Pour attirer les jeunes, l’extrême droite mobilise les théories du complot

Par Pol Lecointe

Cet article a été réalisé dans le cadre d'un atelier de journalisme collaboratif piloté par le DESS en journalisme de l'Université de Montréal et le master en journalisme de l'Université Libre de Bruxelles.


Sur les réseaux sociaux l'extrême droite se mobilise pour attirer les jeunes. Elle ne manque pas de ressources pour arriver à ses fins. Faire appel aux théories du complot et attirer la colère de la population en fait partie.

Laura Jacobs, Caroline Close et Jean-Benoît Pilet, trois chercheurs de l’Université Libre de Bruxelles et de l’Université d’Anvers, ont mené une étude pour comprendre le rôle des émotions dans les choix électoraux. Leurs résultats montrent que la colère est plus fortement présente chez les personnes qui votent pour des partis radicaux (d’extrême droite ou gauche). A l’inverse, elle est moins significative chez les personnes qui votent pour les partis traditionnels.

Outre cette étude, une recherche menée à l’Université de Nouvelle-Galles du Sud a démontré que la colère renforce la propension à croire à des théories du complot.

Cette colère, présente dans la rhétorique complotiste, s'articule autour d’un “appel à l’indignation” selon Kenzo Nera, docteur en psychologie sociale à l’Université Libre de Bruxelles et chercheur postdoctoral FNRS, spécialisé sur les déterminants identitaires du complotisme. Le phénomène est particulièrement efficace chez les jeunes populations. Une enquête réalisée au Canada établit que la probabilité d’adhérer à des théories du complot est plus élevée chez les 18-35 que dans les autres classes d’âge.

Ainsi, dans sa communication, l’extrême droite fait de plus en plus appel aux théories complotistes. Au Canada, Pierre Poilievre, président du Parti Conservateur Canadien, a été accusé l’été dernier de “flirter [...] avec certaines théories complotistes maintes fois réfutées”. En Belgique, De Standaard a infiltré pendant un mois le compte Telegram de Dries Van Langenhove, président de Schild & Vrienden, le mouvement de la jeunesse flamande d’extrême droite et proche du Vlaams Belang. A plusieurs reprises, Dries Van Langenhove a fait référence à des théories du complot comme l’affaire QAnon ou le Balanciaga Gate. En mars 2024, il a été condamné à un an de prison ferme pour violation de la loi sur le racisme. Avant l’affaire, il était député à la Chambre des représentants, au sein du groupe parlementaire du Vlaams Belang.

Des discours similaires

Kenzo Nera conçoit l'extrême droite comme un "monde idéologique très soluble avec le complotisme". Il prend pour exemple la théorie du "grand remplacement" très populaire au sein de la pensée d'extrême droite. Selon lui ce courant de pensée mobilise les mêmes logiques que les théories du complot. "Ils [les adhérents au "grand remplacement" ndlr.] prétendent que les étrangers viennent nous envahir. Il y a l'idée d'un groupe qui de façon secrète veut atteindre un but. Et si l'information comme quoi ils viennent nous envahir ne se diffuse pas davantage c'est parce que les intellectuels, les médias, etc. sont de mèche. C'est l'idée qu'il y a une collusion des élites et des médias qui permettent aux actions de rester cachées."

Pourquoi l'extrême droite adhère-t-elle à ces théories ? Pour le chercheur FNRS, que le procédé soit "conscient ou intuitif" la théorie du complot sert comme outil de mobilisation. "C'est une façon de s'enfermer dans une communauté de personnes qui croient à la même chose et de jeter la suspicion sur tout ce qui a un discours moins radical ou qui va contre le vôtre."

En mobilisant un discours complotiste l'extrême droite développe ainsi ses propres communautés en ligne tout en rejetant ce qui va à l'encontre de ses idéaux. Mais cet outil de mobilisation n'est pas le seul que l'extrême droite développe : mise en avant des influenceurs politiques, usage des "memes", investissement dans la publicité, avantage offert par les algorithmes, etc. L'extrême droite dispose sur les réseaux sociaux de ressources qu'une seule étude ne saurait évaluer à sa juste valeur.



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