quand je rentre chez moi, je retire mes écouteurs et je profite de ma platine. »

Le disque commence à grincer sur un silence gâché par l’aiguille qui force la galette. Ernest sort d’une boite secrète ses derniers trésors « C’est une autre expérience le vinyle, tu as parfois un livret photos ou un dossier qui reprend les paroles, etc. Tout est travaillé et c’est magnifique. J’aime bien acheter des disques qui apportent une plus value à la musique. J’ai craqué sur un vinyle de Kendrick Lamar en édition limitée et numérotée sur 30 000 exemplaires. Le disque est transparent et lourd, c’est juste dingue de l’écouter et de voir cette oeuvre d’art tourner ! »

#musique #vinyles

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