Aidée par les algorithmes de recommandation, l’extrême droite booste sa visibilité sur les réseaux sociaux

Par Pol Lecointe

Cet article a été réalisé dans le cadre d'un atelier de journalisme collaboratif piloté par le DESS en journalisme de l'Université de Montréal et le master en journalisme de l'Université Libre de Bruxelles.


Sur les réseaux sociaux, plus un contenu est susceptible de provoquer des émotions, plus les algorithmes de recommandation le mettront en avant. Ce système profite à l’extrême droite, qui double sa visibilité en investissant massivement dans la publicité de posts sur Facebook et Instagram.

Sur les réseaux sociaux, les contenus de droite, et par extension d’extrême droite, sont davantage mis en avant par les algorithmes de recommandation que les contenus de gauche. En 2022, X, qui s’appelait encore Twitter à l’époque, a effectué une étude interne pour comprendre le rôle de ses algorithmes de recommandation dans la promotion des discours politiques. Les résultats démontrent que "les tweets publiés par des profils d’élus de droite obtiennent plus d’amplification de l’algorithme que ceux des élus de gauche." Interrogée par l’Humanité, Jen Schradie, sociologue américaine, professeure adjointe à Sciences Po Paris et spécialisée sur les questions d’égalité numérique, observe la même tendance : "Les slogans conservateurs ou d'extrême droite sont en général plus provocateurs, ou en tout cas provoquent plus d'émotion, de colère dans les réactions sur les réseaux sociaux. Or, les algorithmes adorent ce genre de contenus qui suscitent de l'engagement". En Belgique, le bureau de consultance Gosselin & de Walque a développé un outil qui mesure l’impact des discours politiques sur les réseaux sociaux. Il en ressort un certain succès en ligne pour les personnalités d’extrême droite en Wallonie, alors qu’elle n’a aucun élu dans la région. Là encore, les algorithmes sont pointés du doigt.

Les algorithmes sont paramétrés pour promouvoir les contenus qui sont susceptibles de générer le plus d’engagement (en likes, partages ou commentaires). Mais les plateformes comme Facebook et Instagram offrent la possibilité de payer pour devancer les algorithmes et pousser des contenus spécifiques. Le groupe Meta, fondé par Mark Zuckerberg, fournit une base de données reprenant l’intégralité des dépenses publicitaires de partis politiques sur Facebook et Instagram. En Belgique, le Vlaams Belang est le parti qui dépense le plus.


Selon Benjamin Biard, ces chiffres traduisent une particularité du Vlaams Belang : "Au sein des autres partis [belges, ndlr.], la majorité des dépenses va dans les ressources humaines. La première source de dépenses du Vlaams Belang est la propagande au sens large : communication sur les réseaux sociaux, tracts, drapeaux flamingants, etc. C’est un choix stratégique". Nicolas Baygert, docteur en information et communication à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, chargé de cours à l’IHECS et maître de conférence à l’Université Libre de Bruxelles, développe : "Au Vlaams Belang, il y a une multiplication des postes de community manager, d'experts en big data. C'est le parti qui dispose aujourd'hui des compétences les plus poussées sur les questions du traitement des données."

Contourner la "censure" des médias

Nicolas Baygert explique cette stratégie par la position marginale du parti : "On est toujours dans le but de contourner une soi-disant « censure » des médias, mais aussi d’imposer une grille de lecture alternative de l’actualité". François Debras, professeur associé au sein du Centre d’Etudes Démocratie à l’ULiège et spécialiste des discours de l’extrême droite, va plus loin. Selon lui, "les réseaux sociaux sont d’une certaine manière liés à l’idéologie de l’extrême droite". L’extrême droite s’inspire de l’idéologie populiste. Elle rejette le concept de corps intermédiaires, c’est-à-dire les groupes sociaux situés à un niveau intermédiaire entre l’individu et l’État, comme les syndicats, les associations ou encore les groupes de pression. Les médias peuvent être considérés comme des corps intermédiaires.

"Via les réseaux sociaux, l’extrême droite peut se targuer de s’adresser ‘directement’ à la population". Benjamin Biard, chercheur au CRISP, tempère : "En Belgique, ce ne sont pas les seuls à le faire. Le PTB et Elio Di Rupo communiquent également beaucoup sur ces plateformes."

François Debras rappelle que la visibilité sur les réseaux sociaux n’a pas de lien direct avec les résultats électoraux. "Ce n’est pas parce que vous avez des milliers de followers que vous aurez un soutien aux urnes. Même si certains adhèrent réellement aux idées de ces partis, il y a des gens qui suivent par curiosité, d’autres par souci de documentation". Concernant les jeunes populations, il invite à s’intéresser aux raisons qui les poussent au vote. Le dernier sondage en date (mars 2021) montre que pour les Wallons âgés entre 18 et 35 ans, c’est le parti Ecolo, construit autour de la thématique écologique, qui est le plus populaire (24,8%). "On se rend compte que les jeunes se mobilisent autour de thèmes comme l’écologie ou le genre, moins par partis".



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