Le 4 mars dernier, les Italiens se sont rendus aux urnes pour élire leurs représentants au Parlement. Pour un tiers des votants, le choix s’est porté vers le Mouvement 5 étoiles (M5S) dirigé par Luigi Di Maio. C’est donc un mouvement qui se revendique anti-système qui est en tête du scrutin.
« Che bordello » (Quel bordel !) titre le quotidien Il tempo au matin du 5 mars, le lendemain des élections législatives italiennes. En effet, c’est un parlement éclaté en trois blocs qui est ressorti de l’élection. La coalition de droite et d’extrême-droite (37%) ; la coalition de centre-gauche (26,24%) et l’outsider anti-partiste M5S (32,68%).
Les partis dits « populistes » gagnent en puissance ces dernières années. La victoire du M5S représente-t-il seulement un ras-le-bol de la population italienne ou bien une véritable vague de contestation envers les élites européennes ?
« Nous sommes une force politique qui représente le pays tout entier, […] et cela nous projette inévitablement vers le gouvernement du pays »
N’exagérons rien…
Cette affirmation de Luigi Di Maio est quelques peu présomptueuse. Le M5S a remporté 32,68% des suffrages exprimés lors du vote. Lorsque que l’on ramène ce chiffre aux 72,93% des électeurs qui se sont réellement déplacés, le M5S n’a finalement obtenu que 23,1% des voix.
Géographiquement, la voix du M5S ne représente pas non plus l’ensemble du territoire :
#Italie : la répartition géographique des votes vaut tous les longs discours…
En bleu : droite et centre-droit
En rouge : gauche et centre-gauche
En jaune : Mouvement 5 étoiles pic.twitter.com/QRmvTj8A96— Thierry Di Manno (@ThierryDiManno) 6 mars 2018
Quant à être inévitablement projeté au gouvernement du pays, rien n’est moins sûr. Trois coalitions sont envisageables au Parlement. Entre la Ligue et le M5S, qu’aucun des deux partis ne souhaite ; entre le M5S et le Parti Démocrate (PD), idée rejetée par le leader démissionnaire du PD, Matteo Renzi ; ou entre la coalition de droite et le PD, tout aussi impensable pour Renzi.
Finalement, Fabien Gibault, professeur à l’Université de Turin et spécialiste en identité régionale italienne, nous précise que la décision finale reviendra au Président Sergio Mattarella. Selon lui, « aucun gouvernement stable n’apparaîtra dans les prochains mois ».
« Le Mouvement 5 étoiles est pro-européen »
De plus en plus !
La position sur l’Europe du M5S depuis leur victoire aux législatives n’a pas toujours été aussi modérée.
Luigi Di Maio clame qu’il désire rester dans l’UE mais mène un discours euro-sceptique flou. Un discours qui s’est adouci à l’approche des législatives alors que le M5S était pour un référendum de sortie de l’UE. Le visage modéré de Luigi Di Maio est une stratégie efficace pour se rapprocher du parti démocrate affaibli par le départ de Matteo Renzi. L’idée d’une coalition avec la droite paraît compliquée, car Silvio Berlusconi s’était positionné en « rempart des populistes du M5S ».
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L’émergence du populisme en Italie est-elle une exception en Europe ?
Ce terme « populiste » est assez connoté. Souvent, il résonne comme « démagogue ». Pourtant, le populisme comprend finalement les mouvements politiques qui défendent en priorité les intérêts du peuple face à une élite. Qu’ils soient de gauche ou de droite. En Italie, tant le M5S que la Ligue du Nord peuvent être considérés comme populistes.
Ces partis qui s’opposent au système établi, à la vieille élite politique, ne datent pas d’hier. En Hongrie par exemple, le Fidesz, parti populiste de droite existe depuis 1988. Voilà presque 8 ans que Viktor Orbán, son président, occupe le poste de Premier Ministre.
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Pourquoi la population se méfie t-elle de plus en plus de ses dirigeants et favorise la montée des partis anti-système ?
Le M5S a été fondé sur un mouvement anti-élites intimant aux politiciens « d’aller se faire foutre » (sur leur logotype officiel, le V majuscule rouge de « vaffanculo »).
Une revendication simple : limiter le cumul des mandats et interdire aux politiciens de se présenter à une élection après avoir été condamné. En 2007, 300 000 signataires se réunissent pour un parlement «propre » autour de Beppe Grillo. Aujourd’hui, ce mouvement est devenu le premier parti d’Italie. Selon Fabien Gibault, les Italiens du sud sont lassés de la corruption et voient dans les partis populiste un symbole de changement basé sur la transparence.
Si l’Union européenne fait bonne figure par rapport au reste du monde, il n’empêche que la corruption d’élus révolte progressivement les populations.
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Le succès du populisme démocratise t-il le sentiment anti-européen ?
Le sentiment europhile est pourtant assez présent sur le territoire italien. Il a baissé de 65 % en 2014 à 57 % en 2017 mais reste supérieur à la vision positive de l’UE de la plupart des pays. L’euroscepticisme du sud de l’Italie pourrait donc s’expliquer selon Fabien Gibault par un fort sentiment d’abandon lié à la crise des migrants.
La lassitude de la population sur les questions d’immigration est donc un des principaux facteur de succès du populisme. Selon une étude du Pew Research Center, la perte de souveraineté des gouvernements au profit des instances supranationales de Bruxelles est également en cause.
Ces derniers mois, les meurtres de Daphne Caruana Galizia et de Jan Kuciak, deux journalistes enquêtant sur des affaires de corruption à Malte et en Slovaquie, indignent les citoyens européens. De nombreuses affaires de détournement de fonds publics de la part des politiques européens ne cesse de mettre à l’épreuve la confiance du peuple envers ses dirigeants, qui se tournent vers de nouveaux types d’organisation politique.
La délégation du Parlement Européen en visite à Bratislava la semaine dernière pour enquêter sur le meurtre de Kuciak, en est bien conscient. « Nous surveillerons de près l’évolution de la situation car il est de la plus haute importance de regagner la confiance des citoyens envers les institutions de l’État », a déclaré Ingeborg Grässle, la co-présidente de la délégation.