Un sourire de l’heure

Carla Ceprià, Clémence Deswert, Maxime Denison et Hanan Harrouch

Un sourire de l’heure

Un sourire de l’heure

Carla Ceprià, Clémence Deswert, Maxime Denison et Hanan Harrouch
Photos : Carla Ceprià, Clémence Deswert, Maxime Denison et Hanan Harrouch
6 avril 2018
A la rencontre de bénévoles motivés

 On dit souvent que le temps c’est de l’argent. Pas pour eux. Ces bénévoles proposent leur aide sans rien attendre en retour, ou du moins pas sous forme financière …

Pour mieux cerner le “travail” des bénévoles, ainsi que leurs motivations, nous avons décidé de nous rendre dans deux endroits, à la fois distincts, mais aussi liés l’un avec l’autre. Pour commencer, nous nous sommes rendus à un petit déjeuner organisé par Cuistots Solidaires près de la Gare du Nord, à Bruxelles. Nous avons rencontré différents bénévoles et nous n’avons pas hésité à mettre la main à la pâte pour comprendre le ressenti des bénévoles. Ensuite, nous avons été à la Porte d’Ulysse. C’est un centre de nuit de la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés qui accueille les migrants pour la nuit en leur proposant un repas le soir ainsi que le matin.

Place à l’immersion…

Un p'tit-déj ?

6h30. Les bénévoles de Cuistots Solidaires s’installent à côté de l’Office des étrangers pour servir des petits déjeuners. Croissants, pains au chocolat, café, thé, gâteau, sandwiches… Les choix ne manquent pas. Les premiers réfugiés arrivent, un peu timides. La chaleur du café et du thé détend les visages. Les discussions et les sourires naissent.

Ce n’est pas facile en tant que bénévole. Beaucoup de cultures et de langues se côtoient. Entre l’arabe, le roumain ou encore le hongrois, la gestuelle vient enrichir la compréhension entre chacun. Outre la nourriture, les bénévoles offrent bonne humeur et sourire. Ils tendent leur main, au propre comme au figuré, à ses personnes qui ont besoin de soutien. Nous avons discuté avec ces bénévoles qui prennent leur temps pour l’offrir aux plus démunis. Nous avons partagé des moments forts avec Marie-Pierre et Jacqueline, deux bénévoles.

Marie-Pierre est aussi volontaire à la Banque Alimentaire. Elle se charge de régler les quantités de nourriture dont ils ont besoin pour les petits déjeuners. « Les déchets alimentaires des boulangeries bruxelloises pourraient nourrir une ville de 40 000 habitants chaque jour », confie-t-elle.

Jacqueline est professeur à « Lire et Écrire » à Bruxelles. Elle est donc confrontée tous les jours à des migrants qui tentent d’apprendre le français. « Pour moi, le bénévolat c’est en continuité avec mon activité professionnelle. Je viens ici, puis je pars au travail. J’organise mon emploi du temps pour aider les autres », raconte-t-elle.

 

 

L’envie d’aider, d’apporter du soutien, de rendre les gens un peu plus heureux. Nous comprenons maintenant mieux ce qui pousse les bénévoles à se lever tôt, à installer leur matériel dans le froid, à offrir de leur temps avant de partir au travail.

Le bénévolat est un investissement personnel. C’est bien plus que simplement aller au travail. Il y a des enjeux personnels derrière cette activité. C’est aussi un engagement politique pour tenter de faire bouger les choses au niveau institutionnel. Les volontaires apportent l’attention que l’Etat n’apporte pas aux personnes dans le besoin.

 

Ça veut dire quoi, être bénévole ?

1 800 000. C’est le nombre total de bénévoles en Belgique, d’après une enquête menée en 2015 par des professeurs de l’Université de Gand et l’Université de Liège. Une personne sur cinq âgée de 15 ans et plus participe à des actions bénévoles. Parmi ce chiffre, 50% des volontaires ont une activité professionnelle intermédiaire ou une fonction de service et de vente. 

 

Bénévolat
Infogram

La loi des bénévoles

Avec les Cuistots solidaires, à deux pas du Parc Maximilien, nous avons eu un aperçu des implications pratiques du bénévolat. Sur le plan légal, ça veut dire quoi « être bénévole », concrètement ?

Une seule phrase suffit au Larousse pour décrire ce qu’est un bénévole : c’est quelqu’un qui apporte son aide volontaire sans être rémunéré. Cette idée est partagée pour la plupart de la société, mais si nous regardons la Loi belge, est-ce la même idée ?

Une loi relative aux droits des volontaires (synonyme de bénévoles) datant du 3 juillet 2005 définit les conditions du volontariat, les organisations qui peuvent accueillir des bénévoles et d’autres aspects que nous essayons de résumer et comprendre afin d’avoir une idée plus globale de ce qu’être bénévole représente.

Quatre points essentiels définissent les activités considérées volontaires :

Pour devenir bénévole, trois types d’organisations peuvent nous accueillir :

  1. ASBL
  2. Organismes Publics
  3. Associations de fait sans personnalité juridique, ayant au moins deux personnes et qui ont un but désintéressé ou d’intérêt général et qui ont un contrôle direct sur  leur fonctionnement.

Nous avons cherché quelques organisations où il est possible d’être bénévole. À Bruxelles, les choix ne manquent pas.

Carte des organismes dédiés aux réfugiés et des migrants à Bruxelles

Si vous en connaissez d’autres, n’hésitez pas à les partager avec nous au travers des commentaires.

 

Contrats, responsabilités… la loi sur le bénévolat a tout prévu

Nous avons rencontré des bénévoles qui n’avaient pas de travail. Existe-t-il des contrats entre organisations et bénévoles ? La Plateforme Francophone du Volontariat a pu répondre à nos questions : aucun contrat ne lie bénévoles et organisations, mais ces dernières doivent fournir des informations essentielles à leurs bénévoles. Parmi ces informations, les bénévoles doivent connaître le statut de l’organisation, l’identité des responsables, leurs buts, les contrats d’assurances qui couvrent leurs actions et les défraiements éventuels entre autres.

Bon ! Les aspects techniques sont assez clairs, mais nous avons encore un doute : quelles sont nos responsabilités civiles en tant que bénévoles dans une association ? Selon la Plateforme Francophone du Volontariat, la loi belge prévoit aussi la définition des responsabilités civiles des bénévoles. Il n’y a pas de responsabilité civile du bénévole lorsqu’il est engagé dans une ASBL ou dans une association de fait ayant au moins un travailleur rémunéré ou faisant partie d’une structure plus large. Dans ces cas-là, la responsabilité civile est assumée par l’organisation qui a déjà pris une assurance adéquate.

On n’est jamais civilement responsables alors ? Si. Le bénévole est civilement responsable :

Attention, sur le plan pénal, la loi n’exonère en rien le volontaire.

 

Maintenant qu’on sait tout ça, ce serait bien de rencontrer plus de bénévoles, non ?

Harenbnb

Le soir, la solidarité continue à la Porte d’Ulysse, l’établissement d’accueil nocturne et d’aide aux réfugiés. Entre vingt heures et midi, les bénévoles accueillent jusqu’à 200 réfugiés. Pour que ce centre continue à aider les réfugiés, l’organisation des bénévoles est primordiale.

Près d’une heure de trajet en transports en commun, et au 1426 de la Chaussée de Haecht, derrière la Croix Rouge, une zone mal éclairée. Difficile de repérer la porte d’entrée, dans la pénombre. Nous entrons dans le bâtiment. La lumière est vive à l’intérieur, l’accueil est chaleureux.

Karim est le bénévole en charge de l’équipe ce soir-là, le « référent ». Il nous accueille avec le sourire, comme si tout le monde était le bienvenu. Des poignées de main, un premier contact s’établit. Des réfugiés entrent derrière nous, le même accueil leur est réservé. Ici, tout le monde se tutoie, tout le monde s’appelle « mon ami », tout le monde est traité de la même manière. Nous rencontrons un jeune réfugié dont l’histoire nous touche particulièrement. Il a 15 ans, et pourtant son regard est puissant, rempli d’expressions témoignant de la dureté de son parcours.

Fionna, bénévole et étudiante, confie que les histoires des réfugiés, leurs parcours, la motivent à aider plusieurs soirs par semaine. Dans la salle d’accueil, la jeune femme reçoit les nouveaux bénévoles et les réfugiés de passage. Sur un tableau blanc, elle comptabilise les entrées. 200 hommes en tout peuvent être logés, parfois plus en cas d’urgence. Il est difficile de refuser des personnes, surtout en période de froid. Les lits sont répartis en 4 étages, chaque étage accueille 50 réfugiés. C’est eux qui choisissent leur étage. Fionna nous explique que certains étages sont plus calmes que d’autres. 

« Le troisième étage, c’est l’étage des jeunes. En général, il y a du bruit, de la musique, une bonne ambiance »

Passion : bénévolat

« Je baigne dans le bénévolat depuis toute petite, mes parents travaillaient dans l’humanitaire »

Pour Fionna, le bénévolat est une passion qu’elle essaie de nous transmettre le temps d’une soirée. 

Ce soir, les réfugiés se suivent, le tableau blanc se remplit. Aux étages, dans les dortoirs, l’ambiance rappelle presque celle d’une colonie de vacances. Les bénévoles écoutent, sont attentifs aux besoins de chacun. Les personnalités se dévoilent, et les plus timides finissent par se mêler aux autres. Dans le contexte dépersonnalisant des migrations, c’est important pour les bénévoles de faire primer l’humanité. En face d’eux, ce ne sont pas « juste des migrants », mais des personnes, avec leurs histoires et leurs besoins.

Au troisième étage, un jeune homme nous tend une guitare. « Tenez, prenez ma guitare. Je pars en Angleterre et je ne peux pas la prendre avec moi. Pendant le voyage personne ne joue de la musique ». Il nous propose même d’échanger nos adresses mail pour récupérer sa guitare plus tard. Le dialogue est facile, les sourires sont spontanés. La voilà, la motivation d’aider. Tout simplement.

Organisation 100% citoyenne

La Plateforme Citoyenne, c’est un groupe d’environ 10 000 bénévoles actifs sur les réseaux sociaux. Chaque soir, des équipes de bénévoles se répartissent entre le Parc Maximilien et le centre d’hébergement de Haren. Le but est de trouver un logement aux 350 réfugiés du parc, pour qu’ils ne passent pas la nuit dehors. 150 réfugiés, en priorité les femmes et les enfants, logent chez des particuliers, des « hébergeurs de migrants ». Les 200 autres réfugiés, des hommes, sont conduits à Haren pour la nuit.

Les bénévoles se coordonnent pour amener les réfugiés en voiture du parc jusqu’au centre. Chaque réfugié reçoit un ticket d’accès au centre d’accueil. Ici, ils ont droit à un lit, un repas, une douche et de la chaleur. Sur place, tous les soirs, un à quatre bénévoles s’occupent de l’accueil et l’écoute des réfugiés. Toute cette mobilisation est exclusivement citoyenne et indépendante, et les bénévoles en sont fiers. 

Bénévoles d’un soir

Il devient alors impossible de ne pas participer au travail des bénévoles. Dans la cuisine, nous rencontrons Hannane. La cuisine, c’est son territoire !

« C’est moi qui dois vous donner l’autorisation d’être ici ! »

Elle s’adresse à nous d’emblée sur le ton de l’humour. Très vite, nous participons à la vaisselle et au nettoyage. Toutes les vivres stockées ici proviennent de dons. Ce soir, c’est salade mixte en entrée et gratin de légumes en plat. Cachés dans la réserve, quelques gâteaux attendent d’être mangés.

Nous retrouvons dans la cuisine le jeune réfugié de 15 ans que nous avions rencontré plus tôt. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Hannane l’a pris sous son aile. L’ambiance est musicale. Ca danse, ça rit, ça parle fort. L’idée est d’oublier, le temps d’un repas, la morosité et la dureté de la situation des personnes dans le besoin

Hannane, la tendresse de la Porte d'Ulysse

Comptable de formation, la jeune femme a décidé de consacrer sa vie au bénévolat. ESG AsblCoeur sur la main, Nouvelle Génération, Opération Thermos : Hannane s’implique au sein de plusieurs associations bruxelloises, en faveur des sans-abris et des réfugiés.

« Chaque année, même si le Plan d’hiver du Samusocial est là, il y a quand même des SDF qui dorment dehors. Tout le monde n’est pas logé. Il faudrait pouvoir ouvrir les bâtiments vides »

Celle qui se surnomme « le clown de la Plateforme » a rejoint l’équipe du Parc Maximilien en 2015 déjà. Elle habite à proximité du parc et n’hésite pas à faire des photos des interventions de la police.

« On voulait montrer les fouilles, les gaz lacrymogènes, tout ce qu’on ne voit pas à la télé »

Pour Hannane, c’était « les citoyens contre l’État ».

Chaque soir, la jeune femme cuisine pour les réfugiés qui dorment à la Porte d’Ulysse. Au-delà de ses plats, Hannane leur apporte sa bonne humeur et sa bienveillance. Maman d’un garçon de 6 ans, elle combine vie de bénévole et vie de famille. Le week-end, son fils vient au centre et joue avec les réfugiés. En arabe, le prénom Hannane signifie « tendresse ». Un nom qui n’aurait pas pu être mieux choisi.

 

Nous avons rencontré des personnalités attachantes, pour lesquelles le bénévolat est une source d’épanouissement et de richesse. Certaines personnes combinent leur vie professionnelle avec leur activité de bénévole. D’autres, comme Hannane, choisissent de se consacrer entièrement au bénévolat. Les étudiants deviennent également volontaires, comme Fionna. Les horaires de cours permettent de trouver du temps pour s’investir.

Dans tous les cas, les bénévoles que nous avons rencontrés sont d’accord. Ils veulent se tourner vers autrui pour pallier à ce qu’ils considèrent comme une immobilité des pouvoirs publics.

À présent, nous comprenons mieux les motivations de ces citoyens au but commun : faire vivre la solidarité à Bruxelles.

Nous avons rencontré des personnalités attachantes, pour lesquelles le bénévolat est une source d’épanouissement et de richesse. Certaines personnes combinent leur vie professionnelle avec leur activité de bénévole. D’autres, comme Hannane, choisissent de se consacrer entièrement au bénévolat. Les étudiants deviennent également volontaires, comme Fionna. Les horaires de cours permettent de trouver du temps pour s’investir.

Dans tous les cas, les bénévoles veulent se tourner vers autrui pour pallier à ce qu’elles considèrent comme une immobilité des pouvoirs publics.

A présent, nous comprenons mieux les motivations de ces citoyens au but commun : faire vivre la solidarité à Bruxelles.