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Réfugié et LGBT, le parcours du combattant

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Réfugié et LGBT, le parcours du combattant

Réfugié et LGBT, le parcours du combattant

Publié le 13-08-2018 par

Vêtu d’un pantalon noir et d’une veste en cuir de couleur sombre, Patrick, nous relate son parcours, les jambes élégamment croisées sous la table. Agé de 33 ans, le jeune homme affirme qu’il a dû quitter son pays « pour des raisons de sécurité par rapport à sa sexualité qui est toujours condamnée au Cameroun.» « Là-bas, les gays sont envoyés en prison, » martèle-t-il.

En mars 2014, il quitte Yaoundé, la capitale du Cameroun, où il réside, pour la Belgique. Sans le dire à sa famille. Il sait qu’il ne reviendra pas. Il parvient à embarquer à bord d’un vol à destination de Guangzhou, cité industrielle située dans le sud de la Chine. A l’agent des frontières qui l’interroge à l’aéroport de Yaoundé sur les motifs de son voyage, il répond qu’« il se rend en Chine afin d’y acheter des marchandises pour son commerce » à Yaoundé. Ça, c’est la version officielle.

Le trajet de Patrick prévoit une escale à Bruxelles avant la destination finale. Il sait qu’une fois à l’aéroport Bruxelles-National, il se dirigera vers les autorités policières et demandera l’asile en Belgique. En raison des persécutions dont il affirme être victime au Cameroun à cause de son homosexualité. Arrivé à Bruxelles, il met son plan à exécution.

En effet, le Cameroun, pays de 23 millions d’habitants aussi grand que les ¾ de la France, est un haut lieu de répression des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT). Le code pénal de cet Etat punissant « d’un emprisonnement de six (06) mois à cinq (05) ans et d’une amende de vingt mille à deux cent mille francs (30 à 300 €), toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe. »

En 2014, la mort en prison d’un homme condamné pour homosexualité avait une fois de plus mis en lumière la condition des homosexuels dans le pays. Quelques mois plus tôt, un militant pour les droits des personnes LGBT, Eric Lembembé, avait été retrouvé inanimé dans son domicile à Yaoundé. Son corps présentait des signes de torture. Le militant en question était un ami de Patrick. Il exprimait son indignation à ce sujet dans un documentaire.

Ce triste sort réservé aux personnes LGBT ne se limite pas au Cameroun. Si la dernière décennie a été marquée par une fulgurante progression des droits des personnes LGBT, symbolisée par l’ouverture du mariage aux couples homosexuels dans de nombreux pays généralement situés dans l’hémisphère nord, cela tranche nettement de la réalité du reste du monde. Ainsi, dans son rapport annuel sur l’homophobie d’État, l’Association Internationale Lesbienne et Gay (ILGA) relevait qu’en 2017, « 72 États dans le monde criminalisaient les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe. »

Les peines encourues pouvant atteindre jusqu’à 14 ans de prison tel que c’est le cas au Nigéria ou la perpétuité comme au Sierra Leone, voire la peine de mort dans huit États. Arabie Saoudite et Soudan en tête. Certains Etats agissent autrement et interdisent tout simplement « la promotion de l’homosexualité. » Une lois a récemment été votée en Russie en ce sens. L’idée ici est évidemment de museler les associations LGBT.

Criminalisation des LGBT dans le monde
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Les relations homosexuelles illégales dans 72 États

Face à ses discriminations et à ces violences, les homosexuels sont généralement contraints de fuir leur pays. Et la Belgique fait figure de terre d’accueil pour ces exilés depuis de nombreuses années. En 2016, ils étaient 504 à demander la protection du plat-pays. Cependant, seulement 212 personnes se verront accorder l’asile sur la base de leur orientation sexuelle cette année-là. Soit un taux de reconnaissance de 42%.

Bien que moins d’un demandeur d’asile sur deux a pu bénéficier du statut de réfugié au bout de la procédure, il faudrait noter que ce taux de reconnaissance est en constante augmentation depuis quelques années. Du simple au double de 2013 à 2016.

 

Taux de reconnaissance des demandeurs d’asile LGBT en Belgique
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Cette évolution, qui traduit bien que les autorités belges prennent de plus en plus en considération l’orientation sexuelle dans l’évaluation des demandes d’asile, cache toutefois une autre réalité. Celle de la difficulté d’accorder l’asile sur la base de l’orientation sexuelle. Comment vérifier la crédibilité d’un demandeur de l’orientation sexuelle d’un demandeur d’asile ? Demander la signification du drapeau gay, des détails sur la première fois, indiquer les lieux de rassemblements communautaires alors qu’il n’en existe pas dans de nombreux pays, voilà le genre de questions que peuvent poser un officier de protection du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA), l’office qui octroie le statut de réfugié en Belgique.

Un entretien pour raconter son histoire

De son entretien au CGRA, Patrick se souvient surtout d’une séance fastidieuse : « Cela a duré trois heures. Mon avocat était près de moi. Ainsi qu’un agent du CGRA. Il tapait sur son ordinateur tout ce que je disais, me posait les mêmes questions plusieurs fois ». Il se sent assez à l’aise pour évoquer son rapport à l’homosexualité. Étant donné que « J’étais actif dans le milieu associatif au Cameroun », explique le jeune homme en posant sa tasse de café sur la table.

Les demandeurs et demandeuses d’asile comme Patrick doivent emporter «l’intime conviction» de l’officière ou officier du CGRA, dans un récit écrit puis pendant un entretien, « de ses persécutions vécues ou craintes », comme le stipule la Convention de Genève. Difficile pour les agents de discerner le vrai du faux.

La doctrine et les pratiques du CGRA sur la question demeurent un peu floues. Si leur demande est rejetée, les demandeurs et demandeuses d’asile peuvent faire appel à la Conseil du Contentieux des Étrangers (CCE) dans un délai de trente jours.

Officiellement, le CGRA suit les lignes directrices du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés. « Nous tenons compte des déclarations des demandeurs eux-mêmes, qui évoquent leur parcours, leur vécu en tant qu’homosexuel, ce que ça a provoqué chez eux, » explique Valentine Audate, responsable de la cellule Genres du CGRA. « Même si l’appréciation reste délicate face à une question encore taboue dans de nombreux pays… » précise-t-elle. Les fonctionnaires sont donc amenés à vérifier la cohérence interne du récit, via des comparaisons avec des informations objectives sur le pays en question. Dans certains Etats, la situation des homosexuels est telle que l’asile est accordé d’emblée dès que l’orientation sexuelle est établie. Mais d’autres cas sont plus difficiles : « Il existe des pays où l’homosexualité est criminalisée mais où il est possible de vivre normalement, sans être persécuté. La décision dépend du profil de la personne », rapporte Mme Audate.

Une décision d’autant plus délicate que les risques d’abus sont réels. « Même dans le milieu associatif, nous avons des témoignages qui affirment que des migrants non homosexuels participent à des activités LGBT. » En Belgique, les demandes d’asile liées au genre ne cessent d’augmenter ces dernières années. Et le motif de genre le plus souvent invoqué est bien celui de l’homosexualité.

Si la Belgique fait partie des « bons élèves » parmi les pays européens, toute vérification de l’orientation sexuelle reste délicate. En 2013, la Cour de justice européenne a, dans un autre jugement, estimé qu’un État ne pouvait pas simplement renvoyer le demandeur d’asile dans son pays en lui préconisant d’être discret, une pratique courante en Allemagne.

Racisme et stéréotypes

Nonobstant, l’obtention du statut de réfugié ne signifie pas forcément la fin des ennuis pour les réfugiés LGBT. Une fois installés en Belgique, ils doivent souvent se heurter à de nouveaux problèmes : le racisme et les stéréotypes. Patrick en a fait l’expérience à peine quelques mois après son arrivée à Bruxelles. « J’ai été surpris par les stéréotypes sur les étrangers, » souligne-t-il. Après plusieurs déconvenues, il est parvenu à la conclusion selon laquelle « les stéréotypes qui existent dans la société en général sur les Noirs se répercutent aussi dans le milieu gay. »

Des propos que confirme le journaliste Florian Bardou de Slate. Il a travaillé sur le racisme dans les LGBT en Europe : « la communauté queer n’est pas hermétique aux rapports de domination racistes. » Toutefois, une prise de conscience des enjeux liés à l’asile et à la migration semble émerger au sein des associations LGBT bruxelloises. En 2017, la Marche des fiertés LGBT+ ou Pride de Bruxelles avait pour thème « Crossing Borders. » Une façon pour les associations de mettre en lumière le sort des personnes LGBT obligées de fuir leur pays pour vivre dans la liberté et la sécurité.

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