Alain Destexhe était l’invité de la matinale de BEL RTL le 20 mars dernier. Durant l’interview, l’ex-élu MR est revenu sur la réforme de l’aide à la promotion de l’emploi, avec plus ou moins d’exactitude dans ses affirmations. Décodage.
Cette réforme […]. C’est un milliard qui est investi dans des emplois publics. Pour chacun des auditeurs, […] c’est 850 euros / an.
C’est difficile à déterminer
Le budget prévu pour les Aides à la Promotion de l’Emploi (APE) est effectivement d’environ un milliard d’euros, comme indiqué dans la note au gouvernement du Ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet. Et comme les APE sont attribuées au secteur non-marchand, il s’agit bien d’un investissement dans des emplois publics. Toutefois, l’origine du chiffre 850 euros reste inconnu. Alain Destexhe n’a pas souhaité communiquer l’explication de ce montant. Et après de nombreuses recherches et coups de fils, il est impossible à l’heure actuelle de déterminer le montant de l’impact des APE dans le portefeuille des Wallons. Natasha Gilson, professeur d’économie à l’UCL, donne deux raisons : la réforme est sans cesse repoussée et la réforme passera par une nouvelle législature en mai 2019.
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“Il y a une pénurie dans 88 métiers. Il y a 40.000 emplois disponibles.”
C’est faux
Dans ces propos, Alain Destexhe regroupe deux chiffres qui ne signifient pas la même chose. Il ne différencie pas les fonctions en pénurie et les fonctions critiques. En wallonie, 55 métiers en pénurie sont recensés contre 33 en situation critique. Ces deux notions sont totalement différentes. On considère qu’un métier est en pénurie quand la main d’oeuvre est insuffisante par rapport au besoin du marché. Un métier est dit en situation critique quand il n’y a pas assez de formation. Donc en sommant les deux chiffres nous tombons bien au total de 88.
Alain Destexhe avance un deuxième chiffre, celui de 40 000 emplois disponibles. Mais selon les derniers chiffres de l’institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS) au cours du troisième trimestre 2018, il y a 29 420 emplois vacants. Ce dernier est un chiffre officiel.
“En Flandre, il n’y a que 15% d’emplois publics et il y en a 20% en Wallonie.”
C’est vrai
L’IWEPS a publié une étude sur l’emploi public en wallonie en décembre 2017. Selon l’indicateur utilisé pour calculer la part de l’emploi public dans l’emploi intérieur, les chiffres varient de 21 à 27% en wallonie en 2015. Pour la Flandre, c’est bien 15% d’emploi public toujours selon les derniers chiffres consultables. Compte-tenu du fait qu’Alain Destexhe a pu se fier aux données les plus basses, nous pouvons considérer l’assertion comme exacte.
Revoir l’interview d’Alain Destexhe dans L’invité de Bel RTL.
Que sont les APE ?
Les aides à la promotion de l’emploi sont des subventions accordées aux employeurs du secteur non-marchand (socio-culturel, éducation, etc) ainsi qu’aux pouvoirs locaux et à l’enseignement. Elles ont pour but de faciliter l’engagement et donc favoriser l’emploi. Ces aides comprennent un montant annuel visant à subsidier la rémunération des travailleurs et une diminution des cotisations de sécurité sociale et patronales pour l’employeur. Le montant de ces aides est calculé sous forme de points qui dépendent notamment de la durée d’inscription de l’employé comme demandeur d’emploi et de son niveau d’étude. Un point équivaut à plus ou moins à 3.000€.
Quels sont les métiers en pénurie en Belgique ?
Selon l’enquête mondiale sur les pénuries d’emploi par ManpowerGroup, entreprise américaine spécialisée dans le recrutement et l’intérim, le fossé entre la demande et l’offre se creuse. La Belgique a particulièrement des difficultés à recruter, et ce dans les trois régions. En Wallonie, 30% des employeurs estiment qu’ils leur manquent de la main-d’oeuvre. Certaines fonctions concernées varient selon la région.
Il existe peu de différences entre les trois régions, et c’est encore plus frappant quand on compare la Wallonie et la Flandre. Les ouvriers qualifiés se retrouvent en première position dans les trois régions. Ils sont pourtant les profils les plus recherchés par les employeurs en Belgique. Fait interpellant : les experts, notamment scientifiques, sont en pénurie à Bruxelles, alors qu’elles rassemblent deux universités. Le manque d’attraction et la difficulté des études expliqueraient en partie la pénurie, selon l’étude. Suivent les fonctions commerciales et les chauffeurs.
Quels sont les problèmes avec le système actuel ?
La première critique avancée par le Ministre de l’Emploi, Pierre-Yves Jeholet, est la difficulté d’introduire une APE. Quand un employeur souhaite obtenir une aide, celui-ci doit envoyer une demande. Celle-ci passe alors dans quatre services différents, ce qui ne facilite pas la tâche autant à l’administration qu’à l’employeur : “L’instruction de demande passe dans beaucoup trop de mains. Cela décourage les employeurs, qui alors ne demandent pas d’aide et se retrouvent dans des situations délicates. Et imaginez la difficulté, pour chaque service, de prendre connaissances de l’avis de chacun.”, explique Frédéric Clerbaux, conseiller juridique pour l’Unispo, la confédération des employeurs du secteur non-marchand. Mais l’aspect qui fâche le plus est le manque de transparence. L’octroi des points APE serait inéquitable : il s’agirait d’un choix davantage arbitraire que d’un choix objectif.
En quoi consiste la réforme ?
Le principal objectif de la réforme consiste à transférer les postes APE de la compétence « emploi » vers des « politiques fonctionnelles », c’est-à-dire, les différentes politiques dans le secteur non-marchand pour lesquelles la Région wallonne ou la Fédération Wallonie-Bruxelles est compétente. Les politiques fonctionnelles (l’aide aux familles, les centres culturels, etc) sont sous la compétence d’un ministre « fonctionnel ». Le ministre fonctionnel aura désormais la charge des budgets et des postes. Il devra intégrer les APE dans un cadre légal, pourra orienter certains projets ou en conclure d’autres.
Ce que l’on reproche à la réforme ?
L’Unipso a émis quelques réticences sur le prochain dispositif. Bien qu’elle soit d’accord sur l’idée de transparence dans l’octroi des aides, la confédération pointe l’effet négatif de l’urgence dans laquelle travaille le gouvernement wallon. Pour les employeurs, un tel décret ne peut pas être correctement organisé en un an. Le risque qui préoccupe le plus Unipso est la perte d’emploi. Une crainte partagée par le Setca, la centrale des employés de la FGTB : “Le budget est déjà réduit de 5%, alors que chaque année, le budget octroyé augmentait. Il ne restera aucune marge pour créer de nouveaux emplois”, souligne Myriam Dellmee, vice-présidente. Il serait question de 4750 emplois, selon l’Unipso.
Qui est le bénéficiaire de la réforme des APE?
Les employeurs du secteur non marchand, des pouvoirs locaux et de l’enseignement bénéficient de cette aide à la promotion de l’emploi. Plus spécifiquement dans le secteur non marchand, cette aide est dédiée aux entreprises sans but lucratif et dont l’objectif est le développement de l’aide à l’emploi. Dans le cas des pouvoirs publics ce sont les pouvoirs locaux tels que les communes, les provinces et la police. En ce qui concerne le secteur de l’enseignement, les écoles peuvent aussi recevoir la subvention des APE. Elles doivent s’adresser à la Fédération Wallonie Bruxelles.