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En Belgique, le football s’accorde aussi au féminin

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En Belgique, le football s’accorde aussi au féminin

En Belgique, le football s’accorde aussi au féminin

Publié le 30-03-2017 par
Les Molenbeekoises, des sportives pleines d’avenir

Elles sont près d’une soixantaine à jouer sur une moitié de terrain. Mardi après-midi, ce ne sont pas moins de cinq équipes de filles qui s’entraînent en même temps. Des entraînements un peu difficiles à gérer donc, mais qui témoignent bien du succès des RWDM Girls.

 

Une ambiance bon “enfant”

 

Fondé en 2013 sous le nom de FC Molenbeek Girls, ce club molenbeekois a rapidement gagné en popularité auprès de la gente féminine. Si bien qu’en 2016, il s’est fondu avec le Racing White Daring de Molenbeek et a pris le nom de RWDM Girls. Pourtant, les filles continuent à jouer de leur côté au stade du Sippelberg. Et toutes les joueuses s’accordent à le dire : il y a une bonne ambiance dans ce club exclusivement féminin.  Quand une joueuse arrive, dans son maillot rouge et noir, elle salue coéquipières et entraîneurs d’un check silencieux, presque solennel.  Mais à peine le pied posé sur le terrain ensoleillé, les filles se mettent à discuter en échangeant des passes, tous âges et équipes confondus. « Ici, tout le monde se connaît, explique Rania, 12 ans, qui joue à la fois avec les moins de 13 ans et les moins de 16. Plutôt extravertie, la jeune fille se montre très fière de ses coéquipières. Sans hésitation, elle va de groupe en groupe pour exhiber les meilleurs talents de son club : « Elle, c’est Allison, notre Thibaut Courtois à nous ! » dit-elle en pointant du doigt une petite blonde qui porte des lunettes à monture épaisse. D’apparence plus timide, la gardienne est audacieuse quand elle doit protéger ses cages. Ses entraîneurs la considèrent comme une bonne joueuse, bien qu’elle n’ait commencé le foot que depuis un an : « Quand j’ai commencé, je ne voulais pas spécialement devenir gardienne. Mais comme mon père a été gardien, il m’a entraîné à ce poste-là. Mon frère aussi est gardien, il joue au club des garçons, à côté ». Comme Allison, beaucoup de filles ont appris à jouer avec leur famille : des grands frères, des grandes sœurs ou des parents footballeurs. « Moi c’est toute ma famille qui joue, même ma mère ! » s’exclame Rania.

 

 

D’autre part, Saïda, la mère de Lina, une joueuse de 10 ans, explique qu’elle joue aussi au football avec sa fille : «Ça m’a étonné qu’elle veuille faire du foot car c’est une fille et c’est un sport plus masculin que féminin. Je lui avais promis de l’inscrire au sport de son choix si elle réussissait son année et elle a réussi. Avant, elle a fait deux ans de boxe, donc elle aime les sports masculins, je lui ai autorisé à faire de la boxe pour qu’elle puisse se défendre», poursuit-elle.

 

Détendues mais redoutables

 

Rania reprend sa revue des meilleures « Molenbeek Girls » : elle pointe du doigt une jeune fille habillée en bleu qui donne des directives aux petites qui l’entourent. « C’est elle qui a gagné 21 à 0 à son dernier match avec l’équipe des dames. » Il s’agit d’Imane El Rhifani, défenseuse centrale de l’équipe A. La Molenbeekoise de 16 ans est récemment devenue entraîneuse des moins de 13 ans mais c’est ce qu’elle voulait être depuis bien longtemps. Elle rêve d’être un jour coach professionnelle mais elle accorde de l’importance à ses études aussi. « Je suis en sciences-langues, c’est difficile de combiner l’école et le sport » affirme la jeune fille. « Mes parents étaient choqués car j’ai commencé le foot en 2010 quand le football féminin n’était pas encore connu », ajoute-t-elle. Ses élèves l’encerclent pour ne pas rater ses commandes. « Les filles sont, de manière générale, bien disciplinées mais le seul défaut par rapport aux garçons est le fait qu’elles parlent trop, ce sont des filles quoi », déplore l’entraîneuse.

 

 

Mais bientôt les coups de sifflet retentissent, et les entraîneurs reprennent la main. Nacer Abdellah, qui entraîne l’autre équipe des moins de 13 ans, a bien du mal à leur faire endosser leurs chasubles mais se veut philosophe : « Ici, je les laisse se marrer mais il y a un côté disciplinaire. Elles sont dans un âge de transition, les garçons, on peut leur ajouter du travail de force mais les filles, on ne peut pas. Elles sont là pour s’amuser, pour du fun ». Une détente bien méritée au vu des résultats du club. Car il n’y a pas que les dames qui enchaînent les bons scores, les autres groupes d’âge sont aussi à l’honneur : l’année passée, les moins de 16 ans ont remporté la Coupe du Brabant, tandis que cette année, les moins de 13 ans visent la Coupe de Belgique. De quoi donner confiance aux filles, même si les entraîneurs regrettent un manque de « challenge » : « Les équipes contre lesquelles on joue ne nous posent pas de problèmes», constate Nacer. «Cette année, on n’a pas beaucoup joué : il y a eu pas mal de forfaits. »

 

Il y a de l’avenir

Après deux années passées au club, Nacer n’a pas de mal à reconnaître les footballeuses les plus prometteuses, et évoque notamment Dounia, la première des Molenbeek Girls : « C’est une fille exceptionnelle, même moi qui a été footballeur professionnel, j’ai des difficultés pour lui enlever le ballon.» A 12 ans seulement, Dounia est déjà réputée pour être une redoutable attaquante chez les moins de 16 ans. Elle a commencé le football à l’âge de six ans, à une époque où le RWDM Girls n’existait pas encore. Elle a dû jouer alors avec les garçons de Jeunesse Molenbeek, où son père était entraîneur. Elle tape alors dans l’œil de Ramzi Bouhlel, et lui inspirera l’idée d’un club 100% féminin. Aujourd’hui directeur technique et responsable jeunesse du club renommé RWDM, monsieur Bouhlel se montre très fier de cette féminisation du football dont il a été le précurseur à Molenbeek : « Quand on a commencé, il n’y avait que Anderlecht et le Fémina de Woluwé. En trois ans, il y a eu 50 nouvelles équipes féminines à Bruxelles, au Brabant wallon et au Brabant flamand, dont plus ou moins 40 équipes de moins de 9, 11 et 13 ans », précise monsieur Bouhlel. Pour l’instant le club compte 150 filles en son sein. Si cette progression dans les inscriptions continue, le cap des 200 filles sera dépassé en début de saison prochaine, toujours selon les dires de monsieur Bouhlel.

 

Nombre de joueuses inscrites au RWDM Girls au fur des saisons

 

Bruxelles et ses 19 communes compte plusieurs équipes de football qui ont une section dames (en noir), pendant que d’autres équipes sont exclusivement féminines (en jaune).

Crédits photo: @Adehertogh

 

L’évolution du foot féminin: lentement mais sûrement
Le siège social de la Fédération belge de Football

Une femme sur la pochette de FIFA 2016, une première dans l’histoire du jeu vidéo de football. Une évolution virtuelle qui montre clairement la prise de conscience du football féminin à l’international. Avec les Etats-Unis, la France ou encore la Suède, les amateurs du ballon peuvent désormais diriger les meilleures équipes nationales féminines.

 

Mais où en est le football féminin en Belgique ?

Chez nous, de grands changements s’opèrent, le nombre d’affiliées augmentent sans cesse comme l’explique Jean-Jacques Collin, président du FC Fémina White Star : « D’année en année, il y a plus de filles qui sont intéressées par le football. Ça devient un sport normal pour les filles alors qu’avant ce n’était pas forcément le cas. Le football était considéré comme un sport de garçon. Une chose qui a changé c’est que les parents bloquent moins les filles qu’avant.» Ce n’est pas hasard si le nombre de joueuses est grandissant, c’est grâce notamment à la Fédération belge de football (ndlr :URBSFA).

Depuis quelques années, celle-ci organise des événements et des campagnes publicitaires pour promouvoir le football féminin. Ce qui fonctionne plutôt bien car au 1er juillet 2015, la fédération compte 27 328 joueuses. David Delférière, vice-président de la Fédération belge de football se réjouit de cette évolution : « Quand on regarde il y a 10 ans, il y avait 15.000 femmes et maintenant on est à un peu plus de 30.000. Et notre objectif est de continuer à favoriser le sport féminin. »

De plus, les observateurs constatent un intérêt grandissant pour les compétitions de football féminin. Ce qui a amené la RTBF à acquérir les droits de diffusion des matchs de l’Euro 2017 féminin, compétition à laquelle la Belgique participera.

Il faut savoir que les joueuses en Belgique ont le statut de semi-professionnelle. Aline Zeler, capitaine de l’équipe nationale, constate elle aussi de grands changements. « On devient plus professionnelles avec le nombre d’entraînements qui a augmenté, on effectue plus souvent des stages. Il y a aussi eu des changements dans les staffs techniques. Tout ça a fait que le niveau a augmenté en quelques années maintenant on ne va pas brûler les étapes non plus. »

 

Des événements qui ont accéléré l’évolution du foot féminin

Le développement de ce sport passe aussi par des faits qui ont permis la progression du foot féminin. Il y a deux mois avait lieu la cérémonie du Soulier d’Or belge, récompensant le meilleur joueur du championnat belge de football. Pour la première fois, la cérémonie a récompensé la meilleure joueuse belge, Tessa Wullaert.

Fin de l’année dernière, l’équipe nationale décroche une qualification historique pour une compétition internationale. La preuve que le football féminin prend une autre dimension en Belgique et que doucement ça se professionnalise. La même année, l’ACFF (ndlr : l’association des clubs francophone de football) a décidé d’ouvrir un Centre Foot-Elite-Études pour que les jeunes joueuses puissent se former correctement au football en suivant des cours avec des horaires adaptés.

« Tout ce qui arrive en ce moment c’est vraiment une reconnaissance avec la qualification pour l’euro, avec le soulier d’or. On est lucide, on ne peut pas avoir tout en une fois, ça se fait progressivement », commente Aline Zeler.

En 2012, la Fédération belge de football organise en partenariat avec la Fédération néerlandaise de football, un championnat avec les meilleures équipes des deux pays. La Bene League voit ainsi le jour. Si les deux premières années, c’est une équipe néerlandaise qui s’est imposée, en 2015 c’est le Standard de Liège qui remporte le championnat. « Ça clairement tiré des joueuses vers le haut, ça a révélé notamment Tessa Wulaert », raconte Romain Van der Pluym, journaliste foot pour la Dernière Heure. Toutefois, les deux fédérations ne sont pas tombées d’accord pour continuer cette formule de championnat.

Hommes et femmes : pas toujours sur le même pied d’égalité

Même si le football féminin en Belgique est en pleine évolution, il existe encore de grandes différences avec leurs homologues masculins, et pas seulement chez nous. Aux États-Unis, pays du football féminin par excellence, le contraste entre les deux sexes est grand.

 

Aspects financiers, médiatisation,… rien n’est pareil

« Il n’y a aucune comparaison sur le plan financier avec les clubs masculins », confie Jean-Jacques Collin, le président du Fémina White Star. Avec une équipe en division 1 nationale, l’ambition du club est de monter en Super League (ndlr : la catégorie féminine la plus élevée en Belgique). Avec un rythme de sportive professionnelle, celles-ci ne le sont pas du tout et ne sont donc pas rémunérées, « elles ont juste un petit défraiement » explique Monsieur Collin. Une grande différence soulignée par de nombreuses joueuses. « Avec l’équipe nationale belge, on a reçu notre première prime en 2013 », raconte Aline Zeler, capitaine de l’équipe nationale féminine.

Les infrastructures sont différentes. Le Fémina White Star partage ses installations avec le Royal Léopold Football Club, avec le hockey, avec le football américain et le base-ball. Pour un club de division 1 masculin, il serait impensable de partager le complexe avec d’autres équipes et d’autres disciplines sportives.

 

 

Aline Zeler joue au football depuis qu’elle a 6 ans. Désormais dans la trentaine, elle constate de nombreuses différences avec les hommes.

« La première différence c’est l’aspect physique. Ensuite, la médiatisation du football masculin en Belgique alors que pour l’instant le championnat belge féminin n’est pas retransmis à la télévision. Puis quand on regarde, la première édition de la Coupe du Monde masculine a eu lieu en 1930 alors que pour les femmes la compétition s’est déroulée en 1991. »

Si on peut suivre n’importe quel match de foot masculin presque partout dans le monde, c’est plus compliqué quand il s’agit d’un match féminin. Les médias commencent de plus en plus à parler de foot féminin mais les journalistes constatent certaines différences comme relate Romain Van der Pluym, journaliste sportif à la Dernière Heure : « Comparé aux hommes de même niveau, elles sont très disponibles pour les médias. Elles font ça pour avoir plus de visibilité. L’accès aux joueuses est plus facile, on réalise les interviews où on veut et quand on veut alors que chez les hommes c’est plus compliqué. »

La différence entre les hommes et les femmes au football ne se fait pas que sur le terrain mais se fait bien avant. À en croire, les joueuses du RWDM Girls et du Fémina White Star, la différence se fait déjà à l’école où il est difficile pour les filles de jouer au ballon car souvent les garçons ne veulent pas jouer avec elles.

 

Même aux USA, la comparaison est impossible

Il n’y a pas que chez nous où les différences entre les hommes et les femmes sont grandes. Aux Etats-Unis, l’équipe nationale féminine a le plus beau palmarès dans cette discipline avec trois titres mondiaux décrochés en 1991, 1999 et 2015 ainsi que quatre médailles d’or aux Jeux Olympiques en 1996, 2004, 2008 et 2012. Pourtant contrairement à leurs congénères masculins elles ne sont pas si bien loties que ça. Plusieurs joueuses se sont exprimées sur la chaîne américaine CBS expliquant qu’elle devait voyager en classe économique alors que les hommes, eux, voyageaient en classe affaire. À en croire le New York Times, les hommes gagnent beaucoup plus que les femmes.

 

 

Différence de payes des équipes nationales américaines (en dollars)

Quel avenir pour nos joueuses ?

Lorsque l’on demande à Nacer ce qui a le plus changé pour lui depuis qu’il entraîne les Molenbeek Girls, sa première pensée ne va étonnamment pas aux enfants : « La vraie différence, c’est les parents. Pour beaucoup de pères, voir leur fils jouer au football, c’est un conte de fée à la Messi. Quand j’entraînais des garçons à Anderlecht, j’ai déjà dû arrêter des matchs parce que j’entendais des pères dire à leur fils de donner des coups. Pour gérer les filles, on n’a pas de problème avec les parents. » Nacer est un peu le philosophe du club : à ses yeux, la passion du ballon rond est propice à l’apprentissage de valeurs sportives et citoyennes. « La citoyenneté passe avant tout, mais on ne peut pas connaître la vie des filles chez elles », affirme-t-il en gardant l’œil rivé sur sa parcelle de terrain. «Comme disait Socrate, éduquer un garçon c’est éduquer une personne, éduquer une fille c’est éduquer toute une famille ».

 

“Au cas où on devient pro”

Pas sûr pourtant que les filles partagent cet idéal de transmission : au stade du Sippelberg, toutes ont plutôt le rêve d’une carrière professionnelle. Idem au RCC Etterbeek, où Camille Bernier entraîne des filles et des garçons de 7-8 ans, tous plein d’ambition. « S’il y a un âge où les enfants ont une passion, c’est bien celui-là », se réjouit-elle. «Et les filles ont autant d’intérêt si ce n’est plus. Après, elles sont plus discrètes, et ont peut-être moins la notion du football professionnel, à moins d’avoir une famille de joueurs ». Même si elle ne voit pas d’un bon œil les formations 100% féminines, jugées trop pépères pour des préadolescentes, la coach de 19 ans pense que l’afflux des jeunes joueuses devrait élever le niveau professionnel d’ici une demi-douzaine d’années. Mais de sa propre expérience, il reste beaucoup à faire pour favoriser les carrières féminines : en Belgique, aucune joueuse n’ayant de statut professionnel, elles ne bénéficient que de défraiements pour leurs matchs. Les études restent donc par la force des choses une nécessité pour les footballeuses en herbe : « On fait pas des études au cas où on n’y arriverait pas au foot, on fait plutôt du foot au cas où on devient pro », assume Camille Bernier, qui est à la fois coach, attaquante au Fémina White Star de Woluwé et étudiante en ergothérapie.

 

 

“Ce sera plus une passion que vraiment un métier”

Pour celle qui jouait en ligue nationale française durant son adolescence, le passage aux études supérieures a été un coup dur : « Une fois sorti du sport-études, il n’y a pas vraiment de formation de sport universitaire en France, et encore moins en Belgique. S’il y en avait eu, je ne serais probablement pas venue en Belgique pour les études. » Même sa passion pour le coaching, elle n’imagine pas en faire son métier : avec environ 200 euros par mois, Camille peut mener une vie étudiante confortable, mais n’espère pas en vivre sur le long terme. « Je pense que si j’arrive à être coach à un certain niveau, ce sera plus une passion que vraiment un métier. Je ne pourrai pas faire ça, parce que même les coachs masculins ne sont pas bien payés. Ou alors il faut vraiment travailler à Anderlecht ou avec l’équipe nationale ». Et si l’équipe nationale féminine a engagé son premier sélectionneur professionnel en 2011, la fédération ne compte pas créer de statut professionnel pour les joueuses dans l’avenir proche, selon son vice président David Delférière. Assise dans les gradins du RCC Etterbeek, Camille Bernier observe les petits joueurs évoluer sur le terrain et conclut à demi-mots : « S’il n’y avait pas de souci de paye, je pense qu’il y a longtemps que j’aurais fait des études de foot. Mais au niveau des payes, c’est sûr que lorsqu’on est une femme, ce n’est vraiment pas évident ».

 

 

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