La libéralisation des rails est en bonne voie

 En France, la SNCF devra bientôt dire adieu à son monopole. En effet, les premières concertations sur la réforme de la SNCF ont commencé ce lundi 5 mars. Ces discussions font suite à la décision de la Commission européenne de libéraliser les chemins de fer européens. Cette libéralisation s’est accélérée avec les paquets ferroviaires des années 2000 jusqu’au 4e paquet ferroviaire présenté en janvier 2013 qui devrait conclure le processus. L’objectif est clair: redynamiser un secteur en décli

« Partout où elle a eu lieu chez nos voisins, elle (la libéralisation du rail, ndlr) a permis une hausse de la fréquentation et une amélioration des services. »

Edouard Philippe, premier ministre de la France

  •  Faux

Selon les statistiques, il ne semble pas y avoir de cause à effet entre l’augmentation de nombres de voyageurs et la libéralisation du rail.
La fréquentation des transports ferroviaires à bien augmenté dans la pays ayant libéralisé leur rail mais elle a aussi augmenté en France.
Le train reste tout de même le 4ème moyens de transports utilisé derrière la voiture, l’avion et les bus.

Nombre de voyageurs transportés par kilomètres (en million)

 

« La privatisation du ferroviaire au Royaume-Uni est catastrophique ! Le prix du billet a augmenté de 30% depuis 2010, 14% du revenu mensuel des Britanniques est consacré au transport pour aller travailler… Et c’est ce que le gouvernement compte faire en France, sur injonction de l’Union européenne ! »

Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National

  • Vrai mais à nuancer

En l’espace de 20 ans (1995-2015), le prix d’un billet de train a grimpé en moyenne de 117%. En janvier 2017, le Parti Travailliste au Royaume-Uni a calculé une hausse de 27% du prix du billet entre 2010 et 2015 (Source: The Guardian). Un an après, le prix du billet augmente encore de 3,4%, ce qui nous amène bien à 30% en 2018, 30,4%  plus précisément. Le Royaume-Uni est le second pays européen le plus cher sur les trajets en train, juste derrière la Suisse (Source: GoEuro, 2016) Selon Mathieu Strale, professeur en master complémentaire en sciences et gestion de l’environnement, cette augmentation du prix du billet n’est pas forcément liée à la libéralisation ferroviaire, « cela dépend de la politique menée et de ce que le pouvoir public est prêt à mettre. La privatisation va amener les sociétés privées à prendre une part, soit sur le prix des billets soit sur les subventions pour faire des bénéfices. L’augmentation du prix du billet n’est donc pas forcément liée à la privatisation ».

Pour le salaire, en effet, l’achat de billet grignote 14% du salaire des Britanniques. Ces derniers sont majoritaires (58%) à souhaiter une renationalisation des trains.

“On a eu un ultimatum pour appliquer la libéralisation du rail, c’est-à-dire la destruction du service public… La concurrence quand y’a un rail, j’ai du mal à la concevoir… On va pas construire un rail à côté ! Par exemple, au Royaume-Uni, ils veulent revenir en arrière parce qu’il y a eu une multiplication des accidents, des prix qui ont augmenté, de la vétusté…”

Florian Philippot, président du mouvement Les Patriotes

  •  Vrai et Faux

Au Royaume-Uni, la privatisation du rail lancée en 1993 fut un échec.
Un grand nombre de petites lignes peu rentables ont été supprimées, ce qui a eu pour résultat un isolement des usagers locaux ou ruraux.

En 2000, l’accident Hartfield (4 morts et 70 blessés) a attiré l’attention sur la vétusté des rails en Angleterre. On met fin à la privatisation complète. La gestion du rail est repris en main par l’Etat.

On assiste cependant à une diminution du nombre de victimes et d’accidents ferroviaires ces dix dernières années.
Le nombre d’accidents ferroviaires est passé de 110 en 2007 à 53 en 2016.
Le nombre de décès dus à des accidents ferroviaires est passé de 58 personnes en 2007 à 28 en 2016.

Bien que certains se plaignent d’un service qui laisse à désirer. Selon le rapport Transport Focus, le taux de satisfaction globale des voyageurs, toutes compagnies confondues, au printemps 2016 est de 80%. La ponctualité des trains locaux et régionaux est d’environ 91%.

On comprend donc pourquoi les détracteurs d’une libéralisation du rail en France emploient l’exemple du Royaume-Uni. Selon Mathieu Strale, « l’expérience nous montre que la privatisation a souvent diminué la sécurité des rails ». Pourtant, ce cas de figure ne sera pas automatiquement valable pour la France. La question sera de savoir si l’Etat français continuera à financer les infrastructures ferroviaires pour que la qualité du service se maintienne.

  • De quoi parle-t-on? 

Dès 1991, l’Union européenne prône la libéralisation du rail en Europe. Depuis plusieurs directives ont été créé pour obliger les Etats membres à libéraliser leur rail avant 2020. Et c’est désormais au tour de la France d’appliquer ces directives.

Le but de la Commission Européenne est d’ouvrir le secteur ferroviaire à la concurrence pour gagner en efficacité. Jusqu’ici, la Commission estime que la situation de monopole du secteur ferroviaire ne l’a pas incité à répondre à la demande des consommateurs et donc à vu sa part de marché diminuer constamment. L’ouverture du marché à la concurrence devrait donc améliorer les performances des services ferroviaires.
Mais l’ouverture la libéralisation n’est pas le seul objectif. Le vrai projet de la Commission est de favoriser l’émergence d’un « espace ferroviaire unique européen ». Cela en uniformisant les normes de sécurité et les infrastructures propres à chacun des Etats membres avec pour ultime résultat: la multiplication des lignes à grandes vitesses entre les métropoles européennes afin de favoriser la mobilité et les échanges économiques au sein de l’UE.

  • Dans quels pays européens le réseau ferroviaire a-t-il été libéralisé ?

Pour le moment, quinze pays européens ont autorisé de façon partielle (et dans différentes proportions) la concurrence sur leurs réseaux de trafic voyageurs. Parmi eux, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Pologne, la Suède, ainsi que l’Italie se placent en grands champions de la libéralisation européenne.La Belgique n’en fait encore pas partie, mais la question revient souvent lors des discussions entre les ministres belges. Selon le vice-premier ministre Kris Peeters, « il faudra bien y arriver, tôt ou tard ». Cela étant, ce ne sera pas encore pour cette année.
La France, quant à elle, est en pleine discussion pour fixer une loi d’ici 2020, date d’échéance fixée par l’Union européenne.

  • Peut-on vraiment comparer la situation dans les différents pays ?

Selon le cinquième rapport sur le suivi de l’évolution du marché ferroviaire “les comparaisons entre les systèmes nationaux sont souvent peu pertinentes”, il est vrai que le secteur ferroviaire dans chaque pays est foncièrement différents.

  • Et sinon, quelle situation pour la SNCF ?

En 2020, le réseau ferroviaire français devra être totalement ouvert à la concurrence, conformément aux échéances fixées par l’Union européenne. Un défi donc pour la SNCF dont la dette s’élève à près de 46 milliards d’euros. Mercredi 14 mars, Elisabeth Borne, ministre chargée des transports, a présenté le « projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire ». Ce n’est pour le moment qu’une ébauche de la future loi. Les articles 2 à 5 s’intéressent à la question de l’ouverture à la concurrence ferroviaire, conformément aux textes européens prônant une libéralisation d’ici la fin de 2020. La question de la dette n’est pas évoquée dans ce projet de loi, ce qui signifie que la décision de si oui ou non la SNCF Réseau va changer de statut n’a pas encore été prise.
Le taux d’investissement de la SNCF en 2016 était de 17% (en pourcentage du chiffre d’affaires) soit 5,5 milliards d’euros pour le renouvellement du matériel (locomotives, rames, etc). “Si la France continue d’investir ainsi, le service sera conservé comme tel, mais sinon, il y aura des risques au niveau de la sécurité, des services et par conséquent de la fréquentation”, selon Mathieu Strale.

Camille Vernin, Elise Jeannelle, Agathe Laurain