100 % des débarquements de poissons provenant d’exploitations durables, tel était l’objectif européen de la Politique commune de la Pêche à atteindre pour 2020. Nous sommes en 2023 et l’objectif est toujours loin d’être atteint. Selon l’Ifremer, la surpêche peine à reculer selon l’Ifremer, notamment en mer Méditerranée européenne, où 86 % des débarquements proviennent de populations surexploitées. En France, seulement 51 % proviennent d’exploitations durables.
Une pêche durable qui peut s’avérer difficile à définir. C’est une notion en constante évolution qui va bien au dela de la durabilité de l’exploitation des stocks. L’Union européenne, par la Politique commune de la Pêche préconise le concept de rendement maximal durable mais celui-ci ne prend pas assez en compte les impacts sur l’écosystème entier.
La solution drastique d’arrêter les pêches à l’échelle mondiale présentée dans le documentaire Netflix est trop irréaliste. Sans pêche, il ne peut y avoir de pêche durable. La pêche s’est installée dans le temps, dans l’économie et dans les cultures.
Il est donc déterminant de tendre vers la durabilité des pêches en prenant en compte l’ensemble des impacts écologiques, économiques et sociaux.
L’état des lieux des pêches en 2022
Selon le rapport de l’Ifremer, 51% des débarquements en France seraient issus d’exploitations durables. Des chiffres mis à jour chaque année afin de connaître l’état de santé des populations exploitées. Depuis maintenant 5 ans, les chiffres stagnent aux alentours des 50% des débarquements issus d’exploitations durables. L’objectif des 100% de la Politique commune est donc encore bien loin. L’Ifremer est plus spécifique. Sur le total des débarquements en France en 2021, 44% sont en « bon état » et 7% sont considérés « reconstituables ». Ce sont ces chiffres-là qui permettent d’établir la part des débarquements issus d’exploitations durables. Cependant, sur le reste, 12% sont estimées « surpêchées », 11% « surpêchées et dégradées », 2% « effondrées » et 24% « non évaluées ou non classées ». C’est-à-dire qu’un quart des populations de poissons pêchés sont surexploitées et près d’un quart ne sont même pas évaluées ou classées. Une donnée regrettable pour Philippe Cury.
Quelle situation dans le golfe du Lion ? Il n’y a pas de données spécifiques, mais Sandrine Vaz me disait que la méditerranée ne pèse pas grand-chose à l’échelle nationale. En effet, les volumes débarqués sont bien moindres qu’en Atlantique. Selon les données de Franceagrimer, l’Occitanie représente seulement 7 tonnes de volumes débarqués, contre 140 000 tonnes en Bretagne. Lors de notre rencontre, Sandrine Vaz est revenue sur la notion « d’exploitations durables » et les résultats de l’Ifremer. L’idée des “50 % de débarquements issus d’exploitations durables” signifierait que les espèces, individuellement, lors des évaluations, sont au Rendement maximal durable. Une estimation de la durabilité d’un point de vue de la pêche. Cependant, Sandrine Vaz explique que cela ne veut pas dire que la façon de l’exploiter soit durable. Comme nous l’avons vu, Il peut y avoir des impacts autres que la mortalité sur l’espèce cible. Il y a quelques années, il y a eu des polémiques autour du chalutage sur grands fonds (à 1000-1500 mètres de profondeur). Il a été montré que sur les stocks ciblés, l’impasse était faite sur les espèces accessoires à vie longues, comme le requin m’expliqua la scientifique. Une notion de durabilité qui semble ambiguë.
Donc c’est cette question-là, il y a la durabilité d’exploitation de l’espèce cible, qui est l’objectif de la Politique Commune de la Pêche, et après il y a l’approche écosystémique des pêches et la durabilité des techniques de pêche sur l’habitat.
Dans le golfe du Lion, la principale victime, c’est le merlu. Il est considéré comme effondré depuis plusieurs années maintenant. On en trouve toujours, comme ont pu me dire les pêcheurs au Grau-du-Roi, mais cette notion d’effondrement signifie avant tout qu’il n’y a plus assez d’espèces reproductives et que la pression de pêche ne laisse pas le temps aux jeunes poissons de se développer suffisamment.
L’arrêt des pêches ?
« Une mer sans poissons », mais aussi une mer sans pêcheurs évoquait Philippe Cury. La surexploitation continue, mais les emplois diminuent. La faute à la surpêche. Quand un stock est surexploité, il est possible de réduire l’effort de pêche, mais les populations étant à des niveaux tellement bas, les quelques bateaux restants maintiennent l’abondance à un bas niveau. Cependant, le scientifique me présentait un remède :
Une solution complexe selon le scientifique, l’industrie de la pêche étant « engrenée dans des pratiques et des gouvernances complaisantes aux lobbys de la pêche ».
Cette solution ne serait cependant pas viable pour les pêcheurs. D’un point de vue économique, Sandrine Vaz m’expliquait que la disparition des filières commerciales est inévitable si l’on arrête les pêches. La crise des anchois et des sardines en méditerranée a montré que les filières de commercialisation ne se remettent pas de l’arrêt des pêches et de la vente. Ces petits pélagiques ayant disparu, la pêche fut arrêtée et les pêcheurs ont perdu leur filière de commercialisation, les acheteurs s’étant orientés vers des pêcheries en Atlantique ou à l’étranger. S’ils se mettent à repêcher des anchois ou des sardines, ils n’arriveront donc pas à les débarquer, car les acheteurs se sont tournés vers ailleurs. Recréer une filière de commercialisation est proche de l’impossible.
Même si l’on subventionne les pêcheurs pour qu’ils gardent leur bateau 4-5 ans à quai le temps que la ressource se remette, eux vont perdre tous leurs acheteurs, les criées vont fermer, etc. C’est ça le jeu de la gestion, le but c’est de renouveler la ressource, de les réparer, mais on ne peut pas démolir le réseau socio-économique.
Le Graal, l’approche écosystémique
Prisée par les scientifiques, cette notion définie par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) représente une avancée dans la gestion des ressources marines. Cette approche ne se concentre plus uniquement sur le stock exploité, mais prend en compte les systèmes de production dans les écosystèmes. Philippe Cury vante cette notion depuis plusieurs décennies et considère qu’elle permet d’établir un premier pas vers la durabilité des pêches.
Il faut réconcilier l’exploitation avec les écosystèmes. Replacer les systèmes de production dans leurs écosystèmes.
Pour illustrer l’approche écosystémique, Philippe Cury prend l’exemple de la sardine. Il ne faut plus s’intéresser uniquement au stock. Il faut replacer la sardine au cœur de son écosystème et réfléchir à la gestion de la ressource autour de cet écosystème. La sardine est un élément clés des écosystèmes marins : source de nourriture pour les oiseaux et autres mammifères marins et se nourrit elle-même de planctons. Si la sardine venait à disparaître, les différents prédateurs et tout l’écosystème finiraient par être perturbés.
Pour Sandrine Vaz, cette approche représente le Graal en recherche halieutique. Le but ultime de la quête de la pêche durable. Une vision sacrée, mythologique de cette approche. Il s’agit d’arriver à minimiser un maximum l’impact de la pêche aussi bien sur l’espèce cible, que sur les espèces accessoires, le climat, les habitats, empêcher l’érosion d’une espèce, maintenir de bons marchés, et maintenir les communautés de pêche localement.
On veut tout empêcher en même temps. Le truc magique où tout se passe bien et où tout le monde est heureux.
Fixer des objectifs de pêche durable sur une seule espèce est simple. Gérer un stock, conjointement avec d’autres espèces, c’est là que la complexité réside. Chaque espèce a sa propre fragilité, sa sensibilité. Sandrine Vaz explique que pêcher au maximum de rentabilité sur plusieurs stocks s’avère presque impossible. Certains seront capturés plus facilement que d’autres et seront donc plus vite impactés. L’écosystème sera alors bouleversé.
Les impacts environnementaux, de plus en plus importants, s’ajoutent aux impacts physiques de la pêche et la situation devient alors particulièrement compliquée au niveau des instances politiques. En France, le ministère des Pêches, qui dépend du ministère de l’Agriculture, et le ministère de l’Écologie ont des agendas différents, ce qui peut ralentir les démarches. Le problème est similaire au niveau européen, me disait Sandrine Vaz durant l’entretien. L’objectif de la direction générale des affaires maritimes et de la pêche (DG MARE) est de maintenir une filière économique économiquement durable tandis que la Direction générale de l’environnement (DG ENV) s’occupe des impacts environnementaux.
C’est tellement dissocié qu’ils ne se calculent pas les uns les autres. Dans ce système là, tant que ça reste comme ça, on voit mal comment on va réussir à faire des plans de gestion qui prennent tout en compte.
La Politique commune de la pêche apparaît comme un « lieu de compromis » pour Philippe Curry, qui déplore une « complaisance du laisser-faire » concernant le suivi des réglementations en France et en Europe. Une complexité bureaucratique qui crée des conflits dans la gestion des pêches, les pays et les régions étant limités à ce qui s’applique aux eaux territoriales. Au-delà les eaux en accès libre qui se gère au niveau européen. Pour le scientifique, il semble difficile d’imposer à des pêcheurs nationaux des réglementations qui ne s’appliqueraient pas aux pêcheurs étrangers. Une gestion coordonnée, comme le plan West Med, est donc indispensable pour éviter de reproduire ce qui s’est passé durant le Brexit.
Le plan West Med
Le plan West Med est un plan multiannuel européen entre l’Italie, la France et l’Espagne. Il a pour mission de « redresser la barre », explique Sandrine Vaz. Ce plan innove sur la gestion de la pêche dans le golfe du Lion. On ne parle plus de gestion des stocks, mais de gestion spatialisée. Les quotas sont remplacés par des jours d’efforts de pêche. La raison est simple. La mer Méditerranée, contrairement à l’océan Atlantique, ne possède pas une espèce cible phare. C’est-à-dire que 40 % du chiffre d’affaires des pêcheries repose sur une cinquantaine d’espèces différentes. Le stock le plus exploité ne représente pas plus de 15 % du volume total de capture, explique Sandrine Vaz. Établir des quotas par espèces ne se justifie donc pas.
Un mode de gestion qui n’a pas été très efficace au départ. Les quotas des jours étaient supérieurs à ce que les pêcheurs dépensaient réellement. En résultante, les pêcheurs pouvaient faire « comme bon leur semble », car les réglementations ne s’appliquaient pas vraiment. Depuis le plan West Med, il y a donc eu une mise à jour des quotas de jours d’efforts puis une diminution annuelle des quotas.
De plus, la gestion des pêcheries était jusque là pensée au niveau national. Chaque pays avait son stock de merlus par exemple. Désormais, le stock est commun, c’est-à-dire qu’il n’y a plus trois stocks différents pour une même espèce, mais un seul stock. Les réglementations s’appliquent donc pour les trois pays. Quand on réduit de 10 % le nombre de jours en France, on réduit aussi de 10 % en Espagne. Les pays doivent aussi proposer des zones de fermetures saisonnières. L’objectif de base était de diminuer de 20 % les captures de juvéniles, ce qui a été étendu aux captures des géniteurs en 2021. Chaque pays propose alors des zones. Les Français ont été « proactifs » dans ce domaine, avec des fermetures saisonnières pouvant aller jusqu’à 8 mois, précise Sandrine Vaz. Le plan prévoit aussi de travailler sur la « sélectivité » et les mailles des filets. La pêche est millénaire en méditerranée et historiquement côtière. Les moyens préindustriels ne permettaient pas de pêcher trop loin des côtes ou trop profond. « Des pêcheries qui exploitaient déjà les juvéniles pour manger des tapas » ironise Sandrine Vaz.
Ce n’était pas problématique tant que les géniteurs pouvaient se retrouver au large sans être exploités. Les survivants partaient au large et permettaient un renouvellement des populations. Et ça tenait ! Sur une jambe, mais ça tenait.
C’est maintenant la responsabilité des « décideurs », explique Sandrine Vaz qui déplore le manque de logique face à ce problème. Il aurait fallu réduire l’effort de pêche il y a déjà des années, et attendre que les stocks se rétablissent.
Quels résultats en 2022 ?
Après deux ans, les résultats du plan ne sont pas encore visibles, car le renouvellement des espèces prend du temps. Le merlu, qui est la première préoccupation dans le golfe du Lion, est une espèce à vie longue qui ne se reproduit pas avant ses trois ans. Les captures de merlus ont néanmoins diminué, les pêcheurs ont joué le jeu, mais les « réponses biologiques » sont faibles pour le moment, précise Sandrine Vaz.
On reste optimiste, car cela ne fait que deux ans et qu’il faut au moins trois ans pour voir quelque chose, voire quatre. Dans d’autres zones, par exemple en mer Adriatique, en 4-5 ans, ils ont vu des résultats positifs à des plans similaires.
Les résultats sont plus prometteurs pour le rouget barbet de vase. Ce poisson à vie courte, qui se reproduit avant ses un an, avait déjà des données encourageantes avant la mise en place du plan. Les quelques géniteurs maintenaient une population suffisante, et le a permit aux jeunes rougets de se reproduire. On a donc observé une récupération rapide du stock de rougets. La régulation des jours d’efforts et les fermetures temporaires de certaines zones ont favorisé ces résultats prometteurs. Les scientifiques restent optimistes vis-à-vis des autres espèces. Le plan jusqu’à 2025 ne sera cependant pas suffisant et sera sûrement renouvelé.
Une route vers l’inconnu ?
Aux impacts humains, s’ajoute le dérèglement climatique. Malgré des décennies d’alertes, la prise de conscience politique ne fut que trop tardive, mais le sort des écosystèmes marins n’est cependant pas encore scellé. Pour Philippe Cury, la récupération des écosystèmes marins peut être particulièrement rapide, mais le réchauffement climatique l’inquiète. « On va vers l’inconnu », le réchauffement climatique va avoir un impact de plus en plus important et l’instabilité des écosystèmes marins va s’accroître.
La situation dans le golfe du Lion est un exemple de résilience où les scientifiques et les pêcheurs cherchent des solutions durables. Au Grau-du-Roi, j’ai pu rencontrer des pêcheurs concernés par cette recherche de la durabilité en essayant des méthodes moins impactant, en travaillant avec les scientifiques et en assurant le développement durable de la filière grâce à l’éducation.
Il apparait évident que les méthodes de pêche doivent changer et les 14 000 pêcheurs en France doivent être accompagnés dans cette transition durable. Une nette amélioration est visible par rapport aux années 2000, mais les efforts doivent persister.