Où sont les femmes ?
Depuis les origines du heavy metal jusqu’à récemment, on compte néanmoins quelques exceptions qui confirment la règle masculine. En 1977 nait une des premières formations exclusivement féminines de heavy metal, Rock Goddess, ni plus ni moins. Les sœurs Jody et Julie Turner à l’origine du groupe avaient à l’époque 13 et 9 ans. Girlschool est créé l’année suivante, un groupe britannique également entièrement féminin. Véritable OVNI à cette époque. Les groupes de filles dans le metal, ça ne courait pas les rues, même en cas de pleine lune. Celles-ci courent pourtant toujours, se produisant actuellement en concert avec 40 ans d’activité au compteur. A leurs débuts, elles ont pu compter sur le soutien de Lemmy Kilmister, légende de Motörhead consacré dieu du metal pour tout disciple qui se respecte. Elles participèrent à la tournée du groupe, gagnant en visibilité et popularité. Si les compétences intrinsèques de Girlschool sont authentiques, il faut pourtant admettre une vérité gênante : le groupe fut d’une certaine façon lancé grâce au support d’un homme.
Girlschool, « C’mon Let’s Go », vidéo masterisée par SacrifyX, Youtube
Doro Pesch fait aussi figure de tâche d’huile féminine dans l’océan masculin. En 1982, cette chanteuse allemande fonde son propre groupe, Warlock, avant de continuer sous son nom seul. Surnommée la « Metal Queen », elle est un peu l’alter-ego féminin de Lemmy dans le metal. Alter-ego allemand. Et moins connu. Logique toujours ?
C’est à peu près tout ce que l’on compte de notoire jusqu’aux années 90. Mais pourquoi diable direz-vous – encore une référence au prince des ténèbres, ça ne peut pas être une coïncidence. Les metalleux ont-ils peur des femmes ? Faut-il des poils au menton pour obtenir la carte de membre du cercle heavy metal ? Leur virilité se trouverait-elle en danger par une présence féminine ? L’imaginaire représentant le metalleux comme un homme préhistorique poilu, bruyant, primitif, barbare et puant la bière davantage qu’un vieux bistrot belge a la vie dure.
Un catalyseur du sexisme sociétal ?
Là, vous vous dites peut-être : 1) elle ne respecte pas la règle des sous-titres en chanson, 2) elle nous balance deux mots compliqués en une seule ligne. Pour faire simple, le metal ne serait pas particulièrement misogyne, mais plutôt à l’image de la société. « Je pense que le monde de manière générale est très sexiste et le metal l’est tout autant, ni plus ni moins. Il est simplement plus à prédominance masculine donc sans doute que les stéréotypes archaïques reviennent plus souvent », déclare Astrid, du groupe Anwynn. Et avec ces archaïsmes, les comportements déplaisants, voire insultants. Amalie Bruun, chanteuse danoise et unique membre du groupe de black metal Myrkur, a reçu des menaces de mort pour le simple fait d’être une femme. La chanteuse Kayla Philips du groupe de hardcore Bleed The Pigs s’est vue traitée de folle et d’hystérique. Quant aux musiciennes des Sisters of Suffocation, formation féminine de death metal néerlandais (qui a pris un batteur masculin depuis mai 2018), on leur a reproché à plusieurs reprises de « vouloir copier les mecs. »
Pour Anouk, ex-membre du groupe belge Cryptogenic, ces attitudes sexistes sont liées à des normes de genre préhistoriques. « Quand tu es une femme tu dois être calme, douce. Donc si tu es une féministe et que tu commences à gueuler, ça ne va pas du tout. Hop, t’es pas une vraie femme du coup, forcément. » Certains utilisent également le sexe pour rabaisser leur musique : « C’est bizarre que nous, en tant que femmes qui faisons du death metal, on a parfois des remarques dans le sens où nous ne sommes qu’un gadget pour attirer l’attention, qu’on n’est pas des vraies musiciennes, qu’on le fait juste pour devenir célèbres, des choses comme ça », signale Puck Wildschut, bassiste des Sisters of Suffocation. D’autres encore affirment que ces musiciennes ne sont pas à l’origine de leurs propres productions. « Au début les gens disaient que sur notre premier CD, ce n’était pas nous qui jouions », confie Romana Kalkuhl, guitariste du all-women band Burning Witches.
Sisters of Suffocation, les metalleuses néerlandaises décomplexées
L’ouverture du metal symphonique
Qui dit sexisme ordinaire, dit aussi remarques sur le physique des femmes. Et le heavy metal n’est pas épargné. Au milieu des années 90, entre les jeans déchirés et les chemises à carreaux nait un sous-genre nommé metal symphonique. Représenté aujourd’hui par des groupes tels que Within Temptation, Nightwish, Epica, Xandria et Amberian Dawn, ce mouvement se caractérise par la présence d’une chanteuse lyrique dans un groupe de musiciens souvent masculins. Une brèche spatio-temporelle ouverte pour le sexe féminin sur la scène heavy. Ces chanteuses parfois dignes des plus grands opéras sont souvent habillées, coiffées et maquillées de la même façon : des poupées de porcelaine en corset grandeur nature. Malgré leurs capacités vocales et leur performance scénique, elles se retrouvent souvent mises en avant pour leur physique féminin avantageux.
Un exemple flagrant de cette figure féminine hyper-instrumentalisée : Exit Eden. Avec en prime un nom évocateur du péché originel – merci Ève, tentatrice d’Adam. Quatre chanteuses lyriques parées de pseudo-robes de mariée en dentelle et gesticulant mélodramatiquement comme un cliché gothique ambulant dans un château médiéval, entourées de chandeliers et d’un brouillard artificiel douteux. « Pour moi c’est complètement anti-féministe ces filles ! J’ai horreur de ça. Elles ne font que reprendre des tubes de la pop de manière tellement clichée que c’est ahurissant. Ayez une personnalité, c’est tout ce que je demande », s’énerve Astrid. Faut-il encore préciser que leurs clips – tous tournés au même endroit, avec les mêmes gestes, les mêmes plans et les mêmes vêtements – comptabilisent plusieurs millions de vues sur Youtube ? Faut-il indiquer que les musiciens sont pour ainsi dire invisibles, apparaissant tout au plus 10 secondes sur chaque vidéo ? « C’est l’anti-thèse de la musique, une catastrophe. Et ce sont ces exemples abominables qu’on va retenir, alors que la majorité des filles dans le metal n’est pas comme ça. C’est comme dans le féminisme, les gens pensent que les féminazies c’est du féminisme, alors que non. On ne retient que les extrêmes. »
Si vous ne connaissez pas le concept de « féminazie », imaginez un nazi (logique) avec des cheveux longs et une paire de seins. C’est donc une nazie, félicitations. Vous la voyez ? Imaginez-la hurler à la soumission masculine, à la domination féminine ultime, imaginez-la se secouer comme une possédée (pensez à L’Exorciste, on reste dans le thème), casser tout ce qui lui tombe sous la main et lancer des casseroles dans tous les sens. Des casseroles joliment décorées des slogans « A MORT LE PATRIARCAT. » Vous avez le concept populaire de féminazie. Une véritable légende urbaine. Une insulte balancée à toute femme un peu énervée par les inégalités pour la décrédibiliser dans la seconde.
Revenons au metal symphonique. Malgré cette instrumentalisation de leur image, ces femmes sont les véritables fers de lance de leurs groupes, l’astre autour duquel gravitent les autres musiciens. Ils n’hésitent pourtant pas à les jeter et à les remplacer plus souvent que leurs paires de chaussettes (les metalleux ne portent pas de chemise). Nightwish en est ainsi à sa 3ème chanteuse. La première vocaliste du groupe, Tarja Turunen, s’est fait virée après un concert au moyen d’une lettre. Pas un mot en face, pas un signe avant-coureur, pas une explication honnête, après 9 ans de collaboration. Le summum de la virilité ?
Le metal pour les nuls
- Doom metal : Originaire de la moitié des années 70 en Europe et aux Etats-Unis, les premières chansons de Black Sabbath ont lancé les prémisses de ce sous-genre. Le doom metal se caractérise par un style particulièrement lent et des paroles très sombres, évoquant le désespoir, la peur et le malheur. Les guitares et les basses sont accordées plus basses. Ex : Candlemass, Pentagram, My Dying Bride.
- Glam metal : Né à la fin des années 70 aux Etats-Unis et incorporant des éléments du hard rock et du punk rock, le glam metal est surtout connu pour le style particulier des musiciens : souvent vêtus de cuir noir, ils portaient aussi un maquillage appuyé et avaient les cheveux permanentés. Au niveau musical, il se caractérise par un chanteur souvent charismatique, un batteur très technique et des solos entrainants de guitare. Les paroles traitent notamment de l’amour, du sexe, des filles, de la drogue. Ex : Kiss, Poison, Mötley Crüe.
- Speed metal : Sous-genre né au début des années 80 et issu de la New Wave of British heavy metal, il est souvent cité comme le sous-genre qui influença l’émergence du thrash metal et du power metal. Il se caractérise donc par sa vitesse extrême, son style abrasif et sa complexité technique. Ex : Judas Priest, Dragonforce, Anvil.
- Death metal : Sous-genre extrême de heavy metal né au début des années 80 aux Etats-Unis. Le style est rapide, brutal, et utilise la technique du chant guttural ou du « grunt ». Les textes sont particulièrement violents et sombres, évoquant souvent la mort mais aussi certains sujets philosophiques. Les guitares sont accordées plus basses, la batterie rapide, créant une musique intense et dynamique. Ex: Death, Cannibal Corpse, Suffocation.
- Thrash metal : Né au début des années 80 et issu de la New Wave of British heavy metal, se caractérise par une musique technique, rapide et violente, exprimant souvent des problèmes politiques et sociaux. Proche du speed metal, il est considéré comme plus agressif, moins mélodique et plus proche du punk hardcore. Ex : Megadeth, Slayer, Anthrax.
- Black metal : Egalement sous-genre extrême né au milieu des années 80 dans les pays d’Europe du nord, particulièrement en Norvège. La batterie est frénétique, les guitares dissonantes et le chant hurlé. La seconde vague du black metal, au début des années 90, voit apparaître des groupes se souciant peu de la qualité sonore, privilégiant plutôt la brutalité du son et l’anticonformisme. Les paroles sont très violentes, abordant des thèmes comme le satanisme, l’occulte, la mort, les troubles psychiques, etc. Ex : Mayhem, Gorgoroth, Emperor.
- Metalcore : Né à la fin des années 80 aux Etats-Unis, mélange de heavy metal et de punk hardcore. Aujourd’hui, le metalcore désigne le versant plus mélodique du genre qui a incorporé des éléments du death metal avec celui du punk hardcore. Né entre la fin des années 90 et le début des années 2000, cette musique se caractérise par un son très lourd, des guitares inspirées du death mélodique scandinave et un chant hurlé, parfois clair. Ex : Killswitch Engage, The Devil Wears Prada, Asking Alexandria.
- Nu metal : Genre hybride popularisé au début des années 90 aux Etats-Unis. Inspiré par de nombreux autres genres, notamment le hip-hop, la musique électronique, le grunge et le punk hardcore. Le genre se caractérise par une importance particulière du rythme, avec des riffs marqués. Il peut aussi être classé dans le metal alternatif, ces deux genres possédant des caractéristiques communes. Ex : Linkin Park, Slipknot, Korn.
- Metal symphonique : Né à la fin des années 90 en Scandinavie et aux Pays-Bas. D’inspiration orchestrale, il utilise notamment des claviers pour reproduire ce style symphonique. Le chant est lyrique, emprunté à la musique classique. Ex : Nightwish, Within Temptation, Epica.
L’image de la femme-appât
Si le physique de ces musiciennes est mis en avant pour une question de marketing, il est également la cible des remarques les plus inventives. Leur présence dans les groupes de metal est souvent perçue comme une technique de vente, un moyen d’attirer le public… masculin. « J’ai l’impression qu’on fait vraiment de la publicité quand on nous dit ça, qu’on est un sujet commercial », lâche Anouk. « J’ai déjà du débattre sur le sujet avec quelqu’un, encore une personne qui trouvait que les femmes dans la musique, c’est juste pour se montrer et qu’on a rien à faire là. Une autre fois j’ai reçu un commentaire sur Facebook : le groupe t’as prise uniquement pour ton physique, rien de plus. Sans m’avoir déjà écoutée ni quoi que ce soit. Si tu n’aimes pas un chant plus féminin, OK ça peut se comprendre, les goûts et les couleurs… Mais ce n’est pas comme ça qu’on arrivera à une égalité si on interdit aux femmes d’avoir accès à un milieu particulier. Ces personnes-là sont toujours fixées dans leur idée, bornées. C’est ça le problème avec les gens sexistes. »
« On juge beaucoup plus les chanteuses de metal sur le physique. »
– Anouk, chanteuse de death metal
Et puis il y a une vérité qui dérange (en dehors du réchauffement climatique) : certains hommes ne viennent que pour voir les femmes de ces groupes. Ils attendant sagement la fin du concert, font un selfie parfois moins sagement avec la chanteuse, et ignorent royalement le reste du groupe. S’intéressent-ils à leur musique, à leur style ? Apprécient-ils les capacités vocales de la fille ? Est-ce que la terre est plate et Donald Trump féministe ?
Là où l’hypocrisie devient curieuse, c’est quand ces hommes utilisent le physique de ces mêmes femmes pour les décrédibiliser. « Certaines personnes disent que la seule raison pour laquelle on fait ça [du metal] c’est juste parce qu’on a des seins », soupire Simone, guitariste des Sisters of Suffocation. Être à la tête d’un groupe ne change visiblement rien. Astrid n’est pas seulement la claviériste d’Anwynn. Après le départ du fondateur, elle a repris les rênes du groupe. Elle compose, gère les autres membres, organise les répétitions et les concerts, s’occupe de leur donner une image… Tout ce que nécessite une formation pour fonctionner. Sans oublier son métier de médecin. Une fille d’un autre groupe – le sexisme touche tout le monde – lui a pourtant déjà dit d’elle qu’elle « ne sert qu’à faire joli. » Un homme s’est aussi vexé car elle a refusé de boire un verre avec lui. Il a alors déclaré qu’il n’écouterait plus son groupe, leur musique « n’étant pas ce qu’il pensait. » « Ah oui, si ma musique dépend que j’aille boire un verre avec toi ou pas, clairement ce n’est pas ma musique que tu aimes », répond Astrid. Immoralité de l’histoire pour Anouk : les femmes ne peuvent rien faire sans être jugées sur leur apparence, le milieu du metal ne fait pas exception.
« Nous ne nous sentons pas autant respectées que les hommes. Beaucoup d’entre eux nous réduisent d’abord à notre corps. »
– Romana Kalkuhl, Burning Witches
Si les remarques se suivent et se ressemblent, ces musiciennes ont appris à composer avec les « lourds » et laisser couler. Un conditionnement au sexisme ordinaire – raison pour laquelle d’ailleurs ce sexisme devient ordinaire – pourtant vital pour avancer. Même constat pour les Burning Witches. A leurs débuts, beaucoup disaient qu’elles devaient leur succès à leur physique. Aujourd’hui, 3 ans plus tard, les avis ont changé. « C’est peut-être un point bonus d’être des femmes, mais on ne doit pas entièrement notre succès à ça », explique Romana. « Les gens voient qu’on a du succès car on est des bonnes musiciennes, car on leur montre qu’on adore notre son et on les fait sentir ça. Et ceux qui disent des mauvaises choses, ça ne compte pas pour nous. On s’en fout. Ils sont juste jaloux. »
De cette exploitation de l’image des femmes dans le metal résulte pourtant aussi leur surexposition sur le devant de la scène. La femme d’abord, les hommes après, comme au naufrage du Titanic. Le sexisme envers les femmes affecte aussi leurs homologues masculins, relayés au second plan. « Il y a aussi des avantages et parfois j’ai l’impression d’être hypocrite en les niant », confie Astrid. « Car c’est quand même toi qu’on va regarder. C’est horrible mais c’est la vérité. Le milieu du metal étant principalement masculin, en termes de gens qui écoutent, masculin hétérosexuel… Le fait d’avoir une fille, visuellement, c’est attirant. Si tu faisais exactement la même musique mais avec un mec à la place d’une fille, ça attirerait moins l’attention. »
Un état de fait qui influence aussi sa manière de gérer l’image du groupe. Elle et Eline, la chanteuse, sont clairement mises en avant, plus que les hommes. Le marketing l’exige, il s’assoie sur l’égalité des sexes. Astrid fait pourtant de son mieux pour donner sa place à tout le monde, s’assure de montrer aussi le batteur, le bassiste, les musiciens masculins dans les clips. Mais les mettre en avant autant que la chanteuse, elle sait que ça ne marchera pas. Sur les photos, elle et Eline seront toujours mises en avant – avec l’autre chanteur au milieu d’elles, pour une question de symétrie. « Je ne suis pas à l’aise avec ça. Mais j’ai appris que je ne peux pas faire 100% ce que je pense théoriquement juste si je veux que le groupe avance un minimum. »