Covid-19 : confinement en famille, oui mais non

Crises d’angoisses, décrochage scolaire, sentiment d’être oubliés par le gouvernement… Depuis plusieurs semaines, nombreux sont les étudiants qui se plaignent du confinement et des mesures mises en place dans le contexte de la pandémie du covid-19. Ce n’est pas le cas pour Margaux L. Cette jeune étudiante en sciences politiques a quitté son kot bruxellois pour rejoindre sa famille dans la province du Luxembourg. Entourée de ses parents et ses sœurs, sa quarantaine se passe de manière assez positive et lui apporterait de nombreux avantages. « Depuis que je suis rentrée, j’apprends vraiment à revivre avec ma famille, à m’asseoir, à discuter pendant des heures, à regarder un film à plusieurs. Ce genre de trucs qu’on ne faisait plus depuis que je vis plus avec mes parents. Donc ça fait 3 ans maintenant. Et ça, c’est vraiment un côté super positif du confinement parce que j’ai appris à repasser des moments en famille », explique-t-elle.

La jeune Belge n’est pas la seule à voir la quarantaine de cette façon. C’est le cas aussi pour Tom F., Français de 21 ans. Entre le bricolage, le dessin et les apéros en famille, il n’a pas le temps de s’ennuyer même s’il redoutait quelque peu cette période. « J’avais pas mal d’appréhensions, je pensais qu’on allait s’engueuler pour des choses futiles et finalement pas du tout. Chacun a tout de suite mis son caractère un peu merdique de côté et puis ça se passe très bien. Non c’est cool, c’est plutôt positif. »

Se recentrer sur soi-même

Entre les cours, les activités sportives et les sorties entre amis, les étudiants ont souvent du mal à allier études et moments en famille. Grâce au confinement, il leur est plus facile de concilier les deux. Mais au-delà du simple fait de se réunir avec ses proches, ce confinement permet également à certains de se retrouver seul et de faire le point. Vivre sous le même toit ne signifie pas pour autant vivre les uns sur les autres. Tara G., étudiante française en sciences politiques à l’ULB, estime qu’elle ressortira changée par le fait d’avoir été confinée. « Je pense qu’une fois que tout ça sera terminé, je me serai vraiment ressourcée. J’ai pris soin de moi, de ma peau, de mes cheveux. J’en ai appris beaucoup sur moi-même aussi. J’ai fait le tri dans ma vie et je pense que c’est ce qui m’a aidé à vivre toute cette situation au mieux. »

Parmi les autres aspects positifs de ce confinement, il y a le fait de relâcher la pression. Comme nous l’explique Margaux, les cours donnés à distance lui permettent de travailler quand elle le souhaite dans la journée. Elle peut profiter de cette flexibilité pour se recentrer sur elle-même. Ce confinement lui a permis de jongler avec les cours, la famille et, bien qu’elles soient virtuelles, les relations sociales. Elle relâche ainsi la pression ressentie lorsque ses journées sont rythmées par le « métro-boulot-dodo ».

Le retour des étudiants au domicile familial pour la quarantaine. © Illustration Camille Pécot

Un temps pour se retrouver

Mais qu’en est-il pour les parents enfermés avec leurs enfants alors ? Eux qui pensaient enfin pouvoir souffler un peu sans leurs ados, voilà que ceux-ci rentrent au bercail. De leur côté aussi, ils semblent avoir trouvé la formule magique permettant de cohabiter ensemble dans une bonne ambiance. Térèsa est mère de deux enfants : Nicolas 15 ans, et Julia 21 ans. Pour elle, la différence s’est surtout ressentie dans les rapports avec sa fille. « Cette année, on ne voyait plus beaucoup Julia. Elle ne kote pas, elle vit encore avec nous mais elle étudie à Bruxelles et ses journées sont chargées donc elle partait très tôt et revenait souvent très tard. Il y avait certains soirs où on mangeait à trois et Julia mangeait seule en rentrant. Là, grâce au confinement, on partage beaucoup de moments mère/fille : on cuisine ensemble, on en profite pour discuter. Je ne m’attendais pas à ce que ça se passe aussi bien ». Cependant, même si Térèsa trouve la situation facile à vivre, elle reste consciente que tous ne sont pas dans le même cas. « Je ne fais pas de télétravail et mes enfants sont assez grands pour pouvoir s’occuper seuls. Je me doute qu’avec des enfants en bas âge et le travail à côté, ça doit être plus compliqué. »

Ressentir un peu de chaleur humaine tous ensemble.

Pour beaucoup, le confinement rime aussi avec solitude. Mais pour d’autres, il a surtout été un moyen efficace pour la contrer. Tara G. estime qu’il était hors de question de passer le confinement seule dans son appartement bruxellois. Pour Margaux, c’est surtout la période scolaire qui était synonyme de solitude cette année et le confinement lui a permis de l’éviter. « Personnellement, cette année scolaire a été un peu compliquée. Je suis en deuxième année et en première on était toujours à trois. Là, malheureusement, l’une de nous a raté son année et l’autre a changé d’études donc je me suis retrouvée seule, explique-t-elle. Je ne connaissais pas beaucoup de gens dans l’auditoire. La solitude, ça joue un peu sur la confiance en soi, sur le moral etc. Là, je suis chez moi tout le temps et je ne ressens plus cette solitude. Je suis tout le temps entourée. » Mais ce confinement ne semble pas être une partie de plaisir pour tout le monde.

Quand le confinement ne tourne pas si bien

Si pour Tom F., Tara G. et Margaux L., le confinement se passe bien, c’est moins le cas chez les Delpierre. Nathalie est confinée avec sa fille de 21 ans, Margaux, dans la maison familiale. Même si elles reconnaissent vivre dans des conditions favorables (une maison avec jardin), elles se sentent oppressées l’une par l’autre. En effet, Nathalie fait du télétravail, comme une grande partie des Belges, et est donc constamment à la maison, au grand désespoir de sa fille. « On s’entend super bien mais quand on se voit de 16h à 22h. Ici, c’est de 9h à 22h. Les nerfs sont mis à rude épreuve. Il y a plus de conflits. Des trucs qui ne m’embêtaient pas trop, m’embêtent ici, parce qu’on est non-stop ensemble« , confie Margaux. C’est vrai que, normalement, Nathalie passe une bonne partie de la journée au travail et Margaux à la haute école. Pour Nathalie, la situation est aussi un peu difficile, car il y a plus de tensions même si elle est tout de même ravie d’être confinée avec sa fille. « Vivre toute seule aurait été plus compliqué. »

Alors que certains ont quitté leur kot pour rejoindre leur famille, Margaux aurait bien aimé avoir son chez soi pour y passer par exemple le confinement avec son copain, tout en reconnaissant que cette situation aurait elle aussi été difficile. « Psychologiquement, de rester confiné, c’est difficile, où que l’on soit. »

Mère comme fille ont hâte de pouvoir être libres à nouveau, de sortir faire du shopping le samedi et se balader dans la rue. Pour le moment, elles s’adaptent. Nathalie passe la plupart de son temps dans le salon pour avancer dans son travail tandis que Margaux privilégie sa chambre. Elles ont décidé d’instaurer des moments où elles peuvent se retrouver seules. Margaux reste par exemple 30 minutes sur le parking du supermarché après avoir fait les courses, afin de souffler un petit peu. Une initiative étonnante mais qui permet, selon elle, de diminuer les tensions avec sa maman.

Vivre dans deux foyers différents, un défi pendant le confinement. © Illustration Camille Pécot

Confinés entre deux foyers

Si le confinement permet aux familles de se retrouver, comment se passe-t-il pour les enfants dont les parents sont séparés ? Ils sont les seuls à pouvoir vivre la situation dans deux foyers à la fois. Estelle G. est une mère divorcée et vit à Nantes avec ses trois enfants, Wilfried (4 ans), Evangéline (10 ans) et Sean (14 ans). Les deux aînés sont en garde alternée, une semaine chez leur mère et une semaine chez leur père. Rien n’a changé pour eux pendant la période de confinement. « Leur père les amène à la maison le ‪vendredi soir et moi je les ramène chez lui le ‪vendredi soir suivant. A l’aller ça va, nous avons les attestations de sortie qui m’autorisent à déposer les enfants chez mon ex-conjoint (en France, une attestation de sortie est nécessaire pour justifier les sorties du domicile, NdlR). Mais j’ai peur de me faire contrôler au retour. J’ai une bonne raison d’être sur la route mais je ne peux apporter aucune preuve car mes enfants ne sont plus dans la voiture. Heureusement, jusque-là je ne me suis jamais fait contrôler », raconte Estelle G.

La peur n’évite pas le danger.

La journée s’organise entre les devoirs à faire pour l’école, des activités manuelles, cuisiner, regarder des films, etc. « Je préfère l’école à la maison, c’est bien mieux qu’aller à l’école », assure Evangéline. Revoir les copains est sa seule motivation pour retourner à l’école après le déconfinement. Pour l’heure, c’est les vacances ! Estelle G. ajoute qu’elle « essaye de ne pas faire perdre le rythme de l’école aux enfants. On va se coucher ‪à 22h00, mais pour le matin, je suis une lève-tard donc m’obliger à être debout à 7h00, c’est impossible ! Chacun se lève à l’heure qu’il veut et ensuite, on commence les activités. Evangéline et Wilfried aiment bien bricoler. L’autre jour, on a fait de la pâte à sel. »

Ce que dit la justice

L’hébergement des enfants n’est pas modifié en période de confinement. En France comme en Belgique, les chefs de gouvernement ont insisté sur le maintien de la garde alternée dans les familles séparées, comme elle l’était avant le confinement (en droit, on ne parle pas de garde alternée ni de droit de visite mais d’hébergement alterné ou d’hébergement principal/secondaire, NdlR). Dans son intervention du 17 mars 2020, Sophie Wilmès, Première ministre belge (MR) a déclaré que le gouvernement ne souhaitait pas « priver un parent ou un enfant d’un de ses parents. » Il n’y a aucune raison d’y déroger, les décisions du jugement s’appliquent.
Les exceptions à la décision judiciaire. « Il existe deux exceptions à la règle. La première concerne les couples bi-nationaux. Les frontières étant fermées, les enfants ne peuvent plus franchir les frontières. La deuxième s’applique s’il y a une réelle mise en danger, pour protéger l’intérêt de l’enfant ou d’un des parents (par exemple, un parent immunodéprimé) », explique Nathalie Massager, avocate au barreau de Bruxelles, spécialiste en droit de la famille et professeure de droit à l’ULB. Le fait qu’un des deux parents travaille dans le milieu médical et être donc plus exposé à la contamination ne peut pas constituer une exception.
Quelles sont les sanctions ? « En période de confinement, les mêmes sanctions s’appliquent en cas de non-présentation ou de soustraction d’enfant. Le parent victime peut porter plainte pour délit de non-présentation, demander la reprise forcée de l’enfant auprès d’un tribunal, ou enfin faire appliquer l’astreinte. Dans ce dernier cas, un jugement condamne le parent qui ne respecte pas les modalités, à payer une amende par jour de retard. Si le parent refuse toujours de rendre l’enfant, on dit qu’il y a rapt parental », affirme la professeure de droit. En mars dernier, un père de famille a été condamné par le tribunal de première instance du Brabant wallon à payer une astreinte. Il refusait de remettre l’enfant à son ex-conjointe, à cause des risques de contamination liés au covid-19.
Séparation sans décision judiciaire, aucun moyen d’agir. Mais ces sanctions ne peuvent s’appliquer qu’en cas de décision judiciaire pour la séparation des parents. Nathalie Massager raconte que « s’il y n’y a pas de décision judiciaire, le simple accord écrit entre les parents ne vaut rien. Il n’y a aucun recours possible pour le parent victime de faire valoir son droit à l’hébergement de l’enfant. Beaucoup de parents ont préféré la médiation pour l’hébergement des enfants, mais quand il y a un vrai problème, ils se rendent compte qu’ils n’ont aucun moyen d’agir. » La majorité des familles séparées fonctionnent sur le système de médiation.
Les tribunaux restent ouverts pour les situations d’urgence. « Il y a beaucoup de demandes de séparation de couple pendant la période de confinement. Les activités des tribunaux sont réduites aux urgences. Par exemple, la séparation peut être prononcée s’il y a des violences familiales et si la vie de l’enfant est menacée », conclut Nathalie Massager.

Estelle G. aurait préféré que ses enfants restent chez elle pendant toute la durée du confinement. « Leur père et leur belle-mère travaillent tous les deux à l’hôpital de Nantes. Il y a des risques réels de contamination même si je sais qu’ils prennent toutes les précautions possibles pour se protéger. Oui, la peur de la contamination est là mais je ne pouvais pas priver mes enfants de voir leur père. Cependant, la peur n’évite pas le danger. Je suis actuellement en arrêt de travail. J’exerce un métier dans le milieu médical donc j’aurais pu moi aussi me retrouver à devoir travailler dans des conditions à risque. Ce n’est pas pour autant que j’aurais supporté le fait de ne pas voir mes enfants pendant deux mois. »

« Les peurs se nourrissent des conflits intra personnels »

Si dans de nombreuses situations, les parents décident d’un commun accord de la meilleure situation pour leurs enfants, dans d’autres familles, la pandémie ne fait qu’accroître les tensions. « Les conflits, déjà présents en amont, seraient exacerbés par le stress inhérent à la situation. Les peurs se nourrissent des conflits intra personnels. Tout dépend du mouvement interne de chaque personne et de la façon dont chacun appréhende la situation », argumente Mélanie Perotti, psychologue-psychothérapeute. « Après les deux premières semaines pour s’adapter à cette situation anormale, on peut voir ceux qui ont su s’adapter à la situation, ou non, en fonction des outils et des ressources à disposition, comme par exemple, l’aide d’un avocat. »

La psychologue observe que « notre insécurité psychique est rassurée par la loi, la mise en place d’un cadre. Mais malgré les propos clairs de Sophie Wilmès, son autorité ne ferait pas loi pour tout le monde. » Le stress, la culpabilité, l’aliénation parentale seraient aussi de la partie et empêcheraient parfois de juger la situation en termes rationnels, pour chacun des membres de la famille (parents/enfants). « La culpabilité pourrait devenir une arme contre l’autre. »

Continuer la garde alternée semble important pour les enfants. Ils maintiennent ainsi un lien avec les deux foyers et profitent des avantages des deux maisons. « Chez leur père, il y a un jardin, ça leur fait du bien de prendre l’air. J’habite dans un appartement avec un balcon et on sort se défouler de temps en temps mais ce n’est pas pareil », relate Estelle G. Son fils est en « sport-étude » et suit trois entraînements d’athlétisme par semaine en plus du sport à l’école. « Il discute sur les réseaux sociaux avec ses copains d’athlé mais je pense que le plus dur pour lui, c’est de ne pas pouvoir s’entraîner ou de faire des compétitions. »

Cette mère de famille observe que parmi les parents divorcés de son entourage, une seule famille a choisi de modifier le rythme de garde : « Mon cousin a fait un accord avec son ex-conjointe pour garder les enfants (16 et 18 ans) tout au long du confinement. Il vit dans une maison à la campagne, entourée de vignes, tandis qu’elle habite dans un appartement en ville. Ils se sont dit que c’était plus agréable pour les enfants de rester chez leur père ».

Huit à la maison

En 2019, dans l’Union européenne, Eurostat a dénombré 223 millions de ménages, dont un tiers (65 millions) de ces ménages comptaient des enfants. Les deux tiers restants (158 millions) regroupent les familles sans enfants et les personnes vivant seules.
La Belgique fait partie du top 3 des pays ayant les plus fortes proportions de familles nombreuses. Selon les chiffres dévoilés par Eurostat en juin 2019, les ménages comptant trois enfants, ou plus, représentent 18% des familles belges. L’Irlande est première, suivie de la Finlande (19%). La Belgique et la France se partagent la troisième position.

Mais qu’en est-il des familles composées de plus de quatre, cinq personnes ? Jonathan, Anne-Déborah, David, Daniel, Anaëlle, Nathan-Jacques et leurs parents vivent leur confinement à huit. La famille s’est bien adaptée et voit cette situation comme bénéfique. Le confinement leur a permis de se réunir. « Le confinement se passe bien car on a la chance d’avoir de bonnes relations, on s’entend bien. Pendant l’année, je suis à Louvain-La-Neuve, David à Bruxelles, Daniel à Jambes, donc le week-end, normalement c’est la grosse fiesta. Ici, c’est chouette car on passe plus de temps tous réunis », dit Jonathan, l’aîné de la fratrie.

Et huit personnes dans une même maison, cela peut comporter des difficultés. La famille a la chance d’avoir une maison où chacun dispose de son espace personnel et peut donc se retrouver seul.

S’organiser et s’adapter

Dans le foyer des B., il y a ceux qui travaillent et ceux qui restent à la maison. La maman travaille à l’hôpital et deux des adolescents partent travailler pour leur job étudiant quelques jours par semaine. Le reste de la famille, est 24H/24 ensemble. Enfin, pas toujours. Anaëlle, Daniel et Nathan-Jacques, les plus jeunes, passent beaucoup de temps dans le salon après avoir travaillé sur leurs devoirs. Le papa, théologien de formation, assure le suivi des devoirs. Il travaille aussi sur ses prédications pour l’église protestante évangélique dont lui et toute sa famille sont membres. Le confinement ne l’empêche en effet pas de rester impliqué dans l’Eglise même s’il n’est plus question de s’y rendre. Son deuxième rôle est de veiller à ce que les plus jeunes ne fassent pas trop de bruit. La maison doit rester un maximum silencieuse afin que les aînés puissent plancher sur leurs cours universitaires. Mais ce système semble avoir quelques failles … « Difficile de se concentrer avec la télé allumée dans le salon et le grand-frère qui joue du piano dans sa chambre », confie Anne-Déborah. La stratégie ne semble donc pas complètement efficace mais les petits désagréments sont pris, par tout le monde, avec légèreté.

À situation inédite, mesures inédites. Il faut s’adapter à ce nouvel environnement et pour ça, chacun a son organisation. Anne-Déborah, en troisième année de médecine, a choisi se de lever tôt. « Pour étudier, je me lève quand tout le monde dort. J’ai onze examens, il faut donc avancer et étudier. Au début, j’étais motivée mais avec le temps, tu l’es moins parce que tu fais toujours la même chose. Pour le bruit, heureusement, j’ai mes boules Quies et la porte de ma chambre est en partie blindée donc j’entends déjà moins quand il y a du bruit », dit-elle. Jonathan, fonctionne, quant à lui, à l’inverse de sa sœur. « Je travaille la nuit. En journée, je m’occupe, je me divertis. Le soir, j’étudie mes cours. »

Les familles nombreuses en confinement, entre temps pour soi et temps en famille. © Illustration Camille Pécot

Les parents de cette grande famille ont l’impression de bien gérer cette situation de confinement et ce, en partie, grâce à l’instauration de règles. La plus importante : dîner tous ensemble. Chose qu’ils ne faisaient pas avant car difficile d’aligner les horaires de chacun. Tout le monde s’adapte à la situation actuelle et personne ne le vit mal. « On tirera sûrement un bilan positif de cette expérience », déclare Anne-Déborah.

Enfants confinés, enfants en danger ?

Bien que le confinement soit pour certains un moyen de créer des liens avec sa famille, pour d’autres, c’est un cauchemar au quotidien. Disputes, violences et abus, la maltraitance des enfants subsiste qu’elle soit physique ou psychologique. « Depuis le début du confinement, je n’ai pas remarqué de diminution ou d’augmentation du nombre de cas de maltraitance, mais nous restons en alerte », confie Emmanuel de Becker, pédopsychiatre pour la cellule de SOS Enfants à Bruxelles (centre de confiance pour enfants maltraités). Comme le précise Aurore Dachy, gestionnaire de projet au service SOS Enfant de l’Office de la Naissance et de l’Enfance, les équipes « essaient au maximum de suivre les familles. » Leur technique ? « Nous proposons des jeux pour les enfants afin d’entrer en contact avec les foyers les plus isolés qui ont besoin de soutien. » Sur le terrain, les conditions de travail ont été adaptées aux mesures de sécurité : « Notre travail est plus compliqué, mais pas impossible. Nous faisons du cas par cas. Si la situation le demande, nous nous déplaçons, sinon nous interagissons via des vidéo-conférences », explique le pédopsychiatre.

Une méthode de travail qui s’ajoute à l’accueil et la prise en charge des familles lorsqu’un cas de possible abus est signalé : « Récemment, nous avons dû faire face à un cas difficile. Celui d’une famille déchirée. D’un côté, la mère qui soupçonnait son mari d’abus sexuels sur leur enfant et de l’autre, le mari qui dénonçait les mensonges de sa femme. Nos équipes ont pris en charge la famille. Nous avons essayé de faire respecter les lois et d’entendre les versions de tout le monde. Pour protéger l’enfant, nous avons établi un suivi, mais la famille a été obligée de rentrer chez elle », déplore le pédopsychiatre. « Cette période de confinement nous empêche de séparer les familles. L’enfant subit la situation. »

Les enfants, premières victimes des violences familiales. © Illustration Camille Pécot

Surveiller les écrans pour protéger les enfants

Les risques auxquels les enfants sont confrontés ne se limitent pas au cercle familial. Le Ligueur.be, une revue mise en place par La Ligue Des Familles, avertissait déjà le 19 mars dernier des risques liés au confinement et appelait à une vigilance collective notamment au sujet d’internet et des réseaux sociaux. Pour l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance), il s’agit d’une mise en danger des jeunes utilisateurs qui peuvent avoir accès à un contenu violent ou à caractère sexuel, ou encore subir du cyberharcèlement.

Pour prévenir ces dangers, l’organisme a publié une fiche technique ce mercredi 15 avril afin de protéger les enfants des images et vidéos violentes, ou à caractère sexuelles, qui circulent sur internet. « Souvent, les parents font du télétravail et ne peuvent pas surveiller en continu ce que leurs enfants font sur internet. Notre but et de faire de la prévention », déclare Phillipe Henon, porte-parole d’UNICEF Belgique. Récemment, c’est le réseau social Tik Tok qui a décidé de protéger ses jeunes utilisateurs en retirant la possibilité d’envoi de messages pour les personnes de moins de 16 ans. Dans un communiqué de presse, Cormac Keanan, chef de la sécurité de la plateforme, a expliqué, qu’à l’origine, cette messagerie avait pour but de créer du lien mais que : « cette fonctionnalité a pu être mal utilisée. » L’espace de messagerie aurait, en effet, permis à des utilisateurs plus âgés de se faire passer pour des adolescents afin d’entrer en contact avec les jeunes utilisateurs.

L’inquiétude du déconfinement

Pour Aurore Dachy, c’est au moment du déconfinement que les professionnels en lien avec des enfants devront rester attentifs : « Lorsque les enfants vont revenir à l’école, les professeurs vont surement remarquer certains comportements. Je pense que des cas de maltraitance vont nous parvenir car l’enfant va pouvoir sortir du cadre familial et peut être se confier à un ami, à un adulte. » Une vision que Gaëlle Lebouëdec, psychologue en thérapie familiale et expert auprès du procureur du Roi, partage : « J’ai gardé mon cabinet ouvert pour les familles qui veulent se déplacer, mais beaucoup se replient sur elles-mêmes, sans jardin ni contact avec le monde extérieur, les violences deviennent courantes. »

Cette dernière confie son inquiétude sur cette situation si délicate, bien qu’elle espère que le confinement permettra à certaines victimes d’être protégées de leur bourreau notamment dans les cas d’abus sexuels. « Si un parent abuse un enfant, il le fait lorsqu’il n’y a pas de témoins. Avec la présence de la famille au quotidien, on peut espérer une diminution du nombre d’abus mais rien n’est certain. »

La vigilance reste de mise. Et bien qu’en Belgique le nombre d’appels et de signalements de maltraitance n’a pas augmenté, les professionnels rappellent aux familles et enfants que les structures d’accueil restent ouvertes pendant le confinement.