Parents dans le sport : des encouragements aux débordements

Parents dans le sport : des encouragements aux débordements

Thibaut Di Zinno
Photos : Mathilde Mettens
9 mai 2018

On l’entend souvent, le sport est bon pour la santé. Les parents doivent d’ailleurs inciter leurs enfants à en faire régulièrement. Parfois, certains oublient le côté bénéfique du sport. Ils voient en leur enfant un futur champion et n’hésitent pas à lui mettre énormément de pression. D’autres perdent de vue l’aspect récréatif du sport et en viennent à agresser d’autres parents, joueurs, entraîneurs ou arbitres. Nombreux sont les faits divers qui relatent des bagarres entre parents lors d’un match de football de jeunes. Ces débordements peuvent-ils se produire dans un sport totalement différent comme le tennis ? Le milieu social joue-t-il un rôle ? La pression est-elle la même entre ces deux sports ? Enquête.

Des parents qui dérapent

L’année passée, la vidéo de parents en train de se battre pendant un match de foot de jeunes faisait le tour de la toile. La scène se déroule en Espagne mais ce phénomène ne peut être réduit à la péninsule ibérique. En Belgique, aussi, on peut malheureusement assister à ce genre de dérive. Comment peut-on en arriver là ?

Philippe Godin est psychologue du sport. Pour lui, la violence n’est pas limitée au football. Cependant, « le football est un sport de contestation, c’est ancré dans la culture. On voit souvent des joueurs râler auprès de l’arbitre alors qu’il existe des sports dans lesquels c’est interdit », explique-t-il. La contestation fait partie du jeu et elle serait, selon le psychologue, une des causes de ce genre de débordements. « De plus, dans le football, il y a toute une série de règles qui permettent les agressions », ajoute Philippe Godin. Il entend par là les tacles appuyés, les coups d’épaule et tous les autres contacts involontaires (ou non) qui peuvent blesser. Ces éléments peuvent accentuer les tensions sur et en bord de terrain. Ainsi, des parents qui seraient témoins d’agressions sur leur enfant pourraient mal réagir.

« Un supporter de foot est engagé, il est partisan et a la sensation de participer au résultat » – David Jamar

Ces comportements pourraient-ils se produire dans un sport comme le tennis ? Pas vraiment. « On exige dans le tennis que les supporters soient silencieux durant l’échange. Cette forme de silence courtois est une marque de fabrique de ce sport. Regarder du tennis c’est analyser et en même temps regarder sans arrêt », affirme David Jamar, sociologue à l’Université de Mons. Selon lui, le sport et sa culture seraient les facteurs des comportements des supporters (et donc, des parents). « Un supporter de foot est engagé, il est partisan et a la sensation de participer au résultat », poursuit-il. C’est pourquoi certains parents agiraient de manière démesurée, à l’image des mouvements ultras, même lors de match de jeunes.

Deux sports bien différents

A première vue, le football et le tennis sont très différents. L’un est un sport collectif, l’autre individuel. L’un se joue avec les pieds, l’autre avec une raquette. « Dans le foot, il y a une certaine forme d’opposition d’organisation du travail où chacun est censé occuper la tâche qui lui a été attribuée. Dans le tennis, ce sont avant tout deux noms de famille qui s’affrontent. C’est extrêmement personnalisé. Cela rappelle les prises de duel aristocratique. Un ego et son honneur contre un autre », indique David Jamar. Il compare ces duels à un match de tennis. « Un duel aristocratique ce n’est pas « je vous saute dessus », ce n’est pas un corps à corps. Ce sont des esquives, il y a de la distance et puis il y a des coups qui tuent. Il y a un outil, une distance et puis il y a une analyse permanente de l’adversaire, ses forces et faiblesses etc. Cela ressemble fort à un échange en tennis ».

Cette distance est beaucoup moins présente en football. Il s’agit d’un sport de contact où l’agressivité est tolérée. Pour le sociologue, l’agressivité existe aussi en tennis mais est beaucoup plus larvée. Elle se manifeste dans les analyses ou dans les mots. « Dire à quelqu’un « toi tu ne tiens pas le choc », ça peut être très violent à encaisser. Mais à la différence du football, en tennis, on ne va pas le crier en bord de terrain », assure-t-il. Maxime Van Der Schrick, ancien joueur de tennis, ajoute qu’il y a une relation de confiance qui doit se créer en tennis. « A un moment donné, il faut pouvoir faire confiance à l’adversaire quand il dit que la balle est sortie ou non. Alors qu’au football, pour y avoir joué, on engueule directement l’arbitre parce qu’on a onze points de vue différents », dit-il.

Les comportements des parents seraient donc plus agressifs dans le football parce que ce sport les a intégrés dans sa culture. Doit-on l’accepter sans rien faire ? Doit-on trouver ça normal de critiquer l’arbitre, l’entraîneur, les joueurs ou en venir aux mains avec d’autres parents ? Ce n’est pas l’avis du projet « Parent Fair-play ».

Revenir aux bases

C’est pour limiter les débordements au bord des terrains que le projet « Parent Fair-play » a vu le jour. L’Association des Clubs Francophones de Football (ACFF) l’a lancé en 2015 pour responsabiliser les parents sur leur comportement pendant les matchs. L’association est partie du constat qu’il y avait de plus en plus de violence sur et en dehors des terrains de football. Les premiers visés sont les parents qui ont un rôle très important. Le message qui leur est destiné est : « continuez à vivre vos émotions mais contrôlez-les ». Aujourd’hui, on compte 146 clubs qui participent à l’action et plus de 1250 parents Fair-play. Mais qui sont-ils ? Quel est leur rôle ?

Un parent Fair-play, c’est un papa ou une maman qui assiste régulièrement aux matchs de son fils ou sa fille. Au bord du terrain, il joue le rôle de modérateur, gère les conflits et tente de diminuer les tensions entre les parents. Tout cela grâce à la proximité qu’il entretient avec les autres parents. Il soulage aussi l’arbitre qui peut désormais se concentrer uniquement sur son match. En résumé, le parent Fair-play est la personne qui instaure un climat de respect mutuel entre les parents, joueurs, entraîneurs et arbitres. Il est reconnaissable avec son anorak et son brassard orange et doit être présent tant aux matchs à domicile qu’à l’extérieur.

Roberto Martinez, le sélectionneur national, soutient le projet aux côtés de Thomas Chatelle. © Parents Fair-Play

 

Selon Florence Hock, qui a repris le projet, l’action fonctionne. Il y a de moins en moins de tensions quand il y a un parent Fair-play au bord du terrain. « Lors d’un match d’une équipe dans la province de Liège, le parent Fair-play était absent. Résultat : le match a dégénéré », raconte-t-elle. Elle ajoute que « les femmes ont plus la capacité de faire redescendre les conflits que les hommes. Parce que quand tu es face à une femme, tu parles d’une autre manière et tu ne vas pas lever la main ». Le parent Fair-play ne doit intervenir que lorsqu’un problème arrive pendant le match. Il accueille également l’équipe adverse, lui montre les installations, bref, il crée un contact et installe une certaine relation avec l’adversaire pour éviter des dérives pendant la rencontre.

Beaucoup de parents au bord des terrains de football crient. « Le but est d’encourager son enfant à gagner le match. Mais en lui mettant cette pression, l’enfant va comprendre qu’il joue pour gagner », assure-t-elle. Le projet Parent Fair-play a une autre mission : apprendre aux enfants que gagner c’est bien mais jouer et donner son maximum, c’est mieux. Et cela passe par les parents Fair-play qui doivent aller calmer ceux qui s’énervent sur le bord du terrain parce que l’enfant ne joue pas assez bien. « Les parents qui regardent peuvent encourager. Mais il y a une différence entre encourager et pousser son enfant à gagner à tout prix ».

Beaucoup de pression

A la fin de l’année 2017, on comptait 104.800 jeunes footballeurs contre 35.070 joueurs de tennis. Sur les graphiques ci-dessous, on observe clairement le décalage qui existe entre la pratique de ces deux sports chez les jeunes. Ces chiffres sont ceux de l’AFT (l’Association Francophone de Tennis) et l’ACFF (l’Association des Clubs Francophone de Football). Ils reprennent donc le nombre de joueurs de football et de tennis affiliés à l’une ou l’autre de ces associations en Belgique francophone. Ces graphiques confirment l’engouement populaire pour le football.

Philippe Godin travaille autant avec les jeunes sportifs que les parents. Certains parents le contactent simplement pour demander des conseils. D’autres ont un projet sportif pour leur enfant. Dans ces cas-là, le psychologue met en place tout un système de sensibilisation qui vise à diminuer les risques d’excès. Son rôle : encadrer la relation parents-athlètes et les risques de pression liés au sport de l’enfant. « Je suis très sensible à l’aspect éducatif qui n’est pas incompatible avec la réussite à haut niveau. Je ne peux pas accepter l’idée que pour qu’un enfant y arrive, il faille avoir toute une série de comportements anormaux que les parents ont », déclare-t-il. Avant d’ajouter : « Tout ce que je prône, c’est du bon sens ».
Justin (nom d’emprunt) a vécu une enfance compliquée sur le plan sportif. Il a joué au football pendant près de 20 ans. Il a porté les couleurs de différents clubs de première division jusqu’à ses 16 ans. Son père était constamment sur son dos. Surtout au début. « Tout le monde disait que j’étais le meilleur joueur de l’équipe mais mon père ne me félicitait jamais », se souvient-il. Son papa était plutôt agressif au bord du terrain. « Il m’insultait en espagnol quand je ne dribblais pas assez ou que je ratais quelque chose. Il lui est arrivé de lever la main sur moi, surtout quand j’étais plus jeune », poursuit-il. A tel point que le jeune numéro 10 ne voulait plus jouer au football. « A la fin, j’allais au match avec la boule au ventre. Non pas parce que j’avais peur de mal faire mais juste de ne pas être au niveau que mon père espérait », raconte-t-il. Ce genre de dérives n’est pas propre au football. Maxime Van Der Schrick a côtoyé des jeunes tennismen mis sous pression par leurs parents. « Le papa râlait vraiment parce que son fils avait perdu le match alors qu’il n’avait que 14 ou 15 ans », se rappelle-t-il. Pour lui, ces parents sont aveuglés par la performance alors qu’à un certain âge, si le jeune n’a pas un certain classement il lui sera difficile de percer. « Pour moi, à 15-16 ans, il faut être série A », pense Maxime.

« Si les parents interviennent trop dans l’activité de l’enfant, c’est comme s’ils la lui volaient » – Philippe Godin

Pour Philipe Godin, si l’on recherche la performance, alors tous les parents sont susceptibles de déraper. « Un athlète doit rechercher l’indépendance mais en même temps il est complètement dépendant. Et c’est ce jeu subtile indépendance-dépendance dans lequel les parents doivent jouer. Si les parents interviennent trop c’est comme s’ils volaient l’activité au gosse et 9 fois sur 10 il va arrêter », assure le psychologue. Une étude a d’ailleurs prouvé qu’une trop grande implication des parents dans la pratique sportive de l’enfant était néfaste pour ce dernier.

Contrairement au football, il n’y a généralement que la famille des deux joueurs au tennis.

 

Les causes externes

A en croire Mario Gatta, ancien entraîneur des jeunes du Sporting de Charleroi, les parents qui pensent que leur enfant deviendra professionnel sont nombreux. « Il y en a beaucoup qui croient que leur fils c’est le nouveau Ronaldo ou Messi », lance-t-il. « Ce qui fait que quand l’enfant n’est pas repris pour le match ou qu’on lui dit qu’il peut se trouver un autre club en fin de saison, les parents tombent de haut ». Pour Philippe Godin, ces parents se voient réussir par procuration. Donc, chaque échec de l’enfant est tout autant mal vécu par le parent. David Jamar, lui, pense que ces parents ne sont pas une majorité dans le football. Dans ce sport, il y a toute une série de signes pour sentir si l’enfant a un avenir. Par exemple, le fait de jouer en équipe A plutôt qu’en équipe B. « La pression elle peut arriver quand l’enfant joue en A, qu’il a été repéré par d’autres équipes, qu’il a un très bon niveau technique. C’est dans ces cas particuliers qu’il peut y avoir un certain enjeu de carrière chez les parents. Mais la responsabilité n’est pas à mettre uniquement sur le dos des parents. C’est le système du foot qui veut ça », indique-t-il. Ou plutôt le système du sport en général. Si les parents se mettent à rêver d’un avenir dans le tennis ou le football pour leur enfant, c’est peut-être dû à la médiatisation de ces sports.

Une maman vit le match à fond.

 

Que ce soit dans le tennis ou le football, de nombreuses causes externes peuvent expliquer certains comportements parentaux. A commencer par les médias qui ne parlent principalement que des sportifs qui ont réussi. Rares sont les reportages sur ceux qui ont échoué aux portes de l’équipe première ou qui n’avaient pas le niveau suffisant pour intégrer le classement ATP/WTA. Mettre l’accent sur les professionnels, sur la réussite, cela engendrerait plus de pression selon Philippe Godin. « Dès qu’on parle d’équipe nationale, qu’il y a un Belge qui va loin en coupe d’Europe ou à un mondial, il y a un certain engouement populaire. Résultat : certains parents idéalisent ce sport et mettent davantage la pression sur leur enfant », signale-t-il. Maxime Van Der Schrick confirme. Il se souvient du début des années 2000 où on parlait beaucoup de Justine Henin et Kim Clijsters dans les médias. « A ce moment là, les parents étaient fous ! Ils pensaient tous que leur fils ou leur fille allait devenir le prochain grand espoir du tennis belge », raconte-t-il.

L’argent est l’autre grande source de problème. Certains joueurs de football gagnent des millions d’euros par an. Le vainqueur de Roland-Garros empoche 2.2 millions. Comment garder les pieds sur terre quand on entend les sommes que certains sportifs peuvent toucher ? Le problème, c’est que ce sont les meilleurs joueurs du monde qui se font beaucoup d’argent parce qu’ils sont au sommet de la pyramide. Et pour y arriver, il faut faire beaucoup de sacrifices. Des sacrifices que certains parents imposent à leur progéniture dans le seul but de devenir l’un des meilleurs. Gallagher et Coche, deux psychologues, affirment que certains parents font de leurs enfants des symboles de réussite. Ce serait pour compenser leur propre échec qu’ils agiraient de la sorte. Pour les auteures, cela aurait pour effet d’augmenter l’anxiété chez les parents mais aussi chez les enfants.

L’avis de Philippe Godin sur le phénomène des parents coach
Bien souvent, ce sont les parents qui placent leur enfant dans tel ou tel sport. On observe souvent que si la maman fait du tennis ou du volley, elle aura tendance à placer sa fille dans le même sport. Durant les premières années de pratique, le parent peut être ce qu’on appelle un « parent-coach ». C’est-à-dire que sur le terrain, papa devient coach et à la maison, le coach redevient papa. C’est une double casquette qu’il est difficile de porter. Je suis persuadé que si cela reste dans la phase d’initiation, il n’y a pas de problème. Si ça persiste jusqu’aux 20 ans du gamin, dans 90% des cas ça pose problème. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus de différence entre les moments où le père ou la mère doit jouer son rôle de coach et celui de parent. A la maison on ne parle plus que des performances de l’enfant. La relation « parent-enfant » devient une relation « coach-athlète ». C’est très compliqué à gérer. Ce que les parents doivent faire, c’est initier leur enfant à la pratique du multisport et après laisser le choix à l’enfant. Ils orientent et puis doivent à la fois être présent et lâcher prise. C’est le juste milieu qui compte.

Une affaire de classes?

La majorité des gens considère le football comme un sport populaire et le tennis comme un sport bourgeois. C’est ce que prouvent les graphiques ci-dessous. Pour obtenir ces chiffres, nous avons demandé à cent personnes de citer le premier sport populaire ou bourgeois qui leur passait par la tête. Les résultats sont sans appel.

On l’a vu, les comportements des parents peuvent être plus agressifs au football qu’au tennis. La nature du sport y est certainement pour quelque chose. Mais le fait qu’il s’agisse d’un sport populaire a-t-il son importance ? L’appartenance sociale des parents peut-elle jouer un rôle dans leur attitude ?
Avant d’affirmer quoi que ce soit, il convient de se mettre d’accord sur ce qu’on entend par les termes « populaire » et « bourgeois ». Selon David Jamar, on peut parler du football comme sport populaire si l’on fait référence à la masse de personnes qui s’y intéresse. Mais si on évoque les classes dominées, plus pauvres, alors le football n’est plus totalement populaire. Pour le sociologue, le football n’est pas un sport réservé uniquement aux classes plus défavorisées. Dans l’extrait suivant, il dépeint le microcosme (image réduite du monde, de la société, ndlr) social du football.

Dire que le tennis est réservé aux classes sociales plus favorisées n’est pas totalement vrai non plus. Certes les coûts liés au tennis sont élevés, mais c’est davantage la nature du sport qui en ferait une activité bourgeoise. « Il y a une certaine sophistication des objets dans le tennis, on est plus lointain de la balle, les adversaires ne se touchent pas, ils sont plus éloignés, le spectacle en lui-même est plus bourgeois », affirme David Jamar. Un spectacle « plus bourgeois » qui expliquerait les comportements plus pacifiques des parents. Ces derniers sont censés observer des moments de silence pour le bon déroulement du match. En plus, lors de matchs de jeunes, il n’y a généralement que les parents des deux joueurs concernés. Au football, ils sont beaucoup plus nombreux parce qu’il y a tout simplement plus de joueurs sur un terrain. Et surtout, les encouragements ou protestations peuvent se faire à tout moment du jeu et pas seulement entre deux échanges.

Avant le début de l’échange, les joueurs de tennis ont besoin de calme.

 

La culture du sport conditionnerait les comportements des parents. Les classes sociales pourraient également jouer un rôle. Au football, toutes les classes sociales sont représentées selon David Jamar. Il pense que les parents issus de classes sociales supérieures s’énervent un peu quand leur enfant perd un match mais relativisent très vite et se disent que ce n’est pas si important. « Il y a plus de détachement. Pourquoi ? Parce qu’ils savent qu’ils ont mis leurs enfants dans d’excellentes positions pour leur avenir. Donc ils sont moins inquiets parce que leurs enfants ont d’autres activités que le football ». Il y a également un rapport vis-à-vis de l’argent investi. Les parents, en général, ont envie que l’activité de leur enfant se déroule bien. Mais s’ils ont les moyens d’offrir plusieurs activités à leur enfant, ils relativiseront plus vite. Le sociologue explique son idée avec la métaphore suivante : « si je peux payer à mon fils ou à ma fille une glace une fois par mois, j’ai envie qu’elle soit bonne. Par contre, si je peux lui en payer une chaque jour, ce n’est pas grave si une fois elle est moins bonne ».

Dans le football, toutes les classes sociales sont représentées.

 

Plus d’argent donc moins de pression

Si la classe sociale des parents n’a pas vraiment d’influence sur leur comportement en bord de terrain, elle peut, en revanche, transparaître dans les discours ou les attentes des parents. Philippe Godin définit trois types de comportements anormaux chez les parents de jeunes sportifs. Il affirme que tous les parents croient bien faire. En réalité, à travers leurs mots ou leurs actes, ils peuvent augmenter la pression sur l’enfant.

Tout d’abord, il y a les comportements agressifs au bord des terrains au cours des compétitions. Ce qui peut déstabiliser l’enfant ou le paralyser dans sa pratique sportive. Il peut aussi imiter son père ou sa mère. « Dans le cas où un parent pète un plomb sur le côté du terrain, il n’a plus de légitimité lorsque son enfant casse sa raquette de colère », explique le psychologue. Ensuite, il y a la pression véhiculée par les discours. « Tu dois faire ton maximum », « tu ne peux pas rater », « celui-là, il est moins fort que toi, tu dois le battre », etc. Bien souvent, « ces discours ont lieu dans l’auto pour aller ou en revenant du match. Il y a une sorte de briefing à l’aller et de débriefing au retour. Ca peut pousser l’enfant à arrêter », ajoute Philippe Godin.

« Tous les parents croient bien faire » – Philippe Godin

Enfin, il y a les parents qui mettent une pression sans l’avoir officiellement dit. « Huit fois sur dix, l’enfant la ressent. Dès qu’il a l’impression qu’il est redevable par rapport à l’investissement qui est fait par ses parents, il se dit : « il faut absolument que je réussisse » », pense Philippe Godin. Les comportements décrits ci-dessus n’ont pas forcément de lien avec le statut social des parents. Néanmoins, David Jamar imagine qu’il puisse y avoir une pression plus forte chez les enfants de classes moins aisées. « Je ne dis pas que la pression est moins forte chez les gamins de classes supérieures mais simplement qu’elle est distribuée entre plusieurs activités », assure-t-il. Il aborde la question de l’investissement financier dans l’extrait ci-dessous.

 

Dans un club de football local, quand les parents apprennent qu’un joueur a été recruté par un grand club, ils se mettent à rêver. « Il y a cette image, un peu comme au lotto, où il y a une certaine égalité des chances, de sortir du destin social », explique David Jamar. Pour lui, la pression va peut-être s’installer davantage sur les très bons joueurs qui vont faire l’objet de transferts entre les grands clubs. Il pense également qu’il peut y avoir une pression sur les « moins forts ». Des parents pourraient exiger que leur enfant soit bon parce qu’ils investissent dans son sport. Tout comme on exige qu’un enfant soit bon à l’école.

Et chez les filles?

Très longtemps, le football a été considéré comme un sport d’hommes et le tennis comme un sport mixte. Aujourd’hui encore, de nombreuses personnes restent persuadées que les footballeuses ne pratiquent pas le même sport que leurs homologues masculins. « Le foot féminin, ça ne m’intéresse pas. C’est trop lent et il y a moins de spectacle », peut-on entendre dans la bouche de certains. Mais heureusement, les mentalités commencent à changer. Cassandre Geurts, joueuse de football au RFC Tournai, le confirme. « Quand les gens apprennent que je joue au foot, ils sont généralement surpris, mais de moins en moins. Maintenant, la surprise laisse place à la curiosité. On me demande où je joue, à quel poste, dans quelle division, si le niveau est bon, etc. », raconte-elle. Même son père a eu du mal au début. « Il considérait que ce n’était pas un sport de fille ».

À entendre certains commentaires rétrogrades sur le football féminin, on pourrait croire que les comportements en bord de terrain sont différents de ceux observés chez les garçons. Pas vraiment. « Il nous arrive de rencontrer des parents d’adversaires assez méchants, qui nous insultent ou essaient de nous faire perdre le fil du match », déplore Aurélie Hanssens, co-équipière de Cassandre. Le problème est présent dans toutes les catégories d’âge, peu importe le sexe. « Un jour, une joueuse a taclé proprement une autre fille qui a glissé sur le ballon et est tombée tête la première. La maman de la « victime » s’est immédiatement mise à insulter la joueuse qui avait commis le tacle et à la menacer verbalement et physiquement », se souvient Cassandre. Ce genre de comportement a pour conséquence de rendre certaines joueuses plus agressives sur le terrain. Le match peut alors très vite dégénérer. Une fois encore, c’est la culture du football qui est à remettre en cause. Le fait qu’un parent puisse insulter un joueur, un arbitre, un entraîneur ou même un parent adverse.

« Nous n’avons pas la même valorisation, ne disposons pas de la même reconnaissance » – Cassandre Geurts

Cassandre et Aurélie sont deux compétitrices qui se donnent à fond à chaque match. La première est capitaine et le brassard lui apporte une pression positive. A en croire les deux joueuses, il y aurait moins de pressions extérieures dans le football féminin. La sous-médiatisation pourrait en être une des causes. « On parle très peu de nous dans les journaux ou dans d’autres médias. Nous n’avons pas la même valorisation, ne disposons pas de la même reconnaissance », reproche Cassandre, bien que cela soit en train de s’améliorer. Elle constate tout de même que le foot féminin gagne en popularité. Par exemple, l’année prochaine, une dizaine d’équipes de filles devraient voir le jour. Le football commence à s’ouvrir à de nouveaux horizons. Aurélie soulève toutefois un autre problème qui dépasse le monde du football : les inégalités hommes-femmes. Au niveau de la médiatisation, on l’a vu, mais aussi en termes de salaire. « Les joueuses professionnelles ne sont que très peu connues et leur salaire ne leur permet pas vraiment de vivre du foot. Souvent, elles doivent suivre des études en parallèle », assure-t-elle. « Il y a encore beaucoup de sexisme ! », lance Cassandre. « Des fois, quand certains garçons regardent nos matchs, j’ai l’impression d’être un steak », regrette la capitaine tournaisienne.

Le football féminin commence à gagner en popularité.

 

Pas de différence pour le tennis féminin

Si le tennis a cette réputation d’être un sport mixte, les rencontres n’opposent jamais des joueurs de sexes opposés (sauf lors de certains tournois). Il y a d’ailleurs deux fédérations de tennis. La WTA (Women’s Tennis Association) pour les femmes et l’ATP (Association of Tennis Professionals) pour les hommes. En revanche, la médiatisation est plus ou moins la même en fonction du sexe. Ainsi, les médias belges offrent la même visibilité à David Goffin qu’à Elise Mertens à condition qu’ils aillent loin dans leur tournois respectifs.

Perrine Couvreur a commencé le tennis quand elle avait 5 ans. Sa mère l’a dirigée vers les cours et la magie a directement opéré. Elle n’a fait que trois ans de compétition et est passée de C.35 à C.30 au classement. Elle suivait 3 heures de cours par semaine. A ses 15 ans, son père lui a proposé de suivre un programme de sport étude. L’objectif : devenir pro. Pour sa mère, c’était trop tard. « Il faut commencer depuis tout petit si tu veux atteindre le niveau de Nadal », assure Perrine. Malgré le fait qu’il soit trop tard pour envisager une carrière dans le tennis, ses parents l’ont toujours accompagnée, soutenue et encouragée. « Au bord du terrain, ils étaient très calmes. A l’image des autres parents », confie Perrine. « L’ambiance est assez fair-play en tennis », ajoute-t-elle. D’ailleurs, en cas de défaite, il est très rare de voir le joueur battu ne pas féliciter le vainqueur. « Quand tu perds, tu ne peux t’en vouloir qu’à toi-même. Tu analyses constamment ce qui n’a pas été et tu répètes les mouvements sans cesse pour t’améliorer », affirme l’étudiante en communication.

Perrine Couvreur joue au tennis depuis qu’elle a 5 ans.

 

A son niveau, Perrine n’a pas de souvenir de parents qui mettent une pression démesurée sur leur enfant. Ni de parents qui s’énervent lors d’un match. « Ce n’est pas parce que ce sont des filles ou que le niveau est moins élevé qu’il n’y a pas de débordement. Je pense que c’est le type de sport qui veut ça », conclut Perrine.

Gaëtan Hendrickx : la double expérience

Gaëtan Hendrickx est un jeune joueur de foot professionnel du Sporting de Charleroi. Il évolue au poste de milieu de terrain mais ça n’a pas toujours été le cas. Lorsqu’il a commencé le football, il était gardien. Il a débuté chez les Zèbres avant de rejoindre Anderlecht à 10 ans. Il est ensuite passé par le Standard, Genk et Saint-Trond avant de retrouver le club carolo en 2016. Pourtant, Gaëtan n’a pas toujours joué au football. Après son passage chez les Mauves, il s’est essayé au tennis. « J’étais un grand mauvais perdant. Mes parents m’ont dit de me diriger vers un sport individuel pour ne pouvoir râler que sur moi-même en cas de défaite », raconte-t-il. Après avoir fait 2 ans de compétition en tennis et être monté C15.4, le foot lui manquait. Il décide alors de passer un test au Standard de Liège en tant que joueur de champ. C’est ainsi qu’il a repris le football à 13 ans.

Pour lui, le tennis et le football sont deux sports totalement différents. Dans le premier, on est seul et on ne peut s’en prendre qu’à soi-même. « En football, tu dois pouvoir gérer la vie de groupe, que tu sois d’accord avec les autres ou pas, accepter les choix du coach et faire un gros travail sur toi-même pour toujours te remettre en question et essayer de t’améliorer tous les jours », confie-t-il. L’un est-il plus dur que l’autre ? Pas sur le plan physique à en croire Gaëtan qui assure qu’il faut une grosse endurance pour les deux sports. Il ajoute que « le tennis est très intensif. Le jeu de jambes est super important et tu peux battre des adversaires uniquement grâce à ton physique. C’est ce que je faisais au début. Je n’étais pas très bon techniquement mais physiquement je prenais tout, j’allais chercher toutes les balles et du coup les autres s‘énervaient et finissaient par rater leurs coups », se souvient-il.

« Mes parents ont tout fait pour me mettre dans les meilleurs situations pour que je puisse réaliser mon rêve de devenir professionnel » – Gaëtan Hendrickx

C’est dans le football que Gaëtan a subi le plus de pression. Parce qu’il y a joué plus de temps mais surtout parce qu’il a atteint le top niveau. Cette pression, il la ressent davantage maintenant qu’il est professionnel que lorsqu’il évoluait en école de jeunes. « Il y a de grosses attentes autour de nous. Que ce soit des supporters, du club ou de la presse. Tu dois toujours te remettre en question, accepter les choix et les critiques. Ca fait partie du métier de sportif », lance-t-il. Ses parents ne l’ont jamais forcé à faire quoique ce soit. « Ils ont tout fait pour me mettre dans les meilleurs situations pour que je puisse réaliser mon rêve de devenir professionnel », dit-il. Cependant, ils l’ont toujours encouragé à finir ses études d’abord. Autour des terrains, ses parents étaient plutôt calmes. « C’est déjà arrivé que mon père s’énerve et qu’il crie pendant un match. Mais plus parce que mon attitude n’était pas bonne dans le sens où je tapais ma raquette ou que je râlais à ne plus vouloir jouer », se rappelle-t-il. Ses parents voulaient avant tout qu’il se comporte bien et respecte les autres, quelque soit le sport.

Concernant l’aspect financier, les deux sports ne jouent pas dans la même catégorie. Gaëtan le confirme. « Le football est plus accessible que le tennis. Certes, il y a une cotisation à payer en début de saison mais en contrepartie, on reçoit tout un équipement », affirme le médian carolo. Une saison de football coûte entre 300 et 400 € et comprend l’équipement, les frais liés à l’entretien des vestiaires, des terrains, les voyages en car, l’organisation de certains tournois, etc. « En tennis, il faut payer l’affiliation à l’AFT, l’affiliation dans un club pour la location des terrains, les cours collectifs ou individuels en sachant qu’un cours individuel tourne autour des 30€ de l’heure. Pour jouer des matches, il faut faire des tournois qui sont également payants », poursuit-il. Et il ne mentionne ici que les frais du tennis amateur. En effet, pour devenir pro, ça se compte parfois en milliers d’euros. Gaëtan pense aussi qu’il y a plus de chance de réussir dans le football que dans le tennis parce qu’il s’agit d’un sport collectif. « Il y a donc mathématiquement plus de places dans le football ». Il insiste également sur les frais des tennismen professionnels. « Ils doivent encore payer eux-mêmes les déplacements, les hôtels, leurs kinésithérapeutes et les coaches. Ce n’est pas facile de percer », regrette-t-il.

Le tennis et le football auraient plusieurs points en commun selon Gaëtan Hendrickx. Ce sont deux sports très physiques où le mental et l’entraînement jouent un rôle important. Par contre, les deux sports s’opposent en termes de coûts et de carrière. Le tennis est plus cher mais il est peut-être plus difficile de devenir pro. En ce qui concerne l’attitude des parents, Gaëtan confirme qu’il y a plus de nervosité et d’agressivité au bord d’un terrain de football mais, selon lui, ce serait dû au nombre de parents présents aux matchs. « Au football, il y a tellement de parents autour du terrain que tu ne remarques même plus les tiens. Au tennis, en revanche, il n’y a presque qu’eux et les parents de ton adversaire », termine-t-il.

(Re)voir le sport comme un amusement

Le football et le tennis sont différents en de nombreux points. L’attitude des parents au bord des terrains aussi. Les débordements sont plus fréquents dans le football mais cela serait davantage dû à la culture du sport qu’à l’origine sociale des parents. Celle-ci n’aurait pas tellement d’influence sur les comportements des parents pendant le match. La différence s’explique principalement par le fait que le spectateur en football, ici le parent, a l’impression de participer au résultat. Que ce soit au travers d’encouragements envers les joueurs ou une mise sous pression de l’arbitre. En tennis, ces éléments ne font pas tellement partie de la culture du sport. Le calme est requis pendant les échanges pour la bonne concentration des joueurs. De plus, lors de matchs de jeunes, le public est moins nombreux que pour une rencontre de football, ce qui s’explique par le nombre de pratiquants.

Les classes sociales n’ont pas vraiment d’influence sur les comportements des parents mais ceux issus de milieux plus aisés vont peut-être relativiser plus vite. Pourquoi ? Parce qu’ils ont placé leur enfant dans d’excellentes conditions pour l’avenir. L’environnement social peut cependant orienter le choix du sport. Ainsi, le football sera parfois privilégié au tennis par rapport aux coûts qui y sont plus élevés. Les classes n’ont pas non plus vraiment d’influence concernant la pression parentale. Il se peut néanmoins que certains jeunes ressentent plus de pression lorsqu’ils se rendent compte de l’investissement financier fait par leurs parents dans le sport.

En fait, la pression parentale varie plus en fonction de la relation parents-enfant, chaque situation étant différente. On ne peut donc pas affirmer qu’il y ait plus de pression dans le tennis que dans le football ou inversement. Les parents ne sont pas les seuls responsables. L’image des sportifs véhiculée par les médias et les sommes d’argent qui gravitent dans le sport peuvent faire tourner la tête à certains parents.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas normal de voir des enfants pleurer parce qu’ils ont peur de la réaction de papa ou maman quand ils perdent un match. Il est tout aussi inconcevable que des parents en viennent à se taper dessus pour un match de football de jeunes. Ne serait-il pas temps de rappeler que les enfants doivent faire du sport parce que c’est bon pour la santé et pour s’amuser ? Au final, tout le monde ne peut pas devenir le futur Lionel Messi ou Rafael Nadal.