Depuis le début de l’épidémie de coronavirus, on a pu observer des comportements très différents. Des personnes angoissent tellement qu’elles vont se ruer sur du papier toilette ou faire des provisions pour plusieurs semaines. D’autres ont une réaction complètement inverse et ne se sentent pas concernées par cette pandémie. Et puis, il y a ceux qui écoutent les directives données par le gouvernement, mais ne paniquent pas vraiment.
En raison du confinement, nous avons rencontré virtuellement des personnes pour parler de leurs éventuelles angoisses par rapport au virus.
Le poids de l’isolement
Pour certaines personnes, l’angoisse qu’elles ressentent provient de l’isolement. Le fait de rester seul chez soi provoque du stress. Louise Leplat, employée dans un hôtel bruxellois, est obligée de rester chez elle car l’établissement dans lequel elle travaille est fermé : « Être confinée chez moi me fait peur. Je suis quelqu’un de très sociable, et je ne me sens bien qu’entourée d’autres gens. Je suis de nature stressée. J’espère que mon moral ne baissera pas trop. Mais j’essaye de rester positive ! ».
D’autres viennent seulement de comprendre l’ampleur de la situation. Camille Lheureux est belge, mais enseigne au Royaume-Uni. Elle ne s’inquiétait pas du tout du coronavirus avant aujourd’hui. « J’ai passé le week-end à faire du camping avec mes élèves. Après une nuit passée sous tente, j’ai commencé à développer des symptômes similaires à ceux du Covid-19. On a appelé la ligne d’urgence qui m’a rassurée et m’a dit qu’il ne s’agissait sûrement pas du coronavirus. Tout ce stress a changé mon point de vue. En Belgique, si on tousse et qu’on a de la fièvre, on doit rester chez soi. Ici, on me dit que je n’ai pas besoin de m’isoler (Depuis la publication de cet article, le Royaume-Uni a opté, à son tour, pour un confinement, NdlR)« .
Certains, en revanche, ne paniquent pas. La plupart des gens font tout de même attention à respecter les règles. « Je ne panique pas, mais je vois clairement le danger surtout que tout le monde n’a pas l’air de comprendre la gravité de la situation », explique Florence Spruytte, étudiante à Louvain-la-Neuve. Elle n’est pas la seule, Simen Gaens, lui aussi de Louvain, n’est pas effrayé par le virus : « Bien sûr je connais des personnes qui sont plus vulnérables et donc, pour elles, je m’inquiète quand même. Je ne me sens pas concerné, mais je suis les règles du gouvernement« .
« Je n’ai pas trop pris ça au sérieux »
De son côté, André Maryns est étudiant à Gand, il rentre chez ses parents pour le confinement, mais le virus ne l’inquiète pas : « Je ne porte pas de masque, je n’ai pas de problème à marcher dans la rue. Je me lave les mains un peu plus souvent. J’évite le métro. Je ne vais pas voir mes amis, mais c’est parce qu’ils m’ont dit qu’on ne se verrait plus pendant le confinement ».
Il n’est pas le seul. « Je n’ai jamais pris la chose très au sérieux, mais ça ne veut pas dire que je vais aller à l’encontre des décisions prises par notre gouvernement, car si je peux aider et minimiser la contamination et la propagation du virus, ça ne me coûte rien de le faire », raconte Sajida Abidi, 25 ans, de Nantes.
Les réseaux sociaux, cause de l’affolement ?
Ces différents comportements peuvent nous amener à nous poser une question. Quel est le rôle des réseaux sociaux ? Ont-ils un impact sur la façon dont les gens voient le coronavirus ? Toutes les personnes que nous avons interrogées confient que les réseaux sociaux ont un effet sur leur façon de penser.
Pour Robbe Verbrughe, infirmier, Facebook, Twitter et les autres, ont du bon : « Les gens vont plus écouter ou croire la même chose que leurs amis. Par exemple, mes amis postent des publications avec le message : « Restez chez vous ». Je supporte ce genre de choses ».
Pour d’autres, aller sur ces plateformes est, même, une échappatoire. « Toutes les vidéos qui viennent d’Italie, dans lesquelles on voit que les personnes s’entraident et s’amusent depuis leurs balcons avec les voisins du quartier, redonnent le sourire et la foi. Même en situation de confinement, on peut s’en sortir et s’amuser », indique Florence Spruytte. Pour André Maryns, se connecter à Internet a permis de dédramatiser la situation : « Il y a des gens qui publiaient des choses sur le fait que le virus n’était pas aussi grave que ce qu’on voyait dans les médias. J’avais moins ce côté hyper dangereux. Les gens mettent des petites blagues et quand on voit les Italiens sur le balcon, ça donne une petite touche de joie ».
Néanmoins, les réseaux sociaux peuvent avoir une mauvaise influence sur certains. « Ça a été un gros problème pour moi, ça m’a fait changer d’avis. Filtrer les informations a été difficile. Heureusement, les sites qui donnaient des informations fiables m’ont aidée », atteste Freya Lombaert, étudiante à Bruges.
Depuis que le virus est apparu en Chine, des actes racistes ont fait surface. Xu Yang-Ying Jantje, étudiant à Gand, en a fait l’expérience : « Quand il y a un article avec un titre pas très clair comme “Le coronavirus chinois”, les gens pensent immédiatement que tu vas être contaminé à cause des personnes chinoises, ce qui est discriminant parce que le virus infecte tous les gens. J’ai été confronté à trois situations racistes à cause de ce virus ».
Toutefois, depuis que le centre de la pandémie s’est déplacé en Europe, le racisme ambiant n’a pas l’air de s’être retourné contre les Européens. Dans nos rencontres et interviews, nous n’avons, en effet, pas relevé d’actes de ce type.
Alimenter l’inquiétude
Pour les experts, comme Myriam Berquin, psychothérapeute à Bruxelles, ce qu’on peut voir sur Internet peut être une source de stress : « Une série d’informations sur les réseaux sociaux est plus prompt à augmenter l’anxiété et l’angoisse qu’à la faire diminuer. Les gens inquiets vont aller lire des choses qui vont alimenter leur inquiétude ».
De manière générale, beaucoup d’individus, quelque soit le pays, ont évoqué leurs peurs. Nous avons voulu vérifier s’il était normal de ressentir du stress dans ce genre de situation, et tenter de comprendre les différentes réactions de chacun. Le confinement est-il dangereux, ou pas, pour notre santé mentale ?
L’épidémie du coronavirus – et les mesures de confinement qui en découlent – auront des conséquences d’ordre psychologique sur la population.
Astrid Chevance, psychiatre et doctorante en épidémiologie à Paris affirme dans un article de LCI que « l’épidémie du coronavirus – et les mesures de confinement qui en découlent – auront des conséquences d’ordre psychologique sur la population ».
En effet, les équipes de soignants travaillent sous pression comme jamais auparavant. Certains hôpitaux français ont d’ores et déjà mis en place une cellule psychologique au sein de leurs établissements.
Les individus touchés par le coronavirus auront besoin d’un soutien psychologique pour faire face à cette situation. Les personnes non contaminées seront également susceptibles d’être atteintes de troubles psychiques.
D’autre part, le reste des personnes peut également développer des montées de stress ou manifester des troubles émotionnels. « Enfermées à leur domicile, parfois en chômage partiel, parfois avec du télétravail et des enfants en bas âge, de nombreuses personnes voient leur rythme chamboulé. Traverser une épidémie et un confinement peut marquer durablement », prévient Astrid Chevance.
Pourquoi le coronavirus suscite-t-il autant d’inquiétude ? Selon Yves Coppieters’t Wallant, épidémiologiste à l’école de santé public, c’est « parce qu’il s’agit d’un nouveau virus, une maladie émergente, une forme de virus qu’on ne connaissait pas. On connaissait le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) le syndrome respiratoire du Moyen-
L’étudiante Florence Spuytte n’exprime, quant à elle, aucun mal-être dans son confinement. « Je ne le vis pas trop mal. Pour l’instant, j’ai beaucoup de travail pour les cours et mon mémoire donc je suis assez occupée. Quand je veux me changer les idées, je vais sur les réseaux sociaux pour rigoler à toutes les vidéos des Italiens et Espagnols en confinement, je prépare à manger pour ma famille ou je regarde les informations ».
Une réaction normale
Nous ne sommes pas égaux face à cette situation. Les personnes qui inquiètent le plus la psychologue Myriam Berquin, sont celles qui ont déjà des pathologies, et ne peuvent pas être aidées. « On a plein d’étudiants français qui n’ont pas de réseau à Bruxelles. Ils vont aussi se retrouver confinés chez eux, sans cours, sans étudiants à proximité. Je ne sais pas à qui on va les référer. Je trouve que c’est inquiétant. Ils peuvent téléphoner à SOS Suicide, qui va les écouter. C’est un très bon dispositif, mais je ne sais pas si ça va être suffisant pour certaines personnes, parce que s’il y en a avec des pathologies psychiatriques, (…) elles vont interpréter tout ce qu’il se passe et se dire : “On m’en veut”, “On me veut du mal”, “Le mal est partout”, “Je ne peux pas partir”, “Je vais mourir demain”. »
Mon inquiétude c’est que cela ne fasse qu’augmenter ces situations qui sont déjà difficiles à vivre au quotidien.
La quarantaine peut donc avoir des effets angoissants, mais ils seront graves surtout s’il y a des pathologies ou un contexte de stress préexistant. « Par exemple, pour des individus qui sont en dépression, qui sont en congé maladie, qui n’ont plus de contact depuis un certain temps et qui se retrouvent complètement isolés, à part pour des activités comme le yoga, ou aller manger avec un amie de temps en temps, (…), toutes ces petites choses qui permettent de tenir la tête hors de l’eau, là elles ne vont plus exister. Une maman qui fait une dépression post-partum et qui sait qu’elle va se retrouver à la maison avec son nourrisson et ses deux enfants, qu’elle ne peut pas mettre à l’école et à la crèche, pour elle, c’est une situation catastrophique. Mon inquiétude, c’est que cela ne fasse qu’augmenter ces situations qui sont déjà difficiles à vivre au quotidien. »
Le confinement n’est pas toujours le problème. La gestion de la crise par les pouvoirs publics est un processus important qui peut permettre d’éviter toute atmosphère particulièrement anxiogène. Selon la psychologue, le mot « guerre », répété à plusieurs reprises par le président français Emmanuel Macron lors de son discours, en venant « ricocher sur de vieilles histoires », peut réveiller des angoisses. « Je reçois par exemple, ce matin sur Skype, une patiente d’origine juive, qui a quand même bien intégré son histoire juive. Entendre “On est en guerre”, ça ne résonne pas bien et ça augmente l’angoisse et l’incertitude, ça rappelle toute une période de l’histoire. Et pour elle, c’est extrêmement lourd. »
A l’inverse, certains sont dans le déni. Ils continuent à vivre leur vie sans s’inquiéter. Le déni est un fonctionnement psychique. En psychanalyse, il est considéré comme un mécanisme de défense. L’individu ne veut pas reconnaître la réalité d’une perception ressentie comme menaçante. Toujours selon Myriam Berquin, pour les individus dans le déni, « il a probablement été utile à un moment de leur vie pour trente-six mille raisons, et qui font que ce mécanisme s’est mis en place. Evidemment, c’est un mécanisme qui fonctionne très bien pour se protéger. Le déni, ce n’est pas toujours mauvais. On pense que c’est être à côté de la réalité. Je pense qu’au fond, il a énormément d’utilité. Cela permet de se protéger, de s’isoler d’un milieu extérieur trop anxiogène. (…) Par contre, il ne faudrait pas que ces individus en contaminent d’autres, en faisant n’importe quoi. »
Gérer la crise de la quarantaine
Même si la situation n’est pas idéale, des personnes ont trouvé des façons de survivre au confinement en toute tranquillité. Experts comme citoyens nous ont fait part de leurs recommandations et astuces.
« Je suis seul… ». Le manque de relations sociales, voilà ce qui est le plus redouté par toutes les personnes interrogées sur leur mise en quarantaine. La solitude est une crainte, comme l’incertitude face à une éventuelle date de fin du confinement.
Les personnes souffrant de troubles anxieux sont encore plus exposées à l’épreuve douloureuse du confinement. Pour apaiser un mal-être, la meilleure solution est encore le lien social avec un proche, selon la psychologue Myriam Berquin. « Il faut rester le plus en lien possible par téléphone avec les gens que l’on connaît, qui sont probablement les plus à même de savoir comment parler, comment apaiser, comment écouter, entendre un frère schizophrène, un cousin qui ne va pas bien, quelqu’un qui est un peu plus psychotique. La famille ou l’entourage a une plus grande habilité à être en lien avec ces personnes, (…) que quelqu’un d’autre qui va juste venir rationaliser en disant “Oh ! Ne t’inquiète pas, ça n’arrivera pas”. »
Pour ceux qui le nécessitent, et si appeler des proches ne suffit pas, les psychologues assurent également leurs rendez-vous via Skype. Il leur est par contre généralement impossible de prendre des nouveaux clients pendant cette période. « Il y a des gens qui attendent depuis des mois. Et ces gens-là, on n’a même pas eu la possibilité de les appeler ou de les rappeler ». En cas de demandes pour des envies suicidaires de nouveaux patients, la seule chose qui reste au psychologue, c’est d’envoyer les patients aux urgences. Mais pour éviter d’en arriver là, tout en évitant d’engorger les urgences, une autre solution existe : « Il y a deux unités de crise psy à Bruxelles : à Saint-Luc et à Brugmann. »
Les étapes pour se préparer psychologiquement
Si l’isolement est souvent difficile, les informations sur le coronavirus, actualisées en permanence, peuvent être particulièrement compliquées à vivre pour les personnes anxieuses ou dépressives, ou sujettes à des troubles obsessionnels compulsifs (TOC).
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a donc publié des conseils pour prendre soin de notre santé mentale durant cette vague épidémique comme par exemple : éviter de regarder, lire, ou écouter les nouvelles qui seraient sources d’angoisse et de stress, chercher les informations qui nous aident à nous protéger et protéger nos proches, se garder des moments précis pour lire les informations actualisées et ne pas les regarder toute la journée en continu.
Pour contribuer à l’effort, les réseaux sociaux partagent sur leurs plateformes les revendications de l’OMS. Certains ont même mis en place des mesures pour limiter la diffusion de fausses informations. Ainsi, le PDG de Facebook Marc Zuckerberg a annoncé sur son mur : “Nous nous efforçons de faire en sorte que chacun puisse accéder à des informations réelles et précises. Dans ce cadre, nous nous sommes associés à CNN pour organiser une réunion publique avec un panel d’experts médicaux du monde entier. Ils feront le point sur l’épidémie et donneront des conseils sur la manière dont nous pouvons contribuer à empêcher la propagation du virus.”
Le géant du Web travaille également avec des organisations comme l’OMS, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies et l’UNICEF, pour l’aider à diffuser en temps utile des informations précises sur le coronavirus. Le réseau social s’efforce par ailleurs de réduire la diffusion de fausses informations. “Nous supprimons donc les affirmations fausses et les théories du complot qui ont été dénoncées par les principales organisations mondiales de la santé. Nous empêchons aussi les gens de diffuser des publicités qui tentent d’exploiter la situation, par exemple en prétendant que leur produit peut guérir la maladie.”
« La valeur des petits gestes »
De son côté, Enrica est une étudiante italienne en quarantaine depuis plus d’une semaine. Angoissée pour son pays, pour l’économie et pour toutes les conséquences de la pandémie, elle trouve son réconfort sur les réseaux sociaux : « J’utilise beaucoup Facebook et Instagram parce que ces applications me font penser à autre chose. Et heureusement, il y a plein de gens qui font face au problème avec ironie. Même si c’est horrible d’être obligé de rester enfermés à la maison, la quarantaine nous a fait comprendre la valeur des petits gestes. »
Néanmoins, l’inquiétude est contagieuse, et le climat anxiogène qui règne a eu raison de beaucoup d’individus. Les réseaux sociaux, à l’origine de nombreuses angoisses, ont pourtant su développer un système collaboratif. Les internautes partagent des recettes, des jeux pour enfants et toutes sortes de conseils pour vivre une quarantaine plus apaisée et moins solitaire.
De nombreux sites proposent également des occupations. Le Journal de Montréal conseille par exemple dix activités à faire pendant la quarantaine. Une des activités consiste à la création d’un journal de bord. Ce dernier conseil est généralement recommandé par les psychologues, pour reconnaître et gérer ses émotions. Un bon moyen donc, pour s’occuper durant le confinement.
Cuisiner le virus
À l’autre bout de la planète, les Chinois, premiers touchés par l’épidémie, furent aussi les premiers à diffuser des recettes et des techniques pour occuper les enfants.
Ainsi, Yuxin Zhang, Chinoise travaillant à l’ambassade d’Espagne à Pékin, se souvient avoir reçu une recette un peu spéciale de la part de ses amis. Ces derniers, ne manquant ni d’humour, ni d’imagination, lui proposaient de « cuisiner » le virus lui-même (Voir photo ci-dessus).
Cette jeune travailleuse a subi une longue quarantaine. D’abord dans la ville de ses grands-parents, ensuite à Pékin. Elle ne pouvait pas sortir, même pour faire ses courses et devait attendre qu’on la livre. Aujourd’hui, la situation s’améliore en Chine et la vie commence à reprendre tout doucement son cours. « Comparé à d’autres Chinois, je suis assez détendue. Pendant la quarantaine, j’ai lu, cuisiné, chanté, vu des films, et parlé avec ma famille. Comme n’importe quel autre jour. Au final, c’est passé très vite ! »
De quoi donner du courage à tous les Belges qui vivent, aujourd’hui, la même galère.