« Je me lève à 5h30 pour être sur mon lieu de stage à 6h20 mais il faut savoir qu’on commence à 6h45. Je compte toujours du temps pour trouver une place de parking et m’habiller ». Les journées de stage de Clara*, étudiante en troisième année en soins infirmiers, s’enchaînent et se ressemblent. « À partir de 7 heures, on fait la remise de service donc on fait le point sur les évènements de la nuit. Après ça, je dois suivre une infirmière pour faire les tournées des médicaments. Quand j’ai fini, j’aide les aides-soignantes à faire les toilettes des patients » mentionne-t-elle. Sur son lieu de stage, l’ambiance est bonne. «Je suis bien encadrée par le personnel et mes professeurs, et ça c’est super important. » Pourtant, le soir chez elle quand la pression redescend, l’ambiance est complètement différente. « Je ressens énormément de stress : j’ai une boule au ventre avant d’aller à mon stage, je pleure tous les soirs, je ne dors plus la nuit », dit-elle d’une voix tremblante.
* Prénom d’emprunt
Je ressens énormément de stress : j’ai une boule au ventre avant d’aller à mon stage, je pleure tous les soirs, je ne dors plus la nuit.
Clara, étudiante en troisième année en soins infirmiers
En réalité, les stages peuvent représenter une période compliquée qui demande une grande préparation. Le terrain commence toujours par une révision complète de la matière vue en classe. Un travail conséquent. Toutefois, cette étape reste indispensable pour Florentina Bardio, professeure au Nursing de Mons : « On sait qu’on leur demande beaucoup, mais il faut comprendre qu’elles vont prendre en charge la vie de personnes entre leurs mains. Elles ne peuvent pas se permettre de commettre d’erreurs. »
Le climat au sein de l’hôpital ne serait pas toujours optimal selon Clara. « Chaque année, il y a des stagiaires qui sont persécutés par quelques membres du personnel parce qu’on est « gauche » ou parce qu’ils nous voient comme des « sous-merdes ».»
Le secteur fait lui aussi face à une pénurie de personnel et est déjà débordé. «Les étudiants sont utilisés comme renforts pour soulager les soignants. Ils sont de la main-d’œuvre gratuite», explique Florentina Bardio. Un soulagement pour certains et un cauchemar pour d’autres. « Certains ne prennent pas le temps de retenir notre prénom, on est leur larbin, il nous refile leur travail », proteste Clara.
La situation est d’autant plus compliquée en raison de la réforme de la formation en soins infirmiers. Depuis 2016, la durée des études a été allongée, passant de trois à quatre ans. Cela alourdirait l’organisation des écoles, comme l’explique Dan Lecocq, président de la Fédération Nationale des infirmières de Belgique dans une interview à La Libre : « On est passé de trois à quatre ans d’études, avec 33% d’heures supplémentaires à organiser, mais pas un seul prof en plus. Les tâches se multiplient, mais pas le personnel. »
Cette situation compliquerait, aussi, la tâche du personnel soignant. En effet, le manque de professeurs obligerait les soignants à davantage s’occuper de l’accompagnement des stagiaires.
Les étudiants sont utilisés comme renfort pour soulager les soignants. Ils sont de la main-d’œuvre gratuite.
Florentina Bardio, professeur au Nursing de Mons
Humiliation, mépris, moqueries font partie du quotidien de certains stagiaires. Une réalité dont les professeurs ont conscience, comme l’explique Florentina Bardio : « En général, les étudiantes vont supporter et ne vont pas se plaindre. Elles vont préférer mordre sur leur chique plutôt que de venir nous en parler ». Clara justifie ce silence : « On a peur des représailles et des répercussions. Cela reste entre nous parce qu’on a peur d’être viré ou qu’on nous retire nos stages. »
Selon l’article de La Libre publié en juin 2014, la commission de l’Enseignement supérieur du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a approuvé un projet de décret pour les études de soins infirmiers. L’objectif principal est de relever les exigences minimales en ce qui concerne la formation des infirmiers. Une demande faite sous la directive de l’Union européenne pour assurer une meilleure circulation d’infirmiers entre pays membres
En pratique, ce décret a modifié différents éléments concernant l’organisation de la formation. Le principal changement concerne l’allongement du cursus en soins infirmiers. Frank Vandenbroucke, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique fait le point sur les deux types de formations possibles en Belgique : «La formation de bachelier en haute école, qui dure quatre ans, et la formation de niveau secondaire (le brevet d’infirmier hospitalier) qui s’étale sur trois ans et demi en Fédération Wallonie-Bruxelles et sur trois ans en Flandre.»
Cet allongement entraîne une augmentation des heures de formation : «On passe de 4.600 heures, dont la moitié devront être des heures de pratique, soit 2.300 heures et un tiers obligatoire de formation théorique.»
D’après la Fédération des étudiants francophones, la réforme répond à plusieurs objectifs dont l’augmentation de la qualité de la formation et la suppression de la pénurie récurrente dans le secteur.
«On a quatre ans pour faire notre formation, mais au final, on perd un an. Faut savoir qu’en première année bachelier, on a pas du tout de pratique», explique Clara. Durant sa première année de bachelier, elle n’a eu que des cours théoriques pour appréhender son choix. « Avec un cursus de trois ans, les étudiants sont directement dans le bain. Ici, tu dois attendre un an pour voir ce que tu vaux ou même voir en quoi consiste ton métier. »
Cet avis est d’ailleurs partagé par Florentina Bardio. « Dans le cas de l’enseignement secondaire, l’allongement n’est pas utile. Après trois ans, j’estime que mes élèves ont le bagage nécessaire pour se lancer. Être directement sur le terrain permet de voir si on supporte le sang ou encore les seringues. Les élèves ne perdent pas un an avant de savoir s’ils sont faits pour le métier. Ici, elles sont utilisées de manière bénévole, or elles pourraient être sur le terrain et rémunérées. »
La santé des soignantes serait également mise à rude épreuve. «Il y a 20 ans, je prenais à la légère le travail des infirmières. Aujourd’hui, plusieurs de mes anciennes collègues enchaînent les fractures de fatigue et prennent des médicaments qui leur ruinent la vie», confie Margot*. Les conditions et la charge de travail sont les causes directes de cette dégradation de la qualité de vie. Au début de leur carrière, les jeunes générations suivent le même chemin : «L’année passée, à seulement 20 ans, j’étais sous traitement pour calmer mon anxiété et dormir correctement», explique Clara.
Le métier peine à recruter. Selon Le Soir, l’Académie de recherche et d’enseignement enregistre 2.757 inscriptions en bachelier en soins infirmiers pour l’année académique 2018-2019 contre 3.448 inscriptions en 2015. Une baisse significative d’environ 20%. Le secteur semble vieillissant. En effet, en 2020, la moyenne d’âge des infirmières était de 49 ans.
Prénom d’emprunt*