Le loup est de retour en Belgique après plus d’un siècle d’absence. Le Lupus Canis a longtemps été perçu par l’Occident comme une manifestation de Satan. Il aurait d’ailleurs croqué des enfants au Moyen-Age. Hier, éradiqué d’Europe Occidentale, il est aujourd’hui protégé par la Convention de Berne. Notre peur du loup, sortie des contes, à une histoire. C’est celle-ci que nous avons retracé.
La légende raconte que Léopold 1er aurait chassé et tué le dernier loup de Belgique en 1845. Des relevés montrent pourtant, sans faire d’ombre au tableau de chasse du 1er roi des Belges, que le loup aurait continué à habiter les Ardennes jusqu’en 1885. Au XIXème et au XXème siècle, les pays d’Europe Occidentale traquent le loup, à coup de battues et de poison. L’industrialisation et le déboisement des terres rurales allant bon train, le loup est contraint de quitter son habitat.
Les loups, aujourd’hui, sont de retour dans nos campagnes. Le loup est pose des questions socio-économiques, car il faut prévoir l’indemnisation des bêtes tuées, de la même façon, que l’on indemnise celles attaquées par d’autres espèces protégées. Des brebis ont déjà été retrouvées mortes dans le Limbourg. Le Ministre Wallon René Collin (cdH) prépare une réforme d’indemnisation. Rien n’est encore prêt pour les dommages futurs causés par les loups. Sébastien Lecaza est naturaliste, défenseur des loups pour l’ASBL Fôret et Naturalité. Il épingle, depuis que l’on pressent le retour des loups, tous les articles qu’il a pu trouver à leur sujet. “La question ne sera jamais en Belgique à la hauteur de ce qu’elle peut être en France. Les éleveurs y font paître leur bétail en alpage, avec beaucoup de dispersement. Les prairies sont plus petites et plus fermées en Belgique. La peur ne devrait pas être la même.” En effet, la France a un taux fort de pertes, comparé aux autres pays européens.
Nous n’avons pas peur du loup, mais des loups.
Son retour, par contre, est accompagné de nouvelles peurs et interrogations : l’indemnisation des éleveurs pour la perte de leurs bêtes et les dérogations à la protection de l’espèce qu’ils pourraient obtenir et ainsi tuer des loups. On se demande toujours, également, si le loup peut-être un danger pour l’homme. “Le problème, c’est le loup hybride. Un croisement entre le loup et un chien. Cela peut se passer dans la nature ou dans des élevages. En général, quand on retrouve un marcassin ou un gibier mort, c’est un chien-loup.”
L’autre question, c’est toujours de savoir si le loup, aujourd’hui, pourrait attaquer l’homme. On connaît assez mal le prédateur, il aura fallu attendre 1940 pour que les premières études sur le Canis Lupus de Rudolph Schenkel soient publiées. En 1944, Adolphe Murie écrit le premier essai sur la bête, “The Wolves of Mc Kinley”, il y montre un loup craintif vis-à-vis de l’homme. On s’accorde presque unanimement à dire que le loup n’attaque pas les bipèdes, les humains donc.
Cette hypothèse a été remise en question par Jean-Marc Moriceau, historien de la question, qui a mis au grand jour des relevés français d’attaques de loups, de la Guerre de Cents Ans à la 1ère Guerre Mondiale. On découvre des disparitions d’enfants, car le loups se serait attaqué aux plus faibles des bipèdes. Plus de 7600 victimes des loups y sont recensées entre 1200 et 1920, parmi celles-ci 3 000 auraient été le fait de loups enragés, les 4 600 autres de loups anthropophages. Sébastien Lecaza est mitigé à la lecture de l’œuvre de Jean-Marc Moriceau : “On sent qu’il défend un point de vue. Je voulais savoir si le loup aurait pu mordre ou attaquer l’homme, dans les dernières années. J’ai une petite revue de presse où je garde tous les articles qui paraissent sur les loups. Je fais mes recherches aussi en Russie, car les loups sont restez dans l’Est du continent quand ils avaient disparu de chez nous. Mais ça prend du temps.”
Peurs ancestrales, peurs archaïques ?
Jean-Marc Moriceau déclare à Libération à l’automne 2013 que “notre peur ancestrale du loup, notre hostilité viscérale, [serait] nourrie par des événements récurrents jusqu’en 1900.” Une “peur ancestrale”, ce concept convoque notre histoire. Les peurs générationnelles existent-elles ? En allant encore un peu plus loin, peut-on inscrire une peur dans un patrimoine génétique ? Nous aurions hérité de peurs anciennes, et notamment la peur des autres prédateurs et des bêtes sauvages, qui auraient fait de nous les humains que nous sommes.
Delphine Canivet, psychothérapeute à l’hôpital Erasme, n’en est pas convaincue. “La peur ancestrale, ce n’est pas un concept que l’on étudie (n.d.l.r. en psychothérapie comportementale et cognitive). La peur peut se transmettre par l’apprentissage et par le discours. Si on vous répète, si on vous apprend pendant votre enfance à avoir peur de quelque chose, il y a de bonnes chances pour que vous en ayez peur dans votre vie. »
Sébastien Lecaza est plutôt optimiste. “Certaines personnes ont des positions un peu campées sur le loup. J’en rencontre de moins en moins, et surtout chez les enfants. Les derniers livres d’histoires que j’ai pu lire montraient aussi de gentils loups.” Le naturaliste en est convaincu : la façon dont les loups seront décrits ou décriés dans les médias en transformera notre perception. Aujourd’hui, tout porte à croire que l’on traitera le loup avec bienveillance.
Crédits photos :