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Louvain-la-Neuve : la « Baraque » tient toujours debout

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Louvain-la-Neuve : la « Baraque » tient toujours debout

Louvain-la-Neuve : la « Baraque » tient toujours debout

Publié le 07-06-2023 par , , et

Dans ce quartier autogéré, près de 130 personnes ont fait le choix de vivre autrement. Roulottes, caravanes, bus et autres habitations insolites composent le paysage. Reportage.

Une roulotte avec des rayures arc-en-ciel, un vieux bus du Tec orange et bleu, deux sortes de yourtes recouvertes de tuiles argentées ou encore une maison faite de paille et de chaux. Ce sont les habitations que l’on peut retrouver dans le quartier de la Baraque à Louvain-la-Neuve. Quand on déambule dans les chemins de terre de ce quartier auto-construit, rien ne se ressemble. On vous emmène pour une balade au milieu de trois hectares de bric et de broc.

 

© Perrine Le Floch

Une vie alternative
A l'approche de ses 80 ans, Jacques, ici, dans son salon, reste l'un des plus actifs. © Perrine Le Floch

Jacques, septante-six ans, entame sa trente-sixième année à la Baraque et fait partie des plus anciens habitants. L’aîné du lieu a occupé plusieurs habitats en solo, en duo ou en famille, avec ses deux enfants. Après sa période au Talus – l’un des sous-quartiers de La Baraque – en colocation, c’est finalement dans cette étroite roulotte vernie qu’il a élu domicile, seul : « J’ai travaillé comme tout le monde, à l’usine et ainsi de suite. Je suis monté en grade, à 30/35 ans, j’étais chef de secteur. Je dirigeais une dizaine de personnes, mais j’en ai eu ras-le-bol. »

Avachi sur son fauteuil en tenue confortable, le pied posé sur une table encombrée, Jacques, le regard pétillant, se livre sur les raisons qui l’ont poussé à claquer la porte de sa vie d’antan. « Je polluais trop donc j’ai tout laissé tomber. J’avais acheté une maison, j’avais deux gosses, une femme, mais elle n’a pas voulu me suivre. Donc ça a fini par un beau divorce (rires). »

Un travail, une vie conjugale dans les clous et un habitat modeste, cette vie « consumériste » ne lui correspondait plus. « Il m’a fallu chercher quelque chose pour me loger et j’ai fini par tomber ici, où l’on ne s’installe pas par manque d’argent, mais par philosophie de vie. »

Jacques a beau approché des quatre-vingt ans, il reste l’un des membres les plus actifs de la communauté : « Je me lève, je vais à l’association, il y en a un qui fait à manger tous les jours, matin, midi et soir. Parfois, on est cinq ou six à y manger mais on n’est pas très nombreux en général. »

 

Jacques vit seul dans sa roulotte. © Perrine Le Floch

 

Quête de liberté

Sophie vit à la Baraque comme invitée depuis quatre ans. Elle nous accueille dans sa roulotte venue des Pays-Bas, parquée en bord de route. A l’intérieur, Chanel, « le chat de la voisine » attend patiemment sur un pouf. Escarpé mais fonctionnel, l’habitat de la quadragénaire est parfaitement aménagé. Comme Jacques, cette résidente était à la recherche d’un environnement de vie plus sain. « Il y a ce côté de liberté qui est important, de pouvoir être dans sa maison aussi. » Couper avec la ville était devenu une nécessité pour elle. « Je n’aime pas vivre entre quatre murs, dans le béton, au milieu de la ville. Ce que j’aime, c’est vivre au milieu de la nature. » Motivée par des personnes domiciliées dans le quartier, Sophie a saisi cette opportunité sans hésiter : « Je connaissais pas mal de gens, j’aime bien le côté communautaire, le fait de s’organiser à plusieurs et ce vivre-ensemble, je trouvais ça chouette. » 

Originaire de la région, Sophie a arpenté les routes en van avant de découvrir la vie en roulotte : « J’ai vécu dans une roulotte prêtée et avant ça, j’habitais à quatre kilomètres d’ici dans un chalet dans les bois. Ça m’est arrivé de vivre dans un appartement, mais jamais trop longtemps. » Depuis son arrivée, ses journées sont essentiellement rythmées par l’aménagement de son logement et quelques activités.

Ce jour-là, Sophie s’est, par exemple, portée volontaire lors d’un atelier pizza à la Fattoria, l’association du lieu, avec des jeunes bruxellois en situation de handicap. « J’ai des petits boulots, mais pas un travail fixe. Avoir un travail à temps plein en ce moment, je ne l’envisage pas car ça demande beaucoup d’organisation à côté. Je n’ai pas fini d’aménager ma roulotte, il faut faire le bois, s’occuper des toilettes sèches. Je ne pourrais pas faire d’activités en collectivité », reconnaît-elle.

 

Sophie et Chanel dans leur roulotte. © Perrine Le Floch

 

Je ne paye que 15 euros de facture de gaz par mois.

 

La vie en communauté joue un grand rôle dans l’installation des habitants dans ce quartier mais les raisons financières sont également importantes pour la majorité d’entre eux : « C’est vrai que ça coûte vraiment moins cher qu’un appartement et on peut quand même choisir comment on l’aménage ». Comme Sophie, l’invitée du lieu, Fred, 50 ans, souligne cet aspect de la vie alternative : « Si je n’avais pas eu la chance de vivre à la Baraque, je ne pense pas que j’aurais pu rester dans la région qui est tout de même super chère. » Originaire d’Ottignies, cet habitant a pu allier l’utile à l’agréable en élisant domicile dans ce quartier de Louvain-la-Neuve, à la fin des années nonante : « Ce serait malhonnête de dire qu’il n’y a pas une motivation économique derrière. Ma roulotte, je l’ai payée 50.000 francs belges donc 1.250 euros. »

Installé, ici, depuis plus de 25 ans, le quinquagénaire vit dans une roulotte de 60 m², avec annexe, avec ses deux enfants. En arrêt depuis 2016 à la suite d’un accident de la route, Fred ne peut aujourd’hui plus travailler. Ses revenus limités poussent le père de famille à faire attention à la moindre dépense : « Je ne paye que 15 euros de facture de gaz par mois », nous confie-t-il.  

 

Fred et sa roulotte améliorée. © Perrine Le Floch

 

Après avoir quitté l’usine, Jacques, aussi, a dû faire attention à ses dépenses. « Je ne travaillais plus, j’avais tout laissé tomber donc il a fallu que je cherche à gagner un peu de sous. Travailler au noir, être chômeur et ainsi de suite. »

Bon nombre d’entre eux vivent avec des ressources modestes. « Souvent à mi-temps pour faire du social, de l’artistique ou voyager, parce qu’on vit avec très peu de moyens. Les habitations sont petites. Moi, par exemple, je n’ai que deux lampes. »

Un quartier en évolution
La plus grande maison construite de la Baraque. © Perrine Le Floch

L’histoire de la Baraque en tant que quartier autogéré remonte aux années 70. Au moment de la construction de Louvain-la-Neuve. Avant l’arrivée de l’Université catholique de Louvain, le hameau de la Baraque était un lieu de relais idéalement situé entre Bruxelles et Namur. Lorsque les travaux ont débuté, les quelques habitants ralliés par des étudiants en architecture à l’UCL se sont battus pour conserver le lieu. Ils y installent des roulottes supplémentaires et y vivent en mode « soixante-huitard ».

 

Jules Casse (1926-2016) : Habitant la Baraque avant l’arrivée de l’université, il est un des premiers à s’être opposé à la politique d’urbanisation du quartier en 1971. Il était ouvrier syndicaliste des papeteries de Mont-Saint-Guibert et y a vécu pendant 70 ans. La ville d’Ottignies-Louvain-la-Neuve a érigé une salle à son nom.

 

Finalement accepté par l’université et la commune de Louvain-la-Neuve, le quartier a commencé à se développer. L’UCL va même favoriser son évolution en lançant un appel d’offres pour encourager la construction d’habitations alternatives. C’est à cette époque qu’Elie Pauporté, futur chercheur-assistant à la faculté d’architecture de l’UCL, débarque à l’âge de 7 ans. Son père, alors de retour de France après avoir suivi une formation de construction en terre, décide de se lancer dans le projet d’ériger une habitation bioclimatique. L’université est séduite par le projet et offre un terrain aux parents d’Elie. « Mes parents étaient très alternatifs. Moi, j’étais plus conservateur. Je suis donc resté jusqu’à mes 18 ans avant de partir à Bruxelles pour faire mes études en architecture », explique-t-il.

 

Elie Pauporté enfant à la Baraque. © Archives – Elie Pauporté

C’est à cette période que les habitants obtiennent un plan communal d’aménagement. Il va permettre au quartier de devenir une zone d’habitat alternatif, après 20 ans de négociation et de lutte.

Le plan communal d’aménagement : « Anciennement appelé plan d’aménagement particulier, [il] permet aux communes d’organiser de façon détaillée l’aménagement d’une partie de leur territoire. C’est un outil qui permet d’aménager et de gérer une partie du territoire communal qui nécessite une maîtrise particulière […] Il peut s’agir par exemple de développer une nouvelle zone destinée à l’habitat, de protéger un patrimoine bâti ou naturel particulièrement intéressant, d’améliorer la structure d’un quartier, d’assurer la cohérence de projets d’implantation d’équipements. »

 

La Tortue de la Baraque (lieu communautaire) et une roulotte en 2002 et 2023. © Josse Derbaix, Elie Pauporté et Perrine Le Floch

 

Cependant, la Baraque reste un casse-tête juridique. En effet, d’un point de vue urbanistique, le quartier reste dans l’illégalité. De nouvelles habitations ont été érigées sans l’accord des autorités et de l’université, propriétaire du terrain. Cela a été toléré jusqu’en 2016 lorsque l’UCL et la ville de Louvain-la-Neuve ont demandé que les habitants régularisent leur situation en introduisant une demande de permis d’urbanisme sous forme d’habitat groupé. Depuis, plus aucune nouvelle habitation n’a pris racine au sein du quartier.

 

 

Et dans 25 ans ?
Les questions autour de la vie du quartier se règlent, en principe, main dans la main. © Perrine Le Floch

La Baraque est divisée en trois zones : « le jardin », « les bulles » et « le talus ». Chacun de ces sous-quartiers est représenté par une personne. Toutes les décisions sont prises entre habitants. Jacques précise : « Nous n’avons pas de chef, pas de président ni rien du tout. Tout se règle via des votes lors de réunions en sous-quartier ou en quartier. » Cependant, certains habitants n’ont pas le droit de vote ni d’obtenir un numéro sur leur habitation. Ceux-ci possèdent un statut spécial : celui « d’invité ». C’est le cas de Sophie qui nous éclaire : « J’ai juste le droit de donner mon avis lors des réunions. J’occupe l’emplacement de quelqu’un le temps qu’il revienne. »

« Certains vivent seuls, certains en couple, certains en famille, mais tous sont venus chercher une chose : la liberté », raconte Jacques. Mais les habitants ne font pas ce qu’ils veulent non plus. En effet, des règles ont été fixées pour éviter des dérapages. « Ici, on ne veut pas de voitures, pas de drogues dures. En cas de départ, les personnes sont obligées de vendre l’habitation au prix auquel ils l’ont achetée », explique Jacques. En cas de non-respect des règles, les membres de la communauté risquent une exclusion. « Cela n’est arrivé que deux fois en 35 ans. C’est donc très rare. » Aucune nouvelle construction n’est, par ailleurs, autorisée. « Nous avons décrété en réunion que nous étions assez nombreux », rapporte, encore, le vieil homme. Le fonctionnement de la Baraque est finalement très simple. Les habitants organisent leur temps comme ils le veulent. Jacques regrette l’esprit communautaire des débuts. « Auparavant, il y avait beaucoup plus d’activités communes. Aujourd’hui, on est plus individualiste. » Une situation confirmée par Sophie. « Quand je suis arrivée, on allait tous les dimanches soir au bar principal du quartier. Maintenant, c’est devenu très rare. »

Certains vivent seuls, d’autres en couple ou en famille, mais tous sont venus chercher une seule chose : la liberté.

Pour Fred, représentant du sous-quartier « le Jardin », la vie en communauté n’est pas toujours simple : « Il faut savoir conjuguer avec les voisins, on ne fait pas ce qu’on veut. Si l’on veut agrandir notre habitation, nous devons obtenir l’accord des autres. » Le quinquagénaire nous rapporte également que le jardin est la zone la plus dense. « On vit un peu les uns sur les autres. La vie en communauté est un art, ce n’est pas toujours facile. Il faut être un peu malin et comprendre ce qu’il se passe. » À L’époque, Fred a par exemple rencontré beaucoup de problèmes pour faire accepter son chien. « Il y a beaucoup de chats dans le quartier. Par contre, les chiens sont difficilement acceptés car ceux-ci font du bruit et peuvent plus facilement être méchants que les chats. Les habitants ne veulent pas être dérangés en fait, le respect de la quiétude d’autrui est très important. »

 

Jacques prépare le feu. © Perrine Le Floch

 

Les habitants peuvent être mis dehors à tout moment. En effet, les terres de la Baraque appartiennent à l’UCL qui peut pousser les “squatteurs” vers la sortie. Cependant, Jacques ne croit pas à un tel scénario. « L’université ne nous embête pas mais par contre, elle nous envahit petit à petit avec des constructions. » Il est bon de rappeler qu’à l’heure actuelle, les habitants sont toujours dans l’illégalité. Philippe de Clerck, architecte de formation et qui a travaillé sur le quartier de la Baraque précise. « Pour l’instant, ils occupent les terrains sans droit, ni titre. Cependant, ils travaillent à ce que ce ne soit plus le cas. L’université, la commune et le quartier ont un projet commun. Celui-ci consiste à la création d’une fondation qui paierait une redevance annuelle à l’UCL pour avoir le droit de séjourner sur le terrain. Malheureusement, cela fait cinq ans que ça n’avance pas mais c’est le projet. » La pérennité du quartier, c’est évidemment le souhait de Jacques, le doyen de la Baraque. « Moi, c’est sûr que je ne vais plus vivre 25 ans mais j’espère que la Baraque perdurera au moins pendant ces années. »

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