Sans- abris, sans famille, sans amis, sans amour, sans argent. Comment meurt-on quand on est seul ou à la rue? Quel enterrement pour les « sans »? Un enterrement décent, c’est la quête que poursuivent l’Association pour l’Inhumation et la Crémation et le Collectif Morts de la Rue.
Des associations bruxelloises se sont donné pour mission de lutter contre l’indifférence, la ségrégation, afin d’offrir aux personnes les plus dénuées un enterrement dans la dignité. Pour le Collectif Morts de la Rue, la solidarité va au delà de la mort. Un apostolat: permettre aux sans-abris ou aux personnes anciennement sans-abris de bénéficier d’un enterrement digne.
« Nous refusons que les gens soient seuls et anonymes, même après la mort » indique Florence Servais, coordinatrice du Collectif Morts de la Rue.
Le Collectif s’informe de la mort des sans-abris qui décèdent en rue afin de communiquer la douloureuse nouvelle aux proches du défunt ou à son réseau informel, c’est à dire aux autres habitants de la rue ou aux secteurs d’aide aux sans-abris. Le Collectif profite d’un contact privilégié avec les services communaux, c’est ainsi qu’ils apprennent la mort des SDF. Parfois, ce sont les habitants de la rue eux-mêmes qui informent le Collectif d’une mort. Un Collectif d’ailleurs composé d’une multitude de profils: sans-abris, citoyens, travailleurs sociaux… tous y mettent corps et âme afin que les âmes parties trop tôt, partent dignement, même sans argent.
Seuls et sans-abris
Le Collectif épaule les familles en les mettant en lien avec des pompes funèbres sensibles à leur cause. Ces pompes funèbres proposent des tarifs réduits pour les gens qui n’ont pas les moyens de s’offrir un cercueil de luxe pour une croisière sur le Styx. Pour les croyants, le Collectif prend soin de mettre en lien les familles avec des représentants religieux. Avec un maigre budget annuel de 1500 euros, le Collectif ne participe pas au financement des funérailles. Ils apportent toutefois leur contribution matérielle en offrant des bougies, un cadre photo, un café après l’enterrement… explique la Coordinatrice. Quand il n’y a personne, des bénévoles prononcent quelques mots, un poème, basés sur la personnalité des sans-abris décédés. Les membres du Collectif apporte leur présence, rendent son humanité à une cérémonie sans personne. Une cérémonie annuelle a également lieu à l’hôtel de ville. Un hommage à chacune de ces personnes restées en marge de la société afin de leur redonné une place dans la réalité.
Un parcours non-linéaire jusque dans la tombe, les SDF vivent des périodes très variables. Une fois la rue, puis l’hôpital et quelques lieux d’hébergement… en bref, un quotidien « sans » certitude. En 2016, le Collectif a recensé 72 décès, plus d’un décès par semaine, donc. Quarante de ces personnes avaient la rue comme domicile au moment de leur décès. Un chiffre qui bien-sur ne recouvre qu’une partie de la réalité, le nombre réel des décès demeurant inconnu. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la vie en rue n’est pas dangereuse qu’en hiver. Suicide, agressions, maladie, malnutrition… telles sont les conditions de vie des sans-abris. Des conditions de vie extrêmes faisant que les décès s’étalent sur toute l’année.
Motivations et revendications
« La motivation pour poursuivre cette quête? Ça remonte à 2004 lorsque la police a découvert les corps de deux personnes sans-abris à la Gare du Midi » raconte Florence Servais. Ces corps n’étaient plus identifiables, l’un en état de momification, l’autre de décomposition. Le dernier sans abris aurait attendu son heure auprès du corps de son compagnon après qu’il ait été frappé par la mort. Révolté, le secteur d’aide aux sans-abris descend dans les rues et crie au droit au logement. La coordinatrice du Collectif, se souvient d’un moment intense: les membres d’une association portaient un cercueil avec écrit « enfin un domicile fixe »…
« Un groupe de personne avait réalisé une liste reprenant le noms des sans-abris décédés et l’a lue en public », poursuit-elle.
C’est là qu’une véritable prise de conscience a lieu: des gens meurent en rue et personne n’est au courant. « Il y en avait vraiment beaucoup, ce n’était plus des faits divers mais bien des faits de société » insiste Florence Servais. C’est donc une découverte macabre et des revendications sociales qui ont donné naissance au Collectif et à leur combat pour un enterrement et des funérailles dignes.
Un service minimum
L’Association pour l’Inhumation et la Crémation (AIC) oeuvre également dans le but d’offrir des prestations funéraires à prix réduits. D’après Monsieur Heirbrant, à la tête de l’ASBL, les personnes n’ayant pas les moyens de financer un enterrement représentent 30 à 35% de la population. En plus d’une entraide des amis, des voisins… qui peuvent réaliser une récolte de dons, l’AIC fait en sorte d’offrir un enterrement digne. Comment? Grâce à un réseau de connaissance dans le milieu permettant des services gratuits, tels que la bénédiction d’un curé, un cercueil des plus simples, un corbillard… Bref, un service minimum.
150 enterrements par an sont réalisés par l’intermédiaire de l’Association. « Ils sont tous différents, c’est chaque fois une autre famille, chaque fois un autre problème, une autre commune, explique M. Heirbrant ». Les requêtes de certaines familles sont parfois irréalisables.
« On ne peut pas répondre à toutes les demandes, on nous a déjà demandé une dispersion en mer mais c’est impossible car trop couteux et la procédure est fastidieuse. Il faut louer un bateau, remplir des documents etc », regrette M. Heirbrant.
Ils essaient néanmoins d’accéder aux derniers voeux, de permettre le rite choisi par la famille, le défunt. « On veut un enterrement digne! Un enterrement digne, c’est le nom sur le cercueil, une cérémonie catholique pour un catholique, et autre chose pour les autres croyances! C’est avoir le dernier adieu qu’ils veulent! », voilà la conception d’un enterrement dans la dignité selon Monsieur Heirbrant.
Une tâche laborieuse car aucun subside n’est octroyé par l’Etat. « Pas un radis !» insiste l’homme. C’est en effet avec un budget familial que les services sont prévus. « Mon père et moi y avons mis notre propre porte-feuille et de nos jours, ce n’est pas facile d’avoir des volontaires qui travaillent gratuitement », déplore-t-il. Lorsqu’on lui demande combien, M. Heirbrant reste peu loquace et murmure: « Ca, c’est privé mais pas beaucoup en tout cas ».
Il est donc possible d’aller à l’encontre du business de la mort. Malgré la solitude, l’isolement et le dénuement, des associations vous aide à avoir un enterrement décent. Sans- abris, sans famille, sans amis, sans amour, sans argent, un micro budget ultime pour un aller simple au royaume des morts.