Kris Peeters s’est montré optimiste sur la création de l’emploi, le chômage et les émissions de CO2 en Belgique dans une interview pour L’Echo. Analyse de propos.
Durant son interview pour L’Echo, Kris Peeters a amené une petite farde bleue remplie de chiffres. Malheureusement, le cabinet a refusé de nous communiquer l’origine de son contenu. A défaut d’obtenir ces données, nous avons mené des recherches nous-mêmes pour décrypter ses affirmations.
Le ministre en sort deux tableaux. Le premier donne l’évolution du nombre de bénéficiaires du chômage avec complément d’entreprise (anciennement prépensions). « Vous voyez, on a commencé avec un niveau très très haut », dit-il. Plus de 100.000 en 2015 pour 56.000 environ en 2019, selon les estimations avancées.
VRAI mais incomplet
Les chiffres avancés sont réels, bien qu’ils soient arrondis. En réalité, « le nombre exact de bénéficiaires en 2015 était de 96.176 et de 56.089 en janvier 2019 », complète Kristof Salens, chargé de la communication de l’ONEM (Office National de l’emploi). Il s’agit ici des personnes bénéficiant du chômage avec complément d’entreprise (anciennement nommé prépension) qui possèdent une dispense d’inscription comme demandeurs d’emploi. Cependant, Kris Peeters a omis d’ajouter les personnes qui possèdent ce statut, mais qui doivent s’inscrire comme demandeurs d’emploi.
-
Qui peut bénéficier de ce régime?
Ce sont les travailleurs âgés qui ont été licenciés par leur employeur. Ils disposent donc d’une allocation de chômage ainsi qu’une indemnité complémentaire à charge de l’employeur jusqu’à l’âge de la pension.
-
Le RCC est-il semblable à la pension anticipée ?
Pas du tout, il ne faut pas confondre le chômage avec complément d’entreprise (RCC) et la pension anticipée. Cette dernière est possible à partir de 60 ans sous certaines conditions. C’est-à-dire qu’il faut avoir minimum 60 ans et au moins 44 ans de carrière professionnelle.
-
Pourquoi certaines personnes doivent-elles s’inscrire en tant que demandeurs d’emploi ?
Cette inscription a lieu depuis les changements de décembre 2014. Elle s’applique aux personnes qu’un employeur a licenciées après le 31 décembre 2014. Bien qu’il existe des exceptions telles que les métiers lourds, les longues carrières, les raisons médicales, les entreprises reconnues en difficulté ou en restructuration, etc. Selon l’ONEM, les personnes devaient être licenciées avant le 1er janvier 2015 et avoir droit aux allocations de chômage. De plus, elles devaient soit être âgées d’au moins 60 ans (ou 58 ans sur base d’une convention collective conclue au sein du secteur ou de l’entreprise), soit détenir 38 ans de passé professionnel pour bénéficier de la dispense d’inscription.
“on a créé plus de 200.000 jobs”
Pas tout à fait
Sous les gouvernements Michel, des augmentations annuelles supérieures à 200.000 jobs ont en effet été enregistrées. Par exemple, sur l’année 2016-2017, quelques 224.064 emplois ont été créés. Néanmoins, Kris Peeters oublie une donnée importante : la destruction d’emplois. Toujours pour la période de 2016-2017, il faut compter 157.712 postes détruits. Ainsi, l’évolution réelle ne correspond qu’à 66.352 emplois supplémentaires. (données DYNAM )
-
La situation du marché du travail belge est-elle si optimiste ?
Depuis 2014, la Belgique connaît effectivement une croissance d’emplois. Elle a été particulièrement vigoureuse dans les branches des services aux entreprises, de la santé humaine et l’action sociale et du commerce, transports et horeca. Cette croissance a relevé le taux d’emploi, étant donné que les créations nettes d’emploi ont été supérieures en nombre par rapport à l’augmentation de la population en âge de travailler. Fin 2018, Statbel enregistrait 70,1% de la population active sur le marché du travail. Ce pourcentage n’avait encore jamais été atteint en Belgique.
Au niveau européen on a beaucoup investi, on est frontrunner sur le climat. Nous sommes les meilleurs élèves du monde au niveau des émissions de CO2 par exemple
Philippe Defeyt, économiste et homme politique belge (Ecolo), est surpris par cette déclaration et ne comprend pas sur quels calculs ou comparaisons Kris Peeters se base. Le dernier rapport (2019) de la Commission européenne sur la Belgique va dans ce sens en affirmant que sans mesures additionnelles la Belgique ratera ses objectifs climatiques 2020-2030. Elle devait normalement réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) des secteurs industriels, développer ses énergies renouvelables et travailler sur l’efficacité énergétique.
En ce qui concerne notre “position de frontrunner sur la climat” ou encore de notre place d’élève modèle dans le monde, un article de la RTBF remet rapidement les pendules à l’heure. La Belgique ferait partie des cancres de l’Europe, au fond de la classe avec l’Estonie, l’Irlande, Malte et Chypre.
-
Où en est la Belgique dans ses émissions CO2 ?
“Effectivement, les émissions ont diminué par rapport à 2000, commente Frank Pattyn, climatologue et glaciologue à l’ULB, mais c’est principalement dû à une transition charbon vers le gaz et une diminution de l’apport industrielle, suite à des crises économiques”. Il ajoute que “la Belgique et l’UE, selon l’accord de Paris, doivent faire d’autres efforts que les économies émergentes qui n’ont pas ce passé d’émissions. Ils doivent donc arriver à une émission zéro pour 2050. De plus, si l’économie va mieux, nous allons avoir aussi plus d’émissions si nous ne nous dirigeons pas vers une transition énergétique”.
-
Serait-il possible d’atteindre les objectifs 2020-2030 en matière de climat ?
Le rapport “Perspectives économiques 2019-2024” du Bureau du plan démontre que les émissions industrielles ne vont pas bon train non plus. En effet, celles-ci au lieu de diminuer fortement, comme elles le devraient, vont se stabiliser si rien ne change. Entre 2018 et 2024, la moyenne annuel sera de 113,7 millions de tonnes (Mt) d’équivalent CO2 et de 113,9 Mt en 2023-2024. Afin de palier à cette situation, le Plan National Énergie-climat (Pnec) a mis en place un projet qui permettrait à la Belgique de réduire ses émissions de 0,9 Mt par an jusqu’en 2030, tous secteurs confondus. Néanmoins, pour atteindre la décarbonisation de 2050, la Belgique devrait réduire ses rejets de 3,7 à 5,1 Mt par an dès 2030. D’après Philippe Defeyt, aucune mesure sérieuse sérieuse du projet du Pnec n’a encore été faite.
Crédit image: Werktuigendagen Oudenaarde (Flickr)