“C’est quand j’ai décidé d’arrêter la pilule que les ennuis ont démarré. Du jour au lendemain, j’ai commencé à perdre mes cheveux. Plus le temps passait, plus j’en perdais, au point d’avoir des trous. Et j’ai commencé à avoir faim, mais vraiment faim. Du coup, je mangeais tout le temps, sans jamais être rassasiée. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait.”
Pour Frédérique, étudiante de 26 ans à l’UCLouvain, le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) s’est invité dans son quotidien de cette façon. Pour d’autres, il a déclenché de l’acné, une pilosité excessive, une prise de poids, mais surtout plus de difficultés dans le processus de grossesse. Maladie hormonale aux multiples facettes, le SOPK touche psychologiquement et physiquement de nombreuses femmes. À ceci, s’ajoute le sentiment de ne pas être considérées, par leur entourage mais également par le corps médical. Pour assurer un meilleur dépistage, mais aussi rassurer les femmes confrontées à ce problème, plusieurs nécessités : informer, témoigner et sensibiliser.
À son retour de vacances, Frédérique prend directement rendez-vous chez le médecin. Elle évoque ses symptômes, et on lui fait passer des tests pour la thyroïde. Ils s’avèrent négatifs. Elle est alors envoyée chez une gynécologue. Une fois là-bas, la spécialiste lui propose de faire une échographie. A l’écran, des petits kystes sur les ovaires de Frédérique apparaissent. Sa gynécologue lui explique simplement qu’elle a “des ovaires un peu fainéants”, et lui conseille d’aller consulter un endocrinologue. S’ensuit une enième prise de rendez-vous, de l’attente et, entre-temps, un volume de cheveux qui ne cesse de diminuer.
Pour Clémence Devenijn, architecte de 27 ans, le parcours est similaire. Angoissée parce qu’elle n’a plus ses règles depuis quelques mois, elle passe par la case généraliste, gynécologue et endocrinologue. Difficile de mettre un mot exact sur son problème, alors on lui prescrit des analyses, une série de prises de sang. On lui annonce juste que pour tomber enceinte, ça risque d’être compliqué.
Anna, étudiante à l’ULB, est elle aussi un peu perdue, quand on lui explique à 19 ans qu’elle “a plein d’ovules, mais qu’on dirait qu’ils ont du mal à mûrir. »
Se renvoyer la balle
Anna, Frédérique et Clémence ont eu beaucoup de mal à comprendre de quoi elles étaient atteintes, et avaient le sentiment que les médecins n’étaient pas plus avancés. Cette difficulté de diagnostic s’explique par la complexité du syndrome, dont les symptômes varient d’une femme à l’autre. Comme l’explique Catherine Houba, gynécologue obstétricienne spécialisée en procréation médicalement assistée et directrice de la clinique de PMA de l’hôpital Erasme à Bruxelles, “les ovaires polykystiques ont une expression tellement différente, qui peut même varier au cours de la vie d’une femme, que ça brouille un peu les pistes.”
Ce n’est pas un diagnostic difficile à faire, mais souvent, c’est un diagnostic dont les médecins ne sont pas sûrs.
Beaucoup de temps peut donc s’écouler entre le début des craintes et la pose du diagnostic. Catherine Houba le déplore. “Ce n’est pas un diagnostic difficile à faire, mais souvent, c’est un diagnostic dont les médecins ne sont pas sûrs. Du coup, ils envoient leurs patientes chez quelqu’un d’autre, et ça donne l’impression qu’on ne sait pas. »
À ces dissonnances médicales, s’ajoute la méconnaissance du grand public concernant ce syndrome. Pour Laura Vialta Fernandez, responsable Belgique de l’association SOPK Europe, celle-ci est notamment dûe au caractère exclusivement féminin du syndrome. “Une femme, si elle a des maux de grossesse, c’est pas grave. Si elle a fait une fausse couche, c’est pas grave. Si elle a mal pendant ses règles, c’est normal. Si c’était une maladie d’homme, ça fait dix ans qu’on aurait trouvé quelque chose. On ne prend pas au sérieux la douleur des femmes. » Les mentalités évoluent, comme on le voit avec la récente mise en lumière de l’endométriose. Mais le SOPK se fait encore discret. Pourtant, il touche tout autant de femmes.
Infographie : Louise Pinchart. Données : Inserm | Organisation mondiale de la Santé
SOP-Quoi ?
Certaines femmes ont le SOPK mais ne développeront jamais de symptômes. Source : Catherine Houba
Le SOPK est souvent décrit sous différents acronymes un peu obscurs : OPK, SMOPK, SOPK… Ovaires PolyKystiques, Syndrome des Ovaires MultiPolyKystiques ou Syndrome des Ovaires PolyKystiques. En réalité, ils renvoient tous à la même notion.
Dans les grandes lignes, ce syndrome est dû à un déséquilibre hormonal au niveau des ovaires et du cerveau. Dans le corps de la femme, il y a beaucoup de follicules, c’est-à-dire des petites structures situées dans les ovaires. Celles-ci sont présentes naturellement dans le corps, mais une trop forte présence de ces follicules peut perturber l’équilibre hormonal de la femme. C’est qui caractérise entre autres les femmes porteuses du SOPK.
Concrètement, qu’est-ce qui se passe dans le corps des concernées?
En quoi est-ce lié à la fertilité? Comme les ovaires ne comprennent pas trop ce qui se passe et produisent beaucoup trop de follicules, cela peut causer des troubles d’ovulation. C’est ce qu’explique Catherine Houba, “Chez des patientes, ça va se présenter par seulement des cycles irréguliers, plutôt tendances longues. Et puis, chez d’autres, par une absence complète d’ovulation.”
Quels sont les facteurs à l’origine du syndrome? Il y a différents facteurs qui font qu’une femme va être touchée par le SOPK. Le syndrome est principalement dû à la génétique, il va être transmis par la maman pendant la grossesse. Entre 60 et 70% des filles dont la mère est atteinte de SOPK développent également des symptômes. L’hérédité est donc un facteur très important du syndrome, mais les analyses génétiques n’ont pas identifié de gènes spécifiques. Il y a aussi le facteur épigénétique, c’est-à-dire un changement de l’activité des gènes, sans modifier l’ADN, contrairement à la génétique. L’environnement peut lui aussi favoriser l’apparition du syndrome, notamment l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Les symptômes apparaissent généralement entre 18 et 39 ans.
« Le SOPK, ça ne s’arrête jamais »
Les cycles irréguliers engendrés par le SOPK constituent la première cause d’infertilité chez les femmes. C’est également le principal symptôme. Le SOPK provoque aussi de l’acné, une forte pilosité (aussi appelé hirsutisme), des pertes de cheveux, du surpoids, de la fatigue chronique, etc. À cela s’ajoute le fait que les personnes atteintes du SOPK sont plus susceptibles de développer d’autres maladies. Elles ont “plus de risques d’avoir un diabète, plus de risques d’avoir du cholestérol, des maladies cardiovasculaires, donc des infarctus, de l’hypertension. En fait, le syndrome des ovaires polykystiques ne s’arrête jamais”, nous éclaire Catherine Houba.
Quand tu as l’impression que tu te transformes en garçon alors que tu te sens fille, ce n’est vraiment pas facile. Moi, je me regardais dans le miroir, et je me dégoûtais.
Infographie : Louise Pinchart. Données : Organisation mondiale de la Santé
Au-delà des symptômes qui peuvent être éprouvants, le SOPK abîme la vision qu’ont les femmes d’elles-mêmes et de leur corps. Elles en viennent parfois à questionner leur féminité, notamment à cause de l’hyperandrogénie dont elles souffrent, et qui se manifeste par une production excessive de testostérone. Cela peut se traduire, entre autres, par de l’hyperpilosité. “Moi, des fois, c’était presque comme un mec. Donc les bikinis c’était vraiment galère. Pour la piscine au lycée je revenais en pleurs. J’avais même des poils entre les seins, sous le nombril et tout. Quand tu as l’impression que tu te transformes en garçon alors que tu te sens fille, ce n’est vraiment pas facile. Je me regardais dans le miroir, et je me dégoûtais”, témoigne Anna, 25 ans, étudiante.
Souvent, ces femmes se retrouvent dans l’incompréhension, même après le premier diagnostic. “C’est une ambiance qui dure sur plusieurs mois, qui fait que je passe mon temps à me poser des questions “, témoigne Clémence Devenijn.
Lorsqu’enfin, elles sont diagnostiquées, c’est souvent un choc. En quelques minutes, on met un mot sur leurs symptômes et on les renvoie chez elles, en attendant qu’elles envisagent une grossesse. À part leur proposer la pilule contraceptive pour réguler les symptômes, peu de solutions sont proposées. Alors, elles se mettent elles-mêmes en quête d’une réponse sur les réseaux sociaux, sur Instagram, ou en écoutant des podcasts.
Le fait d’être diagnostiqué reste quand même un soulagement. « Une fois qu’on met le mot dessus, c’est comme si, quelque part, ta situation était un peu légitimée et qu’en fait, ce n’était pas toi le problème. Il y avait une raison médicale, physiologique derrière ça. Tu te dis, ce n’est pas ma faute en fait », explique Anna. Frédérique, étudiante à l’UCLouvain, a ressenti la même libération, même s’« il n’y a pas de solution ».
Ce qui les inquiète, ce sont ces mots : « infertile », « grossesse compliquée », « PMA » ou procréation médicalement assistée. Ces informations sont souvent les premières données, après le diagnostic initial. C’est ce qui les marque le plus, alors que l’idée d’avoir des enfants ne les avait pas encore effleurées.
C’est dur, parce que j’ai déjà en tête que je suis une mauvaise mère, alors que je ne suis pas encore mère.
Clémence Devenijn a dû effectuer un test de diabète juste après son diagnostic. À l’hôpital, elle s’est retrouvée à côté d’une femme enceinte qui fait son test du diabète de grossesse : « La dame était très gentille et elle n’y peut rien, mais ça m’a ramené au fait qu’on venait de me dire qu’en fait, je pouvais être infertile. »
Anna en a même fait des cauchemars : “Après l’annonce du diagnostic, je faisais des rêves où je faisais des fausses couches, et ça m’arrive encore maintenant. C’est dur, parce que j’ai déjà en tête que je suis une mauvaise mère, alors que je ne suis pas encore mère. »
La responsable de l’association SOPK Belgique, Laura Vialta Fernandez, elle, est devenue maman mais le chemin pour y parvenir n’a pas été simple. “Pour moi ça été très compliqué de tomber enceinte, c’est d’ailleurs comme ça que je me suis rendue compte que j’avais le SOPK. Il a fallu six ans avant que ça fonctionne. C’était super dur. »
Un lâcher-prise difficile
La prise de poids est aussi un symptôme lié au SOPK. Anna surveille son alimentation. Elle s’interdit de nombreux aliments comme les féculents et le gluten.
Pour Clémence Devenijn, mêmes problèmes. Le jour du diagnostic, sa gynécologue lui dit de perdre du poids, “ce qui n’est déjà pas facile à entendre à l’époque parce que ça faisait des années que j’essayais de perdre du poids en ne faisant qu’en prendre plus.” Plus tard, elle est diagnostiquée d’un prédiabète. Pour Clémence, plus aucun sucre n’est toléré, cela implique donc de “ne plus manger de féculents le soir, ne pas en manger trop tout court », confie-t-elle avant de poursuivre : « L’alcool, c’est un seul verre par semaine. J’étais pas une grande buveuse d’alcool, mais quand on est limité à un verre d’alcool, on se rend compte qu’en fait, c’est vraiment pas beaucoup. Tu ne peux pas manger pas de fruits non plus. On est super limitées. »
Pour combler le manque de solutions des médecins, chacune trouve des parades pour contrôler ses symptômes.
En ce qui concerne l’hirsutisme, Anna a opté pour l’épilation laser « qui marche d’ailleurs hyper bien. »Frédérique, elle, va chez l’esthéticienne 2 fois par mois.
Il faut aussi gérer l’absence et le retour des règles. Chaque mois, c’est la surprise. Règles ou pas règles ? SOPK ou grossesse ? Pour ne pas devoir se poser la question, Clémence Devenijn, par exemple, a “un stock de tests de grossesse” chez elle. “Je fais des tests de grossesse au moins tous les mois. »
Enfin, pour empêcher la perte de cheveux, Frédérique asperge régulièrement son crâne de minoxidil. Ce spray est prescrit par son médecin mais n’est pas remboursé par la mutuelle, “ça plus ça, plus ça, ça fait un sacré budget.“ explique-t-elle.
Bien sûr, il faut aussi gérer la santé mentale. Les personnes atteintes du SOPK peuvent plus facilement développer de l’anxiété ou une dépression. Elles sont d’ailleurs huit fois plus susceptibles de commettre un suicide. D’où l’importance d’une prise en charge psychologique.
Sur sa peau, dans sa chambre, aux premiers abords invisibles, les traces du SOPK sont partout chez Anna.
Même si le syndrome est encore incurable à ce jour, de nouveaux espoirs se profilent. Des recherchesont été faites et sont en cours pour trouver une solution contre ce syndrome. Des chercheurs de l’Inserm ont réalisé des tests sur les souris, et sont parvenus à des résultats prometteurs. Ils ont, ainsi, réussi à faire disparaître le syndrome pour les souris porteuses et leur descendance, en leur administrant des traitements épigénétiques. Une avancée qui pourrait permettre de diagnostiquer les petites filles avant la puberté, mais aussi, de trouver un traitement.
Infertilité ne veut pas dire stérilité. Catherine Houba se veut rassurante auprès des femmes qui ont le SOPK. « La bonne nouvelle, c’est que même si on a une période d’anovulation dans un moment de sa vie, souvent quand on est jeune, quand on vieillit, on retrouve des ovulations. Beaucoup de patientes avaient probablement des SOPK anovulantes, puis, à 35 ans, elles retrouvent une ovulation et tombent enceintes. » Les ovaires polykystiques troublent l’ovulation, oui, mais les patientes ont une bonne fertilité lorsqu’elles ovulent.
Certaines femmes sont également asymptomatiques. « On peut avoir les ovaires polykystiques sans le savoir. Et ce n’est pas grave. » S’il n’y a pas de symptômes, nous explique Catherine Houba, le SOPK n’est pas un problème.
Le SOPK est une maladie qui n’est pas reconnue, ni légalement ni socialement. D’ailleurs, 70% des femmes porteuses du syndrome ne seraient pas diagnostiquées. Anna ne se sent pas comprise par son entourage, elle qui doit faire attention à son alimentation et souffre d’une grande fatigue à cause de sa maladie. Quand elle est fatiguée on lui dit “Ah, mais toi, t’es vraiment une mamie, tu dors tout le temps.”
C’est à ce moment-là que le rôle des associations prend toute son importance. Celles-ci sont peu nombreuses, mais existent, comme SOPK Europe, qui tente de sensibiliser à l’échelle européenne sur ce syndrome. Laura Vialta Fernandez, responsable Belgique de l’association SOPK Europe, se veut confiante. “On voit quand même que les jeunes femmes sont mieux informées. C’est à ça que sert aussi l’association, à informer le plus de personnes possibles pour qu’on puisse aller vers les pouvoirs publics et dire : c’est un problème de santé publique.”
Laura voudrait que le SOPK soit reconnu comme une maladie afin que les traitements utilisés pour les différents symptômes soient remboursables. Selon Anna, ce qu’il faut, c’est en parler. “Je pense que ça pourrait aider les filles à se sentir un peu plus à l’aise dans leur corps. Si les gens connaissaient mieux le syndrome, ils nous feraient moins culpabiliser quand on refuse de manger un dessert, ou si on a plus de poils que la moyenne. Au final, on est comme tout le monde, on doit juste faire plus d’efforts que la moyenne pour arriver au même résultat. Ce n’est pas dramatique, mais disons qu’on a un truc en plus, qui nous complique la vie. »