Comprendre ce à quoi le canal fait aujourd’hui face s’avère parfois difficile : on oublie rapidement que de nombreux acteurs politiques, économiques et sociaux gravitent autour de ces quais. Tous ou presque ont leurs propres intérêts : certains convergent tandis que d’autres semblent irréconciliables. Quels sont les desseins politiques pour le canal ? Et quelles sont les craintes face à la gentrification, les rêves en matière d’urbanisme et d’économie ? Pour y voir plus clair, rencontres avec des experts, urbanistes et politiciens. Mais d’abord, un retour en arrière s’impose. Phénomène expliqué par des politiciens, urbanistes et experts en la matière.
Le canal de Bruxelles est aujourd’hui au coeur d’une effervescence immobilière et culturelle. Attirant toujours plus de projets de toutes sortes, c’est à se demander s’il n’a pas été creusé dans la nuit. Pourtant, celui-ci existe depuis presque 500 ans. Inauguré en 1561 sous le règne de Charles Quint, le canal de Willebroek a été conçu pour rejoindre Anvers et la Mer du Nord par le Rupel puis l’Escaut. Cette nouvelle route fluviale, bien plus fiable que la Senne, permet l’implantation de nombreux commerces le long des quais bruxellois.
Le canal de Charleroi est créé en 1832 pour joindre la capitale de la toute jeune Belgique indépendante avec le pays hennuyer : en pleine explosion industrielle, Bruxelles a besoin du charbon produit principalement au sud. Ce nouveau couloir permet le développement de l’imprimerie, de la faïencerie ou, plus important encore, de la carrosserie bruxelloise : l’accès aux matières premières permet l’explosion de la mécanisation de l’industrie, surtout de la métallurgie encore peu présente à Bruxelles. L’activité s’intensifie autour du canal et la ville a plus que jamais besoin d’une main-d’oeuvre que l’on verra s’installer aux alentours des usines.
Transformation au 19ème siècle
L’anatomie de la ville change au fil du 19e siècle. Trois nouveaux bassins sont ouverts et dédiés au transport, le Canal de Charleroi rejoint le Canal de Willebroek au niveau de l’actuel pont Sainctelette, on referme les anciens bassins situés à Sainte-Catherine et pour des raisons sanitaires on choisit d’enfouir la Senne.
Parallèlement, le roi Léopold I entreprend de construire un vaste réseau ferroviaire pour soutenir l’économie de la ville. Malgré les 3000 kilomètres de rails établis à la fin du 19e siècle, le réseau belge est déjà saturé. Il est alors nécessaire de revenir à ce qui a fait la fortune de la ville : son réseau fluvial, que l’on souhaite ouvrir aux bateaux de mer. Mais l’ambition nécessite des moyens : un tonnage plus gros, les embarcations ont besoin de plus de place pour transiter dans la capitale. Il faut approfondir et moderniser le canal. Les travaux s’achèvent en 1922, après de nombreuses années d’études techniques et de débats sur un chantier vu comme brouillon et coûteux. Pour un temps – avant la popularisation du transport par camions – le canal, épaulé par le réseau ferroviaire, représente la colonne vertébrale économique de Bruxelles. La prospérité économique et les travaux hydrauliques favorisent l’urbanisation des quartiers environnants le canal : partout, logements, commerces et équipements publics fleurissent. Les travaux de perfectionnement du canal ne s’arrêtent pas pour autant et plusieurs quais, ponts et écluses sont construits – ou rénovés – pour permettre à l’industrie bruxelloise de tourner encore et toujours.
Déplacement des populations
À partir de la fin des années 70, Bruxelles est victime d’un phénomène de périurbanisation : les classes moyennes et les plus aisées quittent le centre de la capitale pour aller s’installer dans la périphérie. Les logements laissés sont récupérés par ceux qui trouvent encore de l’emploi dans les industries locales. Plus souvent, ils sont occupés par les malchanceux qui, comme beaucoup d’autres, ont perdu leur poste suite à la désindustrialisation de la ville. Au cours des années, Bruxelles va en effet passer de 160 000 ouvriers à moins de 30 000.
Le canal, ayant perdu sa position à l’avant-garde de l’économie bruxelloise, perd les bonnes grâces du monde politique et ne sera à nouveau considéré qu’à partir de la création de la Région bruxelloise, en 1989. Le port de Bruxelles – en tant qu’entité dédiée aux opérations portuaires – est mis en circulation dès 1993.
Malgré la crise économique, qui a vu baisser le budget alloué aux activités portuaires, le canal est resté jusqu’à aujourd’hui un terrain fertile que beaucoup ont essayé – et essaie encore – de revaloriser.
La zone alentour représente, de la même manière, un environnement économique et social à reconquérir. “Que faire du canal ?” La question, comme imbriquée dans l’ADN des Bruxellois, revient régulièrement sur la scène politique et médiatique.
Mais le canal n’a pas été le seul à se transformer au cours des années. Les changements subis par l’ancienne échine de Bruxelles ont aussi impacté l’architecture des quartiers alentours. Nouveaux logements, nouvelles populations, nouvelles politiques : parfois subtiles, parfois moins, ces évolutions ont façonné la capitale telle que nous la connaissons aujourd’hui. Lise Nakhlé, conseillère en Urbanisme-Immobilier à la Chambre de Commerce et Union des Entreprises de Bruxelles et auteur du livre “Canal, vous avez dit canal ?!” pour l’Agence de Développement Territorial (ancienne IDETA), explique ces transformations.Une histoire typiquement bruxelloise, à écouter au rythme de l’eau.
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