Nos peurs sont-elles si irrationnelles ?

Mick Akutu, Baptiste Gerbal, Emmanuelle Lecerf et Gloria Mukulo

Nos peurs sont-elles si irrationnelles ?

Nos peurs sont-elles si irrationnelles ?

Mick Akutu, Baptiste Gerbal, Emmanuelle Lecerf et Gloria Mukulo
14 mai 2018

Catastrophes environnementales, accidents nucléaires, travail de l’immigré sans papier. Peur du chômage, du travail précaire, du terrorisme ou encore de l’incident diplomatique, la fin de cette décennie est marquée par un sentiment glaçant.

Nous avons choisi, dans ce long-format, de nous arrêter sur la peur en tant que telle. Mieux comprendre cette émotion irrationnelle et ses mécanismes, dans l’objectif d’un jour, pouvoir mieux l’apprivoiser et la dépasser. Mais cela est-il est vraiment possible ? Quelles histoires nos peurs nous racontent-t-elles ?

À chacun sa peur

La peur, une émotion commune et partagée par tout le monde. Certains évènements s’oublient, d’autres nous marquent à vie. Dans ce diaporama sonore, Alexia et Ana racontent leur peur panique face à l’objet de leur anxiété. De ses valises moscovites, Alexia a ramené de la vodka mais aussi une peur bleue pour les espaces clos, sans échappatoire. Ana, pour sa part, préférerait échanger ce qui lui sert de pieds contre des palmes.

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Ce n’est plus forcément la peur d’un lieu, ou d’un objet en particulier qui effraie, c’est la peur et la panique elle-même qui prend à la gorge. C’est aussi notre façon de réagir à de tels événements qui nous effraient.

L'origine de nos peurs

C’est dans une salle réservée aux enfants au sein de l’hôpital Erasme que la jeune psychothérapeute cognitivo-comportementaliste, Delphine Canivet, nous a reçus. Entourés de quatre petites tables et de quelques jeux disposés çà et là dans la pièce, elle nous confie l’origine de nos peurs et la technique qu’elle utilise pour les surmonter.

La peur, notre ennemie ?

La phase de choc est la phase dans laquelle notre organisme va se conditionner lorsqu’il reçoit un stimulus extérieur. La zone située à la base du cerveau va alors se mettre en éveil et secréter non seulement de l’adrénaline mais aussi d’autres neurotransmetteurs. Notre réponse va être plus ou moins intense et fréquente selon notre capacité de réaction à ces substances.

La peur est fonctionnelle et fait partie des cinq émotions primaires au même titre que la colère, la tristesse, le dégoût et la joie. Elle n’est donc pas anormale puisque c’est une émotion innée qui se déclenche de manière automatique face à une situation que l’on juge menaçante : c’est l’amygdale – le centre de la peur – qui va s’activer au sein de notre système limbique gérant nos émotions. L’individu peut alors la fuir ou la combattre. Cependant, les manifestations de la peur ne sont pas les mêmes d’un sujet à l’autre : pour certains elles peuvent être stimulantes ou gênantes occasionnellement mais pour d’autres, elles sont démesurée et irrationnelle créant ainsi des phobies :

« La peur, c’est l’émotion primaire. Le stress, c’est l’une des réactions psychologiques et corporelles de la peur. C’est la réponse. La phobie, c’est éprouver une émotion de peur qui pousse a de l’évitement. C’est quand il y a l’émotion et la stratégie comportementale avec […]. L’angoisse quant à elle, est un peu le synonyme du stress : c’est l’anxiété qui se met sur le corps. C’est un stress tres fort ».

La thérapie cognitivo-comportementale, une solution ?

Ce n’est pas pour rien que plusieurs auteurs montrent une filiation entre les postulats de l’approche cognitive et les idées des philosophes stoïciens. Né en 50 ap. J.-C., le philosophe et stoïcien Epictète enseignait déjà dans son manuel que « ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les représentations qu’ils en fabriquent ».

C’est aussi à cela que s’attaquent les psychothérapies cognitivo-comportementales puisqu’elles se concentrent sur les difficultés du patient dans « l’ici et maintenant » par des exercices pratiques évoluant de séances en séances : par exemple, si le sujet a peur des araignées, le but est d’amener cette personne à s’approcher petit à petit de l’araignée. Au début, l’araignée est placée à deux mètres du patient, ensuite à un mètre, puis on passe à l’ouverture de la boite pour ensuite placer la poser sur la main du patient. Cette méthode est utilisée afin de démontrer qu’aucun danger n’existe puisque :                                                       

« Le problème n’est souvent pas le danger mais le problème d’adaptabilité des personnes. C’est-à-dire que notre cerveau nous signale danger pourtant il n’y a aucun danger puisqu’il n’existe aucune araignée dangereuse en Belgique ».

Les sources de la peur sont tout aussi multiples que les réactions face au danger. Elles peuvent être subjectives mais dans certains cas, l’environnement extérieur y joue un rôle. Les discours de masse ont un réel impact sur les personnes :

« Les discours des politiciens sont pensés et étudiés dans le but d’attirer des électeurs. Mais ceux-ci disposent aussi d’une facette parfois plus sombre en provoquant certaines émotions comme la peur parmi la population. Cette population va alors développer en réponse à cette peur des réactions, des « protections ». Nous avons pu le voir d’ailleurs dans certaines guerres où la peur de l’autre a abouti à des situations abominables. L’individu finit par avoir peur de ce dont l’émetteur à lui-même peur ».

Finalement, présente dès les premières heures de la vie, la peur ne fait qu’évoluer au fil des années. Elle ne disparait pas… Au contraire, elle se transforme. Plus nous avons tendance à avancer dans la vie et plus, nous prenons conscience des risques qu’il y de vivre. Grandir revient le plus souvent non pas à oublier ses peurs, mais à apprendre à les surmonter pour ne pas qu’elles nous envahissent.

PHOTO ULB, 2018.

Bruxelles est presque réconciliée avec son métro.

En ce début de printemps, la Zinneke Parade a investi les rues de Bruxelles. Sous terre, le Grand Baromètre, grand sondage national, nous révèle qu’un Belge sur trois aurait encore peur de prendre le métro. De tous les Belges, ce sont les Bruxellois qui s’en sortent le mieux.  Comment vit-on ce traumatisme quand on n’en a pas été la victime directe ? Sophie, étudiante, et Marco, cuisinier et trompettiste pour la Zinneke Parade étaient à Bruxelles le 22 mars : tous les deux étaient proches de la station Maelbeek, mais ils ont réussi à se remettre de leur peur.

Sophie, étudiante, a gardé des souvenirs vifs de l’après-Maelbeek. Les Bruxellois avaient désertés les métros, et ceux qui s »y aventuraient « regardaient leurs pieds » lorsque le wagon passait à travers la station, emmurée de tentures noires. « La ville s’est arrêtée, mon école a fermée pendant une semaine, le temps d’installer un visiophone à l’entrée. » Sophie est restée avec ses colocataires et ses amis chez elle, et c’est à cette occasion qu’ils ont décidé de monter un festival d’actus et d’art engagés, Résonnance.

Marco, lui aussi, se remémore une ambiance pesante, « noire. » Alors qu’il travaillait dans un restaurant, son patron avait décidé de fermer la porte à double tours, et de ne laisser rentrer les clients qu’au compte-gouute. « Il pensait que ça serrure, ça pouvait arrêter les balles. » Sophie et Marco sont deux visages parmis ces Bruxellois, qui, aux lendemains des attentats, ont décidé de sortir dans la rue, et de combattre leurs peurs. « On a plus de chance de mourir du cancer que d’une attaque terroriste », conclu Marco, « ça dépend où on se trouve ». Il y a quelques années, Louis T, en était arrivé à la même conclusion, et nous expliquait avec méthode que côté probabilité, on aurait plus de chance de gagner au Lotto que de mourir dans un attentat terroriste.

PHOTO ULB, 2018.

 

Il est de retour.

GUSTAVE DORE 

Le loup est de retour en Belgique après plus d’un siècle d’absence. Le Lupus Canis a longtemps été perçu par l’Occident comme une manifestation de Satan. Il aurait d’ailleurs croqué des enfants au Moyen-Age. Hier, éradiqué d’Europe Occidentale, il est aujourd’hui protégé par la Convention de Berne. Notre peur du loup, sortie des contes, à une histoire. C’est celle-ci que nous avons retracé.

La légende raconte que Léopold 1er aurait chassé et tué le dernier loup de Belgique en 1845. Des relevés montrent pourtant, sans faire d’ombre au tableau de chasse du 1er roi des Belges, que le loup aurait continué à habiter les Ardennes jusqu’en 1885. Au XIXème et au XXème siècle, les pays d’Europe Occidentale traquent le loup, à coup de battues et de poison. L’industrialisation et le déboisement des terres rurales allant bon train, le loup est contraint de quitter son habitat.

Les loups, aujourd’hui, sont de retour dans nos campagnes. Le loup est pose des questions socio-économiques, car il faut prévoir l’indemnisation des bêtes tuées, de la même façon, que l’on indemnise celles attaquées par d’autres espèces protégées. Des brebis ont déjà été retrouvées mortes dans le Limbourg.  Le Ministre Wallon René Collin (cdH) prépare une réforme d’indemnisation. Rien n’est encore prêt pour les dommages futurs causés par les loups. Sébastien Lecaza est naturaliste, défenseur des loups pour l’ASBL Fôret et Naturalité. Il épingle, depuis que l’on pressent le retour des loups, tous les articles qu’il a pu trouver à leur sujet. “La question ne sera jamais en Belgique à la hauteur de ce qu’elle peut être en France. Les éleveurs y font paître leur bétail en alpage, avec beaucoup de dispersement. Les prairies sont plus petites et plus fermées en Belgique. La peur ne devrait pas être la même.” En effet, la France a un taux fort de pertes, comparé aux autres pays européens. 

Nous n’avons pas peur du loup, mais des loups.

Son retour, par contre, est accompagné de nouvelles peurs et interrogations : l’indemnisation des éleveurs pour la perte de leurs bêtes et les dérogations à la protection de l’espèce qu’ils pourraient obtenir et ainsi tuer des loups. On se demande toujours, également, si le loup peut-être un danger pour l’homme. “Le problème, c’est le loup hybride. Un croisement entre le loup et un chien. Cela peut se passer dans la nature ou dans des élevages. En général, quand on retrouve un marcassin ou un gibier mort, c’est un chien-loup.”

L’autre question, c’est toujours de savoir si le loup, aujourd’hui, pourrait attaquer l’homme. On connaît assez mal le prédateur, il aura fallu attendre 1940 pour que les premières études sur le Canis Lupus de Rudolph Schenkel soient publiées. En 1944, Adolphe Murie écrit le premier essai sur la bête, “The Wolves of Mc Kinley”, il y montre un loup craintif vis-à-vis de l’homme. On s’accorde presque unanimement à dire que le loup n’attaque pas les bipèdes, les humains donc.

Cette hypothèse a été remise en question par Jean-Marc Moriceau, historien de la question, qui a mis au grand jour des relevés français d’attaques de loups, de la Guerre de Cents Ans à la 1ère Guerre MondialeOn découvre des disparitions d’enfants, car le loups se serait attaqué aux plus faibles des bipèdes. Plus de 7600 victimes des loups y sont recensées entre 1200 et 1920, parmi celles-ci 3 000 auraient été le fait de loups enragés, les 4 600 autres de loups anthropophagesSébastien Lecaza est mitigé à la lecture de l’œuvre de Jean-Marc Moriceau : “On sent qu’il défend un point de vue. Je voulais savoir si le loup aurait pu mordre ou attaquer l’homme, dans les dernières années. J’ai une petite revue de presse où je garde tous les articles qui paraissent sur les loups. Je fais mes recherches aussi en Russie, car les loups sont restez dans l’Est du continent quand ils avaient disparu de chez nous. Mais ça prend du temps.”

Peurs ancestrales, peurs archaïques ?

Jean-Marc Moriceau déclare à Libération à l’automne 2013 que “notre peur ancestrale du loup, notre hostilité viscérale, [serait] nourrie par des événements récurrents jusqu’en 1900.” Une “peur ancestrale”, ce concept convoque notre histoire. Les peurs générationnelles existent-elles ? En allant encore un peu plus loin, peut-on inscrire une peur dans un patrimoine génétique ? Nous aurions hérité de peurs anciennes, et notamment la peur des autres prédateurs et des bêtes sauvages, qui auraient fait de nous les humains que nous sommes

Delphine Canivet, psychothérapeute à l’hôpital Erasme, n’en est pas convaincue. “La peur ancestrale, ce n’est pas un concept que l’on étudie (n.d.l.r. en psychothérapie comportementale et cognitive). La peur peut se transmettre par l’apprentissage et par le discours. Si on vous répète, si on vous apprend pendant votre enfance à avoir peur de quelque chose, il y a de bonnes chances pour que vous en ayez peur dans votre vie. »

Sébastien Lecaza est plutôt optimiste. “Certaines personnes ont des positions un peu campées sur le loup. J’en rencontre de moins en moins, et surtout chez les enfants. Les derniers livres d’histoires que j’ai pu lire montraient aussi de gentils loups.” Le naturaliste en est convaincu : la façon dont les loups seront décrits ou décriés dans les médias en transformera notre perception. Aujourd’hui, tout porte à croire que l’on traitera le loup avec bienveillance.

Crédits photos :
Photo 1 Test de Rorschach 
Photo 2 GUSTAVE DORE 

 

Peut-on vivre sans peur ?