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Déradicalisation : le combat de l’ombre

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Déradicalisation : le combat de l’ombre

Déradicalisation : le combat de l’ombre

Publié le 14-04-2016 par
Le combat d'une mère
Véronique Loute ©Yoris Bavier

« C’est fini, je ne donnerai plus de nouvelles. » Depuis, Véronique attend un signe de vie de son fils.

En octobre 2012, le fils de Véronique part rejoindre l’État islamique en Syrie. Le jeune combattant laisse derrière lui toute sa famille, meurtrie. Portrait de Sammy à travers le regard – profond – de sa maman.

Rue du Jardinier à Molenbeek. Au milieu du local très blanc et très froid, Véronique dégage la chaleur que les murs n’ont pas. Molenbeek et tout ce qu’on en sait. C’est ici que la maman de Sammy ouvre les portes de son ASBL, « Les parents concernés ». Comme si le sujet du radicalisme collait à cette commune. Mais ce jour-là, Molenbeek montre une de ses plus belles facettes. Le soleil tape, les enfants jouent sur la place communale et l’odeur du thé à la menthe réveille les envies de vacances. Tout ça gomme, fait oublier ce qu’on a pu lire, voir ou dire de péjoratif sur cette commune ces derniers mois.

« Sammy a un double parcours », commence la maman. Il a d’abord demandé à sa mère de se faire baptiser à l’âge de sept ans. Puis, à 15 ans, il lui annonce avoir changé de religion et s’être tourné vers l’islam. Il était alors élève dans un collège catholique. Il veut donc changer d’école et s’inscrire dans un athénée pour pouvoir choisir sa religion. « Je l’ai donc inscrit. Pour moi, il n’y a pas de problème ; j’ai toujours accepté la conversion de mon fils. Je ne m’y suis pas opposée du tout. » Contrairement à son père. Sammy termine donc ses études à l’Athénée et il obtient son CESS à la fin de ses secondaires.

 

« J’ai toujours accepté la conversion de mon fils »

 

Véronique voulait qu’il poursuive des études. Il est allé voir en faculté de droit puis en commerce extérieur, mais aucun de ces deux filières ne lui convenaient. « Je pense qu’il était déjà dans une phase de radicalisation car un jour, il m’a dit qu’il voulait aller vivre en terre d’islam, en Égypte. » Il voulait aller étudier à l’Université de al-Azhar au Caire, pour devenir Imam. « Moi j’étais contente, car même si c’est Imam, au moins je me disais qu’il ferait quelque chose. » Puis le jeune homme n’en n’a plus parlé.

Radicalisme : long processus

« Je crois que la radicalisation est venue de ses fréquentations et des jeunes qui habitaient le quartier. » À l’époque, la famille vivait à Laeken, l’une des 19 communes bruxelloises. Au moment du divorce de ses parents, Sammy a préféré vivre avec son père, dans cette même commune, pour rester près de ses copains. « Moi j’allais habiter de l’autre côté de Bruxelles, donc il n’a pas eu envie de me suivre. » Véronique pense que ce sont ses amis qui l’ont incité à changer de religion. La radicalisation de Sammy s’est déroulée sur les trois dernières années avant son départ en Syrie. Il a changé de vêtements, il mettait des djellabas. « Au début il les enveloppait dans son pantalon, pour ne pas trop montrer. Ça a été vraiment progressif. » Un jour, il a demandé à sa maman de vivre seul. Il avait alors 20 ans. Véronique l’aide pour qu’il devienne autonome. Il trouve un appartement à 500 mètres de chez son père. « Mais aussi à 500 mètres de la mosquée. Il est vraiment resté dans son quartier, avec sa mosquée, ses copains, toutes ses habitudes. » Véronique passe souvent voir son fils. Elle allait dans son appartement et c’est là qu’elle a vraiment vu qu’il changeait. « Il ne vivait de rien. Il dormait dans le canapé avec une couverture alors qu’il avait un lit. »

Véronique arrête son récit, elle reçoit un appel d’Euronews pour une demande d’interview. « Demain soir j’ai aussi l’Agence France Presse ». Elle prend le temps de répondre à tous les médias et à toutes les demandes d’interview. Une maman médiatisée, par la force des choses.

« Reprenons. J’ouvrais son frigo et je lui demandais comment il mangeait … » Il n’avait pas l’air malade ni maigre raconte la maman. « Parfois j’avais pitié, je lui donnais des sous pour acheter à manger ou j’allais lui acheter de quoi se nourrir. Mais il me demandait de ne rien laisser dans le frigo. » Il vivait en auto-subsistance, déconnecté de la société. Le jeune homme se préparait à partir dans des pays plus pauvres où les conditions sont différentes de celles qu’on connaît en Europe. En parallèle, il apprenait l’arabe. « Il était très fier, il me montrait ce qu’il apprenait. Je pense que ça lui a rendu service là-bas. Car beaucoup de jeunes ne connaissent pas l’arabe. Mais lui maîtrisait totalement la langue. »

Seule dans sa lutte

À la question de savoir si Véronique a demandé de l’aide en voyant le changement de comportement de son fils, la maman exprime son désarroi. « Mais non, il n’y avait personne qui savait ce qui se passait. Pas plus moi que d’autres mères qui étaient devant le même problème. Je n’imaginais jamais que cette radicalisation était les prémices d’un départ, jamais. » Il distribuait de la nourriture chez les pauvres. « Une mère, quand elle entend ça, elle est très contente. Mais on ne savait pas que c’était l’antichambre de la radicalisation. » Sammy fréquentait en fait « Le Resto du Tawhid » avec le fameux Jean-Louis Denis, dit « Le Soumis ». Il attirait les jeunes vers son organisation, ses restos. Le tribunal correctionnel de Bruxelles a condamné le prédicateur à dix ans d’emprisonnement en janvier dernier pour participation aux activités d’un groupe terroriste en tant que dirigeant.

Sammy est parti avec son ami d’enfance Sean et d’autres amis que Véronique ne connaissait pas. Sean et lui habitaient dans le même quartier, à deux rues l’un de l’autre. Pourtant, les deux amis n’ont pas le même parcours. « Sean était un adepte de Tarik Ramadan, mon fils ne m’en parlait pas tant. Il me parlait plutôt du Cheikh Bassam. » À l’époque, le Cheikh vivait à Molenbeek et est maintenant aussi parti en Syrie. « Lui était assez radical, il a du fermer sa mosquée et a entrainé beaucoup de jeunes derrière lui. Son fils avait une brigade en Syrie, la brigade du Cham. »

Direction : la Turquie

Juste avant le départ de Sammy, Véronique devait aller séjourner à Hambourg chez sa famille. « Je l’avais eu au téléphone et je lui avais dit que je partais le soir même. Il est venu boire un café et il a ramené mon ordinateur que je lui avais prêté pendant un an. » Ordinateur qui a ensuite été fouillé. Le jeune homme conduit sa mère à l’arrêt de bus. « Il m’a embrassée et m’a dit au revoir. Moi je croyais qu’on se reverrait la semaine d’après et puis j’ai attendu… Je ne l’ai jamais plus vu depuis lors. » Le 28 octobre 2012, Sammy était en route pour la Syrie.

 

Véronique n’a plus revu son fils depuis Create your own infographics

 

« Je me suis souvent posé la question d’où il pouvait être. J’avais cru qu’il était en terre d’islam, en Égypte et compagnie. Je l’avais dit à la police. Étant majeur, on ne pouvait pas s’opposer à son départ. Ils sont partis de leur plein gré. » Le neveu de Véronique a fait quelques recherches dans l’ordinateur que Sammy avait déposé chez sa mère. Il est alors tombé sur le trajet que son cousin avait effectué. « Ils sont passés par Istanbul, Ankara puis Gaziantep à la frontière turco-syrienne. » Il est resté en Turquie un certain temps avant de partir en Syrie d’après la maman. « Je dis cela parce qu’il a sans doute fréquenté les camps d’entrainement. Parfois j’avais des coups de fil en novembre 2012. J’entendais des voix, ce n’était pas des prêches, ça ressemblait à des instructions militaires. » Il disait pourtant à sa maman qu’il était parti faire de l’humanitaire. « Un jour il me dit :  »c’est chaud ici ». J’entendais des talkies-walkies. Je lui ai dit de ne plus me téléphoner dans des moments pareils. J’ai raccroché et après j’étais encore plus malade. »

Départs en Syrie : un phénomène nouveau

Mais le phénomène était très peu connu à l’époque du départ de Sammy. « Du départ de mon fils en octobre 2012 jusque mars 2013, il n’y avait pas une seule ligne sur le sujet dans les journaux. On parlait de la Syrie, mais pas des jeunes qui étaient partis là-bas. » Un jour, elle est appelée par la Sûreté de l’État qui lui demande de reconnaître Sammy sur une photo. « J’étais à moitié dans le déni, mais j’ai confirmé que c’était bien lui. On ne me montrait que sa tête, j’ai dû aller jusqu’à la sûreté de l’État pour voir la photo en entier. » Il s’agissait d’une vidéo de propagande, la première et la dernière que Sammy fera. La région dans laquelle la vidéo a été tournée était une région de combats. « Je suis tombée de ma chaise. Je croyais qu’il faisait de l’humanitaire, comme il me le disait toujours. J’étais à mille lieues de croire qu’il faisait la guerre ». Véronique ne s’est jamais inquiétée pour la survie de son fils jusqu’à ce mois de mars 2013 et cette vidéo où il apparaît.

« Je me suis dit nom d’un chien, quelle horreur, dans quoi il se trouve ? » Quelques jours plus tard, Véronique apprend la mort de son copain Sean, dans un combat. « C’est Sammy qui a dû enterrer lui-même son ami. » Les informations s’enchaînent. Mais aucune nouvelle de Sammy après ces combats. Il met huit jours pour appeler sa mère, il avait reçu une balle dans le dos et devait d’abord se soigner. « C’est Sammy qui a annoncé à la maman de Sean que son fils était mort. » Véronique avait régulièrement des appels de Sammy, mais quand les appels se faisaient plus rares, la maman s’inquiétait. « Quand j’ai compris la situation dans laquelle il était, je ne vivais plus. Si pendant une semaine je n’avais pas de ses nouvelles, je l’imaginais mort. »

Toujours en Syrie ?

Maintenant, Sammy a deux fils, il a fondé une famille. « Je ne les ai jamais vus ni entendus. Je ne connais rien d’eux. Je sais juste que l’un des deux s’appelle Mohammed. » Ça fait désormais huit mois que Véronique n’a pas eu signe de vie de son fils. « Au dernier appel, il venait d’avoir son deuxième fils. Il m’a dit : il y a des drones qui passent tout le temps au-dessus de chez moi, c’est fini, je ne donnerai plus de nouvelles. Et il a raccroché. Plus jamais. » Sammy aura bientôt 27 ans. Véronique ne sait pas si son fils est toujours en Syrie ou s’il est maintenant en Irak. « J’espère qu’un jour j’aurai des nouvelles. J’espère qu’il n’oubliera pas sa maman. C’est tout le souhait que j’ai, c’est qu’il se rappelle à mon bon souvenir. »

Les parents concernés
Véronique et les autres mamans. Tout ça ne nous rendra pas le Congo, Le Djihad des mères ©RTBF (capture d’écran)

Dans les bureaux de l’association « Les parents concernés », les murs sont décorés de messages d’espoirs. Espoir pour tous les proches des jeunes partis combattre en Syrie ou en Irak.

 

« Je ne peux pas te promettre de régler tous tes problèmes, mais je peux te promettre que tu ne les affronteras pas seul »

 

L’association « les parents concernés » a été créée en 2013 par Véronique et le papa de Sean, à la mort de son fils. « On a décidé à ce moment-là : plus jamais ça. On ne voulait plus des jeunes qui partent. »

Les parents concernés ont commencé avec des petites manifestations pour se faire connaître en 2014. « J’avais de magnifiques banderoles, mais ça a disparu, je vais devoir en refaire. » Petit à petit, ils se sont montrés dans d’autres associations. Se faisant connaître, l’ASBL commence à être demandée dans des écoles. Au début, il s’agissait surtout d’un groupe de parole. Pour avoir plus de visibilité, ils sont passés en ASBL. Au sein de l’association, il n’y a pas de chef. Ce sont tous des parents de jeunes, sur le même pied d’égalité. Pendant trois ans, l’ASBL a fonctionné sans aucun subside. Mais récemment, ils ont reçu l’aide de la fondation Roi Baudouin. « On n’a pas de gros besoins, juste des défraiements pour les déplacements, l’achat de papier, etc. » Par groupe de trois ou quatre mamans, elles réalisent des témoignages, des débats.

Aujourd’hui l’ASBL regroupe 50 personnes : parents, frères et sœurs, etc. « Ce sont tous ceux qui ont besoin de nous qui viennent ici. On les considère comme les dégâts collatéraux. Il y a beaucoup de jeunes. Ma fille a très mal supporté le départ de son frère Sammy. » Ils ont tous un point commun : un proche est parti combattre en Irak ou en Syrie. Certains sont encore là bas, d’autres sont décédés. Le premier but de cette ASBL est d’apporter un soutien au chagrin des proches. Ensuite, ils font un travail de prévention. L’ASBL décèle parfois certains cas de radicalisation dans les écoles : « des élèves viennent chez nous, en nous expliquant entre les dents qu’ils ont un ami dans le cas. » Avant chaque témoignage, l’ASBL donne un flyer sur lequel les élèves peuvent retrouver le numéro de téléphone des personnes qui font le débat. « On leur dit que s’ils ont un souci, ils peuvent nous téléphoner. » C’est arrivé suite à leurs témoignages dans deux institutions. « On a déjà envoyé un cas ou l’autre chez BRAVVO. Par exemple une jeune fille qui voulait partir en Syrie ».

Parler de désengagement plutôt que de déradicalisation
BRAVVO ©Anne-Sophie Depauw

En 2014, l’ASBL BRAVVO (Bruxelles Avance – Brussel Vooruit), le service de prévention de la ville de Bruxelles met en place sa cellule de prévention du radicalisme. En Belgique, les services de prévention générale existent depuis les années 90 ; ils ont vu le jour à la suite des émeutes de Forest. Depuis quelques années, leur but est de renforcer la cohésion sociale, surtout à Bruxelles où le nombre de départs vers la Syrie est le plus important : 197 (chiffres de janvier 2016).

Nombre de départs vers la Syrie par communes bruxelloises

Cette cellule particulière travaille sur trois niveaux. Tout d’abord, il y a la prévention primaire qui informe et sensibilise les publics cibles – une famille dont un proche est en cours de radicalisation ou les jeunes en contact avec la propagande de l’État islamique sur les réseaux sociaux. La prévention secondaire concerne essentiellement la formation des acteurs de terrain – les enseignants ou les assistants sociaux. L’année passée, 1250 personnes ont reçu une formation sur la radicalisation. La prévention tertiaire, quant à elle, permet d’offrir un suivi individuel aux jeunes radicalisés et un soutien aux familles.

Des désirs légitimes et de la fragilité

Hadelin Feront, référent à la cellule de prévention du radicalisme, insiste : il n’existe pas de profils types concernant les jeunes radicalisés. Par contre, on retrouve une constante importante chez eux : ils se radicalisent pour de  »bonnes » raisons. « On distingue une certaine motivation commune qui n’a rien à voir avec la religion. Ils possèdent tous des désirs légitimes : être reconnu, avoir plus d’autonomie, appartenir à un groupe, s’émanciper… Ces désirs sont exprimés à un moment de fragilité. Les jeunes se sentent brimés dans leur identité et malheureusement l’E.I. leur apporte des réponses. » Et c’est là que réside le danger : les recruteurs instrumentalisent de jeunes personnes vulnérables. Pour atteindre un maximum de jeunes, ils n’hésitent pas à s’adapter à leurs motivations individuelles. Ils passent un temps incroyable à connaître la personne, à lui proposer une « formation » personnelle. Et c’est tout cela qui rend le travail de déradicalisation – ou plutôt de désengagement – aussi compliqué. « Je préfère parler de désengagement plutôt que de déradicalisation. Déradicaliser un individu c’est changer ses normes fondamentales et pour BRAVVO et même pour la ville de Bruxelles, ce n’est pas quelque chose d’éthique. Ça reviendrait à faire le même travail que les recruteurs, mais dans le sens inverse. Au contraire, le désengagement c’est renoncer à la légitimation ou l’usage de la violence par rapport à des idées. » Dans une démocratie, on a le droit d’avoir des idées radicales, mais le problème c’est lorsque l’on légitime la violence pour ses idées. La loi trace donc la frontière.

Processus de radicalisation Create your own infographics

« Il s’agit de lui donner une voie de sortie, une deuxième chance quand il n’est pas encore passé à l’acte »

Pour réaliser un travail de désengagement, il est impératif d’apprendre à connaître la personne et de se mettre à sa place. Il faut donc étudier son environnement, sa famille, son travail, son école et déceler les facteurs qui l’ont poussé à se radicaliser. « Lorsqu’on connaît sa représentation, on peut répondre de manière positive à sa demande de départ. Si un jeune veut se réaliser spirituellement, on va le guider vers des religieux de la société civile qui vont l’accompagner tout le long du chemin. De notre côté, nous orientons la personne le plus justement possible. Il s’agit de lui donner une voie de sortie, une deuxième chance quand il n’est pas encore passé à l’acte. » Mais la procédure n’est jamais évidente. Dans ce genre de situation, les tabous règnent. De plus, c’est très difficile de retirer un individu d’un groupe auquel il a le sentiment d’appartenir. Très souvent, ce groupe devient une deuxième famille et dans le pire des cas, il devient la famille principale. En ce qui concerne les familles, Hadelin Feront se heurte à quelques problèmes. « Nous travaillons principalement en réponse à une demande, mais on peut être amené à connaître une situation via les services sociaux, la police ou l’école. Il faut donc réfléchir : comment aborder cette situation avec les familles de manière directe ? C’est toujours délicat, mais cela doit être fait. On prend contact avec la famille et on leur explique notre inquiétude. C’est souvent un choc pour la famille, car le premier contact est frontal, mais après, c’est un soulagement. Finalement, on met un cadre autour d’un problème qu’ils avaient eux-mêmes décelé. » De manière générale, les familles souffrent d’une méconnaissance du domaine. Elles possèdent certes une connaissance globale du sujet, mais la vérité est tout autre. BRAVVO permet donc aux proches d’avoir plus d’emprise sur la situation, de se sentir moins démunis, moins impuissants.

Le cas des « returnees »

Le travail d’Hadelin se complique lorsqu’il s’agit des « returnees » – les combattants de retour de Syrie. « Rester dans les rangs de l’État islamique c’est se condamner à mort. Malgré cela, très peu de personnes reviennent de Syrie, voire quasiment pas du tout. L’E.I. ne permet pas à ses membres de partir. Il contrôle ses propres frontières et les déserteurs sont exécutés. Ensuite, certains pays frontaliers ont opté pour une politique plus ferme par rapport aux retours. Par exemple, ceux qui essaient de fuir par la Turquie se font arrêter par les autorités. » Dans ce cadre particulier, BRAVVO prête assistance aux familles qui essaient de clarifier la situation juridique et légale de leur proche arrêté par les autorités turques. Il peut s’agir de combattants, de conjoint(e)s qui ont tenté de rejoindre un époux/une épouse ou des enfants conçus là-bas. Tout ce petit monde, comme chaque citoyen belge, a droit à une assistance consulaire. Il faut donc envisager un retour, mais toujours dans le cadre de la loi. La justice belge juge les crimes des returnees comme s’ils avaient été commis sur notre territoire. Évidemment, la procédure reste très longue.

« On ne rentre pas comme si on avait été en vacances »

Actuellement, plus d’une centaine de personnes sont revenues en Belgique. La police connaît tous les cas. Certains font l’objet d’une condamnation ; BRAVVO effectue donc un travail d’accompagnement avec le justiciable. « On travaille aussi avec les maisons de justice. On leur apporte un soutien pour qu’elles puissent mieux comprendre la situation de ces personnes. C’est un sujet très spécifique. Nous avons formé les assistants de justice de la maison de justice de Bruxelles. Nous avons également formé les directions des maisons de justice francophones à travers le pays. Pour les returnees, on propose un accompagnement post-Syrie pour qu’ils se reconstruisent. » Pour chaque returnee, Hadelin tient le même discours : « Je leur dis qu’il va falloir accepter de rentrer dans un cadre. Il va falloir montrer que vous êtes de bonne foi. Il va falloir accepter un accompagnement. Il va falloir parler aux autorités judiciaires. On ne rentre pas comme si on avait été en vacances. » De manière générale, les familles sont très collaboratives. Les parents préfèrent que leur enfant soit vivant et qu’il ait droit à un avocat plutôt que de rester dans un état totalitaire où les problèmes se règlent avec une balle dans la tête.

Un énorme carnet d’adresses

Hadelin Feront ne travaille jamais seul. Tout d’abord, il est constamment en contact avec les 300 membres de BRAVVO. « La cellule de prévention du radicalisme est une cellule transversale parce que je travaille avec tous les autres axes de la prévention générale comme les gardiens de la paix ou les centres de jeunes. » Ensuite, il existe une coordination fédérale de tous les dispositifs de prévention de la radicalisation qui est faite par le ministère de l’Intérieur. C’est l’organe de financement. Enfin, Hadelin travaille étroitement avec les différentes communes bruxelloises. Au niveau de chaque commune, il y a une collaboration très importante entre les différents services communaux. Cela va de l’instruction publique, en passant par toutes les écoles jusqu’aux antennes CPAS du territoire. « Je suis aussi en contact avec les polices locales qui reçoivent toujours l’information en premier. Cette information est ensuite transmise au bourgmestre qui me la transmet. » Et Molenbeek n’échappe pas à la règle…

Les efforts d'une commune
Commune de Molenbeek ©Anne-Sophie Depauw

Une foule de silhouettes bigarrées se croise dans les halls de la maison communale, des femmes voilées, des étudiants, des personnes âgées, des échevins… Par les fenêtres ouvertes arrivent les sons de la vie quotidienne, les bruits incessants d’une ville, et les rayons de soleil printanier. Une journée comme les autres débute à la commune de Molenbeek, entre sonneries de téléphones, parfum de café et conversations de couloir. Et pourtant, il y a quelque chose d’étrange, une espèce d’effervescence. Dans les escaliers se pressent des journalistes d’Arte préparant un reportage. Ils devancent de peu une équipe de la RTBF. Quelque chose se trame, cela fait quelques semaines que la commune est au centre de l’attention médiatique et subit le balai ininterrompu de toutes les télés du monde.

Car cette petite « ville » dans la ville, est en effet le lieu d’origine d’une partie du commando terroriste responsable des massacres du Bataclan et des terrasses parisiennes. C’est ici que se sont radicalisés et rencontrés les terroristes islamistes qui ont effrayé l’Europe, c’est d’ici que des jeunes molenbeekois inconnus sont devenus des tueurs en puissance dont la photo a fait la Une des journaux du monde entier.

Jusqu’alors seulement connus comme petits voyous sans envergure arpentant les rues métissées du nord de Bruxelles, les désormais célèbres Abdeslam et Abrini sont rapidement devenus les exemples typiques d’une jeunesse populaire, désœuvrée bien souvent, qui s’est petit à petit radicalisée en sombrant dans une vision pervertie du djihad et de l’islam. Molenbeek est ainsi devenue, en l’espace de quelques mois, le centre d’une tempête médiatique qui l’a élevée, pour les médias les plus virulents, au rang de nid à radicaux et de plaque tournante du terrorisme islamiste en Europe. Brisant les efforts tenus de longue date par ses habitants et ses acteurs politiques et associatifs pour en promouvoir une image plus positive, plus en accord avec sa véritable essence multiculturelle et vivante.

Molenbeek au centre de l’attention médiatique

Alors que la commune tentait péniblement de se relever de ce torrent médiatique post-Paris, les attentats du 22 mars 2016 dans la capitale belge sont venus porter un coup dur à sa réputation déjà fortement écornée, mais aussi à la réputation des autres communes de Bruxelles (Schaerbeek, Anderlecht, Forest), lieux de multiples arrestations et perquisitions et souffrant de la radicalisation toujours plus évidente d’une part de leur jeunesse. Si la guerre en Syrie apparaissait auparavant comme lointaine, ses répercussions violentes à Bruxelles ou à Paris ont désormais fait éclater la problématique du radicalisme violent chez les jeunes belges.

Françoise Schepmans, bourgmestre de Molenbeek, fortement sollicitée par cette actualité difficile a malgré tout trouvé le temps dans le flot incessant des interviews et reportages de grandes télés internationales, de nous expliquer les actions menées au niveau communal afin de prévenir ce radicalisme. Car si ce n’est pas aux communes de gérer les retours de combattants djihadistes de Syrie – les fameux « returnees » – c’est néanmoins à elles d’être les premières à les décourager au départ et à les empêcher de se radicaliser.

 

« Molenbeek a été très durement touchée par les attentats récents à Paris et à Bruxelles, ça a été un véritable électrochoc, non seulement pour nous, mais aussi pour la Belgique et l’Europe évidemment. Il y a eu un avant et un après 13 novembre et un avant/après 22 mars. La participation active à ces attentas de certains Molenbeekois ou leur complicité a bien sûr été source de réflexions, mais la commune n’est pas restée bras croisés. On n’a pas attendu les attaques pour mettre en place des plans anti-radicalisation et des actions envers les jeunes qui s’enfonçaient lentement vers le radicalisme. »

 

Concrètement, diverses mesures policières ont été entreprises avec l’aide du fédéral, comme le renfort des forces de police (pour les brigades antibanditisme, économie illégale, trafic d’armes et de drogues) afin de lutter contre la délinquance dans les rues, terreau propice à une éventuelle future radicalisation, d’après Françoise Schepmans.

« Nous considérons qu’il y a un lien étroit, du moins à Molenbeek, entre le phénomène de radicalisme et la délinquance.  Les principaux suspects des attaques étaient tous des voyous qui sont tombés tour à tour dans la délinquance puis dans le radicalisme islamiste violent. Ils se connaissaient tous, comme une bande, et venaient tous du même quartier du centre de la commune. En luttant contre cette délinquance ordinaire, on espère lutter contre la radicalisation. »

La cellule radicalisme déjà mise en place a été renforcée, notamment pour mieux travailler sur les lieux susceptibles d’entrainer cette radicalisation. La lutte contre le radicalisme ne peut se faire uniquement dans les bureaux, il faut aller à la rencontre des jeunes, dans les lieux où peuvent survenir des discours radicalisant.

« Nous avons aussi eu du renfort pour avoir plus de policiers sur le terrain, afin de renforcer le rôle de la police de proximité, en contact avec la population, qui la connaît. Ça c’est l’aspect « sécuritaire ». Sur l’aspect plus administratif de la prévention au radicalisme, nous disposons d’une cellule spéciale qui va décortiquer les informations disponibles sur les individus que nous soupçonnons de radicalisme, afin de voir s’il n’y a pas des irrégularités (des multipropriétés, des situations suspectes, etc.) ou des connexions dans le radicalisme justement. On cible donc l’individu, mais aussi ses contacts. »

Trois axes principaux de lutte contre le radicalisme : sécuritaire, administratif et prévention

Au-delà de ces mesures policières et administratives, sont aussi mises en place des mesures de prévention pure, avec le soutien du niveau fédéral, mais aussi des Communautés (pour ce qui est des problèmes liés aux questions sensibles de la radicalisation à l’école par exemple). La commune travaille donc sur ces trois axes pour lutter contre la radicalisation, la prévenir en tout cas, puisque la lutte globale contre le terrorisme (la gestion des retours, les processus de déradicalisations, les enquêtes pénales, etc.) est, elle, une compétence fédérale. En réalité, les communes telles que Molenbeek sont plus habilitées, par leurs compétences et par leur proximité avec la population, à se focaliser sur la jeunesse et les familles. Notamment en s’associant avec des acteurs du milieu associatif, des ASBL (comme « Les Parents concernés »). L’objectif affiché par Françoise Schepmans étant d’offrir ici un soutien préventif et affectif afin de contrebalancer les mesures répressives.

« Souvent on remarque qu’un jeune en voie de radicalisation est un jeune qui a subi une rupture scolaire ou familiale. Il n’est pas nécessairement touché par la délinquance. Mais nous devons alors travailler spécifiquement avec les familles, il faut faire en sorte que ces jeunes reviennent à une vie normale. »

   

Avec la jeunesse de « Molem' »
Jeunesse molenbeekoise ©Olivier Blondeau

À Molenbeek, les premières victimes du radicalisme ne sont, en réalité, pas les jeunes devenus radicaux mais bien leur entourage, leurs amis, les gens de leur quartier. Car ces derniers subissent non seulement la peine d’avoir perdu quelqu’un sur l’autel du djihad, mais aussi la difficile image d’avoir vécu avec eux, de n’avoir parfois rien vu, ou pire, la suspicion d’être complices. Une réputation désastreuse qui occulte aux yeux du public médiatique, les vies et les identités remarquables qui s’entrechoquent dans la commune.

Au Centre de jeunes Avicenne

Fouad Ben Abdelkader est éducateur de rue et animateur socioculturel d’une maison de jeunes dans le quartier même d’où proviennent les membres du commando de Paris, le Centre de jeunes Avicenne. Auparavant administrateur des lieux pendant 18 ans, il est redevenu, depuis un an, simple éducateur sur le terrain afin de se rapprocher des jeunes. Il donne son temps pour les ados de « Molem’ » (surnom de la commune), afin de les aider à trouver des occupations, pratiquer des activités découvertes en tout genre, du rap à la cuisine, de la peinture à l’informatique.

Au-delà de cet objectif, vient aussi s’ajouter l’espoir de leur offrir la possibilité de découvrir des activités qu’ils n’auraient pas la chance de découvrir chez eux ou à l’école et qui les sortent d’un quotidien parfois compliqué. Et surtout vient se greffer l’envie de montrer au reste du monde, aux médias notamment, que la jeunesse de Molenbeek peut aussi être source de véritables pépites, d’individus de valeur et de richesses à mille lieues des images qui ont circulé depuis les attentats, à mille lieues de la triste réputation de jeunesse de quartiers pauvres à problèmes.

« Le rôle d’Avicenne c’est de pousser nos jeunes à s’ouvrir à la connaissance, à ouvrir leurs horizons. Sur la question du radicalisme, quand on a la connaissance on se rend compte que c’est futile. On leur donne des armes pour éviter ces pièges. On essaie d’ouvrir ces gamins au monde, eux ils sont stigmatisés depuis le plus jeune âge, ils sont discriminés bien souvent dans le cadre de quartier ghetto. Mais quand on s’intéresse à eux, on voit qu’ils ont des besoins, des envies, comme tous les enfants du monde, il suffit de les écouter. »

« On veut leur redonner confiance en eux »

Le Centre de jeune Avicenne ressemble d’ailleurs à n’importe quelle maison de jeunes de n’importe quelle ville. Des œuvres graffées, bricolées par les membres, parsèment les murs, un bar construit en palettes de récupération trône dans un coin de la pièce. Sur l’ordinateur, Aziz, 15 ans, fait écouter son dernier morceau de rap à Bilal et Sammy. Il y a du passage, des jeunes de tous âges de 12 à 25 ans viennent discuter après les cours sur les canapés, jouer à des jeux vidéo, ou encore répondre aux médias qui viennent enquêter sur le quartier.

Les télés du monde entier dans les rues de « Molem’ »

Aujourd’hui M6 et Arte sont présentes avec tout leur matériel, elles interrogent Fouad l’éducateur et Annas J. un jeune bénévole du quartier âgé de 26 ans. Devant les objectifs, on voit l’habitude des intervenants. Depuis quelques mois, les télévisions se sont succédé dans les rues, et Aziz et Bilal se chamaillent même pour savoir lequel des deux a été interviewé par les plus grands médias. « Moi je suis passé sur la RTBF, sur Arte, sur RTL, etc », clame Aziz. « Moi j’ai fait 25 000 vues sur les vidéos web-replay de la chaîne en parlant de ma vie au quartier », répond Reda, le grand frère de Bilal.

La journée passe au rythme des interviews, dans l’arrière-salle les jeunes font le chambard, Fouad est obligé de venir les recadrer sévèrement : une fois, deux fois, trois fois. Ce n’est plus une relation d’éducateur à enfants qui se trame ici, mais bien une relation de père à fils, de grand frère à petits frères, avec ses colères monumentales qui terminent d’un coup soudain en accolades et en rires.

Une jeunesse comme les autres

En parlant avec la bande de gosses, on comprend bien vite que sous leurs airs adolescents, ce sont encore des enfants comme tous les autres. Derrière les rires et les mots qui sembleraient sortir de la bouche d’adultes, pointe un langage enfantin. Des réactions trahissent le paraître « sûr de soi et grand garçon » tellement typique des ados de 15 ans. Aziz et Samy jouent aux grands, les grands du quartier, mais ils n’ont pas encore l’âge de rouler à moto, alors tout cela tient plus de la fiction que de la réalité. Ils forment le cortège typique de ces jeunes qui souffrent indirectement de l’image du quartier auprès du monde, du racisme ordinaire et des difficultés sociales inhérentes aux quartiers populaires. Et pourtant, tous ont une myriade de qualités à faire fleurir, à faire polir : Aziz chante du rap bien au-dessus du niveau des productions des jeunes de son âge, Reda rêve de devenir pâtissier, prêt à se lever tôt le matin pour faire des tartes aux fraises et impressionner les filles, et Bilal est quasiment quadrilingue – français, néerlandais, anglais, arabe – à 12 ans.

 

Quiconque ne les verrait que quelques minutes serait persuadé d’être face à des enfants turbulents, les « petits sales gosses de la cité ». Et pourtant, on ne pourrait être plus éloigné de l’essence même de ces jeunes. Car une fois apprivoisé par ces derniers, après quelques heures avec eux, on commence à entrevoir les fêlures, les réactions et les paroles typiques des enfants du monde entier, les rêves et idéaux communs à la jeunesse qu’elle soit de Madrid ou de Pékin, de Rabat ou de Bruxelles. Et ces gosses si excités et turbulents, d’un coup, vous lancent un regard mature qui fait voler en éclats le jugement que vous aviez d’eux. Eux qui parlent maladroitement de sexe et de voitures comme les grands, du haut de leurs 15 ans, eux qui étaient si chamailleurs, bagarreurs et dissipés aux premières heures vous surprennent soudainement à tenir des propos sages, à écouter dans un silence respectueux le même Fouad qu’ils ont excédé par leurs comportements tout au long de la journée.

Et même si ce silence, ce calme, n’a duré que dix minutes, la glace est brisée. Vous savez que ces jeunes méritent tout le respect offert et l’attention donnée à tous les autres jeunes, qu’ils soient blancs, musulmans, chrétiens, riches, pauvres.

Dans la soirée, tout le groupe part assister à la présentation d’un clip de rap non loin de la Bourse de Bruxelles. Ils vont pouvoir aller poser des questions à l’artiste pour avoir des conseils sur la production vidéo, car ils ont tous le projet de mettre en image le morceau d’Aziz. Sur le trajet, les rues entre Molenbeek et le centre-ville sentent bon la cuisine du monde et fourmillent de vie dans cette journée de printemps qui se termine. Un sentiment de liberté envahit l’air. Une fois passé le canal, on croise les amis de l’école qui rentrent chez eux, on rit fort, Fouad raconte des blagues pendant que Annas parle de ses amis tombés dans le radicalisme.

« J’étais ami proche avec Soulaymane Abrini, le petit frère de Mohamed Abrini. Il est mort en Syrie abattu par un sniper. C’était un gars discret, adorable. Même nous, ses proches, on n’a rien vu. On a appris qu’il était parti en Syrie seulement quelques jours après son départ. Personne n’en savait rien. Sa radicalisation est tombée comme une surprise pour tout le monde, personne ne s’est rendu compte que lui et les autres tombaient du mauvais côté. C’est incroyable, peut-être, mais c’est la vérité.»

Le groupe s’arrête pour saluer une bande d’amis en voiture, Annas réajuste sa chemise, il est habillé avec classe ce soir, en totale métamorphose de ses habits de travail, bien coiffé. Il pourrait séduire n’importe quelle jeune fille. Arrivé à la Bourse, où l’on voit encore les milliers de fleurs et drapeaux en hommage aux attentats de Bruxelles commis par des jeunes du quartier, Annas poursuit son explication.

« La radicalisation à Molenbeek est source d’un millier de sentiments : on est triste, on est déçu, on est en colère et on est victime d’une sale réputation… Il y a trop de sentiments, mais Molenbeek reste Molenbeek et je ne la quitterai pas à cause de ça. Je suis Belge, je suis né en Belgique, j’ai grandi dans ces rues mais au final je suis déçu de voir qu’on nous juge là-dessus. La différence de culture, elle est évidente et je crois même que c’est un plus pour tout le monde mais la différenciation des jeunes, c’est triste. On est tous des humains, avec deux mains, deux pieds et un cœur. »

En passant à côté d’un bar, Annas montre du doigt la vitrine et derrière, les Bingos. « Salah Abdeslam était encore là, deux semaines avant Paris ». Il poursuit d’un ton enjoué en parlant de son rôle à Avicenne ; depuis un an, il s’occupe des ateliers rap et écriture. Il aide, il donne un coup de main pour le festival organisé par le centre et surtout, il parle aux jeunes afin de leur éviter son parcours et ses galères.

« C’est comme mes frères, on cherche à leur éviter de tomber dans les mêmes pièges que nous, évidemment que c’est un moyen de les sortir d’un environnement qui pourrait les radicaliser ». Il termine avec un sourire : « Pour moi, la maison de quartier, c’est partager le plaisir des jeunes mais surtout l’éducation. Sans ça, on ne sert à rien. D’une manière ou d’une autre, les jeunes découvriront ce qu’ils aiment au sein de la maison de jeunes, mais il faut qu’ils aient la chance de rencontrer les interlocuteurs et les activités qui les mèneront à cela. Ces jeunes sont des gens biens, on se doit de leur donner leur chance. »

La soirée se termine, les jeunes doivent rentrer, Fouad les salue comme seul un ami, un frère, peut le faire. Aziz, Reda, Bilal et Sammy repartent chez eux, accompagnés d’Annas. En les regardant s’éloigner vers « Molem’ », on peut lire dans les yeux de Fouad toute l’affection qu’il a pour ces gosses.

Le rôle de Fouad, l’espoir d’un éducateur

« Il faut qu’on s’intéresse plus à ces jeunes, ils le méritent ! Il faut qu’on les aide à s’en sortir. La question n’est d’ailleurs plus molenbeekoise ou belge, elle est européenne. Il suffit de voir les jeunesses en Europe, les « Nuits debout », les Indignés et autres. Il y a un malaise général de la jeunesse. Elle ne croit plus aux idéaux ratés de ses parents, elle ne croit plus aux mensonges politiques. Elle est radicale. Il n’y a plus de juste milieu pour les jeunes. On a trop promis à leurs frères, à leurs parents, à leurs grands-parents, eux n’y croient plus… À partir de cela, on peut comprendre pourquoi certains d’entre eux qui n’ont plus de vision de l’avenir, qui sont désillusionnés de la société, finissent par être attirés par les rabatteurs islamistes. Car ces derniers leur donnent de l’espoir, un sens à leur vie. Ces gens manipulateurs ont compris le manque de la jeunesse et ils le comblent en vendant du rêve d’aventures, le rêve d’enfin avoir cet avenir qui, ici, est complètement bouché et surtout la reconnaissance de sa personne. Là-bas, ils sont reconnus. Là-bas, ils sont des gens. Là-bas, ils trouvent ou pensent trouver un respect qu’ils n’ont pas ici. »

Fouad raconte alors que c’est peut-être aussi une caractéristique culturelle ou confessionnelle qui joue dans le radicalisme. En Europe, chez les jeunes plutôt athées ou chrétiens moins pratiquants, un manque d’avenir ou de confiance peut se traduire par le suicide, la dépression, alors que c’est illicite dans l’islam. Tous ces jeunes qui ne se sont pas « réalisés » à 30 ans sont en dehors de leurs codes culturels. Ils n’ont pas de famille à eux, pas de travail, et voient que la vie passe et qu’ils ne sont nulle part. Alors, vient un moment où la réalisation de soi à travers la mort en martyr, le combat, le djihad, apparaît. Pour certains, c’est comme une solution à cette absence d’horizon.

« À Avicenne, on est là pour empêcher que ces jeunes tombent dans cette désillusion ou remplacent leurs rêves par cette illusion radicale. Moi j’ai vécu comme eux. Les mêmes galères. Je suis proche d’eux ; je sais ce qu’ils vivent. Mais j’ai eu la chance d’être éduqué, d’avoir des opportunités. Le gros souci, c’est qu’aujourd’hui, dans nos quartiers, l’enseignement et l’éducation à l’école c’est zéro tant on a descendu le niveau général. On aurait dû l’élever, challenger ces enfants, faire l’inverse de ce qui a été fait depuis toujours. Évidemment qu’internet les éduque mieux et est plus passionnant quand tu vois le niveau de l’école à Molenbeek. On n’a pas donné à ces jeunes les chances de voir le monde, de réussir correctement. Ajoute à cela la discrimination, le regard de la société, tu obtiens des soucis, c’est évident. »

La voix des jeunes, la relève de Molenbeek

La nuit est tombée à « Molem’ ». Pourtant la vie est encore bien présente dans les rues. Une « Big Apple » aux senteurs du Maghreb et de Belgique qui ne dort jamais, au nord de Bruxelles.

« Molenbeek est une commune qui a réussi, avec toutes ses difficultés, à vivre en communautés, à faire le fameux « vivre ensemble » sans que personne ne nous explique rien. Ce dont je suis sûr, c’est que Molenbeek se relèvera. Elle se reconstruira par ses jeunes et brillera par eux. Il faut aller vers ces jeunes. Tout ce qu’ils veulent c’est être écoutés, avoir le respect de l’autre et son attention. Il faut qu’on leur donne la sincérité et l’honnêteté d’avoir ce que la démocratie définit, ce que les droits de l’Homme définissent. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est tout en même temps. »

« La jeunesse molenbeekoise, elle est molenbeekoise, elle est bruxelloise, elle est européenne, elle est belge et plus. Elle vous étonnera, vous verrez… »

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