Si l’on mettait les quelques 34.500 nobles belges vivant les uns à côté des autres, on risquerait d’avoir une photo de famille hétéroclite. Certains sont friands de chasse, d’autres astronautes, chanteurs populaires ou encore professeurs d’université baskets aux pieds. Bien loin de l’image classique des livres d’histoire où les nobles portaient pourpoint et perruque. Pour comprendre ce qui compose la noblesse belge actuelle, un peu d’histoire s’impose.
Une bonne partie descend d’ancêtres anoblis avant la naissance de la Belgique en 1830, sous l’Ancien Régime. La question même de l’origine de la noblesse médiévale est très floue. Nous ne savons pas si l’ascendance est germanique, sénatoriale, romaine, mérovingienne ou carolingienne.
1795 – 1831 : la noblesse dans tous ses États
Si la noblesse jouissait pendant la période féodale d’une position stable fixée par des textes légaux, la Révolution française a changé la donne. En France, l’Assemblée constituante a définitivement supprimé le statut légal de la noblesse le 19 juin 1970. La République française ayant annexé nos régions en 1795, la noblesse y a également été supprimée. Ensuite, lorsque Guillaume Ier a régné sur nos provinces de 1814 à 1830, il crée une nouvelle noblesse, incluant beaucoup de familles anciennement nobles et rétablit leur statut privilégié.
Finalement, les Belges auront le dernier mot après la révolution de 1830 : 880 nobles deviennent belges et forment la noblesse du pays. Pour rappel, on en compte environ 34.500 en 2022.
Le statut légal nobiliaire, inchangé jusqu’à aujourd’hui, est édicté dans la Constitution de 1831 : “Le Roi a le droit de conférer des titres de noblesse, sans pouvoir jamais y attacher aucun privilège.” Pour Paul Janssens, professeur émérite à l’Université de Gand et spécialiste de la noblesse, “l’égalité de tous les Belges devant la loi ramène la noblesse moderne à une distinction honorifique », explique-t-il avant d’ajouter. « Cela dit, la noblesse formait encore un groupe social homogène, partageant un style de vie et des valeurs communes, quel que soit son statut juridique.”
Pourquoi la pratique perdure chez nous ?
L’engouement républicain qui envahit l’Europe au XIXe siècle a provoqué la disparition progressive des anoblissements au sein des monarchies. La pratique paraissait déjà surannée. Aujourd’hui, elle ne s’est maintenue que dans trois pays : en Espagne, au Royaume-Uni et en Belgique. En nombre de faveurs accordées par année, la Belgique est en tête du trio. Paul Janssens nous explique cette spécificité belge : “La question reste ouverte. La noblesse permet peut-être, parmi d’autres institutions, de renforcer le caractère et l’unité de la Belgique. Personne n’a la réponse. Cela dit, il faut rappeler que les nobles sont très nombreux au Congrès national, qui adopte en 1831 la constitution la plus libérale de l’Europe.”
Du renouveau dans le gotha belge
Jusque dans les années 1970, l’anoblissement évolue peu, caractérisé par un entre-soi de nobles francophones masculins catholiques. Les candidats proposés étaient en fait déjà assimilés au milieu. Renaat Van Elslande, ministre social-chrétien flamand des Affaires étrangères de 1973 à 1977, pose la première pierre de la noblesse actuelle. Il menace d’arrêter de signer des actes nobiliaires, tant qu’il n’y aura pas de Flamands dans les listes.
La réelle métamorphose de la pratique est l’œuvre de son successeur, Henri Simonet. D’après Paul Janssens, il “préconisait l’ouverture de la noblesse à tous les mérites, dans tous les secteurs, indépendamment de la langue utilisée, du sexe, de l’opinion politique religieuse ou philosophique”. Deuxième changement majeur, il a proposé d’exclure “l’hérédité des nouvelles concessions de noblesse, sauf pour des mérites cumulés de plusieurs générations”. Pour mettre en œuvre ces principes, il a suggéré la création d’une commission d’avis sur les concessions de faveurs nobiliaires, chargée de former des listes de candidats à proposer au Roi. Elle existe depuis 1978. Ses membres, dont les nobles constituent une minorité, sont supposés représenter la diversité de la société civile. Ils sont désignés par l’entourage royal et la commission elle-même.
La pratique de l’anoblissement reste très fréquente aujourd’hui, chaque année plus d’une dizaine de Belges reçoivent les faveurs nobiliaires.
Si l’augmentation de la diversité des anoblis est “indéniable” pour Paul Janssens, l’inclusion des femmes a encore du chemin à parcourir. La liste des anoblis d’Albert II reste très “testostéronée”. Celle de Philippe montre, par contre, une légère amélioration, avec 28 anoblissements de femmes sur 116 au total (de 2013 à 2022).
La noblesse actuelle est devenue une noblesse personnelle.
De 1978 jusqu’aux premières années du règne du Roi Philippe, la majorité des diplômes de noblesse restaient héréditaires. Ce n'est plus le cas depuis 2018. Dorénavant, tous les nouveaux anoblissements sont accordés à titre personnel, c’est-à-dire sans transmission aux descendants. Au Royaume-Uni et en Espagne, ils restent tous transmissibles. La différence entre le nouvel anoblissement belge et les distinctions honorifiques des pays républicains devient anecdotique. Donc, la question de passation de titre a trait au passé, mais pas complètement. Sur les presque 35.000 nobles de Belgique, la plupart appartient à un régime ancien d’une noblesse héréditaire. Pour défendre les intérêts de l'ancienne et de la nouvelle noblesse, une institution existe.
Une association unique en Belgique
L'Association de la Noblesse du Royaume de Belgique (ANRB) date de 1937. Elle regroupe tous les membres de la noblesse qui souhaitent l'intégrer. Le but de cette ASBL est de maintenir le contact entre ces familles nobles. Les valeurs de solidarité y sont présentes : les personnes dans le besoin peuvent y venir chercher des vêtements. L'ANRB fonctionne par cotisation. Pour un adulte, il s'agit de 45 euros par an et pour un adolescent, le montant s'élève à 25 euros. Les événements organisés sont également payants.
Le Chevalier Marc de Scoutheete de Tervarent est Secrétaire général de l'ANRB. Selon lui, le gotha belge se distingue par les valeurs qu'il défend : l'attachement à la famille et au pays, la bienséance et la poursuite du bien commun. “Par rapport à d'autres pays, la noblesse belge est vivante et bien intégrée dans la société.” La comtesse Sophie de Liedekerke Beaufort, vice-présidente exécutive, est du même avis. “Il n'y a aucune exclusivité dans la noblesse, les valeurs peuvent être partagées par tous. Elle rajoute : “La décoration se porte sur le vêtement, tandis que le titre de noblesse permet l'intégration d'une catégorie sociale.”
La maison de l’Association de la Noblesse du Royaume de Belgique
© Tarik Si Sadi