La musique à la portée de tou.te.s

DESMEDT Laura, EL NAKADI Jâd, ROLAND Kelly, SANTORO Asli

La musique à la portée de tou.te.s

La musique à la portée de tou.te.s

DESMEDT Laura, EL NAKADI Jâd, ROLAND Kelly, SANTORO Asli
Photos : DESMEDT Laura, EL NAKADI Jâd, ROLAND Kelly, SANTORO Asli
22 mars 2018
Apprendre hors des sentiers battus

La musique et le rythme, difficiles à acquérir? Les obstacles sont nombreux mais pas insurmontables.
Des écoles ont trouvé le moyen de les contourner.

La musique, on ne lui prête pas toujours attention mais elle rythme la vie de nombreux individus : entrepôt dans les usines pour les ouvriers et ouvrières, café pour les étudiants et étudiantes, supermarché pour les mères et pères au foyer. Mais l’apprentissage de la musique est plus restreint : pas toujours facile de se libérer du temps pour maîtriser un instrument ou d’avoir la patience et la volonté d’apprendre le solfège. Nous avons donc pousser les portes d’institutions qui permettent une meilleure accessibilité à l’apprentissage de la musique.

Le solfège n’est pas une fatalité pour apprendre la musique

EL NAKADI Jâd

« Everybody’s a rockstar », tout le monde est une star du rock. Le site web de la Brussels Rock School annonce la couleur : débutants ou musiciens confirmés, nous sommes tous et toutes capable de jouer d’un instrument sans formation musicale préalable. Leur formule se veut « hors norme » et accessible.

« Je ne sais pas lire les partitions de musique. J’ai appris en jouant avec des copains ». Assis dans le canapé de son bureau, Reginald Goemaere ne se soucie guère des théories musicales classiques ; elles ne trouvent pas grande valeur à ses yeux. Ce rockeur est pourtant professeur de musique et le co-fondateur de la Brussels Rock School. Ce musicien professionnel enseigne au sein de son école une philosophie alternative : le solfège n’est pas une nécessité pour maîtriser un instrument. « Dans une académie classique, il faut attendre deux ou trois ans avant de toucher un instrument. Dès votre premier cours ici, on vous place derrière un instrument et vous jouez dans un groupe ». Guitare, basse, batterie, piano, tous les instruments sont réunis pour lancer un groupe de rock.

« Il faut d’abord stimuler le plaisir. Les gens viennent ici pour se marrer. C’est rock’n’roll et bonne humeur ». La philosophie et l’ambiance ont conquis les 300 élèves de cette école de musique « hors norme ». Des enfants, des adolescents et des adultes se rencontrent pour partager un amour de la musique qui se veut intergénérationnel. Sur les murs de cette école, les grands noms du rock de ces dernières décennies se côtoient : Elvis Presley, les Beatles, Jimmy Hendrix et David Bowie observent le travail de la relève.

Mais, en fin de compte, qu’est-ce qui différencie cette école d’une académie dite « classique » ?

L’intuition VS la technicité

« On peut déjà s’amuser avec 3 accords ». Dans cette salle de cours de la Brussels Rock School, aucune partition de musique ni de pupitre. Placés derrière leurs instruments, les élèves suivent leur intuition : une baguette dans chaque main, le batteur lance le rythme. La basse enchaîne mais aucun son de guitare. Pas de panique, Reginald a l’habitude : il prend une deuxième guitare et montre une nouvelle fois l’accord. « Fais le avec moi ».

Dans une académie dite « classique », la technicité est le maître-mot. Avant d’apprendre un instrument, la formation musicale est impérative. Être capable de distinguer les notes, de lire les partitions musicales et battre le tempo sont des pré-requis essentiels. La durée des années de formation varie en fonction des académies de musique. Par exemple, à l’académie de musique et des arts de la scène de Watermael-Boitsfort, le cycle de formation pour les enfants (à partir de 7ans) comprend 4 années de formation ainsi qu’une année de qualification. Pour les adultes, quatre années sont nécessaires pour acquérir la formation musicale.

Le talent mis à l’épreuve

Si l’apprentissage d’un instrument est d’abord un plaisir, dans une académie « classique », les compétences sont primordiales. A la fin de chaque année académique, les élèves doivent prouver leur compétence devant un jury de professionnels composé du directeur de l’académie, du professeur de solfège ainsi que du professeur de l’instrument en question. Si l’examen est réussit, l’élève peut accéder au niveau supérieur de la formation.

« L’examen ultime c’est le concert live ». A la Brussels Rock School, pas d’examen à proprement dit. Il n’est donc pas nécessaire de prouver ses compétences face à un jury de professionnels mais de les démontrer face à un public. « Nous organisons chaque année un festival de fin d’année. L’an dernier, 40 groupes sont passés en deux jours ». Le festival n’est pas le seul moment où les élèves peuvent démontrer leurs talents : « Nous avons une salle dans notre local près de Flagey où tous les groupes de l’école jouent toutes les deux semaines ».

De nombreuses écoles enseignant l’utilisation d’un instrument sans les cours de solfège ont ouvert leurs portes à Bruxelles : la Brussels Music School en est un second exemple. Le solfège ne semble aujourd’hui plus être un obstacle à l’apprentissage de la musique.

Abbey road : sur la route de la musique

EL NAKADI Jâd

Dans cette école, les élèves ne sont pas cantonnés à un seul instrument: « Un rockeur est un touche à tout« .

Pas de partition au tableau, le tempo est donné par les professeurs. Instruments à la main, ils forment avec leur élèves un vrai groupe de rock. Batterie, guitare, basse, piano: tout y est. Ils reprennent les plus grands classiques: les Beatles, Téléphone, Ray Charles,…

 

Sysmo, le rythme créateur de commun

ROLAND Kelly, SANTORO Asli

Un groupe de copains, des percussions, des signes. C’est l’essence même de « Sysmo » : une asbl où l’on enseigne le rythme de façon plutôt inhabituelle. Plus qu’une école de musique, Sysmo permet tout simplement de se réunir et de mettre en commun les aptitudes de chacun à créer des mélodies.

Musique et rythme, deux concepts très différents qui pourtant ne peuvent pas aller l’un sans l’autre. La musique nous fait directement penser aux mélodies, aux instruments produisant du son tels que le piano, la guitare ou encore le violon. Le rythme, en revanche, c’est le tempo, c’est battre la mesure et surtout…cela demande du solfège ! Malheureusement, le solfège implique un enseignement rigoureux et le travail à fournir est bien souvent long et fastidieux, voire même ennuyeux. Le compositeur argentin Santiago Vazquez l’a bien compris en créant le « Rythme Signé » avec son groupe de musique « La Bomba Del Tiempo » aux alentours des années 2000.

Un curieux langage

Le Rythme Signé est une méthode d’apprentissage de la musique qui ne nécessite aucune base en solfège. Cette approche permet donc à tout un chacun de réaliser des compositions musicales, à une seule condition : connaitre le langage signé. S’inscrivant directement dans la continuité du Rythme Signé, le langage signé est une technique qui rassemble une dizaine de signes représentant des temps et des contretemps, en d’autres termes, des rythmes. Désireux de rendre cette langue accessible à tous, Santiago et Augustin ont décidé de fonder une association nommée « Sysmo » dans le but de partager leurs connaissances. Sysmo offre des cours où le langage signé y est enseigné de manière ludique au moyen de compositions personnelles imaginées en groupe. Tout le monde peut s’y rendre, peu importe l’âge et peu importe la pratique ou non d’un instrument de musique.

L’improvisation, une vertu

Gwenaël est percussionniste de métier et a été recruté par Sysmo. Il y enseigne depuis plusieurs années. D’après lui, ses élèves sont des personnes qui ont souvent été découragées par l’apprentissage traditionnel de la musique et du solfège. Pour eux le langage signé leur permet de redécouvrir la musique sous un autre angle et de manière plus amusante et interactive. Une alternative qui semble mieux convenir car les élèves sont rapidement amenés à composer par eux-mêmes.

« Le fait de jouer de la musique de façon intuitive a le don de mettre les musiciens plus à l’aise. Les erreurs ne sont pas sanctionnées et font partie intégrante de la composition. Les participants sont plus naturels et n’ont pas peur de jouer ce qui leur plait, car nous sommes là pour apprendre, mais surtout pour nous amuser » raconte Gwenaël. Le jeune homme voit la musique comme une façon de rapprocher tout le monde afin de créer une mélodie tous ensemble. « C’est ça qui est beau à Sysmo : on se surprend toujours à faire quelque chose que nous n’avions pas imaginé au début », ajoute-t-il, sourire aux lèvres.

Les élèves de Gwenaël témoignent d’ailleurs que pour eux, les cours de langage signé sont un réel plaisir. Plus que des leçons de rythme, c’est aussi un excellent moyen de s’exprimer et par la même occasion de s’évader du quotidien après une longue journée passée au travail. Frapper dans les mains, marteler le sol avec les pieds et jouer sur des instruments à percussion leur permet de se défouler et la plupart d’entre eux avoue se sentir plus calme à la fin de la séance.

Plus que des leçons, une réel moyen de lâcher prise

Gwenaël est convaincu que le rythme et son apprentissage sont à la portée de tous.  Certains de ses élèves ne s’en croyaient pas capable au début, ils pensaient être arythmiques et l’assimilation du tempo leur paraissait impossible. Cependant, le professeur leur a démontré le contraire, il estime que personne n’est arythmique et que même si tout le monde n’a pas le rythme dans la peau, cela n’empêche pas de prendre du plaisir en composant des séquences rythmées. D’après lui, l’arythmie résulterait d’un blocage physique dû au stress ou à l’anxiété. Visiblement, Sysmo contribue, grâce à ses cours, à sa manière d’enseigner plutôt originale et à l’inventivité de ses professeurs à une réelle introspection personnelle. Cela permet aux musiciens en herbe de lâcher prise et de ne plus se laisser happer par la nervosité.

Frappe dans les mains : donne du rythme à ta vie

SANTORO Asli

Solfège, partitions, portées musicales…Ici, rien de tout cela n’est de mise. Assister à un cours de Sysmo, c’est venir comme on est : arythmique, mélomane ou simplement curieux.

Gwenaël encourage ses élèves à donner le meilleur d’eux-mêmes à coup de « clap-clap », de djembé et de tam-tam. A la fin de la leçon, le pari est réussi : pas de cacophonie ni d’oreilles qui sifflent, mais plutôt un joyeux groupe en harmonie capable de composer une mélodie rythmée. Entre éclats de rire et tranches de vie, le tout ponctué de voix claironnantes, Sysmo contribue à une réelle mise en commun de talents où l’inspiration est reine.

 

 

 

Vous l’aurez compris, l’apprentissage académique n’est pas une fatalité. Ce n’est pas un hasard si des monstres sacrés de la musique tels que John Lennon, Elvis Presley ou encore Bruce Springsteen ont percé et marqué les esprits sans pour autant avoir eu recours au solfège. Comme quoi, suivre son intuition, sortir de sa zone de confort et s’exprimer en osant rompre avec les codes traditionnels ne sont pas un frein à la créativité musicale.