Ce site présente les productions des étudiant.es du Master en Journalisme de l'ULB
Datajournalisme
Politique

Droit environnemental : les États européens peinent à suivre le pas

Lac contaminé par des ordures. Photo de Yogendra Singh sur Pixabay.
Publié le 23-12-2021 par et

Aucun État membre ne respecte pleinement le droit environnemental. Comment l’expliquer alors que le dérèglement climatique est au cœur des débats politiques ?

​​« Les autres principales économies devraient urgemment prendre des actions équivalentes et rejoindre les ambitions européennes. » Voilà ce qu’a déclaré le Premier ministre belge Alexander De Croo lors du sommet pour le climat qui s’est ouvert en Ecosse le 31 octobre dernier. Pourtant, les pays membres de l’Union européenne ont une fâcheuse tendance à ne pas respecter leurs propres règles en matière d’environnement. Rien qu’en septembre 2021, 11 procédures d’infraction étaient en cours de traitement. La Commission européenne a notamment adressé un avis motivé, soit une demande formelle de se conformer au droit européen, au gouvernement belge. L’objet de cet avis: le traitement des eaux urbaines. La directive impose à tous les États membres de traiter les eaux usées des villes pour réduire leur impact sur l’environnement. La Belgique est supposée la respecter depuis 2005. Seize ans après, seule une des douze villes belges concernées par l’avis motivé s’est adaptée.

Si la Belgique ne se conforme pas aux normes malgré les avertissements de la Commission européenne, le pays pourrait se voir infliger une sanction. Malgré ces éventuelles amendes, pourquoi existe-t-il autant d’infractions aux normes environnementales ? La Belgique n’est en effet pas le seul pays à les enfreindre. L’environnement est le domaine politique qui enregistre le plus grand nombre d’infractions aux législations.

Laxisme politique ou législations compliquées ? 

Avec quelque 421 dossiers ouverts, les infractions en matière de droit environnemental représentent un quart de toutes les infractions au niveau Européen. Ces chiffres sont en hausse depuis plusieurs décennies, comme pour les autres domaines politiques.  Mais cette évolution ne signifie pas forcément un désintérêt croissant pour les normes environnementales.  Premièrement, il est facile de savoir si un État membre enfreint ces lois. Celles-ci relèvent d’une grande technicité et répondent à des critères précis. Le pacte vert pour l’Europe ou « Green new deal » fixe des règles pour préserver la qualité de l’eau, de l’air, de la biodiversité, des sols et forêts ou encore de l’environnement côtier et marin. Il régit aussi la gestion des déchets, des substances chimiques et des industries polluantes. Ces normes, sur base d’expertises scientifiques, déterminent des seuils précis à ne pas dépasser. Il est impossible de les interpréter et donc plus facile de savoir si un Etat les enfreint. 

Deuxièmement, selon Krystel Wanneau, politologue de l’Université de Laval et spécialiste des questions environnementales, les plaintes sont plus facilement admises par la Commission et les infractions davantage traitées. « C’est un phénomène qui gagne en importance parce que le monde juridique, les juges, les avocats, sont mieux formés aux affaires environnementales et la justice mieux préparée.»

Enfin, selon une spécialiste de l’application des lois environnementales de la Commission européenne - qui souhaite rester anonyme -, « le nombre d'infractions reflète l'intérêt croissant de la population pour la préservation de l'environnement. Chaque citoyen est quotidiennement confronté à la situation environnementale, qui affecte aussi la santé publique.» En d’autres termes, les citoyens sont plus au fait des réglementations et déposent plus de plaintes. Elle ajoute qu’en matière d’environnement, « 90% des législations proviennent du droit européen », contrairement à d’autres domaines politiques qui découlent davantage du droit national. Pour ces derniers, les plaintes ne seront pas traitées par la Commission européenne et donc pas comptabilisées.  Alors si ce droit est commun, pourquoi les Etats membres ne l’appliquent-ils pas de la même manière ?

Une application inégale

Avec six procédures d’infractions, les Pays-Bas et l’Estonie font figure d’exemples. Certains Etats, comme le Royaume-Uni, l’Espagne ou la Grèce, cumulent une trentaine de procédures ouvertes. 


Ces pays, ainsi que l’Italie, sont sujets à davantage de plaintes. La spécialiste de la Commission européenne l’explique par des faiblesses systémiques dans certains secteurs, à l’instar de la gestion des déchets ou des eaux urbaines résiduaires. Elle ajoute qu’un « État avec une société civile et des ONG actives, avec beaucoup de pétitions, aura logiquement plus de plaintes. » Aussi, la taille du pays et la structure étatique peuvent occasionner un plus grand nombre d’infractions. Une multiplication des échelons de gouvernance peut, par exemple, compliquer la transposition des législations européennes dans la loi nationale et leur application.

Quant aux États plus respectueux des normes, tels que les pays nordiques, ils seraient culturellement plus attentifs à l’environnement. Selon Sylvain Briens, professeur de littérature et d'histoire culturelle scandinave à l'université de la Sorbonne, les Goths, ancêtres des Nord-européens revendiquaient un « mode de vie simple proche de la nature. » Ces traditions expliquent en partie l'intérêt accru de ces sociétés pour l'écologie. La Suède a, par exemple, mis en place une taxe carbone dès 1991. Depuis, la mesure a été conservée, voire renforcée, malgré les changements de gouvernements. En comparaison, au niveau européen, la mise en place d’un tel taxe reste en débat. C’est d’ailleurs l’un des projets de la présidence française de l’Union européenne qui commencera en janvier prochain.

Prévenir mais aussi accompagner

Peu importe le nombre d’infractions , tous les Etats membres sont sanctionnés et accompagnés selon la même procédure. Les sanctions infligées aux États membres en cas de non-respect des règles sont évaluées selon une grille précise. Les critères sont objectifs et connus par les Etats-membres selon la Commission. La gravité, la durée de l’infraction ou encore la capacité de paiement du pays influent sur la somme de l’amende infligée. La somme à payer revient au budget de l’Union européenne. Mais la spécialiste de la Commission européenne insiste, « les infractions ne sont pas menées de manière isolée. La Commission fait un travail de soutien aux Etats-membres pour aider à régler les problèmes identifiés. » Le mécanisme « recovery and resilience » permet, sous forme de prêts et de subventions, d’aider les pays à mettre en place les réformes et investissements nécessaires. L’institution chargée des infractions est la même que celle chargée des investissements. La spécialiste de la Commission européenne le répète, « l’objectif est de permettre la mise en œuvre des législations », et de celles qui viendront s’y ajouter. 

Ecole Universitaire de Journalisme de Bruxelles - ULB © 2024