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Nuit Debout fait ses premiers pas à Bruxelles

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Nuit Debout fait ses premiers pas à Bruxelles

Nuit Debout fait ses premiers pas à Bruxelles

Publié le 14-04-2016 par
La parole jusqu'au bout de la nuit
Pendant les assemblées de Nuit Debout, chacun peut s'exprimer librement © Robin Poncelet

Mardi 12 avril ou 43 mars, selon le calendrier de Nuit Debout, le jour tombe sur Bruxelles. Au Mont des Arts, près du centre ville, la nuit se lève. Le mouvement, initié le 6 avril dernier dans la capitale, réitère ce soir encore son action.

 

Il est 21 heures et une petite centaine de personnes est rassemblée en ce lieu quelque peu idyllique. Ils sont, pour la plupart, assis dans les escaliers surplombant le jardin. D’autres se sont mis en retrait . Au pied des marches, une enceinte est installée et le micro passe de main en main, les prises de parole se succèdent. « Si on va mal, c’est qu’il y a beaucoup de gens qui n’ont qu’une envie, c’est de se faire du pognon : les grandes multinationales, etc. », lance un participant. Dans l’assemblée en face de lui, les mains s’agitent en l’air, les citoyens marquent leur approbation. Jusqu’aux environs de minuit, plusieurs thèmes vont être abordés par toutes les personnes désirant s’exprimer.

 

Les sujets s’enchaînent, on parle d’argent, de capitalisme et de dette. Un jeune homme arrive au micro : « Je participe à Nuit Debout à Paris et je suis venu pour vous apporter mon soutien. En France le mouvement est parti de la contestation contre la loi travail. Je ne sais pas si vous avez la même chose ici, en Belgique ». Une jeune femme s’exclame : « Oui ! On a aussi la même chose ! ». Elle fait référence à la réforme du travail engagée par le ministre fédéral de l’Emploi, Kris Peeters. Une dizaine de propositions ont été faites pour modifier les conditions de travail et le projet fait déjà naître des polémiques. « Au début, quand on a fait les rassemblements, on n’était pas au courant de la loi El Khomri belge, on s’est dit que c’était un truc qui pourrait déclencher la poudre. », explique Eve, membre de la cellule Communication de Nuit Debout.

 

« Réfléchir, c’est commencer à désobéir »

Le mouvement Nuit Debout a pris racine en France le 31 mars 2016, après la manifestation contre la loi travail de la ministre Myriam El Khomri. Néanmoins, l’initiative avait déjà été lancée sur le papier par François Ruffin, rédacteur en chef de la revue Fakir en février 2016. En France, avant d’être un mouvement d’occupation citoyen, Nuit Debout était un comité d’organisation regroupant une petite quinzaine de personnes venant du monde politique, syndical, ou même intellectuel. Ce comité se réclame d’un projet visant à réinventer une politique plus progressiste et ouverte, à lutter contre une certaine oligarchie qui réduit le potentiel d’action concrète des citoyens. Le mouvement est devenu efficient quand la population a investi la Place de la République à Paris le 31 mars. Un mouvement appuyé par des personnalités du monde académique français, comme l’économiste Frédéric Lordon qui a pris la parole à l’ouverture de la première Nuit Debout.

“On a décidé que c’est le peuple qui prenait le pouvoir »

Au début du mois d’avril, le mouvement s’étend à la Belgique, dans les villes de Bruxelles, Liège, Namur et Charleroi. On peut alors s’interroger sur la légitimité que peut avoir Nuit Debout au sein du pays. On l’a vu, l’action citoyenne qui s’est déroulée en France le 31 mars a été précédée d’une solide organisation. Une cagnotte a même été créée sur internet afin de récolter des fonds pour pérenniser le mouvement. Pour le moment, à Bruxelles, le mouvement n’a pas vraiment reçu de soutien de la part d’intellectuels ou d’hommes politiques. « Nous, c’est beaucoup plus spontané qu’à Paris. La politique, on ne veut pas en entendre parler. On ne veut pas manifester contre quelque chose. On a décidé que c’était le peuple qui prenait le pouvoir. Si ce mouvement grandit, quelque chose sera peut-être possible », raconte Eve. La césure est clairement énoncée : Nuit Debout à Bruxelles ne veut se revendiquer d’aucune bannière politique. Néanmoins, il semble impératif pour certains membres d’avoir un appui du monde académique afin de crédibiliser le rassemblement. Michel Collon, un journaliste d’investigation controversé, a failli être invité à participer, mais cela n’a pas été accepté par l’assemblée. Á Bruxelles, Nuit Debout s’est inspiré des rassemblements à Paris mais ne fonctionne pas encore avec la même autonomie et doit engager une méta-réflexion sur ses fondements.

 

Un mouvement en quête de sens

« Nous devons pouvoir nous exprimer de manière non violente, car nous sommes dans une société ou il y a beaucoup de violence », lance une citoyenne. Cette question de la violence semble provoquer un certain émoi. Après elle, un jeune homme souhaite réagir et déclame : « Je pense que c’est bien de se rappeler d’où vient cette violence. La violence ne vient pas des gens qui résistent ». C’est la vision que semble partager la majorité de l’assemblée : quelle que soit l’action de Nuit Debout, il faut empêcher toute violence. Victor Hugo est sollicité pour justifier cette position. Si l’écrivain des Misérables soutenait parfois une certaine violence dans l’insurrection, il exprime dans son célèbre discours de défense du suffrage universel la réflexion suivante : « l’infortuné, dans les extrémités de sa détresse, n’avait d’autre arme, d’autre défense, d’autre ressource que la violence, et de lui retirer la violence, et de lui mettre dans les mains, à la place de la violence, le droit ! ».

Il faut noter une certaine difficulté qu’a Nuit Debout à Bruxelles à se définir. Si le rassemblement et la prise de parole spontanée peuvent permettre d’ouvrir des débats et de faire circuler des idées, le mouvement peine encore à trouver son sens propre, sa réflexion interne. Quand on écoute les différentes personnes s’exprimant devant l’assemblée, on sent que les points de vue divergent. Certains parlent de « révolution » alors que d’autres sont plus réservés. Quel vocabulaire, quel concept pourrait traduire la verve et le jaillissement de Nuit Debout ? Albert Camus, écrivain Français du XXème siècle, peut apporter un éclairage. Dans L’Homme révolté, il propose une tentative de définition de ce qu’est la révolte. Partant du principe que la condition mortelle de l’Homme est absurde, il décide d’y opposer la révolte. Cette révolte au sens camusien du terme n’est pas politique, et c’est peut-être là que réside la ressemblance la plus frappante avec Nuit Debout. L’Homme se révolte parce que c’est son humanité en tant que telle qui est attaquée. Le révolté veut donner un sens moral au monde, lui créer une valeur, et faire advenir une liberté réelle. Sans cette liberté actualisée par la révolte, aucun monde commun n’est possible, selon Camus. C’est la grande différence avec la définition qu’il donne de la révolution qui est, pour lui, un projet politiquement planifié pour renverser le monde et en inventer un nouveau. Révolution ? Révolte ? Nuit Debout est un mouvement encore jeune. C’est une autre façon de penser le monde et de l’organiser. Si la forme est bien présente, le fond, lui, doit encore être pensé.

 

Après la nuit, les aurores

Nuit Debout est l’opportunité de mener une véritable action citoyenne. Plus qu’une simple émanation de contestation, le mouvement peut devenir un projet concret et inédit pour repenser la société telle qu’elle est aujourd’hui. Mais avant cela, il doit encore trouver son sens profond et réussir à dépasser certaines faiblesses. Mercredi, en fin de soirée, un sans-abri décide de venir prendre la parole pour raconter son expérience quand soudain, dans l’assemblée, une voix s’élève : « Clochard !», entend-on. La tension commence alors à monter entre des sans-abris et des personnes de l’assemblée générale. « On n’est pas des clochards, on est comme vous. », lâche l’un d’eux. Pour ce soir, l’expérience de Nuit Debout touche à sa fin. L’anecdote pointe une des limites du mouvement qui se revendique comme une « convergence des luttes ». Comment parvenir à faire converger des aspirations et des combats si divers ? Du point de vue d’Émilie Van Haute, chargée de cours de Sciences Politiques à l’Université Libre de Bruxelles, « Pour que le mouvement dure, il faut qu’il se définisse et revoit son fond. Il est indispensable qu’il ait des revendications propres, et qu’il fasse des propositions concrètes », précise-t-elle. Si Nuit Debout se veut fédérateur de tous les groupes sociaux, ces groupes y voient-ils forcément le même appel ? Il est crucial de réfléchir à ces questions si le mouvement ne veut pas tomber dans un « entre-soi », terme utilisé par François Ruffin après les premiers rassemblements à Paris.

 

Néanmoins, malgré les difficultés, il faut pouvoir accorder une certaine confiance à ces hommes et ces femmes qui veulent profondément faire changer les choses. Le 1er mai prochain, le gouvernement a décidé d’interdire le traditionnel rassemblement d’associations sur la Place Rouppe à Bruxelles, à cause du niveau de la menace terroriste toujours trop élevé. Nuit Debout a décidé de lancer un appel pour réunir ces associations malgré l’interdiction. Le symbole est trop fort. C’est par ce genre d’actions que Nuit Debout pourra s’affirmer et se crédibiliser. Comme l’a écrit Hannah Arendt dans son ouvrage Condition de l’Homme moderne, « L’action, avec toutes ses incertitudes, est un rappel permanent que les Hommes ne sont pas nés afin de mourir, mais afin de commencer quelque chose de neuf ». Il est temps de penser et d’agir pour que la nuit puisse enfin avoir confiance en elle.

Le B.A.BA de Nuit Debout
Nuit Debout, en plein préparatifs © Robin Poncelet

Nuit debout, opposé à toute idée de hiérarchie, a tout de suite saisi l’importance de se structurer. Afin d’attirer du monde et d’animer les débats, les cellules Communication, Action et Artistique ont été créées. De même, pour que les intervenants puissent aller au bout de leur pensée, le mouvement a adopté une gestuelle, calquée sur le langage des Indignés espagnols.

 

Dans la nuit du 6 au 7 avril 2016, la première assemblée Nuit Debout s’est tenue Place des Barricades à Bruxelles. Depuis, le mouvement a déménagé. « Il fallait choisir un lieu symbolique. Le débat a duré quatre heures pour choisir un nouveau lieu. Il y a eu plusieurs propositions, dont le parc de la Porte de Halle. L’assemblée a finalement choisi le Mont des Arts. », explique Eve, 20 ans, qui participe à Nuit Debout depuis ses débuts. Car dans ce mouvement, chacun a le droit de s’exprimer devant l’assemblée générale. Les décisions sont prises à l’unanimité au cours de débats qui ont lieu tous les jours à partir de 19 heures sur les marches du Mont des Arts. Les participants, fidèles ou non, semblent apprécier la vue plongeante sur les rues pavées du vieux Bruxelles.

 

Le mouvement contestataire veut mettre en exergue une horizontalité dans les différents rapports sociaux pour s’opposer à la hiérarchie verticale traditionnelle de la société capitaliste libérale. En clair, le mouvement met tous les citoyens au même niveau et refuse tout rapport de domination entre eux. Ici, pas de leader, pas de chef de file : Nuit Debout ne peut s’identifier que par les citoyens qui le composent. On met en œuvre une démocratie directe et participative. Si un citoyen veut s’exprimer, il doit inscrire son nom sur une liste gérée par un modérateur volontaire, sur un simple petit carnet. La modération est généralement assurée par quatre ou cinq personnes de la cellule Communication qui alternent chaque jour, mais n’importe quelle personne de l’assemblée peut prendre la main. Le « modo » invite les participants, un a un, à venir se saisir du micro pour s’exprimer face à la foule.

 

Respect et écoute, valeurs cardinales

Si la prise de parole est libre, un sujet de débat est parfois précisé. « Á la base, il n’y avait pas de thématique pendant les assemblées, mais on essaye de structurer. Par exemple, le thème d’hier était sur les réfugiés, mais on veut quand même que ça reste un groupe de parole libre. », explique Eve. Pour elle, le défi principal des prochains jours sera d’impliquer des nouvelles personnes dans le mouvement et de fédérer au maximum pour éviter le dépérissement de l’initiative. « Souvent, à 1h du matin, le mouvement s’éteint. Au niveau de la fréquentation, le premier soir il y avait beaucoup de monde, environ 500 personnes. Depuis, il y a un événement qui rassemble entre 150 et 200 personnes chaque soir. On stagne. », poursuit la jeune femme.

 

Le respect mutuel et l’écoute sont des valeurs primordiales au sein du mouvement. Chaque personne qui s’exprime au micro peut développer le sujet de son choix – violences faites aux femmes, vandalisme, pollution, circulation routière… L’assemblée générale a la possibilité de signifier son approbation ou, au contraire, son désaccord face aux propos tenus par l’orateur. Il existe en fait tout un vocabulaire, une gestuelle propre à Nuit Debout.

 

 

Un projet en cours de structuration

Pour donner un cadre au projet et dynamiser le mouvement, plusieurs participants de la première heure ont créé une cellule Action. Lors des « bouffées d’oxygène », des artistes proposent des performances musicales ou théâtrales. Mardi 12 avril par exemple, le débat a été interrompu pour laisser un jeune rappeur improviser un texte – une sorte d’interlude musicale. « On essaye d’apporter une bouffée d’air frais entre les débats pour éviter une lassitude, pour varier », précise Corentin, de la cellule Action.

 

 

« Nous avons, au sein de la cellule Action, trois idées principales : faire venir les gens jusqu’à nous, nous réapproprier l’espace public en renforçant le tissu social et respecter la dignité humaine », annonce Corentin. De nombreux évènements, comme des workshops ou des spectacles, seront prochainement mis en place en dehors des soirées Nuit Debout. Il est par exemple prévu d’organiser un atelier pour les plus timides, afin de faciliter la prise de parole en public.

 

Par ailleurs, la cellule Communication gère non seulement la visibilité du mouvement sur les réseaux sociaux, mais aussi les interventions de Nuit Debout dans les médias. Enfin, une cellule Artistique, qui vient tout juste d’être créée, accueille en son sein un pôle Arts Plastiques et un pôle Arts Vivants. Un appel a été lancé sur Facebook pour que les artistes qui le souhaitent proposent leurs affiches. Les heureux élus verront leur art placardé dans toute la ville par les membres Nuit Debout, à leurs frais. Une brigade de clown sera bientôt déployée dans les rues de Bruxelles. D’autres cellules sont également en voie de création sur d’autres thématiques – l’environnement, les transports ou la documentation – dans un souci toujours marqué de convergence des savoirs et des talents. Une cellule Nature est à l’étude, afin d’instaurer le principe d’autogestion au sein du mouvement.

 

Nuit Debout Bruxelles n’en est qu’à ses débuts, et les actions concrètes sont peu nombreuses. Un soir, une participante a proposé d’écrire « Nuit Debout » sur les billets de banque afin de faire connaître le mouvement une fois les billets remis en circulation. La proposition n’a cependant pas été acceptée. Le lendemain, des membres de la cellule Action ont distribué une boîte de craies aux personnes présentes. L’idée était de marquer le sol, dans toute la ville, pour flécher le chemin jusqu’au Mont des Arts et, ainsi, inviter tous les Bruxellois aux Nuits Debout. Mais le lendemain matin, la pluie avait effacé toutes les inscriptions.

Nuit Debout, le mouvement aux cent visages
A 19 heures, les Bruxellois investissent les marches du Mont des Arts © Robin Poncelet

Nuit Debout n’a pas de leader – le concept est clair. Pourtant, ce sont bien des hommes et des femmes qui incarnent le mouvement.

 

Il est 22h. C’est le temps fort de Nuit Debout. Pas loin de 200 personnes sont présentes sur les marches du Mont des Arts. Après un quart d’heure musical, l’agora retrouve sa raison d’être. Les intervenants s’enchaînent, les visages défilent. Si Nuit Debout refuse catégoriquement de mettre une personne sous le feu des projecteurs, tout le monde est invité à participer aux assemblées en plein air, et des personnes venant de tous les horizons se joignent volontiers à la masse. Nuit Debout n’a pas de visage unique, ses visages sont multiples.

 

Paula, 23 ans. D’origine madrilène, elle étudie aujourd’hui à La Haye. En Espagne, elle a suivi le mouvement des Indignés.

© Robin Poncelet

« C’est la première fois que je viens à Nuit Debout, je suis avec deux amis, un Français et un Allemand. A Madrid, j’ai participé au mouvement des Indignés. C’est très différent, les dimensions ne sont pas les mêmes. Ici, on ne parle pas du gouvernement, alors qu’en Espagne, le thème de la crise était très présent. L’ancrage était plus politique, on voulait repenser complètement la politique. Les signes utilisés pendant les assemblées sont les mêmes par contre, et l’organisation est totalement horizontale comme chez nous. En fait, Nuit Debout me fait penser à Juventud Sin Futuro (Jeunesse Sans Avenir), le mouvement qui a donné naissance aux Indignés. Je pars demain à Paris, je pense que je vais aller faire un petit tour Place de la République ! »

 

 

 

Renaud, 45 ans. Père de quatre enfants, il a rejoint Nuit Debout dès le premier soir, le 6 avril dernier. Ancien journaliste, il est même venu un soir avec ses deux filles de huit et onze ans, sur leur demande. Orateur hors pair, il prend régulièrement la parole sur des thèmes qui le touchent. Car Renaud parle avant tout avec le cœur.

© Robin Poncelet

« Unicité et unité. C’est les deux mots que je voulais mettre en valeur aujourd’hui. Notre unicité car on est tous différents. Notre unité car on est réunis pour une même chose. Combattons notre égo, individuellement, chaque jour, et réunissons nous. Ca va être long. Ce n’est pas un effet de mode. Ca va durer, à mon avis, quelques années j’espère. Inch’Allah. Mais soyons sereins. Soyons fermes. Soyons unis et soyons justes. Parce que ce combat, c’est ce que je sens dans mon cœur, il est juste. Il est légitime. Il est sincère. J’encourage tout le monde à continuer ce combat là. J’encourage les gens qui ne sont pas comme nous assis sur les marches, à venir. La première solidarité elle est entre nous. C’est la base, la fondation. »

 

 

 

Shäntala, 26 ans. Tatoueuse, la jeune femme suit le mouvement depuis son lancement. Elle fait désormais partie de la cellule Action.

© Robin Poncelet

« Le ras-le-bol général et l’état militaire qui s’est mis en place dernièrement m’ont motivé à venir. L’idée de se réapproprier la rue et de donner la voix au peuple me plaisent beaucoup. Ici, j’ai rencontré plein de gens cool. On peut discuter avec tout le monde, il y a une énergie incroyable qui se dégage de l’assemblée générale. J’ai l’impression que ce mouvement peut apporter quelque chose. Je suis déjà contente que ça existe. Je viens toutes les nuits depuis le début avec ma meilleure pote. Je ne me suis pas encore exprimée mais ça va venir. J’aimerais faire une petite lecture, un poème, je ne sais pas trop encore. J’ai envie qu’on puisse discuter tous ensemble, qu’on trouve des consensus. »

 

Nuit Debout n’est donc pas un mouvement sans visage, mais bien un mouvement aux cent visages. Nuit Debout n’est pas non plus un mouvement jeune. Pourtant, la majorité des participants, curieux d’un soir ou fidèles orateurs, sont des jeunes. « Si c’est un mouvement jeune, pour moi c’est voué à l’échec », regrette un intervenant, un keffieh enroulé autour du cou. « Je ne suis pas du genre à m’engager, mais je suis là parce que Nuit Debout est indéfini dans le temps. Soit le feu de paille meurt, soit un mouvement nait », poursuit-il. Le besoin de fédérer toutes les générations autour d’une action commune sera déterminant pour l’avenir de Nuit Debout. Pour que l’élan ne s’essouffle pas. Pour rester debout.

Nuit Debout tisse sa toile sur les réseaux sociaux
Debout ou assis, tout le monde peut prendre le micro © Eugénie Herbreteau

A Bruxelles, Nuit Debout se met en marche. Pour faire connaître le mouvement, une cellule Communication a rapidement été mise en place.

 

 

Pour rassembler le plus de monde possible, il faut faire connaître le mouvement. Les réseaux sociaux constituent une aide précieuse : Facebook, Twitter, Snapshat… Nuit Debout multiplie les efforts pour faire grossir ses rangs. La page Facebook dédiée à l’initiative bruxelloise compte plus de 3000 likes. Sur Twitter, le profil NuitDeboutBXL est suivi par quelques 800 membres, et le hashtag #NuitDeboutBXL a déjà été repris plus de 1500 fois. La transmission en live est un point fort du mouvement. Grâce à l’application Périscope, les participants filment les débats qui sont retransmis en direct sur Twitter.

Capture écran – Twitter

Pour faire bouger les choses et donner de l’ampleur au mouvement, une dizaine de jeunes ont créé, dès le premier sitting, une cellule Communication. Depuis, ils se réunissent presque tous les soirs pour faire le point. A l’écart des marches où ont lieu les prises de parole, ils se rassemblent en cercle, assis en tailleur à même le sol. Chacun son tour, ils émettent critiques et suggestions sur les stratégies de communication adoptées par Nuit Debout.

 

L’union fait la force

Un forum de discussion accessible à tous a été ouvert sur le site forumactif.be. Cette initiative permet de regrouper toutes les idées lancées pendant la soirée. « Je vais essayer de prendre des notes sur un pad, afin que ceux qui ne peuvent pas venir sur place ni suivre les débats sur Périspcope aient quand même une idée de ce qui se passe ici. », suggère Alexis sur le forum. Les membres de la cellule Communication utilisent le logiciel Framapad, un outil d’écriture collaborative, grâce auquel ils alimentent le site en continu. Chacun peut modifier les posts pour y amener son grain de sel. « Les notes sont prises au vol pendant les débats, tout le monde peut venir modifier le contenu », explique Eve, 20 ans, étudiante en cinéma. Cet espace de parole est aussi l’occasion de recruter des personnes talentueuses à l’aise avec les outils communicationnels et susceptibles de mettre leur savoir-faire au service de la bonne cause. Au lendemain de la première Nuit Debout, Daniel lance un message sur le forum afin de trouver « de bonnes âmes pour faire et refaire les bannières web » .

Les membres de la cellule Communication se relaient également pour fournir la page Facebook de Nuit Debout. Ils répondent aux questions des internautes en signant leurs messages, car même si le mouvement n’a pas de chef de file, il est important que les personnes sachent qui est derrière l’écran. Sur Twitter également, des photos et vidéos sont postées chaque jour.

 

Invités surprise

Depuis peu, l’idée de mettre en place un système d’invités qui viendraient parler de sujets divers et variés, toujours axés sur des thèmes sociétaux, a fait son chemin. Pour respecter l’esprit Nuit Debout, le choix des intervenants sera voté par l’assemblée. Plusieurs voix ont proposé d’inviter associations et syndicats à participer au débat, afin de faire converger les luttes. Pour Émilie Van Haute, chargée de cours de Sciences Politiques à l’ULB, c’est là-dessus que Nuit Debout doit insister : « En Belgique, les syndicats ont encore un poids très important. Et les Indignés belges préfèrent manifester de manière organisée, encadrée. Se lier aux syndicats, trouver des points de convergence, permettrait à ce mouvement de se pérenniser », nous explique-t-elle. Si les participants semblent apprécier l’idée de faire appel à des intervenants, la venue de syndicats n’emballe, elle, pas grand monde.

“Les Indignés belges préfèrent manifester de manière organisée, encadrée »

Le rapport aux médias est un sujet qui revient souvent lors des réunions de la cellule Communication. « On ne veut pas que ce soit tout le temps les mêmes personnes qui soient interviewées pour éviter l’effet porte parole. On veut rester dans la masse. », confie Eve. Plusieurs médias ont manifesté leur intérêt à venir réaliser des reportages. D’ailleurs, la DH et Bx1 se sont déjà présentés. Eve précise également avoir été contactée par l’émission Questions à la Une de la RTBF, pour un tournage futur.

 

« On n’est personne »

Lors d’une assemblée générale, l’idée de choisir un nom unique pour désigner tous les membres Nuits Debout a été votée. « On s’appelle tous Camille. Comme ça si les flics débarquent, ils ne savent pas qui on est. », s’enthousiasme Chantale, sur un ton quelque peu anarchique. L’uniformisation de la communication semble être une vertu cardinale pour Nuit Debout.

 

Malgré tous les efforts déployés, force est de constater que le manque de cohésion pourrait, à terme, faire piétiner le mouvement Nuit Debout. Il est important d’« exciter la curiosité du plus grand nombre », précise Sylvain sur le forum. Néanmoins, pour que Nuit Debout dépasse le stade embryonnaire et se pérennise, il faut non seulement que les curieux viennent aux assemblées, mais il faut aussi qu’ils reviennent.

#journalisme #Nuit Debout #ULB

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