L’année passée, la vidéo de parents en train de se battre pendant
un match de foot de jeunes faisait le tour de la toile. La scène se
déroule en Espagne mais ce phénomène ne peut être réduit à la péninsule
ibérique. En Belgique, aussi, on peut malheureusement assister à ce
genre de dérive. Comment peut-on en arriver là ?
Philippe Godin est psychologue du sport. Pour lui, la violence n’est pas limitée au football. Cependant, « le
football est un sport de contestation, c’est ancré dans la culture. On
voit souvent des joueurs râler auprès de l’arbitre alors qu’il existe
des sports dans lesquels c’est interdit », explique-t-il. La
contestation fait partie du jeu et elle serait, selon le psychologue,
une des causes de ce genre de débordements. « De plus, dans le football, il y a toute une série de règles qui permettent les agressions
», ajoute Philippe Godin. Il entend par là les tacles appuyés, les
coups d’épaule et tous les autres contacts involontaires (ou non) qui
peuvent blesser. Ces éléments peuvent accentuer les tensions sur et en
bord de terrain. Ainsi, des parents qui seraient témoins d’agressions
sur leur enfant pourraient mal réagir.
« Un supporter de foot est engagé, il est partisan et a la sensation de participer au résultat » – David Jamar
Ces comportements pourraient-ils se produire dans un sport comme le tennis ? Pas vraiment. « On
exige dans le tennis que les supporters soient silencieux durant
l’échange. Cette forme de silence courtois est une marque de fabrique de
ce sport. Regarder du tennis c’est analyser et en même temps regarder
sans arrêt », affirme David Jamar, sociologue à l’Université de
Mons. Selon lui, le sport et sa culture seraient les facteurs des
comportements des supporters (et donc, des parents). « Un supporter de foot est engagé, il est partisan et a la sensation de participer au résultat
», poursuit-il. C’est pourquoi certains parents agiraient de manière
démesurée, à l’image des mouvements ultras, même lors de match de
jeunes.
Deux sports bien différents
A première vue, le football et le tennis sont très différents. L’un
est un sport collectif, l’autre individuel. L’un se joue avec les pieds,
l’autre avec une raquette. « Dans le foot, il y a une certaine
forme d’opposition d’organisation du travail où chacun est censé
occuper la tâche qui lui a été attribuée. Dans le tennis, ce sont avant
tout deux noms de famille qui s’affrontent. C’est extrêmement
personnalisé. Cela rappelle les prises de duel aristocratique. Un ego et
son honneur contre un autre », indique David Jamar. Il compare ces duels à un match de tennis. « Un duel aristocratique ce n’est pas « je vous saute dessus », ce
n’est pas un corps à corps. Ce sont des esquives, il y a de la distance
et puis il y a des coups qui tuent. Il y a un outil, une distance et
puis il y a une analyse permanente de l’adversaire, ses forces et
faiblesses etc. Cela ressemble fort à un échange en tennis ».
Cette distance est beaucoup moins présente en football. Il s’agit
d’un sport de contact où l’agressivité est tolérée. Pour le sociologue,
l’agressivité existe aussi en tennis mais est beaucoup plus larvée. Elle
se manifeste dans les analyses ou dans les mots. « Dire à quelqu’un « toi tu ne tiens pas le choc », ça peut être très violent à encaisser. Mais à la différence du football, en tennis, on ne va pas le crier en bord de terrain »,
assure-t-il. Maxime Van Der Schrick, ancien joueur de tennis, ajoute
qu’il y a une relation de confiance qui doit se créer en tennis. « A
un moment donné, il faut pouvoir faire confiance à l’adversaire quand
il dit que la balle est sortie ou non. Alors qu’au football, pour y
avoir joué, on engueule directement l’arbitre parce qu’on a onze points
de vue différents », dit-il.
Les comportements des parents seraient donc plus agressifs dans le
football parce que ce sport les a intégrés dans sa culture. Doit-on
l’accepter sans rien faire ? Doit-on trouver ça normal de critiquer
l’arbitre, l’entraîneur, les joueurs ou en venir aux mains avec
d’autres parents ? Ce n’est pas l’avis du projet « Parent
Fair-play ».
Revenir aux bases
C’est pour limiter les débordements au bord des terrains que le
projet « Parent Fair-play » a vu le jour. L’Association des
Clubs Francophones de Football (ACFF) l’a lancé en 2015 pour
responsabiliser les parents sur leur comportement pendant les matchs.
L’association est partie du constat qu’il y avait de plus en plus de
violence sur et en dehors des terrains de football. Les premiers visés
sont les parents qui ont un rôle très important. Le message qui leur est
destiné est : « continuez à vivre vos émotions mais
contrôlez-les ». Aujourd’hui, on compte 146 clubs qui participent à
l’action et plus de 1250 parents Fair-play. Mais qui sont-ils ?
Quel est leur rôle ?
Un parent Fair-play, c’est un papa ou une maman qui assiste
régulièrement aux matchs de son fils ou sa fille. Au bord du terrain, il
joue le rôle de modérateur, gère les conflits et tente de diminuer les
tensions entre les parents. Tout cela grâce à la proximité qu’il
entretient avec les autres parents. Il soulage aussi l’arbitre qui peut
désormais se concentrer uniquement sur son match. En résumé, le parent
Fair-play est la personne qui instaure un climat de respect mutuel entre
les parents, joueurs, entraîneurs et arbitres. Il est reconnaissable
avec son anorak et son brassard orange et doit être présent tant aux
matchs à domicile qu’à l’extérieur.
Roberto Martinez, le sélectionneur national, soutient le projet aux côtés de Thomas Chatelle. © Parents Fair-Play
Selon Florence Hock, qui a repris le projet, l’action fonctionne. Il y
a de moins en moins de tensions quand il y a un parent Fair-play au
bord du terrain. « Lors d’un match d’une équipe dans la province de Liège, le parent Fair-play était absent. Résultat : le match a dégénéré », raconte-t-elle. Elle ajoute que « les
femmes ont plus la capacité de faire redescendre les conflits que les
hommes. Parce que quand tu es face à une femme, tu parles d’une autre
manière et tu ne vas pas lever la main ». Le parent Fair-play
ne doit intervenir que lorsqu’un problème arrive pendant le match. Il
accueille également l’équipe adverse, lui montre les installations,
bref, il crée un contact et installe une certaine relation avec
l’adversaire pour éviter des dérives pendant la rencontre.
Beaucoup de parents au bord des terrains de football crient. « Le
but est d’encourager son enfant à gagner le match. Mais en lui mettant
cette pression, l’enfant va comprendre qu’il joue pour gagner »,
assure-t-elle. Le projet Parent Fair-play a une autre mission :
apprendre aux enfants que gagner c’est bien mais jouer et donner son
maximum, c’est mieux. Et cela passe par les parents Fair-play qui
doivent aller calmer ceux qui s’énervent sur le bord du terrain parce
que l’enfant ne joue pas assez bien. « Les parents qui regardent
peuvent encourager. Mais il y a une différence entre encourager et
pousser son enfant à gagner à tout prix ».