Alors que les humains restent confinés chez eux, d’autres habitants de la Terre semblent en profiter.
Aux quatre coins du monde, les animaux sortent de nouveau dans les espaces urbains. Sur la toile, Il est possible de tomber sur de nombreuses vidéos révélatrices. En Australie, par exemple, où les kangourous profitent des rues vides. C’est le cas aussi au Brésil, où des images montrent des milliers de tortues envahirent une plage qu’elles avaient pourtant désertée.
Même constat chez nous, comme pour Esther, étudiante vivant en périphérie liégeoise : « J’entreprends régulièrement des balades à vélo sur le Ravel et j’ai remarqué plusieurs choses : l’eau me paraît incroyablement bleue, les poissons sont revenus dans la Meuse, les arbres sont magnifiques, il y a davantage d’oiseaux. Il y a moins de pollution. »
Une observation que ne partage néanmoins pas complètement Maëlle, citoyenne vivant à Arlon : « Comme j’habite dans le centre-ville, je ne ressens pas vraiment moins de pollution. On entend plus les oiseaux, ça oui. »
Et puis, il y a tous ceux, comme de nombreux internautes via les réseaux sociaux, pour qui le coronavirus serait « une sorte de vengeance » de la Nature.
Entre cause et conséquence, qui dit vrai ?
Sur le dos du pangolin ?
Depuis mi-avril, certains médias américains comme le Washington Post enquêtent sur l’hypothèse que le Covid-19 serait en réalité issu d’un laboratoire de Wuhan, d’où il se serait « échappé ».
Une hypothèse qui en reste actuellement au stade de la rumeur, d’autant que pour beaucoup d’observateurs à travers le monde, il serait fort probable que ce virus se soit propagé de l’animal à l’homme via le marché aux animaux sauvages de Wuhan.
Pour eux, l’origine du coronavirus se trouverait chez la chauve-souris. Celle-ci aurait transmis le virus (qui aurait alors muté) à un autre animal. Les scientifiques soupçonnent que cet animal soit le pangolin, un mammifère recouvert d’écailles originaire d’Afrique et d’Asie du Sud-Est et cible importante du braconnage. Le pangolin aurait alors transmis à son tour le virus à l’homme.
Covid-19 et biodiversité
Pour y voir un peu plus clair, et certes à prendre avec tout le recul scientifique nécessaire, la Vreb, une association française qui promeut la recherche et l’éducation au service de la biodiversité, a récemment publié une vidéo dans laquelle le biologiste Gontran Arnault explique de manière pédagogique le lien entre coronavirus et perte de la biodiversité due à nos habitudes de consommation.
Selon lui, cette relation s’expliquerait par plusieurs phénomènes. Tout d’abord, l’évolution sélectionne les virus capables de se propager entre espèces. Si le réservoir d’espèces diminue, suite au braconnage par exemple, certains virus vont avoir tendance à davantage résister et se propager entre espèces restantes.
Ainsi, certains germes vont avoir plus de possibilités d’infecter l’homme. Parallèlement, pour le biologiste, la déforestation et donc la destruction des écosystèmes pourrait favoriser l’apparition de nouvelles pandémies. Les chauves-souris, porteuses des coronavirus, sont ainsi obligées de se rapprocher des villes pour pouvoir se nourrir. Ce qui pourrait favoriser la transmission des virus à l’homme.
Enfin, pour la Vreb, l’élevage intensif moderne, en particulier via la perte de diversité génétique au sein du bétail, serait aussi un facteur aggravant le risque de pandémie. En effet, si un virus se transmet sur un individu d’un troupeau de porcs par exemple, la propagation serait accélérée suite au fait que les animaux ont de plus en plus un patrimoine génétique extrêmement proche.
On en convient, si parler de « vengeance de la Nature » est certainement un peu excessif, il semblerait néanmoins exister un lien étroit entre nos sociétés sous-estimant le déclin de la biodiversité et l’actuelle pandémie de coronavirus.
D’un nouvel air à une nouvelle ère ?
Fermeture d’industries, réduction du transport aérien, circulation automobile réduite, activités humaines confinées … Par temps de Covid-19, tout semble converger vers ce même constat : un air plus pur en Europe.
L’Agence Spatiale Européenne a confirmé une baisse significative de la pollution, entre 45 et 50% des concentrations de dioxyde d’azote (NO2), gaz très polluant, dans les grandes villes européennes. Même si les chiffres doivent se préciser avec le temps, les mesures de confinement prises dans le combat contre la pandémie semblent bien être la raison principale de cette réduction massive.
Cependant, si les gaz polluants diminuent aujourd’hui, cela ne veut pas dire que l’atmosphère est protégée pour autant. Cathy Clerbaux, directrice au Centre National de Recherche Scientifique (CNRS) prévient : « Autant sur les gaz polluants, c’est facile de donner des chiffres, mais sur les gaz à effet de serre c’est assez compliqué. Ils restent très longtemps dans l’atmosphère et donc, on ne peut pas dire s’ils ont fortement diminué. »
Spécialisée dans l’analyse des conséquences humaines sur l’atmosphère, la chercheuse explique, néanmoins, qu’une baisse des gaz à effet de serre sera induite par la baisse de la pollution actuelle.
Des déplacements réduits à 90%
S’il est trop tôt pour tirer des conclusions sur les gaz à effet de serre, l’impact du Covid-19 sur les transports est déjà, lui, mesurable à l’échelle mondiale.
Conséquence directe des mesures de confinement, le nombre de vols commerciaux et de marchandises a chuté. Alors que le 9 mars, 180.000 appareils étaient en service, il n’en restait plus qu’un tiers le mois suivant. Avec la perte d’activité du secteur aérien, l’Association Internationale de Transport aérien (IATA) prévoit une crise du secteur sans précédent. L’association estime la perte du chiffre d’affaires à plus de 250 milliards de dollars (environ 230 millions d’euros, NdlR).
Le transport terrestre n’est pas non plus épargné par la baisse d’activité. La Wallonie a enregistré une baisse de plus d’un tiers de la circulation des poids lourds.
Quant à la mobilité urbaine, le constat est le même dans toutes les grandes villes sous confinement. A l’heure où le télétravail est de mise, la circulation routière est quasi à l’arrêt. Les déplacements ont été réduits jusqu’à 98% à Bruxelles.
Bruxelles n’est pas la seule ville européenne à ne plus franchir le seuil des 10% de mobilité. L’Europe se confine et les voitures quittent les centres-villes. La majorité des villes européennes ont vu leur mobilité s’effondrer à partir du 9 mars. A l’exception des villes italiennes, qui ont été confinées plus tôt, et de Stockholm. La capitale suédoise n’est, pour rappel, pas confinée et garde des niveaux de mobilité légèrement plus élevés. Mais même sans mesures de confinement, la ville roule au ralenti, avec seulement 25% de sa fréquentation habituelle.
Environnement et Covid-19 dans le même bateau
Depuis le début de la crise sanitaire, le Covid-19 a eu un véritable impact sur les activités humaines. Le secteur maritime en fait également partie, alors que le transport naval représente en temps normal une grande partie de l’économie mondiale. Plus de 90% des marchandises internationales transitent par les eaux.
Or, en raison de la réduction des échanges commerciaux et de la diminution de la production globale, de nombreux transporteurs ont cessé momentanément leurs activités. Certains secteurs du transport maritime sont tout de même restés ouverts, tels que les navires transportant les denrées alimentaires de première nécessité.
Toutefois, une diminution globale des trafics maritimes pourrait, à long terme, être bénéfique pour l’environnement. C’est ce qu’avance l’Organisation Maritime Internationale. L’OMI souligne qu’en 2012, les émissions de CO2 provenant du transport maritime, étaient égales à 2,2% des émissions mondiales liées à l’activité humaine. Pour l’organisation, ce chiffre pourrait s’accroître de façon significative (de 50 à 250%) d’ici 2050, « si aucune initiative n’est envisagée. »
Par ailleurs, les navires émettent aussi différents gaz, notamment le dioxyde d’azote (NO2), très polluants. Pour beaucoup d’observateurs, la réduction du transport maritime serait donc bénéfique pour les eaux, mais aussi pour l’air.
Les eaux comme un long fleuve tranquille
En outre, les navires créent une nuisance sonore qui, selon la Convention de Bonn, serait une éventuelle menace pour la faune marine. Sous l’eau, le bruit parcourt de très grandes distances et affecterait ainsi plusieurs espèces animales comme le dauphin ou la baleine, qui possèdent une ouïe très fine leur permettant de s’orienter, sonder leur environnement, de chasser, communiquer ou encore de se reproduire.
Selon Thomas Folégot, fondateur d’une entreprise spécialisée dans les bruits sous-marins, Quiet-Oceans, « certains bruits très aigus peuvent provoquer une altération physique des cellules auditives et sensorielles des animaux. » Ainsi, certains quittent leur habitat naturel pour échapper aux bruits.
Depuis le début de l’épidémie, la présence animale dans les eaux côtières et littorales se fait plus fréquente. Des dauphins se sont, par exemple, invités dans les canaux de Venise vidés de ses gondoles. Au large des calanques à Marseille, ce sont deux baleines qui ont été aperçues par les citoyens. Dans un port en Sardaigne, des dauphins ont été repérés nageant le long des quais.
La diminution de la pollution sonore en zones marines est une véritable « bouffée d’eau fraîche » pour les créatures aquatiques. Cependant, le confinement ne durera pas. Le ralentissement du transport maritime ne sera qu’éphémère et les dangers d’érosion de la biodiversité referont, sans doute, surface.
Les aspects bénéfiques du confinement sur l’environnement pourraient, par contre, être des pistes pour l’après Covid-19. Pour beaucoup de chercheurs, comme Cathy Clerbaux, c’est aussi l’occasion de poser les bonnes questions.
Quoi qu’il en soit, la pandémie a permis de révéler la fragilité de nos modèles. Notre économie en a pris un coup et pour le moment, l’après s’annonce intense car il faudra rattraper les pertes financières.
Il y a un risque évident qu’on dise l’environnement, on met ça de côté
Le 8 avril, Yannick Jadot, eurodéputé écologiste français, déclare sur France 2 qu’ »il y a un risque évident qu’on dise l’environnement, on met ça de côté, ce sera pour plus tard’, on refait l’économie telle qu’elle était. »
C’est déjà ce qui est en train de se profiler étant donné que les réglementations environnementales mises en place à l’échelle européenne sont perçues par les entreprises comme un frein à la relance économique.
L’Association française des entreprises privées (AFEP) fait pression sur le gouvernement français, et sur Bruxelles, pour revoir à la baisse les exigences européennes concernant les émission de gaz à effet de serre. Elle n’est pas la seule. Plusieurs autres lobbies se sont joints à ces demandes : de l’industrie automobile, en passant par les banques, ou encore l’industrie aéronautique, tous réclament un allègement du fameux « Green Deal » européen.
Le confinement, une solution ?
Face à la baisse de pollution à laquelle nous assistons, avec la plus forte chute des émissions mondiales de CO2 jamais vue (5,5%), une question se pose : est-ce que nous ne nous réjouissons pas trop vite de voir la nature reprendre ses droits ?
Mais cette baisse ne serait que temporaire. Comme en 2008, on a pu observer qu’après une grande récession financière, viennent les plans de relance de l’économie, la surproduction et la surconsommation, grands vecteurs de pollution.
D’après le dernier rapport du PNUE Emission Gap Report 2019, pour limiter l’augmentation moyenne des températures à 1,5°C, qui est l’augmentation la moins dévastatrice, il faudrait diminuer les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 7,6% par an entre 2020 et 2030.
Or, cette diminution, fixée par les Accords de Paris, semble loin d’être acquise si l’on en croit la dernière étude de la Carbon Brief, site web basé au Royaume-Uni et conçu pour « améliorer la compréhension du changement climatique, à la fois en termes de science et de réponse politique. »
Autrement dit, la pollution va continuer à augmenter. Nous assistons en ce moment à un ralentissement de son rythme pour cause de confinement lié au Covid-19. Rappelons d’ailleurs que ce confinement est avant tout une conséquence de la pandémie, avant d’être une solution environnementale. Qui plus est durable.
Le coût humain de la baisse de pollution
Percevoir le confinement comme une aubaine environnementale, c’est aussi pour certains « rendre invisible les conditions humaines » de cette situation inédite.
Les méfaits du confinement sont multiples si on en croit Usul. Vidéaste et chroniqueur entre autres pour Mediapart, remet en question l’engouement autour des bénéfices du confinement sur l’environnement.
Ce qui rend possible le confinement, pour lui, ce sont d’abord les « non-confinés », c’est-à-dire celles et ceux qui nous permettent de nous nourrir, de garder nos rues propres – même inoccupées – de nous soigner, de s’occuper des plus à risque, etc.
Selon Usul, il y a aussi un « coût politique en matière de libertés publiques. » En effet, en France, depuis le début du confinement, plusieurs mesures sécuritaires ont été mises en place. Notamment une attestation à remplir lors de chaque sortie, ainsi qu’une présence renforcée de la police permettant de vérifier ces attestations.
Ces nouvelles mesures peuvent aussi engendrer des dérapages et notamment les violences policières. Médias et réseaux sociaux ont ainsi rapporté plusieurs cas de contrôles d’attestation qui ont dégénéré dans l’Hexagone, l’un des cas les plus médiatisés étant le motard de Villeneuve-la-Garenne.
On peut voir qui fait tourner le pays
Usul, qui a milité dans son adolescence pour la Ligue communiste révolutionnaire, interroge enfin le télétravail qu’il considère comme « aliénant » car il « coupe cette séparation assez saine entre le lieu d’exploitation et le lieu de repos. »
En somme, pour notre interlocuteur, le confinement révélerait aussi des problèmes de classe sociale. On est évidemment plus enclin à apprécier le retour du chant des oiseaux lorsque toutes les conditions matérielles sont réunies.
Des solutions virales
C’est certain, le Covid-19 est venu bouleverser nos modes de vie. Confinement et distanciation sociale touchent tout le monde, mais de manière égale.
En forçant les humains à limiter leurs activités, leur consommation et leurs déplacements, la Nature semble avoir repris ses droits et la pollution a sensiblement diminué. Mais pour combien de temps ?
On l’espère, l’ère Covid-19 ne durera pas. Et l’impact qu’elle aura eu sur l’environnement s’effacera au fil du temps pour devenir marginal.
Mais c’est peut-être en analysant et en observant la période d’aujourd’hui que nous trouverons les solutions de demain.
Et avec un peu de chance, elles aussi deviendront virales.