« Les jeunes sont toujours intéressés par la politique ! », nous clament en chœur tous (sans exception) les présidents des jeunesses politiques interrogés. Cela peut paraître surprenant, mais, dans les faits, il semblerait qu’ils aient raison. « Il ne s’agit pas tant d’un désintérêt pour la politique en tant que telle, mais plutôt pour la politique traditionnelle », pointe Audrey Vandeleene. « Évidemment, si on leur demande s’ils s’intéressent à la politique, ils répondront spontanément « non ». En revanche, en creusant un peu, on remarque en fait qu’ils ont des opinions à partager, des choses à dire sur certains enjeux », poursuit-elle.
Son collègue, Robin Lebrun, abonde également en ce sens. « La situation dans notre pays n’est pas dramatique. Les personnes plus âgées sont certes plus attirées par la politique, mais les jeunes présentent un niveau d’intérêt moyen », explique-t-il, avant d’ajouter : « On constate même que les jeunes sont en moyenne plus satisfaits, moins cyniques et ont plus confiance dans nos institutions que les citoyens de plus de trente ans. » Selon lui, ce décalage tiendrait à une confusion autour de la signification du mot « politique » : les jeunes l’associeraient naturellement aux institutions et au personnel politiques, sans faire le lien avec les enjeux de notre époque.
On ne naît pas citoyen démocratique, on le devient.
Le chercheur souligne aussi la disparité des attitudes des jeunes vis-à-vis de la chose publique, selon leur socialisation. « On ne naît pas citoyen démocratique, on le devient. C’est un apprentissage comme un autre qui prend place dans quatre espaces sociaux : la famille, l’école, les cercles que l’on fréquente et les médias », analyse-t-il. « Seulement, ces environnements sont très inégalitaires. On parle de politique tous les soirs dans certaines familles – généralement au statut socioéconomique assez élevé – dans d’autres, jamais. L’enseignement pourrait jouer un rôle important dans l’acquisition des compétences citoyennes et l’exercice de celles-ci, mais les écoles n’abordent bien souvent pas assez la politique et accroissent les inégalités. Or, on sait que l’esprit politique ne se forme qu’à l’entrée dans l’âge adulte, donc on pourrait, grâce à un programme efficace, renforcer l’intérêt et la participation des jeunes », argumente encore Robin Lebrun.
Dans ce contexte, ce dernier se montre enthousiaste à l’idée d’élargir le droit de vote aux jeunes de 16 et 17 ans. « On ne peut pas encore se prononcer sur les effets à long terme, mais, à court terme, cela devrait augmenter l’intérêt pour la politique à un jeune âge et donc stimuler la participation politique. En plus, la plupart de ces jeunes se trouvent encore à l’école qui peut les éduquer pour ce grand moment qu’est une première élection », juge le politologue, bien qu’il admette que le gouvernement belge a émis un message brouillon à ces jeunes en ne sanctionnant pas ceux qui passeraient outre l’obligation de vote. « Le risque est que seuls les jeunes des catégories socioéconomiques les plus élevées se déplacent. Alors, l’objectif serait manqué », conclut-il.
Un enjeu pour les partis politiques
Cet abaissement de la majorité électorale ne permettrait cependant pas à lui seul de régénérer l’intérêt des jeunes pour la politique traditionnelle. Pas plus que les initiatives d’Elio ou du Jeugd Parlement Jeunesse. Pour Audrey Vandeleene, c’est à notre démocratie représentative d’évoluer. « Pour les jeunes, c’est très difficile de se réveiller une fois tous les cinq ans et de devoir se renseigner sur tellement d’enjeux. Rendez-vous compte, certains programmes de partis font plus de mille pages ! Non, il faut plutôt susciter un goût pour la chose publique en les faisant participer via des enjeux plus petits », avance-t-elle. Ainsi, les assemblées citoyennes mises en place dans certains parlements ou les référendums (bien qu’ils n’existent pas en Belgique) sont des propositions qui pourraient, selon elle, avoir un impact positif sur la participation citoyenne.
De son côté, Robin Lebrun met en avant le rôle des politiques qui « sont au courant du problème ». Ce serait dès lors aux partis de réagir pour contrer cet effet de fatigue démocratique. « On a quitté le temps de la pilarisation de la société, les partis se sont recentrés sur les aspects principaux de leur mission sociétale. L’enjeu pour eux est à présent double : ils doivent convaincre le citoyen de voter pour eux, mais aussi susciter son engagement », développe-t-il.
Pilarisation de la société belge
« La « pilarisation » […] constitue une des caractéristiques fondamentales de la société belge. Construit […] sur [des] clivages philosophique et socio-économique, ce système d’organisation sociale et politique a mené à la construction de milieux sociaux séparés. Ces « piliers », fondés sur une même idéologie (catholique, laïque, libérale ou socialiste), encadrent les individus du berceau au tombeau au travers d’organisations qui leur sont propres, telles que des écoles, des hôpitaux, des mutualités, des syndicats, des coopératives, des mouvements de jeunesse et parfois un parti. »
(Définition du Centre de Recherche et d’Information Socio-Politiques)
Dans cette optique, les réseaux sociaux pourraient s’avérer être des outils précieux pour réenchanter les jeunes. Une chose est néanmoins certaine : le vote des jeunes sera à nouveau scruté avec beaucoup d’attention. Le 9 juin prochain, ils seront près de 574.000 à être appelés pour la première fois aux urnes pour le scrutin fédéral, auxquels s’ajouteront 240.000 primo-votants de 16 et 17 ans pour les élections européennes. D’ici là, les partis tenteront sans doute encore de les convaincre du bien-fondé de la politique institutionnalisée. Sans quoi ils pourraient bien tous s’en mordre les doigts : en 2019, le vote blanc/nul était largement plus plébiscité par les moins de 30 ans que par leurs aînés.