S’il a le mérite d’exister, le registre de transparence ne permet pas d’éclaircir totalement le paysage du lobbying. « Les données sont très éprouvantes, elles ne sont pas claires », s’exaspère Vicky Cann, chercheuse au sein de Corporate EU Observatory. En cause : un registre non contraignant juridiquement (legally binding), malgré l’accord interinstitutionnel de 2021 qui promet un registre obligatoire. « Les institutions utilisent une stratégie de ‘carotte et de bâton’ pour encourager les lobbies à s’enregistrer, mais vous pouvez toujours faire du lobbying sans l’être. Or, puisqu’il n’est pas contraignant, les sanctions liées à des données fausses ou incomplètes sont faibles. » En conséquence, les données reflètent peu ou mal la réalité.
Toutes les rencontres ne se valent pas…
Premier écueil : toutes les rencontres ne doivent pas figurer dans le registre de transparence. « Si vous voulez rencontrer un Commissaire, un membre de son cabinet ou un directeur général, vous devez être enregistré. Mais il y a d’autres fonctionnaires qui travaillent à la Commission et vous n’avez pas besoin d’être enregistré pour faire du lobbying auprès d’eux », explique Vicky Cann.
Même son de cloche du côté du Parlement et du Conseil européen. « Les rapporteurs, shadow rapporteurs (rapporteurs fictifs, qui représente le point de vue de son groupe politique sur un sujet, ndlr.) et les présidents de comités ont l’obligation de déclarer leurs rencontres, mais seulement dans le cadre des dossiers dans lesquels ils ont ce rôle particulier. Les autres députés peuvent déclarer volontairement, mais aucun système n’existe pour les assistants parlementaires ou les conseillers en politique, alors que personnellement, en tant que lobbyiste de la transparence, c’est avec eux que j’ai le plus de contacts », raconte Vitor Teixeira, Senior Policy Officer chez Transparency International. Du côté du Conseil, cette obligation ne concerne que les membres du Secrétariat, qui ont peu d’influence sur le processus législatif, ainsi que la représentation permanente de l’État en fonction à la présidence tournante. Les autres États membres ne sont pas concernés.
… ni tous les budgets
Avec le nouvel accord, les règles d’encodage des dépenses varient en fonction du type de structure. En effet, la version mise à jour des consignes d’encodage propose trois manières de déterminer son budget en fonction que l’on soit des lobbyistes « in-house », des groupes de consultants ou des ONGs. « Les deux premières ne doivent indiquer que leurs coûts de lobbying estimés, mais pour les ONG on demande le budget total », s’indigne Vitor Teixeira. Par exemple, dans les coûts estimés, les deux premières catégories doivent indiquer les coûts liés à leurs locaux au prorata de ce qu’ils utilisent pour les activités de lobbying. Les ONGs en revanche, doivent indiquer la totalité de leur budget, gonflant artificiellement leurs dépenses. « C’est problématique parce qu’en tant qu’ONG, on ne fait pas que du lobbyisme, on travaille aussi au niveau local ».
Une mesure qu’il juge également trompeuse : un chercheur ou un journaliste, de premier abord, aura l’impression que les montants sont comparables, alors qu’ils sont calculés différemment. « Personnellement, je trouve ça discriminatoire, tu demandes à différents acteurs des exigences différentes pour être dans le même registre. »
Liaisons dangereuses, ou du moins occultes
Corporate EU dénonce également l’absence de clarté au niveau des liens que des intérêts privés entretiennent avec des groupes d’étude. Ainsi en septembre 2020, et dans le cadre d’une étude plus large concernant les pratiques d’influence de la Big Tech, elle accusait les GAFAM de ne pas déclarer leurs liens financiers avec les think tanks. Non seulement le périmètre d’influence des géants de la tech en devient moins transparent, ils créent également l’illusion que leurs intérêts sont soutenus par des organisations indépendantes.
L’opacité touche aussi les domaines de travail des lobbies. « Différentes entreprises, lorsque vous leur demandez sur quoi elles travaillent diront qu’elles s’intéressent aux politiques climatiques ou énergétiques, ce qui manque de précision », s’insurge Vicky Cann. « Il y a des contradictions au sein des entrées en elles-mêmes. » Ainsi dans le cadre de leur rapport The lobby network: Big Tech’s web of influence in the EU, publié en septembre 2021, Corporate EU a dû croiser le registre de transparence avec d’autres sources pour aboutir sur une base de données ne contenant que les entreprises dont le core business était bien le digital.