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Handicap invisible à l’unif : ne pas se fier aux apparences

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Handicap invisible à l’unif : ne pas se fier aux apparences

Handicap invisible à l’unif : ne pas se fier aux apparences

Publié le 10-05-2023 par , , et

Dyslexie, épilepsie, trouble de l’attention… Pour les étudiants porteurs de handicaps invisibles, étudier demande souvent des aménagements, pas toujours proposés.

Chloé*, Élise*, Marie, Anna*, Pauline. Cinq étudiantes bruxelloises, comme on en croise partout à l’université et en haute école. Quotidiennement, elles déambulent d’une classe à l’autre et songent avec un peu d’appréhension à leurs prochains examens. Tous leurs camarades ne le savent pas, mais ces cinq élèves ont un handicap invisible. Cette situation a amené leurs écoles respectives à s’adapter pour favoriser leur apprentissage, avec plus ou moins de succès.

Les handicaps invisibles regroupent tous les handicaps qui ne sont pas apparents. Les personnes porteuses d’un ou plusieurs handicaps invisibles sont limitées dans leurs interactions sociales sans que leurs entourages ne puissent vraiment observer cette limitation. Les maladies concernées sont multiples, mais parmi elles, on peut tout de même citer les troubles dys (dyslexie, dyspraxie, etc.), les maladies invalidantes (sclérose en plaques, fibromyalgie, etc.), les crises d’épilepsie, le TDAH, etc. Incompris, les handicaps invisibles sont souvent minimisés, voir ignorés. « Nous déplorons un manque criant de statistiques en Belgique dans le secteur du handicap », se désole Manon Cools, chargée de communication à l’Esenca. Cette association se présente comme le syndicat qui « défend les personnes en situation de handicap ». Les seules données indiquées par Esenca soulignent que 9% des adultes sont en situation de handicap, et 80% de ces handicaps sont invisibles.
*Ces prénoms ont été modifiés.
Chapitre 1 : le diagnostic
Pour Elise*, étudiante à la HELB, assumer son épilepsie au quotidien n'est pas encore facile. © Pol Lecointe

Toutes n’ont pas été diagnostiquées au même âge. Élise, étudiante française à la Haute Ecole Libre de Bruxelles (HELB), apprend à 10 ans qu’elle est épileptique. En plus de crises, elle est sujette à de fortes migraines, de la fatigabilité, des troubles de l’attention et de la mémoire ainsi qu’à une sensibilité à la lumière. Tous ces symptômes ont un impact sur sa scolarité, qu’elle ne peut pas suivre comme les autres élèves. Elle garde d’ailleurs en mémoire ses années compliquées durant le secondaire. « C’était très difficile, je ratais énormément de cours et les profs ne prenaient pas en compte que j’étais malade », raconte-t-elle, en chassant d’un geste une miette abandonnée sur l’une des tables de la cafétéria.

Handicap psychique et épilepsie : selon le Comité national Coordination Action Handicap, un handicap psychique diffère d’un handicap mental en ce sens qu’il n’apparaît pas en général à la naissance. « Les capacités intellectuelles sont indemnes et peuvent évoluer de manière satisfaisante. C’est la possibilité de les utiliser qui est déficiente. » L’épilepsie est une maladie neurologique qui se traduit par des crises. « Malgré leurs formes différentes, elles traduisent toujours une perturbation temporaire du cerveau », écrit le Centre National de Ressources Handicaps Rares spécialisé en épilepsie sévère.

Chloé, étudiante à l’Université libre de Bruxelles (ULB), a été, quant à elle, diagnostiquée beaucoup plus tard, vers l’âge de 19 ans. Après une première année difficile à l’Université catholique de Louvain (UCL), elle a décidé de consulter un neurologue qui lui diagnostique un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Pour elle, cela se traduit par une difficulté à se concentrer.

 Le monde qui nous entoure est hyper agressif pour les personnes TDAH – Chloé

La jeune femme a aussi tendance à oublier certaines choses : elle laisse, parfois, sa porte ouverte, des aliments pourrir dans le fond de son frigo, et a du mal à reconnaître certains visages. « Non pas parce que je m’en fous, mais ce n’est pas ce à quoi mon cerveau va penser. » Les personnes hyperactives ont des difficultés à rester en place. Ils interrompent plus souvent les autres, parlent plus fort et plus vite que la moyenne. « Le monde qui nous entoure est hyper agressif pour les personnes TDAH. »

Chloé s'isole grâce à son casque anti-bruit pour étudier.

« Les gens ne se rendent pas compte à quel point le TDAH peut être handicapant » – Chloé © Pol Lecointe

Parmi les autres symptômes, on trouve l’hypersensibilité et l’impulsivité. Chloé qualifie, elle-même, son système d’ « effort-récompense ». C’est-à-dire qu’elle effectuera une action seulement si la récompense vaut l’effort fourni.

Chapitre 2 : le statut
Les étudiants touchés par un handicap invisible peuvent bénéficier de statuts particuliers. © Pol Lecointe

Une fois son diplôme de secondaire en poche, Élise décide de s’orienter vers des études d’ergothérapie. Cette profession permet de réadapter et traiter des personnes en situation de handicap moteur ou psychomoteur. Un choix loin d’être anodin pour l’étudiante épileptique. C’est lors des portes ouvertes de la HELB, que la jeune diplômée a décide de s’installer en Belgique pour étudier. Elle a particulièrement apprécié le fait de bénéficier d’aménagements spéciaux. « Il y a eu une présentation sur les aménagements des cours et je me suis dit que c’était vraiment un programme parfait. »

La HELB n’est d’ailleurs pas la seule institution d’études supérieures à proposer un statut spécifique pour les étudiants en situation de handicap. En Belgique, depuis 2014, les écoles supérieures sont obligées de mettre à disposition une politique éducative inclusive pour les étudiants en situation de handicap.

En Belgique, plusieurs textes balisent l’accès aux études des personnes atteintes de handicap: 

Pour accéder au statut, l’étudiant est amené à franchir plusieurs étapes administratives auprès de son institution. Il lui est par exemple souvent demandé de fournir un justificatif du handicap, comme un certificat ou un rapport circonstancié.

Pour Anna, étudiante de l’ULB atteinte de dyslexie, la procédure a été rapide, son attestation datant d’il y a trois ans était encore valable. Avec l’aide d’une autre étudiante à besoin spécifique (EBS), elle réussit facilement à faire son dossier. 

Casse-tête administratif

Contrairement à Anna, Chloé a eu beaucoup plus de difficultés, en raison des deadlines et du nombre de documents à rendre. «Le principe même du TDAH, c’est que tu as énormément de mal à remplir des formulaires, à le faire bien et dans les temps. Le fait qu’il n’y ait pas d’aide pour le faire, ça rend le processus très anxiogène.»

Certains étudiants constatent que des écoles demandent parfois un grand nombre de documents. « [Dans ma première école] j’ai dû montrer l’entièreté de mon dossier médical, avec tous mes antécédents. Même si je n’ai pas de problème avec ça, c’était limite moralement », explique Marie, étudiante malvoyante de naissance en études sociales, aujourd’hui, à la HELB. Elle avait auparavant entamé des études de droit dans une autre haute école bruxelloise.

Portrait de Marie, une étudiante malvoyante de la HELB.

Marie n’a plus de vision périphérique et ne voit pas à plus de 2,5 mètres. © Pol Lecointe

Les étudiants en situation de handicap ne font probablement pas tous la demande pour ce statut. « Sachant qu’environ 10% de la population est dyslexique, il y a probablement beaucoup d’étudiants dans les auditoires qui ont des troubles de l’apprentissage, mais qui ne se font pas connaître », souligne Stéphane Camut, référent à l’enseignement inclusif à la HELB. Il ajoute qu’au sein de l’école, 80 élèves ont le statut EBS, cela représente environ 3% des étudiants.

Ce chiffre n’étonne pas Élise. Elle a mis du temps à assumer son handicap, et à demander un statut spécial. Aujourd’hui encore, ses camarades de classe ne sont pas tous au courant de son épilepsie. Mais elle le dit et redit : elle ne regrette en rien sa bataille administrative et émotionnelle pour obtenir des aménagements spécialisés. Ils lui permettent de suivre ses cours et ses examens dans les meilleures conditions possibles.

Chapitre 3: l'aménagement des cours
Chaque handicap est différent et demande des aménagements spécialisés à l'université. © Pol Lecointe

Après avoir envoyé tous les documents nécessaires, Élise a donc, finalement, reçu, son statut EBS. En compagnie de représentants de son programme et de Stéphane Camut, elle a établi un plan d’accompagnement individualisé (PAI). qui définit les aménagements dont elle aura besoin durant son cursus universitaire, avec une possibilité de le changer en cours de route.

Élise peut suivre son programme d’ergothérapie en cinq ans, au lieu de trois. Pour les cours, elle a accès à un support complet de l’enseignant, et à une élève référente qui prend des notes en cas d’absence. Pour les examens, elle bénéficie d’un tiers-temps, et d’une salle spéciale qui réunit d’autres personnes en situation de handicap. « L’enseignement inclusif ne veut pas et ne peut pas diminuer les exigences [des programmes d’études, ndlr], il faut une équité », justifie Stéphane Camut. Pour son master à l’ULB, Chloé a, de son côté, le droit à des relectures, notamment d’un point de vue orthographique. «Pour le trouble de l’attention, il y a des fautes qu’on ne voit pas. C’est compliqué pour moi de me relire.»

Pour les examens, Chloé et Anna ont un local prévu pour elles, dans le bâtiment K sur le campus du Solbosch. Un carton rempli de casques anti-bruit est mis à disposition. Leurs tables sont installées face à des murs afin de ne pas être déconcentrées. Toutes les deux ont demandé un tiers-temps, et des exemplaires imprimés, uniquement, en recto. Pour éviter d’être perturbées. Cette dernière requête n’a pas toujours été respectée. Anna, de son côté, a des demandes spécifiques pour sa dyslexie comme une calligraphie bien précise (police Arial, taille 12 et interligne 1,15). Elle préfère personnellement avoir un texte écrit en plus petit, qui lui permet d’avoir une vision globale du texte.

Stress et crises d’angoisse

Ce local à part est essentiel pour Chloé. Il y a beaucoup moins de gens dans la pièce, et donc moins de stimulation. Le tiers-temps lui permet de moins stresser, de prendre son temps, de lire plus attentivement les questions, et donc d’éviter de tomber dans les pièges.

Récemment, Chloé a dû passer un test dans l’auditoire Janson de l’ULB (capacité de 1500 places) avec tous les autres élèves. Bien qu’elle avait sa propre table à l’avant de l’auditoire avec les autres EBS, ce n’était pas les mêmes conditions qu’en période d’examen. Son tiers-temps ne l’a pas beaucoup aidé, car elle a été perturbée par la sortie de l’auditoire des non-EBS. 

Marie a aussi connu une mauvaise expérience dans sa première haute école, en études de droit. Plusieurs aménagements inscrits dans son PAI n’ont pas été respectés. « Sur les six sessions que j’ai faites, il n’y en a aucune où j’ai eu mon temps supplémentaire pour les examens. Ça créait un stress. », assure-t-elle. Les mauvaises conditions d’étude l’ont amené à abandonner son cursus. « Je ne me sentais pas soutenue par l’école, ça m’a même conduite à faire des crises d’angoisse. » Depuis qu’elle a intégré la HELB qui l’aide via des supports de cours spécifiques et du matériel adapté, elle s’y sent mieux.

 

  • Vue aérienne de plusieurs types d'écouteurs posés sur une table : filaires, Bluetooth, casque Bluetooth.
    Si elle ne met pas son casque anti-bruit, Chloé ne peut pas réaliser des tâches comme la vaisselle ou étudier. © Pol Lecointe
  • Objet "anti-stress" posé sur une table
    Chloé utilise un objet "anti-stress" pour stimuler ses doigts. Cela lui évite de s'arracher les cheveux à cause du stress. © Pol Lecointe
  • Vue aérienne d'un zoom numérique et d'une canne pour malvoyant posés sur une table (objets adaptés aux personnes malvoyantes).
    Marie possède un zoom numérique, utile lorsqu'il faut lire des feuilles imprimées. Elle ne se déplace également jamais sans sa canne. ©Pol Lecointe
  • Gros plan sur des attaches de sac à dos avec des scotchs fluorescents ajoutés pour être mieux perçus.
    Marie a aussi rajouté du papier collant fluorescent à certains endroits de son sac à dos. Cela l'aide à distinguer les fermetures éclaires. © Pol Lecointe
  • Photo d'un logiciel de zoom sur ordinateur aidant les malvoyants.
    Enfin, elle utilise un logiciel qui lui permet de zoomer l'image. Ce genre d'outil coûte entre 600 et 1200€. © Pol Lecointe
Chapitre 4 : les améliorations
Une des pistes d'amélioration : universaliser les modalités d'enseignement. © Pol Lecointe

Selon nos interlocutrices, des améliorations pourraient être mises en place pour favoriser l’inclusion. Pour Élise, comme pour d’autres, l’invisibilité de leurs handicaps engendre parfois une incompréhension des professeurs et autres élèves.

« Il m’est arrivé, lors mes examens de janvier, d’avoir des réflexions déplacées par des professeurs médecins-chirurgiens », indique Pauline, étudiante de la HELB atteinte d’une mini-paralysie du côté droit, et de plusieurs troubles de l’apprentissage. Elle ajoute devoir souvent justifier les raisons qui la poussent à prendre l’ascenseur, habituellement interdit pour les étudiants de l’école. « C’est rabaissant, parce que vu que ça ne se voit pas, on pense que je n’ai pas de problème et que je n’y ai pas droit. »

Pour Pauline et Élise, ces situations pourraient être évitées grâce à des formations et ateliers de sensibilisation auprès des étudiants et professeurs. Une idée soutenue par les associations qui accompagnent les personnes en situation de handicap, comme l’ASBL Parthages, qui organise des ateliers de sensibilisation appelés «Handipeople». Le but : rappeler « qu’on ne définit pas quelqu’un par ce qu’il ne sait pas faire. »

Concernant les examens à l’ULB, les tâches sont longues : encoder les cours, le nom des profs, les horaires, les aménagements souhaités… Et après cela, envoyer le tout par mail. « Ça demande un temps fou alors que ça pourrait être fait automatiquement », souligne Chloé. Pour les cours, elle aimerait pouvoir les enregistrer vocalement ou que les enseignants fournissent des notes plus complètes. Beaucoup de professeurs refusent encore ces demandes. La plupart d’entre eux apprennent qu’ils ont un étudiant EBS qu’au moment des examens. Elle le ressent beaucoup lors des travaux pratiques, où les deadlines sont très serrées. « Il y a certainement beaucoup de choses qui pourraient être faites, mais ça prendrait des mois pour faire juste une réclamation. » Contactée à plusieurs reprises, l’ULB n’a pas donné suite à nos demandes.

Réfléchir autrement, ensemble

Les associations de défense pour les droits des personnes handicapées, comme Esenca et Parthages, militent pour la mise en place d’un modèle inclusif. L’objectif à terme : permettre d’atteindre l’autonomie de tout le monde en adaptant l’environnement sans pénaliser un étudiant.

Stéphane Camut défend également cette conception universelle de l’apprentissage, qui serait une solution à une meilleure inclusion. Par exemple, rallonger le temps d’examen pour qu’il soit adapté à tous. « Si on pouvait réfléchir autrement, en adaptant sans devoir passer par l’enseignement inclusif, on pourrait répondre, sans stigmatiser, à un plus grand nombre d’étudiants.»

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