Tout projet musical a une introduction. Une première piste qui pose une ambiance, qui plante un décor, qui présage de la suite. Pour des musiciennes et musiciens qui s’essaient à la vie d’artiste, les premiers pas dans la musique, que ce soit dans l’enfance ou dans l’adolescence, sont souvent décisifs.
Ataraxy nous a rencontrés aux Galeries Horta à Bruxelles, devant le C12. Cette boîte techno, dont l’intérieur recouvert de graffitis attire de nombreux fêtards la nuit, recèle un calme inhabituel le jour. Ataraxy connaît bien le lieu : souvent il vient y passer des soirées dans la fosse ; plus rarement, il s’y produit sur scène. Le Wavrien de 24 ans, étudiant en graphisme publicitaire, est derrière les platines depuis près de deux ans. En 2022, c’était à la Turbean, sur le campus de l’ULB, qu’il s’est produit pour la première fois : “Après ce concert à l’ULB, je me suis dit : c’est ça que je veux faire,” confie-t-il avec enthousiasme.
Son premier concert aux Apéros ULBains. © TikTok, @ataraxy_dj
La Turbean, c’est aussi là que nous avons rencontré Solstice, une chanteuse et compositrice de 26 ans. Elle a déposé sa fille à la crèche ce matin, et au moment où nous la retrouvons, elle termine sa lettre de motivation pour s’inscrire en master de gestion culturelle à l’ULB. Cette tâche n’occupe que la première moitié de sa journée : l’après-midi, elle nous emmène au studio de son oncle par alliance à Forest. Elle doit y terminer plusieurs morceaux de son prochain EP, et, grâce à l’aide de son précieux producteur qui la conseille, son morceau Sarah, en fin de journée, est prêt à être envoyé à son ingénieur son qui finalisera le mix.
À deux pas de là, autre studio, autre ambiance. Charly Kid, un rappeur underground de 28 ans, nous accueille au dernier étage d’un petit immeuble s’élevant au-dessus d’un centre d’art urbain dédié au street art, rue Roosendael. Il est invité dans ce studio, qui appartient à un membre de son groupe Mahvelous Mob, et dont l’insonorisation est assurée par un matelas scotché à la porte d’entrée. Écartant les cadavres de Club-Mate sur son plan de travail, lui aussi apporte les dernières touches à différents morceaux de sa prochaine mixtape, sur laquelle il travaille depuis six mois.
Charly Kid dans son studio à Forest © Léonard Creismeas
À la croisée des chemins
Sans son parcours militant, Solstice aurait pu prendre encore beaucoup de temps avant de se lancer dans la musique. C’est par sa présence dans les milieux associatifs et par ses passages dans des Zones à Défendre qu’elle a pu s’entourer d’amis passionnés de communication ou d’audiovisuel. Précieux dans la conception d’une stratégie marketing et dans la réalisation de clips. C’est là qu’elle a rencontré son compagnon actuel, dont la famille est implantée dans le secteur de la musique depuis des décennies. Au cours de ses 40 ans de carrière, son producteur actuel, son oncle par alliance Guy Waku, a notamment composé pour MC Solaar, Lara Fabian, ou encore Papa Wemba. Et quand Solstice a partagé ses maquettes avec sa belle-famille, forte de ses vingt années d’expérience au piano et une dizaine en chant et en composition, son talent lui a ouvert des portes. Depuis, elle bénéficie d’un réseau de producteurs et d’ingénieurs son, une chose inespérée trois ans plus tôt.
Solstice lors d’une session dans le studio de Guy Waku © Jeremy El Alaoui
Sans son séjour Erasmus, Matisse, aujourd’hui connu, sous le nom d’Ataraxy, ne serait peut-être pas devenu DJ. À 21 ans, au Portugal, il vit dans une colocation où traine une console de mixage. Il aime la musique, a du temps libre et des amis pédagogues qui lui apprennent le DJing. De retour à Bruxelles, il prend son courage à deux mains et active ses contacts pour jouer un set à la Turbean. L’ambiance plaît, l’audience et ses pairs le valident, et, de fil en aiguille, les portes des boîtes techno s’ouvrent progressivement à lui.
Quand je fais de la musique, je le fais pour qu’elle soit une prolongation de mon existence de tous les jours.
Sans son entourage Charly Kid n’aurait sans doute pas rappé. Plusieurs de ses amis ont, ainsi, participé à l’effervescence de la scène rap namuroise au début des années 2010. Entraîné par ses pairs dans les soirées open-mic, dans le milieu des freestyles et des battles de rap dans la rue, c’est par mimétisme qu’il découvre et aiguise son sens du kickage et de la punchline.
Mais dans ce milieu compétitif, bien que talentueux et encouragé par ses collègues, il ne se sent pas à sa place : la technique pour la technique, la démonstration sans l’émotion, ne le convainquent pas à suivre le mouvement pendant trop longtemps. Il arrête la musique et et se tourne vers des études en cinéma à Bruxelles, qu’il n’achèvera pas. Mais le rap continue de lui trotter dans la tête. Il renoue avec la musique, sort un premier projet qui lui donnera un début de reconnaissance et d’épanouissement: “Quand je fais de la musique, je le fais pour qu’elle soit une prolongation de mon existence de tous les jours.”