Aujourd’hui, les artistes de rue bénéficient d’une couverture médiatique importante. Le street art a acquis en quelque sorte une légitimité auprès du grand public et du monde culturel.
Le street art est « une pratique urbaine qui consiste à prendre la ville comme medium pour s’exprimer à titre personnel ou faire passer des messages », d’après la définition donnée par Daniel Vander Gucht, sociologue de l’art. Les street artistes ont toujours eu leur propre version et légitimation de cette pratique, ce qui n’a pas toujours été compris pas le grand public.
Comment cette reconnaissance s’est développée alors qu’à ses débuts, le street art était considéré comme dégradant et illégal ? Depuis 2010 environ, l’art urbain n’est plus uniquement associé au caractère illégal qui lui était inné, mais est aussi considéré comme un art et une culture à part entière. Blancbec l’explique par un phénomène de mode. Selon lui, le street art est actuellement considéré comme un art nouveau. Le processus de légitimation a commencé dans les années 2000. Les touristes ont commencé à vouloir découvrir une ville à travers ses rues, et non à travers ses musées. Ils prenaient des photos de leurs promenades et les partageaient sur des forums. Ce type d’art s’est donc vu exposé grâce à un mode de vie propre au 21e siècle. Internet a donc également joué un rôle important dans cette popularisation.
Mais ce n’est pas tout, le street art se retrouve de plus en plus exposé dans des galeries et dans des musées. Force est de constater que ce mouvement artistique peut aussi être considéré comme un objet commercial ; idée pas toujours bien reçue par les artistes de rue. Pour certains, l’art urbain trahit ses fondamentaux et se pervertit en étant exposé ou vendu. Blanbec ne partage pas cette opinion. Selon lui, les artistes de rue sont avant tout des artistes et leur art peut être adapté à tout environnement.
Un art en évolution avec la société
Daniel Vander Gucht, donne deux origines au street art : celle que l’on retrouve dans l’histoire de l’art et celle des années 70 qui puise son origine dans la culture américaine de l’époque. L’histoire de l’art montre que la tradition des fresques et des peintures murales a toujours existé et surtout en Amérique latine. Ce type d’art était fort utilisé à des fins politiques ou même propagandistes. Nous pouvons encore retrouver cette dimension dans certaines œuvres de street artistes. La seconde origine du street art date des années 70 et puise son essence aux Etats-Unis. Le street art était alors une pratique plus spontanée de jeunes issus de centres urbains. Ceux-ci s’emparaient de murs et de bâtiments principalement à l’abandon (friches, etc). « Les jeunes qui réalisaient leurs graffitis ne le faisaient pas forcément pour vandaliser les lieux, comme l’histoire populaire nous laisse le croire. Ils ciblaient principalement les lieux désaffectés », explique Daniel Vander Gucht. Ensuite, cet art s’est répandu jusqu’en Europe grâce à des artistes qui se sont fait connaître à travers les médias ou qui sont passés de l’art de rue aux expositions en galerie. Cet emploi de nouveaux supports a permis de populariser, de donner une image légitime au street art.
Quand cette pratique est arrivée en Europe, elle est venue avec une culture : la musique hip hop, une volonté de prise de risque, une forme de subversion, une tenue, etc. Le spray, apparu dans les années 60, a permis à cet art de se répandre notamment auprès d’une jeunesse qui était anti-système lors des années 70. Cette génération utilisait le street art dans un objectif provocateur. Elle se sentait exclue de la société et voulait se détacher de la norme. Les jeunes se trouvaient d’abord des pseudonymes et un lettrage. Une fois leur identité créée, ils prenaient d’assaut les murs de la ville avec leur bombe aérosol ou leur peinture. Et c’est comme ça que les villes se sont retrouvées envahies par le street art.
Street art, un terme qui ne fait pas l’unanimité
Le terme « street art » n’est pas apprécié dans le milieu malgré son acceptation populaire. Ce terme est plus utilisé dans les cadres médiatique et commercial que par les acteurs de cette culture 2.0. Aucun artiste de rue ne se définit comme « street artiste ». « C’est un mot fourre-tout. Ce terme est apparu lorsque des galeristes se sont mis à acheter des œuvres graffitis », avance Dema. Pour Blancbec, ce terme est dégradant car il regrouperait toute forme d’art réalisée en rue : jongleurs de rue, peintre, etc. « Beaucoup de street artistes portent plusieurs casquettes. Certains font également de la musique par exemple. Est-ce qu’ils sont d’abord musiciens ou d’abord street artistes ? Ça n’a pas de sens… », illustre Blancbec.
Le street art permet également l’utilisation de nombreux outils et techniques. Il regroupe différentes pratiques d’arts urbains : graffitis, calligraffitis, mosaïques, stickers, peintures murales, etc. Ce n’est donc pas un mouvement qui désigne un type d’artistes particulier, une localisation géographique ou encore un medium. « C’est un art hybride », explique Raphaël Cruytn, co-fondateur et directeur artistique du musée MIMA.
Un phénomène artistique ou politique ?
Selon Daniel Vander Gucht, le street art ne comporte pas forcément de message. Mais pour Dema, l’art urbain a toujours un message, dans le sens où le fait même de réaliser un graffiti en rue est une manière de dire « la rue nous appartient».
« S’il n’est pas conscient, il est inconscient »
Certains street artistes ont des messages politiquement engagés et d’autres non, selon ce qu’ils veulent diffuser. « Si le graff ne diffuse aucun message, il ne sert à rien », réplique Dema.
Issu de l’immigration, Dema réalisait dans un premier temps ses œuvres pour revendiquer la place des immigrés dans cette société. Ensuite, il les réalisait pour revendiquer l’égalité et la justice, messages selon lui trop peu entendus. « Il vaut mieux porter ses messages et dire non aux injustices du monde par un canal artistique que par la violence. Je ne réalise pas mes œuvres pour avoir un impact sur la société, mais c’est un besoin personnel », explique-t-il. Aujourd’hui, il donne également des cours de calligraffiti dans une maison de jeunes. Il leur apprend les bases de cet art mélangeant le graffiti et la calligraphie. Pour lui, le street art est un besoin, c’est sa manière de s’exprimer et de transmettre des messages politiques ou philosophiques. Pour Blancbec, l’évolution du street art correspond à l’évolution de l’époque et de la société.