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Les propos d’Olivier de Wasseige sur la transition énergétique des entreprises wallonnes

Publié le 21-02-2019 par Charlotte Vittry et Ophélie Bouffil

Olivier de Wasseige, directeur de l’Union Wallonne des Entreprises était l’invité de la RTBF, sur le plateau de Jeudi en Prime du 15 février dernier. Il est ressorti de ses propos que les entreprises wallonnes, malgré tous les efforts qu’elles déploient sont freinées par le coût onéreux de la transition écologique et leur retard en termes de compétitivité. Les entreprises font-elles leur maximum ? Journalisme ULB démêle le faux du vrai de ses propos.

 

Les entreprises font des efforts au niveau de leur performance énergétique et de la réduction des émissions de CO2. Peut-être que nous ne le communiquons pas encore suffisamment, mais un nombre réel d’efforts sont faits et des efforts conséquents. Si on regarde les accords de branche (…) aujourd’hui on voit que les résultats sont là en termes de diminution des émissions de gaz à effet de serre .

Pas si vite, monsieur de Wasseige.

Évolution des émissions de GES de la Wallonie et des entreprises présente dans la région entre 1995 et 2016
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Depuis une vingtaine d’années, on observe effectivement une diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre (GES) des entreprises wallonnes. Les données ci-dessus montrent que de 1990 à 2016, la quantité de GES émise par les entreprises est passée de 26 105 kilotonnes équivalent CO2 (Kt CO2-éq) à 10 777 Kt CO2-éq. En revanche, si la diminution réelle des émissions de CO2 dans le secteur de l’industrie wallonne est réjouissante, rien ne prouve qu’elle est liée aux accords de branche (lancés en 2002), ni à la volonté des entreprises d’améliorer leur efficacité énergétique. À ce propos, Damien Ernst, professeur à l’ULg et spécialiste de l’énergie y voit une toute autre raison : “Oui, le CO2 a baissé depuis plusieurs années. Mais si l’on regarde pourquoi, on s’aperçoit que c’est principalement lié à des phénomènes externes, dont la fermetures de nombreuses industries sidérurgiques en Wallonie”. Sur son site internet, l’agence wallonne de l’air et du climat (AWAC) relève également différents facteurs responsables de la chute drastique d’émissions. En 2009 par exemple, la crise économique et l’arrêt quasi complet de la sidérurgie à chaud – les industries qui assurent la fabrication du fer et des alliages qui en sont composés – ont provoqué une diminution exceptionnelle des émissions au niveau industriel wallon.

 

On ne doit pas pénaliser notre compétitivité. Aujourd’hui, sur le prix de l’énergie en Wallonie, au niveau des entreprises, on est à peu près à 15% plus cher par rapport à nos voisins, y compris la Flandre.

En fait, pas tout à fait.

Une fois de plus, les propos d’Olivier de Wasseige sont à nuancer. Dire qu’en Wallonie les entreprises paient plus cher que leurs voisins sans détailler de quels voisins il s’agit, ni différencier les types d’énergie concernés revient…à ne pas dire grand chose. Selon Damien Ernst :“Parler d’un écart de 15% est une erreur. Les résultats sont bien plus fins que cela. Les rapports la Commission de Régulation de l’Électricité et du Gaz (CREG) sont très complets à ce sujet et montrent que d’autres facteurs sont à prendre en compte”. En effet, dans une étude publiée en 2018, la CREG souligne que les factures énergétiques varient en fonction de l’énergie déterminée (gaz ou électricité), et des profils de consommation des entreprises (PME ou industriels). Ainsi, dans les tableaux ci-dessous, basés sur les données du rapport, on s’aperçoit que d’après la facture d’électricité (sur 50 000 kilowattheure par an), la Wallonie est plus compétitive que la Flandre, lorsqu’il est question d’énergie électrique.

Facture annuelle moyenne du dernier semestre 2018 pour consommateurs professionnels
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Facture annuelle moyenne de gaz
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Contacté après son apparition sur le plateau de Jeudi en Prime, Olivier de Wasseige a accepté de nous fournir l’infographie (publiée ci-dessous) sur laquelle il s’était appuyé pour mentionner cette différence de 15%. Ce dernier est issu d’une étude réalisée par l’entreprise Deloitte. C’est là, le hic. Non seulement l’infographie dont s’est servi Olivier de Wasseige ne prend en compte que les prix de l’énergie électrique sans considérer les factures gazières de la Wallonie, mais en plus, il se sert d’une étude publiée par un cabinet qui n’est, ni indépendant, ni spécialisé dans les études énergétiques. Des résultats, donc, à prendre avec des pincettes.

  • Qu’est-ce que les « accord de branche » ?

Dans son intervention sur le plateau de Jeudi en Prime, Olivier de Wasseige mentionne les efforts que les entreprises ont réalisés en matière d’amélioration de leur efficience énergétique dans le cadre des accords de branche. Initiés en 2002, ces accords ont été conclus entre la Wallonie et les secteurs industriels dans le but d’influencer les entreprises wallonnes énergivores à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. En échange, elles reçoivent des avantages financiers.

  • Quels ont été les résultats de ces accords de branche ? 

D’après Cécile Neven, conseillère au Département Environnement – Energie – Aménagement du territoire et Mobilité de l’Union Wallonne des Entreprises (UWE) : “Les accords couvrent à peu près 85 % de la consommation d’énergie industrielle en Wallonie. Ils ont porté leurs fruits, le secteur des entreprises est le seul à avoir diminué ses émissions”. Sur son site, le secteur énergie du Service Public de Wallonie, affirme qu’en 2013, les premiers accords de branche s’étaient avérés concluants en termes d’efficience énergétique pour 90% des entreprises wallonnes. En 2014, de nouveaux accords ont donc été négociés et visent une nouvelle réduction conséquente des GES et une transition concrète vers les énergies renouvelables à l’horizon 2020.

  • Comment les entreprises font pour baisser leurs émissions de GES ?

Cécile Neven précise que les accords de branche conservent avant tout un objectif de résultats et non de moyens : « En termes de mesures concrètes, les entreprises ont le choix des investissements qu’elles font. ». Dans son intervention sur Jeudi en Prime, M. de Wasseige insiste sur le coût élevé des énergies renouvelables, susceptibles d’impacter la compétitivité des entreprises wallonnes. De son côté en revanche, l’expert Damien Ernst est catégorique : « Aujourd’hui,  il existe de nombreuses ressources écologiques largement abordables. Le photovoltaïque ( panneaux solaires, ndlr. ), par exemple, auquel les entreprises ne pensent pas« . Il estime que les entreprises sont simplement mal conseillées quant à leur transition énergétique : “Elles ont tellement le nez dans le guidon qu’elles font appel à des tiers investisseurs qui leurs disent comment travailler, mais ne leur conseillent pas des méthodes au prix du marché”.

  • Pourquoi favoriser les données du CREG ?

Olivier de Wasseige évoque des données émises par le cabinet d’audit Deloitte, l’un des quatre plus gros bureaux d’audits et de conseils à l’échelle mondiale. Il s’agit d’une société privée sollicitée par l’UWE pour étudier les tarifs de l’électricité en Wallonie. Une fois de plus, Damien Ernst nous met en garde quant à la fiabilité des chiffres, qui servent souvent leurs commanditaires. Son conseil : se référer aux études menées par la CREG “qui n’est partisane de rien et agit selon une position neutre”. En effet, La Commission de Régulation de l’Électricité et du Gaz (CREG) est un organisme fédéral qui conseille les pouvoirs publics et contrôle la bonne application des lois et des règlements du marché du gaz et de l’électricité en Belgique.

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