Alors, le BIFFF, c’est organisé par l’ASBL PEYMEY, qui est une ASBL privée si on peut dire. Elle reçoit bien sûr des subsides de la part d’organismes publics. Est-ce que ces organismes, ces entités, ambassades, consulats, régions, communes, sont-elles déjà intervenues d’une manière ou d’une autre concernant la sélection, en poussant pour qu’un film soit dans la sélection ou à l’inverse pour le retirer ?
Alors, on est effectivement une ASBL privée dépendant aussi de subsides publics et de différents partenaires, mais en aucun cas ils vont intervenir dans la ligne éditoriale du festival. Pour ça, ils nous font entièrement confiance puisque c’est aussi un outil de promotion, par exemple pour les ambassades, pour le cinéma de leur pays, ce genre de choses. Et puis, l’avantage qu’on a, c’est que le fantastique est un genre assez particulier, puisqu’on est clairement dans une fiction totale, et donc on peut se permettre beaucoup plus de choses, je pense, dans un festival comme le nôtre.
Est-ce qu’il y a des partenariats que les entités qui vous subsidient le plus vous interdisent avec d’autres organismes, tant publics que privés ? Donc, imaginons qu’il y ait un litige avec un autre État ou alors avec un organisme privé, est-ce qu’ils vous interdisent tout simplement à tout moment d’entamer quelques relations que ce soit avec eux ?
En aucun cas on a eu ce genre de cas de figure qui s’est présenté au festival. On a vraiment une indépendance par rapport à cela, mais je pense que c’est surtout une question de bon sens. Je veux dire, on parle ici de cultures au sens large et donc il n’y a pas de velléités idéologiques derrière ce qu’on fait. Donc effectivement, pour le dire très simplement, ils nous foutent une paix royale.
Ok. Et vous-même, est-ce qu’il y a des collaborations que vous ne voulez pas entretenir, que vous ne voulez pas créer ? Et si oui, pour quelles raisons ?
Sur un plan purement culturel, parce que de nouveau le festival se base uniquement là-dessus, on n’a pas nécessairement de freins à ce niveau-là. Concrètement, on ne s’est jamais censurés par rapport à une situation internationale, parce que ce n’est pas du ressort de la culture pour nous.
Même si, entre guillemets, les films peuvent avoir une portée politique, et un festival peut avoir une portée politique ?
Bien sûr, bien sûr, mais ça, de nouveau, chacun va appliquer sa grille de lecture sur un film qui se trouverait en sélection chez nous. Nous, ce qu’on défend avant tout, c’est l’objet culturel en tant que tel. Il n’y a pas de dimension politique. On en a toujours été apolitiques. On le sera toujours.
Ce qu’il faut quand même garder en tête, c’est que la plupart du temps, quand on a, imaginons, un conflit international qui émerge, il ne faut pas essentialiser non plus les différents acteurs des conflits. C’est-à-dire que souvent ceux qui créent la culture, ceux qui créent cette fenêtre d’espoir dans certains pays, sont des gens qui sont souvent opposés au pouvoir dominant. Donc c’est aussi une façon de s’exprimer. C’est une façon différente de s’exprimer, par le biais de la création. Donc voilà. Après ça, c’est un long débat. Mais ça n’empêche que ça reste un objet culturel et non pas idéologique et politique pour nous.
D’une certaine manière, on a récemment pu avoir un contexte politique assez mouvementé. Je prends l’exemple de la Russie, qui avait fait justement l’objet d’un focus pour les éditions avortées. Comment est-ce que le BIFFF se positionne vis-à-vis des productions russes ?
Toujours la même chose, apolitique. C’est-à-dire qu’on va sélectionner un film russe si on estime qu’il est bon. Est-ce qu’il va nous parvenir déjà ? Est-ce que maintenant, on arrive encore à avoir des films russes ici en Belgique ou pas dans les festivals ? On garde toujours cette ligne éditoriale, c’est-à-dire qu’on regarde les films qui nous viennent de façon très objective et très neutre, surtout. Donc voilà. Maintenant, forcément, si on prend le cas de la Russie et que là, on nous offre un film de propagande qui arrive avec ses gros sabots, là, il n’y a pas de question à se poser. Je pense qu’on n’est plus dans une démarche culturelle. Mais en règle générale, effectivement, si c’est du fantastique et que le film en tant que tel nous plaît, on ne voit pas pourquoi on ne le prendrait pas en sachant très bien qu’il y a certaines personnes ou certains groupes qui pourraient nous critiquer là-dessus. Mais de nouveau, notre légitimité sur cet objet-là se porte sur sa valeur culturelle et artistique avant toute chose.
Et si, imaginons, que d’un coup on a une grosse partie du public et d’autres partenaires qui viendraient à critiquer la présence d’une production d’un certain pays dans la sélection, comment est-ce que le BIFFF se positionnerait ? Garderait-il toujours cette affirmation apolitique ou éventuellement il y aurait une réorientation parce que ça viendrait du public par exemple ?
On a vu qu’il y a beaucoup de choses qui peuvent arriver. Donc effectivement, si le cas se présente, je pense que c’est surtout l’occasion d’avoir un débat intéressant sur la situation. Essayer de voir les choses de manière un petit peu plus ouverte et apaisée. Rien d’essentialiser, de censurer, de caviarder et de fermer la porte sous prétexte qu’il y a un gouvernement dominant qui est en ligne de mire dans la situation géopolitique. De nouveau, ce sont des situations qui sont très complexes, très subtiles et qu’on ne peut pas juste balayer d’un revers de la main en disant je suis pour ou je suis contre.
Comment fonctionnent les partenariats au sein de votre festival ? Donc plutôt, comment est-ce que vous voulez les créer ? Est-ce une demande qui vient de leur part ? Imaginons, l’ambassade, le consulat d’Argentine, le centre culturel d’Argentine qui aimerait bien avoir un partenariat avec le BIFFF et vous soumettre des films, ou est-ce vous qui allez les chercher ? L’initiative vient-elle du festival ou peut-elle venir de temps en temps d’entités politiques ou officielles étatiques si je puis dire ?
On a les deux cas de figure, vraiment. Parfois nous allons faire de la prospection et essayer de chercher de nouveaux partenaires si on voit un marché émergent par exemple et proposer des collaborations. Mais sinon, on peut également avoir des partenaires qui viennent directement à nous, notamment grâce au BIF Market parce que là, il y a des possibilités au niveau commercial qui sont intéressantes. Donc voilà, on a vraiment les deux cas de figure. Cela étant, c’est vrai que maintenant avec la pandémie, il y a pas mal de choses qui ont changé. On espère que la situation va un petit peu se rétablir. Mais en règle générale, ça va dans les deux sens.
Ok. Et qu’est-ce que ces partenaires demandent généralement en contrepartie ? Juste de la visibilité ou qu’est-ce qu’ils demandent de la part du BIFFF en contrepartie d’un accord, d’un partenariat ?
Tout dépend du partenaire. Je peux prendre comme exemple le Centre culturel coréen. Donc là, on a des accords, un certain nombre de films à présenter avec des invités à pouvoir amener sur place. Donc vraiment, c’est la promotion du cinéma du pays. Même chose pour Hong Kong par exemple. L’ambassade peut nous appuyer pour avoir certains films puisque il y a aussi des comités de censure-là qui peuvent être assez longs et lents. Donc, eux peuvent nous aider pour avoir les films plus facilement, mais peuvent également nous aider financièrement pour amener justement des invités ici sur place. Après ça, il y a d’autres types de coproductions qu’on peut avoir, notamment avec l’Amérique du Sud, qui peut proposer, par exemple, de la post-production chez eux. C’est de nouveau une façon de faire émerger l’industrie locale.
Et le fameux comité de censure, ça fonctionne comment à Hong-Kong? C’est Hong Kong qui censure ses propres films quand il les exporte à l’étranger, ou c’est au sein même de la production du film ?
Non, c’est vraiment une fois que les films sont terminés afin qu’ils partent à l’étranger. Ils doivent passer devant un comité de censure pour voir s’ils peuvent voyager au-delà des frontières d’Hong Kong. C’est une manière de voir comme une autre.
Ok, ok. Et le centre du film coréen s’exprime généralement durant le festival ou pas du tout ? Parce qu’on voit une grosse visibilité des films coréens, sud-coréens plutôt. Est-ce qu’ils s’expriment durant le festival, la conférence ?
On peut avoir effectivement, de nouveau ça dépend des années, mais par exemple le centre culturel coréen, on a souvent l’ambassadeur qui est présent au festival. Donc, on a un petit drink qui est organisé et ça on fait quand même beaucoup avec les ambassades afin de faire du networking avec des acteurs clés ici à Bruxelles. Comme ça a pu être le cas par exemple avec Taïwan aussi à une époque, avec l’Espagne, etc. Et puis, il y a aussi des manières un petit peu plus ludiques, un petit peu plus dans l’esprit du festival, d’intégrer les ambassades. Je prends comme exemple Ma Daidi, qu’on avait présenté en avant-première mondiale, avec l’ambassade de la Suisse. Ce qu’on a fait pour essayer de mettre la Suisse en valeur, c’était de faire une dégustation de fromage à la sortie du film. Donc, il y a toujours des moyens décalés de se retrouver dans ces collaborations avec les partenaires.
Et il n’y a jamais de jalousie, de tension qui se crée entre pays ? Dans le sens où vous les avez invités à faire ça et vous ne nous l’avez pas proposé, ou c’est déloyal ? Il n’y a pas d’espèce de jalousie entre entités ou entre pays ?
C’est à chaque fois des relations très diplomates, c’est le cas de le dire, qu’on essaie d’entretenir. Donc voilà, c’est un équilibre à garder. Maintenant, tous ces partenaires sont quand même suffisamment intelligents pour savoir que c’est un échange transparent et que la valeur de l’échange dépend aussi de ce qu’on peut recevoir et de l’implication des deux côtés.
Et parfois, on a l’impression d’en faire des tonnes. Je prends un exemple, on avait à un moment donné des films chinois et des films de Taïwan. On se disait, tiens, ça va créer des soucis. Mais il s’avère que voilà, comme il y a ce recul qu’ils ont au sein de leurs propres ambassades et qu’on reste dans un domaine culturel et pas géopolitique, les choses se passent beaucoup mieux que ce qu’on pourrait penser.
Et au sein de notre pays à nous, la Belgique, qui fonctionne avec deux régions et deux communautés différentes, est-ce que parfois il y a des discussions sur le poids accordé à une sélection francophone ou à des activités plutôt francophones vis-à-vis du poids donné aux activités néerlandophones ? Donc on voit que, par exemple, pour les productions jeunesse, on a le film projeté en français, en néerlandais, mais est-ce que parfois la région flamande n’imposerait pas, ne demanderait pas, est-ce qu’il y a plus de choses données, plus de sélections néerlandophones, plus d’activités tournées vers cette communauté-là ? Est-ce que les deux régions s’entendent super bien sur le côté, enfin les deux communautés plutôt, s’entendent vraiment bien au sein du festival, ou est-ce que parfois il faut revoir un petit peu sa ligne éditoriale de manière ou du moins ?
C’est-à-dire que les deux communautés gardent en tête que malgré le côté international du BIFFF, il reste majoritairement francophone. Les soutiens sont majoritairement francophones. Cela n’empêche que nous, au sein du festival, on essaie quand même de créer des activités pour le public néerlandophone. Et puis d’un autre côté, au niveau plus global, au niveau des films belges, on ne va pas faire de différence si c’est un film belge francophone ou un film belge néerlandophone tant que c’est un film de genre. Et nous, on est là pour promouvoir le cinéma de genre en Belgique, qu’importe si c’est néerlandophone ou francophone. Donc à ce niveau-là, de nouveau, ça dépend vraiment du public qui est visé et de l’attractivité que peut représenter le festival pour ce public-là.
Concernant les pays représentés, on voit une surreprésentation de certains pays, et cela on le voit également dans la sélection des jurys, au détriment d’autres d’une certaine manière. L’objectif d’un festival est très souvent d’essayer de visibiliser des films qui sont invisibilisés sur la scène internationale. On voit que les USA sont les plus représentés dans les productions et coproductions sur la sélection des deux dernières années. Le problème étant plutôt structurel, les USA produisent énormément de films par année et donc beaucoup en science-fiction thriller et donc dans le cinéma de genre. La Corée du Sud arrive deuxième. Est-ce que parfois le BIFFF et les festivals ne devraient pas peut-être aller chercher davantage les films sous-représentés pour essayer de trouver les petites perles qui sont justement très difficiles à dénicher ? Mais c’est de prospecter dans des pays très peu représentés pour les visibiliser plus.
Je pense que les festivals de genre le font déjà. Cette année, je prends les statistiques, les pays qui arrivent en tête, en tout cas le continent qui arrive en tête dans notre sélection, c’est l’Europe suivie par l’Asie et enfin par les États-Unis. Donc voilà. Et c’est vrai que depuis le début de la création du festival, le grand gagnant, c’est les États-Unis avec 44 prix. Mais la majorité de ces prix ont été gagnés au siècle passé. Parce qu’en fait, de nouveau, il y a des tendances. À partir de 96, c’est l’Europe qui est venue sur le front du cinéma de genre. Et donc là, on a vu par exemple les Espagnols, les Danois qui ont pris de plus en plus l’ascendant. Puis après ça, c’est l’Asie qui est arrivée. Avec notamment la Corée, mais aussi le Japon, etc. Donc, on est vraiment dans différents courants, différentes vagues, etc. Donc nous, on ne va pas nécessairement privilégier le cinéma américain, mais force est de constater que si on reçoit 300 films américains, il y en a certainement beaucoup plus qui vont ressortir du lot. Ça ne nous empêche pas d’aller vraiment regarder. De nouveau, ce qu’on sélectionne, ce n’est pas le pays, ce n’est pas nécessairement un critère. C’est vraiment le coup de cœur. On prend l’exemple du gagnant cette année, c’est un film kazakh qui se passe dans les steppes, c’est complètement inédit. Ce qu’il y a aussi, et il ne faut pas l’oublier, c’est que les festivals sont aussi dépendants de leur public. Le public doit aussi quelque part être éduqué à cette nouvelle forme de cinéma. C’est-à-dire que si on ne présente que des films qui sont complètement hermétiques, qui viennent de pays complètement étrangers, les gens ont peur de faire ce premier pas. Donc il faut vraiment les amener vers ce cinéma différent.
Et comment on y arrive ?
C’est par des locomotives comme ces films américains. Un film américain qui leur a plu peut peut-être leur permettre de découvrir par la suite un film japonais et d’entrer de plus en plus dans cette brèche culturelle. Donc voilà, c’est vraiment un travail de fond qui s’accomplit, mais nous, on n’a vraiment pas, on n’a jamais mis l’accent sur les films américains. C’est vraiment, on dépend véritablement de la production mondiale.