8 mars 2021 : « Femmes fières, vénères et révolutionnaires ! »
12 h, ULB : rencontre avec les étudiantes féministes
C’est sur le campus du Solbosch à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), en face du bâtiment F, que des militant.es se réunissent pour parler de leurs revendications.
Très vite, les personnes sur place sont invitées à s’exprimer si elles le souhaitent. Après quelques instants d’hésitation, une première femme s’avance. C’est une chercheuse en médecine du campus d’Erasme. Elle explique la peur des femmes de dénoncer certains abus et violences sexuelles : «Ouvrir sa gueule, ça veut dire s’exposer, attirer l’attention sur nous… Pleins de gens ont peur de parler».
S’ensuit la prise de parole de nombreuses femmes, qui à leur tour se livrent. Pendant plus de deux heures, le mégaphone passe de main en main. Les femmes revendiquent des changements comme «l’accès à des protections hygiéniques gratuites dans tout le campus». D’autres témoignent des abus, des violences et ou des viols qu’elles ont subis. Nombreuses sont celles qui dénoncent le silence de la justice face à leurs plaintes. Toutes ont le même message : «Il y en a marre.»
J’ai la haine des hommes.
Dans la foulée, une jeune femme aux cheveux courts et frisés prend la parole et raconte que depuis le 19 septembre 2020, date à laquelle elle s’est coupé les cheveux, elle ne subit plus d’interpellations dans la rue. «C’est ça la solution, couper nos cheveux ?», demande-t-elle.
Des violences rencontrées dans la rue, à l’université, mais aussi sur le lieu de travail. Une participante parle de son précédent emploi. Elle se faisait harceler par son patron. Un jour, il lui a fait une remarque sur sa tenue en lui disant: «Ça donne envie d’avoir des relations sexuelles.» Elle décide, alors, d’aller porter plainte. Un policier la reçoit et décide d’appeler son employeur afin de récupérer son témoignage. Il aurait nié les faits et décidé de la poursuivre en justice pour diffamation. Depuis ce jour, cette dernière explique être sujette à de nombreuses crises d’angoisse et peine à retravailler, de peur que cette situation se reproduise.
L’origine exacte de cette date est incertaine. En revanche ce qui est sûr, c’est que c’était un jour festif célébré en URSS depuis la Révolution de 1917. Une autre hypothèse historique a primé pendant un certain temps. Elle situait l’origine du 8 mars en 1857 à New York avec une manifestation de couturières. Cette thèse est réfutée par l’historienne Françoise Picq qui dénonçait ce «mythe» dans les années 70. Selon elle, cet événement n’a en fait jamais eu lieu, car aucune archive ne le mentionne. Dès lors, elle situe l’origine de cette journée en 1910, lors de la deuxième conférence internationale des femmes socialistes à Copenhague. La militante féministe allemande Clara Zetkin avait alors eu l’idée d’une journée pour mobiliser les femmes pour leurs droits. Bien que la date du 8 mars n’est pas encore établie. Cette journée sera reprise et instaurée officiellement le 8 mars par les communistes russes à partir de 1917.
Le Cercle Féministe de l’ULB

14h30. Les prises de paroles prennent fin. Sur un banc, Zoé, Hélène et Ava discutent du déroulement de la journée. Elles sont membres actives du Cercle Féministe de l’ULB. Léa, une étudiante qui souhaite rejoindre le cercle, s’installe avec elles.
Ce cercle regroupe «35 membres mais 12 réellement actives», dit Zoé qui a rejoint le mouvement il y a deux ans. «La mobilisation a commencé à 8 heures ce matin, on organise cette semaine de lutte avec les Malfrap, un autre cercle féministe ». Le Cercle Féministe de l’ULB est ouvert à différentes opinions féministes, tout en mettant en avant la non-discrimination : pas d’homophobie, de racisme, de transphobie. Le cercle adopte une politique de non-mixité choisie : pas d’homme cisgenre.
Il faut se réapproprier le 8 mars.
Ces jeunes militantes dénoncent l’aspect commercial qu’a pris, selon elles, cette date historique pour les droits des femmes. «Le 8 mars est important, mais il faut que tout le reste de l’année soit également un “8 mars”.» Le cercle profite de cette date pour marquer le coup. Depuis le début de la pandémie, les actions ont nettement diminué. Ce rassemblement d’un jour leur permet de revendiquer des mesures contre les discriminations quotidiennes à l’ULB, des conditions d’apprentissage égalitaires, la fin de la précarité étudiante et des mesures contre le renforcement des inégalités dues au Covid.
Cette grève du 8 mars est organisée en soutien des travailleuses qui sont forcées d’être sur le campus en pleine pandémie : «C’est notamment pour les femmes de ménage qui sont obligées d’être là.»
«À vous écouter parler, ça donne encore plus envie de vous rejoindre», sourit Léa qui se tient debout à côté du groupe. Ça fait du bien de voir qu’il se passe des choses à l’université.»

Anne Morelli, historienne à l’ULB
Anne Morelli est historienne et professeure à l’ULB. Féministe assumée, elle s’est battue durant sa carrière pour mettre plus en avant les femmes qui ont fait l’Histoire. L’historienne voit des similitudes entre le militantisme féministe actuel et l’idéologie féministe des années 1970-1980, avec un point d’honneur mis sur l’intersectionnalité.
Cependant, des différences existent entre les deux époques. Le militantisme aurait profondément changé, «pas forcément en bien», commente Anne Morelli. Tout d’abord, certaines associations radicales mettent en avant une suprématie féminine, ce qui entacherait la cause. Une prise de position qui lui a valu des critiques, notamment lors de la signature d’une tribune contre le mouvement «MeToo».
Une vision différente du féminisme
La vision des jeunes féministes interrogées lors du 8 mars 2021 serait bien différente de la sienne. Une question de génération et de culture, dépendant des lieux et des époques, selon Anne Morelli. L’historienne met en exergue la complexité pour un homme d’être féministe : «Être un homme féministe, c’est militer contre ses propres privilèges. C’était plus confortable pour les hommes de vivre dans les années 1950, ils n’avaient besoin de rien faire à la maison par exemple.»
En ce qui concerne l’avenir du mouvement, la professeure craint un retour en arrière comme c’est le cas en Pologne avec l’interdiction de l’IVG.